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Entretien de Florent Castelnerac, co-fondateur de Nadéo

Depuis 2003 où le petit studio indépendant avait investi le monde de la course sur PC avec TrackMania, Nadéo semblait ne pas avoir fait grand-chose de neuf. Intégré au sein d’Ubisoft depuis 2009, le studio a sorti TrackMania 2 : Canyon en septembre 2011. En réalité, les Parisiens développent depuis des années et en continu un concept global : PlanetMania, qui se compose de TrackManiaShootMania et QuestMania. Une journée dans les locaux nous a permis de mieux cerner l’ampleur du projet. Et Florent Castelnerac a gentiment répondu à nos questions.

Depuis combien de temps Nadéo travaille-t-il sur ShootMania ?

Florent Castelnerac : Nous avons commencé en 2005. C’est à cette date que j’ai réservé l’URL ! En 2006, nous avons joué pour la première fois à ShootMania dans l’environnement Bay de TrackMania Sunrise. Nous n’avions pas de décors conçus pour ce genre de jeu à l’époque. Il a fallu attendre 2008 et la fin de la mise à jour Forever pour que nous nous consacrions pleinement à ShootMania et QuestMania.

Qu’avez-vous retenu du FPS ? Quelles sont les briques essentielles disponibles en jeu ?

Florent Castelnerac : Pour nous, le FPS, c’est avant tout du déplacement et du tir. Au début du genre, il y avait surtout des deathmatchs où tout le monde court et se tire dessus. Puis les FPS par équipe sont apparus : Rocket Arena pour Quake et Counter-Strike pour HalfLife, etc. Mais la base est la même : déplacement et tir.

Pour ShootMania, j’aurais tendance à dire que nous avons surtout beaucoup regardé les pratiques sportives pour définir le FPS. Nous avons isolé les notions de « poste » et de « couverture de terrain » avec différents types de marquage (de zone ou individuel). Nous n’avons pas réfléchi en termes de classe ou de nombre d’armes mais en termes de poste dans une équipe, comme au football ou dans un sport collectif. À chaque instant, un joueur peut changer de poste mais le poste en lui-même est spécifique.

Ensuite, pour chaque notion, nous avons essayé d’affiner la réflexion pour créer les bons outils. Ainsi, pour le déplacement, nous avons pris en compte le « stamina », l’énergie qui influe sur la vitesse du joueur. Dans le cas du tir, nous avons fait en sorte que les échanges de coups soient identifiables, « lisibles », et pour cela nous avons ajouté une physique. Là encore, c’est un peu comme au football avec les différents types de trajectoires pour un même ballon. Si le ballon ne décrivait pas une courbe visible, et qu’il arrivait directement au fond du but, il n’y aurait pas d’intérêt. Nous avons vraiment insisté sur la lisibilité du combat et c’est pour cela qu’il n’y a que trois types d’armes et deux couleurs bien distinctes, afin qu’à chaque moment on sache qui fait quoi. De plus, nous apportons une physique particulière au tir qui permet aux joueurs de l’anticiper et d’accroître leur adresse en apprenant à mieux gérer les trajectoires et les vitesses de tir. Cette lisibilité est également essentielle au développement des spectacles et donc de la pratique sportive. ShootMania se compose ainsi de valeurs fortes tirées du sport.

Et en tant que joueur de FPS, qu’avez-vous retenu de votre expérience pour ShootMania ?

Florent Castelnerac : Comme beaucoup de joueurs, je me souviens avant tout de situations. Mes meilleurs souvenirs de FPS sont toujours liés à un niveau particulier avec une organisation particulière du combat. Par exemple, quatre personnes qui souhaitent passer et de l’autre côté, une équipe soudée pour que cela ne se produise pas et qui tient tête. C’est pourquoi nous proposons d’élaborer des niveaux, c’est-à-dire de provoquer des situations et des formes de combats. Nous avons par exemple réalisé des maps un peu stupides qui ont transformé les combats en vraie boucherie car il n’y avait aucun moyen de s’abriter.

En permettant de construire un niveau et donc un style de combat, on oblige aussi les concepteur à se projeter dans les affrontements à venir, à se mettre dans la tête des autres joueurs car contrairement à un jeu de voitures, un shooter se joue toujours à au moins deux personnes. Et ce qui est intéressant, c’est qu’il y a toujours une notion de prédateur et de proie dans les combats. Et c’est aux joueurs de les mettre en scène.

Est-ce que trois types d’armes suffisent à créer tous les FPS ?

