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Devolver Digital, éditeur pour petits jeux à grand succès

Avec l’émergence d’une scène indépendante, de nouveaux types d’éditeurs font leur entrée. C’est le cas de Devolver Digital, composé de cinq vétérans de l’industrie du jeu vidéo qui éditent des titres comme Hotline Miami, Serious Sam, Duke Nukem 3D Megaton Edition ou Luftrausers. Graeme Struthers, un des cofondateurs, nous a expliqué autour d’une bière belge ce qu’est un éditeur selon lui.

COMMENT AVEZ-VOUS CRÉÉ DEVOLVER DIGITAL ?

Nous avons fondé Devolver Digital il y a quatre ans. Nous sommes cinq : j’habite en Angleterre et les autres à Austin, aux USA. Nous nous sommes rencontrés en travaillant chez Gathering of Developers en 1998. À l’époque, il n’y avait que le marché des jeux en boîte et il fallait impérativement un éditeur pour pouvoir en commercialiser. Nous nous étions dit que nous pouvions nous en passer en jouant le rôle d’éditeur. Malheureusement, cela n’a pas duré et la société n’avait plus d’argent.

Les développeurs ont en effet tendance à sous-estimer le budget nécessaire à la production d’un jeu. Nous avions trouvé un partenaire, Take Two, qui a ensuite acheté la société en 2000. Puis nous nous sommes un peu perdu de vue et grâce aux plateformes de distribution numériques, nous nous sommes dit qu’il était temps de retravailler ensemble et nous avons ainsi distribué des jeux par le biais de Steam.

ÉTIEZ-VOUS UN CODEUR ?

Absolument pas ! Je m’occupais plutôt des scripts et j’ai occupé la place de project manager pour différents jeux. Chez Devolver, comme nous ne sommes que cinq, je m’occupe un peu de tout.

COMMENT FAITES-VOUS POUR VOUS ORGANISER ENTRE VOUS, ET AVEC LES STUDIOS ?

C’est relativement simple. Nous nous parlons constamment même si nous ne sommes pas physiquement dans les mêmes pays. Grâce aux moyens de communication modernes, le lieu importe peu. D’ailleurs, nous n’avons pas vraiment de bureau.

Actuellement, nous avons un jeu en développement à Stockholm, un autre à Amsterdam, un à Singapour et trois aux USA. Nous sommes à la recherche de nouveaux titres souvent réalisés par de nouvelles équipes de développeurs. La plupart du temps, nous choisissons d’éditer les jeux auxquels nous aimerions jouer.

Du coup, les choix sont relativement simples. Il arrive que des gens nous contactent mais généralement, il s’agit d’amis d’amis qui nous mettent en relation. Ainsi, c’est l’équipe de Stockholm qui nous a mis en contact avec le développeur hollandais. C’est largement suffisant car nous ne tenons pas à devenir une grosse entreprise. Nous sommes plutôt contents de travailler à cinq et de sortir trois ou quatre jeux par an.

COMMENT CELA SE PASSE-T-IL CONCRÈTEMENT ? ALLEZ-VOUS RÉGULIÈREMENT VOIR LES STUDIOS ?

Il y a des studios qui ont simplement besoin d’encouragements et d’investisseurs financiers. Nous ne pouvons pas apporter beaucoup de capitaux mais c’est déjà un plus pour soulager les studios indépendants. Mais tout dépend du jeu et du studio. Les gars d’Amsterdam ont besoin de nous pour les relations avec la presse et le marketing. Nous leur apportons notre expertise dans le domaine et en Europe, nous travaillons avec CosmoCover pour toute la partie presse. Nous pouvons aussi nous occuper de l’adaptation, de la traduction, etc.

Nous avons aussi le cas de Croteam : ce sont les développeurs croates de Serious Sam, avec qui nous travaillons depuis plus de dix ans. Nous avions commencé à l’époque de Gathering of Developers. Il y a aussi des studios qui ont besoin de recruter et dans ces cas-là, nous faisons appel à notre réseau pour mettre en relation les personnes susceptibles d’être intéressées. En fait, tout se fait simplement et selon les demandes des développeurs. La seule chose sûre est que nous n’allons pas éditer un futur Call of Duty ou Medal of Honor. Chez Devolver, nous nous occupons de projets à petit budget.

QUELS SONT LES JEUX AUXQUELS VOUS AIMERIEZ JOUER ?

L’an dernier, nous avons par exemple publié Hotline Miami, jeu dont nous sommes très fans. L’un de nous en était d’ailleurs totalement obsédé. Nous avions déjà travaillé avec le studio auparavant et c’est aussi le cas de Vlambeer, studio dont nous sommes fans. En fait, voilà, nous publions des jeux de studios dont nous sommes fans (Sourire). C’est aussi simple que ça.

JE CROYAIS QUE L’ÉDITEUR ÉTAIT CELUI QUI DONNE PEU D’ARGENT POUR ESSAYER D’EN OBTENIR LE PLUS POSSIBLE.

