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Interview de Eiji Aonuma, producer de Zelda

À 47 ans, Eiji Aonuma, le producteur de la série Zelda est un pilier de Nintendo. Après avoir débuté sur un jeu vidéo sur Super Famicom (Marvelous : Mouhitotsu no Takarajima), il s’occupe des donjons dans Ocarina of Time, dont celui des Zoras qui reste son favori. Il se voit ensuite confié la réalisation de la saga et il travaille actuellement sur le nouveau Zelda Wii avec Shigeru Miyamoto. Souvent hilare face à nos questions un peu hors de propos, il a tout de même répondu avec humilité et sincérité à toutes nos interrogations.

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Depuis le temps que vous travaillez sur la série, n’êtes-vous pas lassé des Zelda ?

Eiji Aonuma : Pour moi, être lassé voudrait dire que je fais toujours la même chose. Or créer un Zelda, ce n’est pas se répéter. Nous avons de grandes libertés de par la popularité du titre.

Nous sommes obligés de nous renouveler à chaque fois pour ne pas décevoir les fans.

C’est une sorte de challenge intellectuel : nous devons faire toujours mieux, être toujours innovants. Auriez-vous imaginé qu’il y aurait un jour un train dans Zelda ?

Tant que j’aurai la liberté de créer dans cet univers, je ne peux pas me lasser.

On me dit souvent : « Quoi ? Encore un Zelda ? » Oui, encore un car j’ai beaucoup de plaisir à faire des choses nouvelles dans cet univers.

Pour moi, c’est un petit théâtre dans lequel je raconte de nouvelles histoires, je mets de nouveaux éléments de décor pour pouvoir surprendre les spectateurs. C’est un contenant dans lequel le contenu se renouvelle à chaque fois et c’est cela qui est amusant !

Vous essayez d’innover à chaque fois, mais il y a toujours les mêmes objets dans le même ordre, ou presque. Est-ce que cela peut changer dans un prochain opus ?

Eiji Aonuma : Effectivement, le déroulement d’un Zelda est toujours le même.

Cela fait partie des règles de création : on commence par un petit personnage qui gagne de grands pouvoirs et qui finit par affronter le superboss afin de régler tous les problèmes, et ça s’arrête là.

La formule fonctionne, mais c’est vrai qu’avec M. Miyamoto, nous nous sommes dit qu’il était temps de changer un peu.

Je peux vous dire que le prochain Zelda sur Wii aura un déroulement un peu différent de celui qu’on a l’habitude de voir.

Est-ce que cela veut dire que nous aurons un univers ouvert à la GTA ?

Eiji Aonuma :C’est vrai que les open worlds sont très à la mode actuellement, mais ce n’est pas la direction que nous pensons prendre.

J’estime qu’il faut pouvoir assumer des jeux où la liberté est totale. Les joueurs sont contents de pouvoir faire tout ce qu’ils veulent, mais l’expérience de jeu ne serait pas celle que nous souhaitons leur faire vivre.

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Nous construisons nos jeux pour que les joueurs ressentent des émotions très particulières.

Nous avons envie qu’ils se sentent impliqués et, chez Nintendo, nous avons pour tradition de faire évoluer la difficulté du jeu en mettant au point des niveaux échelonnés.

C’est un savoir-faire que d’accompagner le joueur en modulant la difficulté. Je ne peux malheureusement pas vous en dire beaucoup plus sur le prochain opus, car il s’agit d’un projet qui n’a pas été présenté.

Nous n’allons pas choisir le fait d’aller dans un certain ordre ni le fait d’élargir les libertés du joueur. Nous allons élaborer quelque chose d’autre pour renouveler le prochain Zelda.

Comment se construit un donjon dans Zelda ?

Eiji Aonuma : C’est une question très vaste (rires). Je peux vous dire comment nous élaborons les étapes d’un donjon. C’est en fait très simple.

