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Game Informer : Information ou communication ?

« Game Informer vous permet de toucher les hommes entre 18 et 34 ans plus que n’importe quel autre magazine au monde. » Telle est l’affirmation qui sert de titre à la plaquette destinée aux annonceurs susceptibles d’acheter une page de publicité. Mais pour parvenir à huit millions d’abonnés, le magazine a moins compté sur la qualité de son contenu que sur l’appui de GameStop, géant mondial de la distribution de jeux vidéo. Voici quelques rouages de la machine à communiquer.

Tout commence à la fin des années quatre-vingt : David R. Pomije est un entrepreneur qui décide de vendre des jeux vidéo par correspondance. Sa société FuncoLand naît en 1988 et lui permet de racheter et revendre des cartouches à une multitude d’adolescents avides de convertir leur argent de poche en jeux, à leur tour reconvertis en argent de poche pour acheter d’autres jeux. La liste de prix de FuncoLand devient vite l’argus du jeu vidéo aux États-Unis. Pour que ses clients aient encore plus envie d’acheter des jeux, Pomije crée un magazine, Game Informer, lui aussi distribué par courrier. Une fois les fonds récoltés pour ouvrir des magasins physiques et vendre les jeux d’occasion ou neufs, Game Informer se retrouve lui aussi en rayon. À partir de 1993, il est vendu en kiosque et les mauvaises langues précisent qu’à mesure que les boutiques FuncoLand essaiment sur le territoire américain, le volume de pages de Game Informer diminue.

La machine à cash

Tout bascule lorsque qu’en mai 2000, le géant de l’édition Barnes & Noble rachète FuncoLand pour 162 millions de dollars et fusionne la société avec Software Etc. et le Texan Babbage’s pour créer le géant GameStop, premier détaillant de jeux vidéo aux USA. Les acquisitions suivent au niveau mondial et la chaîne de magasins Micromania est ainsi rachetée pour 700 millions de dollars en 2008. GameStop Corp. possède désormais une flotte impressionnante de six mille sept cents magasins à travers le monde et vend aussi des jeux en ligne.

Entre-temps, Game Informer devient l’un des plus gros tirages de la presse de jeu vidéo mondiale grâce au système de fidélisation de GameStop. Pour 14,99 dollars, vous obtenez la carte de membre pro Power Up Rewards, qui vous donne accès à des offres spéciales et à 10 % de réduction sur les jeux d’occasion et les accessoires, vous accorde des points de fidélité convertibles par la suite en achats, et accessoirement un abonnement gratuit d’un an à Game Informer. Soudain, les abonnements s’envolent puisqu’ils correspondent aux nombreux gamersprenant la carte de fidélité GameStop. Les ventes au numéro restent faibles pour un magazine spécialisé mais qu’importe ! Avec autant d’abonnés, le magazine peut se targuer d’une audience record.

C’est bien sûr une opération très rentable pour GameStop, qui crée ainsi un cercle vertueux de consommation de jeux vidéo : les joueurs informés par le magazine peuvent précommander des jeux pour ensuite les revendre d’occasion à d’autres. Accessoirement, GameStop empoche la mise à chaque passage en caisse, que ce soit pour un jeu neuf ou d’occasion, contrairement aux éditeurs et aux développeurs qui ne gagnent de l’argent que sur les jeux neufs. Le magazine est à la fois une source d’information et un moyen de communication bien utile. Ça ne vous rappelle rien ? OK, demandez à votre copine ce qu’elle a avec sa carte de fidélité Ikea Family : un magazine de décoration, LiveGame Informer est le quasi-équivalent dans le monde du jeu vidéo.

Passage forcé au numérique

Difficile de dire si Live fait du mal aux magazines de décoration dans le monde, mais la pression sur les sociétés voulant apparaître dans les pages de la revue n’est certainement pas la même. Nul doute qu’un éditeur de jeu vidéo préfère avoir un dossier dans Game Informer plutôt que dans un magazine spécialisé réellement acheté en kiosque. C’est un autre cercle vertueux qui se met en place pour le magazine de GameStop : plus Game Informer a d’exclusivités, plus les gens apprécient de lire un gratuit inclus dans leur carte de fidélité ; plus le lectorat est important, plus le magazine a d’exclusivités.

Pendant ce temps, la presse spécialisée souffre. En 2009, Future Publishing, un des acteurs majeurs au niveau mondial, a vu ses bénéfices fondre de 61 %. En 2012, il a fermé Nintendo Gamer Magazine et PlayStation : The Official Magazine. La concurrence avec le semi-gratuit de GameStop et les sites Internet est trop rude, les lecteurs / consommateurs préférant avoir des screenshots qu’une analyse. En 2009, même le célèbre Edge ne se vendait qu’à treize mille exemplaires en kiosque.

Mais après avoir contribué à tuer le marché de la presse, la roue tourne pour GameStop. Au troisième trimestre 2012, la société a perdu 624,3 millions de dollars. Avec la montée en force des plateformes digitales, le géant a acheté des sites de jeux comme Kongregate et Jolt Online Gaming pour se frayer une place sur le marché des jeux dématérialisés. Il force plus ou moins les possesseurs de carte Power Up à passer à la version digitale de Game Informer pour réduire les coûts. L’avenir nous dira si le géant de la distribution réussira sa conversion au numérique.

Article initialement paru dans IG Magazine.

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