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Interview avec Marcus, journaliste de jeu vidéo

Présentateur, animateur, journaliste et désormais écrivain, Marcus est le mercenaire clown qui nous permet de nous sentir moins seul lorsque nous mourons bêtement dans un niveau pourtant facile. Lors d’une interview réalisée pour IG Magazine dans le Virgin des Champs Élysées, il nous dévoile l’envers du décor de Chez Marcus, de Retro Game One et de ses autres activités autour du jeu vidéo.

Comment avez-vous débuté dans le métier ?

Marcus : J’ai commencé dans la presse écrite chez TiltConsoles +PC ReviewPlayer One, etc. Au début, je ne me sentais absolument pas fait pour la télévision.

J’avais été interviewé par France 3 sur le jeu vidéo et je me souviens avoir été tout transpirant avec des boutons d’acné sur la figure et l’air mal à l’aise. Je me sens journaliste avant d’être animateur.

De fil en aiguille, je me suis retrouvé sur Cyber Flash, émission de Canal + où d’anciens de Tilt travaillaient. J’ai commencé par faire des tests et écrire les commentaires de la voix off dits par un autre.

C’est comme cela que j’ai appris à écrire pour la télévision et que j’ai pris du plaisir à monter des sujets pour qu’ils soient lus, ce qui est très différent de l’écriture pour la presse papier. S

i tu écris comme pour un magazine papier, c’est très pénible à lire et à écouter, surtout si tu mets beaucoup de parenthèses. En fait, en télévision, l’image parle pour toi et tu n’as pas besoin d’écrire beaucoup.

Au fur et à mesure, j’ai été intégré à diverses émissions à chaque fois qu’il y avait besoin d’un geek mal dans sa peau qui trouvait des amis grâce au jeu vidéo par exemple. Je me suis alors habitué à passer à la télévision dans des rôles un peu rigolos.

Quand Canal + a décidé de créer une chaîne, Game One, j’ai commencé à faire des émissions dont Level One. Le concept était simple : il s’agissait de déterminer si un jeu était bon ou mauvais de la même façon que l’on ferait dans la vie réelle, en montrant le premier niveau à un pote et en le commentant.

Et comme le principe de l’émission reposait sur le fait que l’on parle au spectateur comme à un copain qui est venu dans le salon regarder le jeu, c’était aussi plus simple pour moi. Je ne devais pas faire comme un animateur du type de Jean-Pierre Foucault ou d’autres. Pas de belles phrases et de langage à surveiller.

De plus, comme c’étaient effectivement des potes qui tenaient la caméra, le dialogue était facilité. Je m’adressais donc à Pierre Boulet, le réalisateur, et à l’ingénieur du son, et à travers eux aux spectateurs.

C’est comme cela que j’ai appris à travailler en confiance avec des gens derrière la caméra. C’est ainsi qu’elle a cessé d’être une source de stress.

L’émission Level One n’était pas du tout écrite ?

Marcus : Effectivement, Level One, comme aujourd’hui Chez Marcus, était totalement improvisée. Mais je prépare tout de même l’émission puisque je joue au jeu avant et je sais à peu près ce que je souhaite montrer.

C’est vraiment une reproduction de ce qui peut se passer avec un pote, sauf que là, il s’agit d’une caméra en vue subjective comme dans un FPS. J’essaie de trouver une séquence d’une vingtaine de minutes qui soit représentative du jeu.

Dans Level One, c’était obligatoirement le premier niveau tandis que dans Chez Marcus, cela peut se situer au début ou au milieu du jeu. Je joue plusieurs fois et j’évoque aussi des niveaux que je ne montre pas mais dont j’ai envie de parler.

J’essaie de faire un topo sur tout ce que j’ai envie d’aborder. Il m’arrive aussi de préparer des vannes, mais en général, ça vient tout seul pendant que je joue et pendant la phase de préparation.

Je me fais rire tout seul avec mes blagues. Souvent, elles viennent également en cours d’émission.

Dans Level One et Chez Marcus, il y a pas mal de ratés. Est-ce voulu ?