Les gens qui gardent tout pour eux quand c’est un succès, c’est bien ça ? (Rires). Je suppose qu’en raison de notre passé de développeurs, nous avons une autre vision des choses. La première chose importante est que nous n’avons pas les droits sur les jeux. Les studios conservent leurs licences. Nous pensons que le plus important dans un jeu est la personne qui le crée et non l’éditeur. Nous n’existons que parce que les gens sont contents de travailler avec nous. C’est pourquoi la relation avec les développeurs est simple : ils gardent leur licence et reçoivent la part la plus importante du chiffre d’affaires généré par leur jeu.

Nous n’avons pas de contrat compliqué qui stipule que les développeurs perdent leur droit sur la licence si le jeu ne se vend pas assez ou si tel ou tel objectif n’est pas atteint. Il y a même eu des fois où nous avons payé l’avocat pour qu’un studio puisse avoir un avis juridique car il n’avait pas l’argent pour en prendre un.

COMMENT CE GENRE DE RELATION EST-IL POSSIBLE ?

Tout ceci est possible grâce à la distribution numérique. Lorsque nous passons par Steam, nous recevons 70 % du CA tous les mois et n’avons pas à attendre durant des mois. C’est donc plus simple et plus rassurant quand on n’a pas une trésorerie importante. Nous passons par diverses plateformes en dehors de Steam : GOG, Amazon, Sony, Microsoft…

Pour le moment, nous n’avons pas de projets sur Origin ou Uplay. De toute façon, lorsque l’on édite des jeux pour PC, Steam reste la plateforme de prédilection et, surtout, elle rend les choses plus simples pour tout le monde. Il n’y a pas besoin de validation comme c’est le cas pour Microsoft ou Sony. Je suppose que c’est en partie lié au fait que Steam appartient à Valve, qui est avant tout un studio de développement.

COMMENT SAVOIR SI LE JEU EST BON AVANT DE SIGNER LE CONTRAT D’ÉDITION AVEC LE STUDIO ?

Je pense que beaucoup de choses dépendent de nos relations avec le studio et de l’énergie que celui-ci met à faire son jeu. Si les créateurs sont sûrs de ce qu’ils font ou qu’ils ont des idées claires sur le jeu qu’ils veulent élaborer, c’est relativement simple. Nous n’avons pas à organiser de réunion où nous leur disons : «  Oh, et si vous faisiez ceci ou cela ! » Nous ne disons jamais aux studios : « Faites ça comme cela afin de plaire à tel public ». Il est important que le studio ait une vision. Ensuite, comment savoir si le jeu sera un succès… C’est simple aussi : on ne peut pas le savoir à l’avance !

Dans le cas de Hotline Miami, nous y avons joué, nous l’adorions mais nous ne pensions pas qu’il serait un succès commercial avant qu’il le devienne. Bien sûr, il y a des choses qui peuvent être rassurantes comme le fait que les attachés de presse aiment le jeu ou que les versions preview envoyées à certains journalistes sont bien accueillies. Mais rien de tout cela ne garantit un succès. Ce sont simplement des éléments qui nous donnent un peu plus confiance à chaque étape. Ceci posé, chaque jeu est si différent qu’il est impossible de prévoir le succès ou l’échec.

Je pense qu’il y a deux types d’éditeurs. D’un côté, il y a de gros éditeurs qui injectent beaucoup d’argent dans le marketing et la publicité pour mettre en avant des blockbusters qui font connaître le jeu vidéo dans son ensemble. C’est une très bonne chose pour tout le monde et à côté de ces grandes structures peuvent vivre des entreprises plus petites pour des jeux au budget plus restreint. Même si vous êtes un fan de Call of Duty et que vous achetez une version chaque année, vous pouvez quand même aimer les jeux indépendants et apprécier leur gameplay car ce qui importe réellement, c’est le fait de jouer et non le budget mis en œuvre pour développer le titre.

L’autre grande différence entre ces grandes sociétés et des éditeurs comme Devolver réside dans l’investissement de départ. Même si nous investissons cent mille dollars dans un jeu, cela reste assez raisonnable et nous n’avons pas besoin d’en vendre des millions d’exemplaires pour qu’il soit rentable. Le risque est différent. Il y a quelques années, il fallait avoir en réserve deux ou trois millions de dollars pour réaliser un jeu sur console. Actuellement, avec Steam, il est possible de sortir des titres moins chers vendus à dix dollars. Et c’est suffisant pour vivre en créant des jeux.

POURQUOI RESTEZ-VOUS À CINQ PERSONNES ?

Cinq est un bon chiffre car il est possible d’avoir un vote, une majorité pour trancher et décider de telle ou telle action. Mais il n’y a pas vraiment de business plan. Nous sommes cinq car nous sommes cinq amis et que nous voulions de nouveau travailler ensemble.

Beaucoup de petites entreprises se montent à l’image de la nôtre. Je pense qu’il existe tellement de bons développeurs qu’il y a vraiment de la place pour des structures comme la nôtre. La plupart ne cherchent pas non plus à devenir de grosses sociétés mais sont heureuses d’être indépendantes. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que Sony semble désireuse de nous accorder plus de place sur la PlayStation 4. C’est un changement majeur car deux ans auparavant, je pense que Sony n’aurait pas travaillé avec nous.

