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Bouddhisme et manga : du Zen en bulles

Genre populaire, le manga brasse tous les sujets possibles y compris la religion. Le bouddhisme version BD n’a rien d’austère, bien au contraire. Voici quelques interprétations humoristiques et (ir)respectueuses de la foi.

Avant d’être une religion, le bouddhisme est tout d’abord une doctrine morale énoncée par un prince indien Siddhârta. Lorsqu’il a atteint l’éveil, il a pris le nom de Bouddha (littéralement « l’éveillé »). Si le caractère historique du personnage n’est pas contesté, il est difficile de faire la part entre la réalité et la légende. Par la suite, le bouddhisme s’est développé dans de multiples pays et de nombreuses divinités ont été assimilées à des personnages du panthéon bouddhique.

On ne peut pas parler d’une religion homogène. Chaque pays et chaque école donne sa version du bouddhisme. De plus, il y a une grande différence entre la religion et sa version populaire pleine de légendes hautes en couleur. Difficile de définir cette religion protéiforme sans entrer dans la caricature du « tout est lié par le cycle des réincarnations et des souffrances ». Vous ne trouverez pas ici de définition plus précise du bouddhisme et ce d’autant plus que les mangaka eux-mêmes ne semblent pas s’accorder là-dessus.

Avec le poing dans la gueule

La mise en scène du bouddhisme dans le manga peut être soit sérieuse soit humoristique. Dans la majorité des manga, la religion est un élément secondaire sur lequel l’auteur brode un scénario parodique. C’est le cas dans la comédie de Satoshi Yoshida, Tennen, pur et dur. Sorte de GTO chez les bonzes, Taiji Gokô est une petite frappe qui tente de se purifier par le bouddhisme, afin de ne plus voir les esprits errants. Mais les habitudes de yakusa reprennent vite le dessus. Malgré son crâne rasé et son nouveau nom (Tennen), il se sert toujours de ses poings pour régler les conflits et prêcher la bonne parole. Semblable au film Sister Act, les rebondissements comiques du manga ne tiennent la route que par le charisme du personnage principal. Les figures secondaires servent à souligner le décalage entre les intentions pieuses et la manière de les mettre en pratique. Toutefois Tennen n’est pas Whoopi Goldberg. On peut s’en passer.

Moins déjanté, et plus destiné à un lectorat féminin, le Saiyuki de Kazuya Minekura est une version bishônen du célèbre récit d’aventure chinois, Le Pèlerinage vers l’Occident (Saiyuki dans sa prononciation japonaise). Initialement le roman relate les péripéties burlesques qui accompagnent le voyage d’un moine vers l’Inde afin d’y recueillir les écritures sacrées du bouddhisme et les rapporter en Chine. La légende est si populaire en Asie que les versions cinématographiques ou en BD abondent. Nous connaissons entre autres Dragon Ball et le Saiyukiden de Terada.

Dans l’interprétation de Minekura, le moine bouddhiste est bien loin la mansuétude de son modèle romanesque. Cynique et blasé, il a toujours une clope au bec et tient plus à son arme à feu qu’à ses compagnons de voyage. Bouddhisme et écrits sacrés ne sont qu’un prétexte pour mettre en scène un road movie mythologique, où l’amitié virile fait surtout le bonheur de ces dames.

Avant le succès de Shaman King, Hiroyuki Takei s’était livré à une version contemporaine d’une légende bouddhique. Selon certaines doctrines, un nouveau Bouddha (Miroku) viendra sauver les hommes. Dans Butsu Zone, l’auteur met en scène une sorte de religion relookée à la Saint Seiya. Le duo traditionnel de la jeune fille à sauver et du héros se transforme en couple improbable formé par une orpheline (réincarnation de Miroku) et un avatar du bosatsu Kannon. Le personnage principal, Sennju, doit protéger l’orpheline jusqu’en Inde, où elle doit trouver l’éveil et devenir le Bouddha du futur. Des armures dignes de Masami Kurumada, de l’humour et des combats sont les principaux attraits de ce manga inachevé en trois volumes. On y retrouve de nombreuses figures mythologiques comme Jizô ou encore les sept divinités du bonheur (très populaires au Japon) qui débarquent d’un yacht en chemise hawaïenne et bikini.

Dans ces trois cas, le bouddhisme est un élément de référence qui permet au mangaka de créer une connivence avec ses lecteurs. Tous partagent la même culture et sont à même d’apprécier le décalage parodique. Le problème est que les lecteurs occidentaux n’ont pas toujours les bonnes clefs de lecture, même si l’humour de ces trois séries passe plutôt bien en français.

Avec une vie exemplaire

Dans une veine plus sérieuse, Osamu Tezuka et Hisashi Sakaguchi ont relaté les vies exemplaires de deux personnages historiques : Siddhârta (Bouddha) et Ikkyû (moine et poète zen du XVe siècle). Dans les deux cas, il ne s’agit pas de définir le bouddhisme pour faire en sorte que les lecteurs se convertissent. Bien au contraire, les deux manga s’attachent à montrer les doutes qui assaillent les hommes en quête de vérité.

Encore plus ambitieux, le Bouddha de Tezuka retrace au cours de huit gros volumes la vie du prince Siddhârta tout en y mêlant celles de tous les personnages qu’il rencontre. Plus qu’une hagiographie de Bouddha, Tezuka nous livre un roman-fleuve où les vies des personnages secondaires ont autant d’importance que celle du héros. Il nous montre ainsi l’enchaînement des passions, des vengeances et des haines entre familles et pays. Il nous permet ainsi de mieux comprendre le cycle des malheurs et les conséquences de chaque acte. Il met en scène le principe bouddhique qui veut que toutes les formes de vie soient liées et que tout acte (paroles, gestes ou pensées) ait des conséquences sur le cours des événements.

Les notes historiques incluses dans l’édition française nous permettent de mieux apprécier la fidélité de Tezuka à la biographie de Siddhârta. Toutefois l’auteur se permet de nombreuses variations en accord avec son style graphique. Les traits ronds et très disneyens peuvent surprendre. Difficile de s’imaginer l’horreur des guerres avec un tel graphisme. En outre, le mangaka multiplie les anachronismes. Il se met en scène. Il représente des figures aussi invraisemblables que Black Jack, E.T. et maître Yoda… Même s’il essaie d’être fidèle à la légende, il ne peut s’empêcher de vouloir séduire le lecteur par un humour décalé.

La parabole du vieillard et du lapin apparaissant dans le premier et le dernier volume reste sans doute le message le plus poignant de Tezuka. Afin de sauver un ermite de la faim, trois animaux offrir chacun un présent. Le lapin, qui n’avait rien à proposer, ramassa des branches et demanda au vieillard de faire un feu . Il se jeta alors dans les flammes pour s’offrir en pâture. À défaut de représenter l’essence du bouddhisme, ces sept planches sans paroles résument toute la philosophie du dieu des manga.

Si vous voulez vous initier au bouddhisme lisez donc Ikkyû et Bouddha, deux styles au service d’un même hymne à la vie.

Article initialement publié dans AnimeLand en 2006.

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