Marcus : Malheureusement non. Entre le moment où je prépare et le moment où c’est filmé, il y a pas mal de changements. Je ne suis pas un si mauvais joueur ! Pas bon, mais moyen.

Quand il s’agit de jouer tout seul en pensant à des commentaires, c’est plus simple que de faire les commentaires à voix haute en essayant de ne pas faire d’erreurs, en regardant l’écran du jeu tout en s’adressant de temps en temps à l’une ou l’autre des caméras pour que le téléspectateur ne se sente pas tout seul.

Et comme on doit mettre des lumières assez puissantes pour tourner, je ne vois quasiment plus l’écran de jeu. L’aveuglement, la gestion des caméras, les commentaires à ne pas oublier et les vannes en plus, c’est beaucoup de choses à gérer… Et comme j’ai un cerveau mono tâche, je me fais souvent tuer bêtement.

À force, j’ai décidé d’en rire et d’en jouer, d’autant que cela renvoie une image pas si négative du jeu vidéo. Certains pensent que le jeu, c’est d’être le plus fort, et qu’il n’y a que comme ça qu’on peut prendre du plaisir.

En ce qui me concerne, le jeu est à la fois un support pour passer un bon moment et quelque chose qui se partage. Et on peut très bien jouer et se marrer en étant mauvais !

C’est cette idée-là que je défends aussi à travers mes émissions. À la télévision, les animateurs sont toujours plus beaux, plus intelligents et plus riches. Ce n’est pas le cas sur Nolife ! C’est assez valorisant pour les téléspectateurs de voir des gens qui au moins leur ressemblent et n’ont pas de prétention.

Chez Marcus est un plan séquence sans coupure ni reprise. N’est-ce pas un peu frustrant de temps en temps ?

Marcus : C’est la règle du jeu ! On met la caméra en marche et on éteint au bout de vingt minutes. Il n’y a pas de trucages, sinon ce serait trop facile.

En fait, je trouve intéressants les moments où ça plante. Par exemple, il est important de voir qu’il y a trois minutes de temps de chargement entre les niveaux, car c’est pénible et c’est ce que les joueurs vont vivre.

Dans un test normal, on n’attendra jamais les trois minutes ; on coupera. C’est pourquoi je trouve intéressant de garder le plan séquence qui ajoute un peu le frisson du direct même si ce n’en est pas vraiment. Je ne sais donc jamais vraiment ce qui va se passer !

C’est vrai que cela peut s’avérer frustrant lorsque j’aime vraiment un jeu et que je veux montrer des choses sans y parvenir. C’était le cas sur le multi d’Assassin’s Creed : Brotherhood où il était impossible de rester concentré, de suivre une proie et de vérifier que quelqu’un ne cherche pas à vous tuer, tout en parlant à la caméra.

Pourquoi avoir quitté Game One pendant un temps ?

Marcus : Game One a été créée par Canal +, qui s’est ensuite alliée à un partenaire, Infogrames, éditeur de jeux vidéo.

Les journalistes ont eu un peu peur de perdre leur indépendance éditoriale et quand Canal + s’est désengagée de la chaîne, Infogrames a été plus directive et a cherché à imposer des avis sur les jeux.

Pour moi, il était hors de question de trahir la confiance des spectateurs et j’ai décidé de démissionner, comme une grande partie de l’équipe éditoriale.

Aujourd’hui, tout cela est bien loin puisque Game One a été rachetée par MTV et qu’il n’y a plus de pression de la part d’un éditeur. C’est pourquoi je suis revenu sur cette chaîne où beaucoup de mes amis étaient restés. J’ai alors lancé Retro Game One pour changer et parler de l’une de mes passions.

Retro Game One est écrite et tournée en plusieurs prises… Pourquoi changer totalement de formule ?

Marcus : C’est un exercice différent car je ne voulais pas faire de réchauffé. Il y avait une émission d’Alex Pilot, Mémoire vive, qui montrait de vieux jeux de manière assez longue sans voix off, avec simplement un pavé informatif.

Je me suis dit que c’était une madeleine de Proust qui permettait à ceux qui y avaient joué de revoir et de réentendre le jeu. En revanche, pour les nouvelles générations, cela n’évoquait rien. C’est pour cela que nous avons créé un autre concept afin de donner envie aux jeunes de découvrir les vieux jeux.