NE PENSEZ-VOUS PAS QU’IL S’AGISSE SIMPLEMENT DE POUDRE AUX YEUX POUR FAIRE PARLER DE LA CONSOLE ?

Je suppose que la vérité est quelque part entre la communication et le désir de travailler avec des studios indépendants. Sur PlayStation 3, il était impossible de créer un jeu sans avoir un budget important car la technologie était compliquée et les processus assez longs et coûteux.

Pour la PlayStation 4, Sony a fait au mieux pour nous simplifier la vie. Ainsi les développeurs n’ont-ils plus à acheter le kit de développement alors qu’au début de la PlayStation 3, ce kit coûtait autour de vingt mille euros… Vous imaginez bien que lorsqu’il faut acheter deux ou trois kits de développement puis le matériel pour tester le jeu, cela représente un budget conséquent. Avec la PlayStation 4, c’est un peu comme développer sur un bon PC. L’écosystème est plus simple pour les indé.

DANS LES « PETITS » JEUX, J’AI L’IMPRESSION QU’IL Y A BEAUCOUP DE REPRISES ET DE COPIES.

C’est une chose indéniable et cela va perdurer. Néanmoins, je pense qu’il y aura des innovations. Disons que c’est comme dans l’industrie du cinéma ou de la musique : il y a des genres et nous avons tendance à cataloguer les titres par ce biais. Mais au sein de chaque genre, l’innovation reste possible.

Auparavant, il fallait un ou deux ans pour faire un jeu alors qu’à présent, cela peut être fait en six mois. Cela change beaucoup de choses et la façon d’envisager les jeux. Lorsque vous élaborez un titre durant deux ans, cela représente une somme d’énergie, de motivation immense. C’est un engagement assez long et intense. Quand vous créez un jeu indépendant en six mois, c’est difficile mais c’est rapide et intense. Du coup, l’innovation surgit d’une autre façon et comme la plupart des studios indé se connaissent et jouent aux jeux des autres, il y a une émulation et un vrai vivier de bonnes idées.

De plus, les indépendants partagent leurs expériences, leurs idées et c’est aussi un grand changement dans la mentalité des développeurs. Les éditeurs avaient tendance à garder les choses plus secrètes. Avec les développeurs indé, tout se sait car ils partagent leurs idées sur Twitter ou Facebook, ils donnent des conseils aux autres. C’est une autre façon de faire du jeu.

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QU’IL Y AIT TELLEMENT D’INDÉ AUX USA ET SI PEU EN FRANCE ?

Ce n’est que mon opinion personnelle mais la voici quand même : je pense que les développeurs français des années quatre-vingt-dix étaient parmi les meilleurs au monde. Ils étaient parmi les plus créatifs. Mais la plupart ont été rachetés par des éditeurs, que ce soit Ubisoft ou Bethesda. Il y a une vraie culture du jeu en France mais la plupart travaillent actuellement dans des structures assez grandes et n’ont jamais travaillé en tant qu’indépendants.

En Angleterre, une même configuration s’est produite mais avec une dizaine d’années d’avance. Du coup, lorsque les éditeurs ont fermé les studios entre 2000 et 2005, beaucoup de développeurs sont devenus indépendants car ils n’avaient rien d’autre. Lorsqu’ils n’émigraient pas pour le Canada, ils restaient pour monter leur studio.

Y A-T-IL DES DIFFÉRENCES CULTURELLES ENTRE LES DÉVELOPPEURS ?

Nous travaillons avec des Hollandais, des Scandinaves, des Croates… Et pour nous, il n’y a pas vraiment de différence ! Il n’y a que la même volonté de faire un jeu et les mentalités sont assez similaires.

TOUT LE MONDE PARLE DU FREE TO PLAY. ALLEZ-VOUS EN FAIRE VOUS AUSSI ?

Non, car en fait, nous ne comprenons même pas comment cela fonctionne ! C’est mon avis mais disons que concevoir un jeu pour encourager le joueur à dépenser de petites sommes d’argent afin de progresser est une chose vraiment très différente du fait d’élaborer un titre que les gens vont acheter et télécharger. Le game design est différent et nous n’avons pas les capacités en interne pour comprendre ces mécanismes. Si nous nous lancions dans le F2P, ce serait sans doute très mauvais.

Je vis pourtant avec deux personnes qui passent leur temps sur des jeux en ligne sans jamais dépenser un sou. Ma femme et ma fille sont des joueuses de F2P (FarmVille, Stronghold Kingdom…). Mais j’avoue ne pas comprendre comment ces titres fonctionnent et peuvent être rentables. Bien sûr, je comprends qu’il est nécessaire d’avoir des millions de gens intéressés par un de ces F2P pour qu’il devienne rentable.

Mais concrètement, je n’arrive pas à nous imaginer faire ce type de jeu et je ne pense pas que les jeux que nous publions puissent attirer des millions et des millions de joueurs. J’espère que les F2P peuvent coexister avec des jeux indépendants qui coûtent une dizaine d’euros, que les deux modèles ne sont pas exclusifs. Sinon, eh bien, je suis foutu !

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