Florent Castelnerac : En fait, le jeu propose surtout trois formes de tirs pour s’exprimer, plus que trois armes ou un nombre limité d’armes. Nous ne sommes pas dans la surenchère des titres qui proposent des armes pour seulement proposer des armes. Dans notre cas, il s’agit de projectiles avec des spécificités différentes : rocketrail et arrow. Le premier se présente sous la forme d’une balle qui a une trajectoire définie en partie par la physique et la pesanteur : ce n’est pas un tir qui touche instantanément la cible. Le rail, au contraire, touche immédiatement la cible et se voit de loin avec la trajectoire de couleur qui relie le tireur et sa cible. Quant aux arrows, ce sont des projectiles qui peuvent passer au-dessus d’obstacles pour toucher la cible et là encore, il s’agit d’une fonctionnalité particulière. Avec ces trois formes de projectiles, les rôles et les spécificités sont très clairs dès le premier coup d’œil.

Est-ce que ces trois formes suffisent ? Sans aucun doute. Après tout, dans TrackMania, il n’y qu’une seule voiture alors que la concurrence propose pléthore de modèles de véhicules et de physiques différentes. Je pense que les joueurs n’auront pas besoin d’autres éléments de vocabulaire pour créer leur propre grammaire. Nous ne cherchons pas à procurer un plaisir par une grande quantité mais en mettant à disposition les éléments essentiels pour que les joueurs fassent leurs gammes, s’expriment.

J’ai joué à Quake pendant des années avec uniquement des rockets et du rail. D’autres ont passé des mois à n’utiliser que du rail sur Unreal. Ensuite, il ne faut pas oublier que les temps de rechargement ou le nombre de munitions sont déjà des critères qui changent l’arme. Comme je l’ai dit, nous ne pensons pas en termes d’arme à proprement parler mais de projectiles et de fonctionnalité dans les tirs. Ainsi, à partir de l’élément rocket, on peut ajouter un critère qui fait que les projectiles convergent vers la cible quand ils se trouvent à proximité de celle-ci. Ces smart rockets contribuent à changer la donne et concevoir un jeu plus tactique.

C’est donc aux joueurs de créer leurs armes pour chaque type de niveau.

Florent Castelnerac : Oui, nous ne livrons pas un nombre limité d’armes mais proposons un éditeur de script qui permet de personnaliser les trois formes de tirs de base : vitesse de recharge, nombre de recharges complètes, armure… De cette façon, les joueurs peuvent créer de multiples saveurs différentes. Chaque créateur placera le curseur où il le souhaite entre les cartes privilégiant l’habileté et celles qui sont plus tactiques avec un jeu en coopération.

Dans l’éditeur de niveau, quelles sont les briques essentielles pour le décor ?

Florent Castelnerac : Nous avons essayé de trouver une thématique un peu neutre qui permette de faire un maximum de choses. Il y a un calque principal avec des éléments de décors naturels qui nous permet de créer une bonne lisibilité dans tous les niveaux. Puis il y a des éléments de couleurs, comme les vieilles pierres, qui nous servent aussi d’abris, d’obstacles naturels. Enfin nous avons les éléments technologiques comme les bases, les jumpers, les grillages, les poteaux signalétiques, tourelles, panneaux publicitaires…

Nous avons essayé de faire en sorte que chacun ait un sens, une fonction compréhensible immédiatement pour que les niveaux construits soient clairs. Par exemple, nous avons des briques avec de l’eau car c’est un élément de gameplay intéressant : on peut y perdre de la résistance et cela contribue à ralentir les joueurs, créant des rythmes différents dans les déplacements. Il existe différents types de sols et des grillages qui permettent de voir mais pas de toucher l’adversaire. Bien sûr, nous mettons aussi à disposition des décors naturels souterrains pour que les gens puissent élaborer des niveaux un peu anxiogènes et créer des jeux de cache-cache avec des armes de courte portée.

Enfin, les blocs technologiques ont vraiment une signalétique à part, ils sont plus clairs ou plus sombres afin de contraster avec le reste. Il fallait signaler les lieux stratégiques avec notamment la possibilité de changer les couleurs pour qu’elles correspondent à une des équipes.