Vous êtes au début et il faut arriver à la fin, c’est-à-dire à l’affrontement avec le boss.

En terme de planning, nous voyons que Link est ici et qu’il doit finir là. Nous nous demandons alors comment il peut y arriver.

Après avoir fait plusieurs actions, il se rapproche de la salle du boss, mais il ne peut pas y pénétrer. Il doit alors prendre un autre chemin et découvrir un nouvel objet lui permettant d’accéder à d’autres salles et d’affronter le boss.

Là, le donjon est terminé ! C’est sous cet angle-là que nous travaillons : comment allons-nous aménager le cheminement du joueur pour l’amener du début jusqu’à la fin ?

Il faut ensuite que ce soit bien rythmé, que ce soit intéressant et bien équilibré.

Vous savez, au Japon, nous avons une manière de raconter les histoires en quatre actes.

Il y a un début, un cheminement, un retournement et l’épilogue. Le début correspond à l’entrée dans le donjon. Le cheminement, c’est quand vous arrivez jusqu’à un endroit que vous ne pouvez pas traverser. Le retournement coïncide avec l’obtention d’un objet qui débloque les niveaux. Enfin, l’épilogue est l’affrontement final avec le boss.

Quel est donjon le plus difficile que vous ayez conçu ?

Eiji Aonuma : Je ne me suis occupé des donjons que sur Ocarina of Time. Pour les autres titres, j’avais un poste plus important et il y avait des personnes dédiées à la création de ces donjons.

Mais dans toute ma carrière, le donjon le plus difficile à réaliser a sans doute été le Masque de Majora car c’est un jeu où on est limité dans le temps.

Il n’y a que trois jours pour sauver le monde et si l’on n’y parvient pas, il faut remonter dans le temps et recommencer.

Cet opus est comme un gros donjon en lui-même, sans doute le plus gros jamais conçu pour la série Zelda, et il a été très difficile de concevoir et d’équilibrer la progression.

Allez-vous reprendre ce challenge du temps limité et cet univers plus sombre ?

Eiji Aonuma : La dimension temps est toujours très intéressante à utiliser, notamment pour le joueur, car en temps limité, il se sent plus en alerte.

Mais cela ne sert à rien de refaire la même chose. Nous trouverons une autre façon de manœuvrer le temps dans un prochain épisode.

Précédemment, le joueur a pu arrêter ou accélérer le temps, voyager dans le passé et le futur. Que nous réserve le prochain Zelda ?

Eiji Aonuma : C’est difficile de savoir ce que nous pourrions faire dans les prochains car nous avons emprunté tellement de directions ! (Rires.)

Le temps est un élément universel et très confortable : tout le monde sait qu’après le matin vient l’après-midi, puis le soir.

C’est une règle que nous connaissons tous et qui facilite le déroulement d’un jeu.

C’est une chose inéluctable qui en même temps permet de graduer une durée et d’ajouter des règles qui paraîtront naturelles à un jeu.

On ne peut pas se défaire de cette notion, même s’il est difficile de faire quelque chose de nouveau par rapport à ce que nous avons déjà fait.

Vous avez hérité d’un univers créé par M. Miyamoto. Qu’y avez-vous ajouté de plus personnel ?

Eiji Aonuma : La particularité que j’apporte à l’univers de Zelda, c’est le scénario tout simplement ! (Rires.)

M. Miyamoto n’est pas quelqu’un qui s’intéresse aux histoires. Pour lui, si le jeu est amusant, il n’y a pas besoin de dialogues ou de scénario.

Souvenez-vous, dans le tout premier épisode, on nous posait là et il fallait se débrouiller tout seul ! Il n’y avait pas une seule ligne de dialogue.

Il fallait explorer le monde à la recherche de donjons sans aucune aide. J’ai amené plus de dialogues et plus de construction dans le déroulement scénaristique.