J’ai donc une machine à remonter dans le temps et avec des sketchs et des gags, je présente les séquences de jeux d’époque en expliquant ce qui se passait à cette période-là, avec beaucoup d’infos.

Et je pense que cela fonctionne ! Je vois en effet des gamins de neuf ou dix ans qui me disent qu’ils regardent Retro Game One car les costumes en carton et les blagues pourries les font rire.

Qui écrit les textes de Retro Game One ?

Marcus : Je travaille avec Mathias Lavorel, qui est un ami et qui apparaît de temps en temps dans Chez Marcus. Au début, je travaillais tout seul puis il m’a rejoint.

À présent, nous décidons ensemble de ce que nous allons mettre, des jeux et de la manière de les aborder. Il y a aussi les vannes qui nous viennent à l’esprit. Puis Mathias écrit les textes et le jour du tournage, j’improvise à partir de cette base.

Mais il y a assez peu de marge d’improvisation, surtout dans le cas de certaines blagues qui sont très tordues et qui doivent être dites comme elles ont été écrites.

Toutefois, il y a des imprévus dans le sens où l’ingénieur du son peut mettre une perruque pour jouer la princesse Peach, ou le réalisateur peut se mettre à jouer un vieil alcoolique.

Il y a une vraie ambiance et tout le monde aide à la réalisation de l’émission. Chacun apporte ses bouts de cartons et ses costumes ! Il y a un vrai plus au moment du tournage qui fait que tout le monde en rajoute.

Ça se construit au fur et à mesure. Puis c’est enrichi au moment du montage et de la postproduction avec des bruitages et des effets spéciaux. Tout le monde apporte sa pierre à l’édifice et je suis très fier du résultat. Tout seul, je serais incapable de faire cela.

Apprenez-vous les textes par cœur ?

Marcus : Je lis les textes une ou deux fois avant pour savoir comment les jouer et c’est ensuite filmé prise par prise. Ce sont donc des petits bouts de vingt ou trente secondes.

À côté de cela, pour une séquence de cinq secondes, il aura parfois fallu au préalable prendre vingt minutes pour me coiffer et me maquiller comme George Bush !

C’est donc assez long de faire un Retro Game One. Mais au bout du compte, il y a beaucoup de rythme avec un grand nombre de plans. Il y a généralement six ou huit costumes par émission, ça prend du temps !

Qui s’occupe des costumes ?

Marcus : C’est souvent moi car j’ai un immense stock de perruques et de costumes. Nous établissons une liste d’accessoires dont nous avons besoin, puis des stagiaires nous aident à trouver les éléments manquants.

Mathias commence d’ailleurs à savoir ce que j’ai dans mes malles et il écrit en fonction de cela. Souvent les choses sont bricolées le jour du tournage, qui a lieu le mercredi. C’est un peu l’atelier bricolage des enfants !

Chacun arrive avec des ciseaux et du scotch. Une fois, nous avons fait une barge de débarquement avec des cartons en vingt minutes.

Parlez-nous de votre émission pour Micromania.

Marcus : C’est encore une autre activité et j’essaie de vraiment tout bien cloisonner et de ne pas refaire la même chose. Il n’est pas question de vendre un même test de jeu à Game One, Nolife, Micromania et Jeuxactu.com. Pour Micromania, je choisis quatre ou cinq titres à ne pas rater chaque mois. Là, j’écris seul et l’émission dure une ou deux minutes par jeu. Nous tournons ensuite des plateaux pour des lancements au Micromania de la Défense, qui est l’un des plus gros magasins de France. Là encore, je suis déguisé et l’émission est diffusée dans tous les Micromania du pays. En l’occurrence, c’est un travail d’écriture plus individuel.

Et dans le cas de Jeuxactu.com ?

Marcus : C’est une nouvelle fois différent puisque j’ai un billet d’humeur chaque mois. Je peux parler de tout ce que je veux. En théorie, c’est très agréable, mais en pratique, c’est très difficile de trouver l’inspiration tous les mois.