Nous avons fait en sorte qu’il n’y ait pas trop de variations graphiques car chaque visuel doit être compréhensible immédiatement, mais nous avons tout de même des éléments de coffrage pour créer un aspect plus « ruine » et plus sympathique qui permet aussi d’ajouter de quoi créer des covers. Les éléments tels que les chemins de terre sont là pour donner une indication de direction. Les arbres servent à la fois de décor et de barrière pour cacher des zones à la vue des joueurs. Nous avons pensé chaque bloc pour qu’il soit autonome et customisable facilement par les utilisateurs. C’est le même principe que pour TrackMania : une même brique essentielle peut revêtir une autre skin et on passe alors du canyon désertique à la neige. Mais fondamentalement, cela reste la même brique possédant les mêmes fonctionnalités.

Les blocs sont-ils destructibles ?

Florent Castelnerac : Il n’y pas vraiment de décor destructible. Nous proposons des éléments statiques mais on peut toutefois créer une dynamique. Par exemple en mettant un générateur qui conditionnerait l’accès à un jumper : couper l’alimentation équivaudrait à détruire le jumper.

Comment s’articule la lumière par rapport au niveau créé ?

Florent Castelnerac : Une fois tous les éléments en place, on peut choisir différentes ambiances lumineuses et le logiciel calcule la radiosité des éléments en question. Bien sûr, on peut ajouter des features techniques qui feront varier la lumière car ce sont des sources lumineuses complémentaires, comme des spots ou des poteaux. Les obstacles modifient également la lumière. Mais globalement, une fois que tous les éléments sont mis en place, il n’y a pas de lumière dynamique. Toutes les lumières sont précalculées et il y a une phase de compression. La lumière est « bakée », c’est-à-dire « cuite » dans la map. Il n’y a pas de modification possible. C’est un paramètre fixe pour que tous les joueurs voient le même niveau et les mêmes détails. C’est pour nous l’assurance que tout le monde est sur un même pied d’égalité. Le rendu est identique et esthétique quel que soit l’ordinateur sur lequel tourneShootMania.

D’ailleurs, nous travaillons beaucoup sur l’optimisation graphique, notamment pour la HD Graphics d’Intel. Je pense qu’il est important que l’on puisse jouer même avec un ultrabook ! Sur celui d’Acer, nous avons réussi à faire tourner TrackMania à 70 fps. Avec ces nouvelles technologies qui allient processeur et carte graphique, nous pourrons être sûrs que les joueurs auront un même rendu. Selon Intel, 40 % des portables seront vendus avec HDG. En travaillant sur ces ultraportables, nous tenons à nous assurer que le jeu soit optimisé pour tout le monde.

Est-il plus simple de créer des shooters que des jeux de course ?

Florent Castelnerac : Actuellement, nous sommes en phase de création du vocabulaire essentiel, de tous les blocs nécessaires. C’est effectivement plus facile que TrackMania car il y a plus de choses instinctives et tout le monde peut immédiatement jouer. Pas besoin de concevoir des circuits cohérents avec une logique de continuité ou de gérer le freinage dans les virages : il n’y a que quatre flèches pour avancer et le tir. Là, on peut mettre un poteau au milieu de nulle part et c’est parti ou presque ! La création de niveau est de ce point de vue plus libre et plus rapide. Mais on peut aussi dire que c’est plus compliqué car on ne peut pas y jouer seul, donc on doit se projeter dans ce que feront les autres. Parfois, on imagine des comportements et on place les éléments adéquats. Puis en réalité, le niveau ne se joue pas du tout de la même façon car tout le monde contourne la dynamique créée…

ShootMania permet de suivre les combats en tant que spectateur. En quoi est-ce important pour le jeu ?

Florent Castelnerac : Comme pour TrackMania, nous mettons à disposition des joueurs des moyens techniques pour réaliser des vidéos. Dans le cas de ShootMania, pouvoir se mettre dans la peau de l’un des combattants ou voir l’affrontement global est un vrai plus dans le cadre de l’e-sport. C’est aussi une façon de profiter du jeu. Qu’il s’agisse des replays ou des vidéos créées par les joueurs, il y a de toute façon de plus en plus d’images et la vidéo est devenue une façon comme une autre de savourer le jeu. Par exemple, il existe plus de treize mille vidéos de TrackMania réalisées par les joueurs, et le fait de pouvoir communiquer dessus et de les partager avec les autres fans fait partie du plaisir de ce jeu.

Dans ShootMania, nous avons mis en place les outils hérités de TrackMania et nous permettons aux joueurs d’aller encore plus loin pour mettre en valeur leur partie, leur map ou leurs autres productions. Et comme les joueurs peuvent créer des plug-in eux–mêmes pour l’éditeur, ils peuvent aussi se les échanger, et en faire de la pub par le biais de vidéo.