Les Zelda évoluent et nous n’allons peut-être pas développer encore plus les dialogues ou les intrigues. Peut-être allons nous revenir aux racines ! Je ne sais pas.

Pouvez-vous nous donner la chronologie des Zelda ?

Eiji Aonuma : Il existe une table du temps où tous les épisodes sont placés les uns par rapport aux autres. Mais il n’y a que deux personnes qui la connaissent : le director du Zelda et moi !

Si jamais nous la rendions publique, les joueurs chercheraient à caler les épisodes chronologiquement afin de découvrir ce qu’il se passe dans les prochains opus.

Il n’y aurait plus de suspense !

Nous nous servons de la table comme d’une référence, mais ce n’est pas non plus une règle absolue qui nous empêche de faire des choses.

Nous ne nous disons pas que nous allons faire un Zelda entre celui-ci et celui-là.

La démarche est inverse. Une fois l’épisode réalisé, nous décidons de sa place dans la chronologie.

Lorsque vous avez commencé dans le jeu vidéo, le métier n’était sans doute pas aussi valorisé qu’actuellement. Auriez-vous pu faire autre chose ? Regrettez-vous votre choix ?

Eiji Aonuma : Vous pensez que nous, les créateurs de chez Nintendo, sommes très en vue ? Vous pensez que c’est un métier respectable ? (Rires.)

En fait, c’est difficile de répondre à votre question car, si c’est le cas, je ne le ressens pas.

Quant à savoir si je peux prétendre à avoir un poste prestigieux dans une autre entreprise, je vous avoue que je n’y ai jamais pensé !

Je n’ai pas l’impression que notre métier est fabuleux ou hyper respectable.

Bien entendu, je suis très fier de ce que je fais. Je suis très content de faire des jeux et que des gens, partout dans le monde, attendent le prochain Zelda.

Cela me remplit de joie, mais je ne me suis jamais dit que mon métier était honteux ou respectable.

Je n’ai jamais fonctionné avec ces valeurs-là !

J’ai toujours été un bon employé qui fait de son mieux pour faire des jeux amusants et c’est comme cela que je conçois mon travail.

Je ne le fais pas pour une certaine estime sociale. Je fais ce métier car il m’intéresse et je m’y donne à fond parce que j’aime ça, tout simplement !

Je ne vois pas non plus où je pourrais aller, car je suis « la personne » qui fait des jeux vidéo.

Ma réponse peut vous paraître bizarre, mais c’est la même chose pour M. Miyamoto.

C’est quelqu’un qui est à fond dans son travail et qui ne pense à rien d’autre. Il ne raisonne pas en se disant : « Je vais prendre un paquet de pognon et je vais faire plein de trucs géniaux. »

Il n’a pas du tout confiance en lui et ne se rend même pas compte que c’est quelqu’un de formidable.

Si on lui dit qu’il est génial, il répond que non, il est simplement un employé de bureau. C’est une attitude très saine et très rafraîchissante qui nous tire tous vers le haut.

Je vis juste pour créer des choses toujours plus amusantes, plus passionnantes. M. Miyamoto est quelqu’un qui est fier de son travail et il a raison de l’être.

Et c’est sous son influence que je suis comme ça aussi. Je pense que c’est une manière de faire très saine.

N’avez-vous jamais de panne d’inspiration ?

Eiji Aonuma : Évidemment, la page blanche, ça m’arrive souvent et, comme je prends de l’âge, ça m’arrive de plus en plus (rires) ! Mais je fais de mon mieux pour que cela se produise le moins possible.

Et puis, vous savez, je suis entouré par un staff de gens très compétents et très dynamiques qui ont beaucoup de personnalité. Nous nous envoyons des idées.

Elles circulent et c’est comme ça qu’elles évoluent. C’est aussi grâce à tous ces gens que cela fonctionne bien !


Pour en savoir plus sur Eiji Aonuma, voir son portrait ici.

Au sujet de la série Zelda, voir :


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