J’ai un peu fait le tour des thèmes que je voulais aborder. J’écris un sujet, nous essayons de trouver un lieu de tournage et nous y allons ! Ils sont toujours prêts à faire les andouilles et à ajouter des effets au montage.

Les derniers étaient sur les gadgets militaires offerts avec les jeux de guerre. Pour bien faire, il aurait fallu tourner cela dans un vrai camp, mais je ne suis pas sûr que l’armée aurait apprécié la mauvaise pub que nous allions lui faire.

Du coup, nous avons trouvé un char Leclerc dans une ville et transformé le parcours de santé d’un parc en camp d’entraînement.

Le résultat, avec quelques gadgets, est assez étonnant ! Chacun ajoute des éléments et ce que nous obtenons est généralement très cohérent et réussi !

Même si j’écris les sujets, il y a tout de même un peu d’impro lors du tournage pour améliorer l’ensemble. Ça prend vie au fur et à mesure. Du coup, je suis moi-même surpris par le résultat final !

Enfin, vous êtes coauteur d’un livre. Pourquoi ne pas l’avoir écrit seul ?

Marcus : Tout simplement parce que je n’ai pas le temps ! Cela fait des années que je travaille avec Philippe Kieffer, qui est producteur d’émissions comme Ubik et avec qui j’ai déjà tourné.

Il m’a proposé de travailler avec lui et de lui raconter l’histoire du jeu vidéo, qu’il a ensuite retranscrite en respectant mes mots et mes vannes.

Nous avons donc eu des dizaines d’heures d’entretien, puis nous avons réduit le texte pour le faire tenir dans cent cinquante pages, en sachant que nous en avons plus de six cents de texte.

Le livre paraîtra aux éditions Hors Collection et couvrira la période 1970-1990. Nous nous arrêtons à peu près à la Mega Drive, juste avant la PlayStation.

Je pense que nous publierons un second volume mais pour le moment, nous terminons le premier, qui sera comme un zapping de cette époque.

Ce ne sera pas très détaillé mais il y aura plein de bons souvenirs et beaucoup d’anecdotes rigolotes sur la manière dont les joueurs ont vécu tout cela.

Vous êtes free-lance actuellement. Regrettez-vous la période où vous étiez employé ?

Marcus : Je dis plutôt « mercenaire » en fait ! J’ai adoré les périodes où j’étais dans une rédaction de jeux vidéo car il y a une ambiance vraiment exceptionnelle qu’on ne retrouve pas ailleurs.

Journaliste dans le jeu vidéo, c’est de toute façon un métier plein de bonheur, quel que soit le format pour lequel tu travailles. La vie a fait que je travaille actuellement pour plein de gens et cela me convient assez.

Je n’ai pas d’horaires normaux et je travaille 24 heures sur 24, mais j’ai une incroyable sensation de liberté que je ne suis pas sûr de retrouver dans un emploi fixe.

Peut-être le temps est-il venu de moins jouer au mercenaire et de faire venir à moi les gens que j’apprécie pour faire un magazine, une chaîne ou un truc. Ça, ça m’intéresserait assez !

Vous développez donc la marque « Marcus » !

Marcus : Oh, cela reste à un niveau très amateur, mais effectivement, nous faisons pas mal de petits trucs. C’est par exemple le cas des tee-shirts.

Au départ, c’était une connerie. Je voulais avoir des tee-shirts autour de mon émission pour mettre en avant le côté « Je ne sais pas jouer mais je m’en fous ». Là, nous avons sorti la « Déclaration des doigts de l’homme ».

Quand je vois des gens avec ces tee-shirts, ça me fait toujours plaisir. Ça part donc d’une connerie et ce n’est pas une décision motivée par l’argent.

Je fonctionne à l’instant et à l’envie. Je n’ai pas de plan de carrière, je fais ce qui me plaît avec les gens que j’apprécie et c’est déjà très bien ! J’essaie de rester un artisan, je ne souhaite pas devenir une multinationale du jeu vidéo !

NB : Marcus avait gentiment prêté sa voix et son visage pour la promotion d’IG Magazine à ses débuts.

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