ShootMania permet à tout le monde de créer et de partager ses maps de FPS. Finalement, qu’y a-t-il de vraiment différent par rapport au mode « Forge » de Halo ?

Florent Castelnerac : La console ! (Rires). Nous proposons un environnement PC et non Xbox 360. Plus sérieusement, je n’ai pas vraiment d’avis sur la forge de Halo car je suis bien occupé par les titres de la trilogie ManiaPlanet. Je n’y ai pas joué mais j’ai vu pas mal de vidéos. Ce dont je suis sûr, c’est que pour nos titres, le partage et l’échange sont vraiment primordiaux. C’est pour cette raison que nous mettons à disposition des blocs immédiatement identifiables. Nous avons créé des milliers de blocs et avec toute notre expérience sur TrackMania, nous avons acquis une vraie expertise dans ce domaine de la création par les joueurs contrairement à Halo, qui est avant tout un FPS. Nous ne proposons pas simplement un éditeur pour créer un niveau dans un FPS situé dans un environnement de science-fiction. Nous mettons à disposition un éditeur de niveau en relation avec le gameplaycar nous donnons l’accès au script et à la création de règles de jeu. Et surtout, tout est fait pour faciliter la vie des utilisateurs et leur permettre de créer vite et simplement.

Pour la création de chaque bloc, nous avons testé des tas de combinaisons différentes avant de choisir celles qui sont en jeu. Nous en avions de toutes les échelles. Nous avions créé plus de huit décors avec des échelles de blocs différentes et des lisibilités différentes. Par exemple, l’un des décors se situait en ville. Mais nous l’avons abandonné car il était difficile de se situer et d’élaborer un environnement à la fois intéressant pour le gameplay de FPS, lisible et chaleureux. Dans l’environnement que nous proposons, il y a des éléments naturels pour faciliter les repérages des zones, des blocs de ruines pour donner l’impression que le niveau construit s’inscrit dans un passé et des blocs technologiques plus futuristes. Si les joueurs le souhaitent, ils peuvent changer les textures de ces blocs comme dans TrackMania. Ils ne sont donc pas limités à un environnement SF. Je pense aussi qu’il y a une plus grande finesse et une qualité d’exécution supérieure dans notre jeu car il est tourné vers la création.

Vous diriez donc les mêmes choses pour distinguer Little Big Planet des jeux de la constellation ManiaPlanet.

Florent Castelnerac : La direction artistique est d’emblée très différente ! Ensuite, je dirais que Little Big Planet est initialement pensé pour créer des jeux de plates-formes, puis il a été conçu pour devenir une plate-forme pour créer des jeux. En ce qui nous concerne, les choses sont différentes car nous sommes spécialisés : TrackMania est une plate-forme pour réaliser des jeux de course ; ShootMania est une plate-forme pour élaborer des FPS. Nous nous concentrons sur un type de jeu à la fois afin de développer des outils spécialisés et de faire en sorte que le tout soit le plus simple d’accès possible pour les utilisateurs. Dans les jeux de ManiaPlanet, nous nous contentons de faire une chose et de la faire bien avec des variations infinies. Nous donnons un instrument qui permet aux joueurs d’exprimer leur sensibilité dans le FPS. 

La mode semble favoriser les FPS cinématographique avec beaucoup de scripts à la Call of Duty. Ne craignez-vous pas de dérouter les joueurs avec un FPS rapide et sans cut scene ?

Florent Castelnerac : Il me semble que lorsque l’on parle de popularité, on mélange deux choses distinctes : le nombre d’unités achetées et le temps passé à y jouer. Si on regarde à un instant T les chiffres de vente, oui, on peut dire que Call of Duty ou des titres de ce genre sont populaires. Mais si on regarde bien, en réalité, les gamers jouent essentiellement à des FPS multijoueurs, même s’il est vrai que les éditeurs font plus de ventes sur les jeux solo.

Je dirais que c’est la même chose quand on regarde les sorties de blockbusters au cinéma : il peut y en avoir un par semaine, il peut faire beaucoup d’entrées. Mais avec ManiaPlanet, nous ne nous plaçons pas dans les blockbusters. Nous le percevons plutôt comme une sorte de nouveaux sports. Et en France, il n’y a qu’un sport populaire tous les trente ans ou presque ! Nous cherchons à avoir la popularité d’un loisir pratiqué régulièrement, comme si on allait en club.

Il y a en réalité peu de nouveaux jeux multijoueurs qui arrivent à accaparer le temps des consommateurs. Il y a eu World of WarCraft et Counter-Strike. Plus récemment, il y a  eu League of Legend et Minecraft. Et finalement, si l’on regarde la pratique, le temps passé à jouer, je pense que c’est encore Team Fortress et Counter-Strike qui mènent la danse dans le domaine du FPS !

Est-ce que vous feriez la même analyse du loisir pour le RPG ?

Florent Castelnerac : En fait, il y a vraiment deux types de RPG. Les jeux solo prennent énormément de temps mais une fois qu’on a fini, on n’y rejoue plus, sauf s’il y a un nouveau mod ou quelque chose qui fasse revenir les joueurs. Dans les MMORPG, la partie n’a pas de fin et les joueurs peuvent les pratiquer comme un loisir de façon régulière et continue. Pour QuestMania, nous sommes sans doute plus proches des RPG papier et des créations à faire partager que des RPG en solo. Ce qu’il y a de passionnant dans un RPG est qu’on entre dans un univers. Je me souviens que j’étais dans l’avion avec un Chinois en 2005. Malgré la barrière de la langue, il m’a dessiné son monde et on en a parlé pendant tout le trajet. Et dès que je suis arrivé en Chine, j’ai réservé le nom QuestMania sur Internet. Nous avions déjà en tête une idée de jeu qui s’appelait True RPG mais là, c’est devenu une évidence : le web 2.0 est parfaitement adapté pour le RPG, la création et le partage. 

Avec TrackMania et ShootMania on est dans le monde du skill tandis qu’avec QuestMania on est dans le timebase. Dans notre premier jeu, nous favorisons la performance en solo, l’habilité individuelle souvent en un contre un. Dans ShootMania, c’est la même chose avec en plus un peu de skill en coopération et en équipe contre les autres. Et QuestMania nous permet de couvrir l’appétit des gamers dans le domaine du temps. Je ne sais pas si nous allons y arriver mais je sais que nous sommes légitimes ! 90 % de notre temps consiste à développer non pas des jeux mais les systèmes pour les créer. Tout ce que nous créons sert aux jeux de ManiaPlanet. Il s’agit d’un même outil global, même s’il a des apparences différentes selon les points d’entrée dans l’univers que nous proposons. C’est un peu comme si nous concevions un instrument que nous apportons aux gens. À partir de là, ils en font ce qu’ils veulent dans un domaine donné et je pense que cela va contribuer à la création d’un langage FPS. Un instrument de musique permet de créer des variations, du blues, du jazz, du classique. Personnellement, j’ai hâte d’aller voir les créations et d’être en quelque sorte le pilier de bar dans ces clubs musicaux. 

Pourquoi avoir intégré le giron d’Ubisoft au lieu d’être resté indépendant ?

Florent Castelnerac : Nous avions les moyens d’embaucher et de financer nos titres comme nous le voulions. Nous ne sommes pas entrés au sein d’Ubisoft parce que nous avions besoin d’une aide financière. C’est toujours un peu délicat de parler de cela car nous sommes restés très attachés à Focus, éditeur qui nous a longtemps soutenus, et à qui nous ne cherchons pas à nuire.

Mais dans le but de créer ShootMania et QuestMania, nous avions besoin d’un pôle éditeur qui nous appartienne. Intégrer Ubisoft nous a permis de créer NadeoLive, unité de publishing intégrée. À l’époque où nous travaillions avec Focus, cet éditeur s’occupait avant tout de jeux PC en France et nous passions par d’autres éditeurs pour d’autres territoires. Pour que notre projet dans sa globalité soit réalisé selon nos critères, il fallait que nous nous occupions aussi de la partie édition et plus seulement de la production. Nous avions une politique de concentration et non de diversification. Cela aurait été fabuleux si Focus était devenu un « Mania Publishing » ou quelque chose de ce genre, mais ce n’était pas possible. De notre côté, nous n’avions pas envie de dépendre d’un contrat et nous souhaitions que tout nous appartienne tout le temps. Ubisoft nous permettait de réaliser tout cela. La direction est très disponible et nous avons un dialogue régulier. Et comme le groupe a des projets ambitieux, cela nous pousse aussi à voir plus grand et aller plus loin.

Est-il plus facile de travailler avec un gros groupe qu’avec un petit éditeur ?

Florent Castelnerac : Vu la complexité du projet, il est en quelque sorte plus facile de travailler avec Focus car nous pouvons jouer avec eux et convaincre toute la société autour du titre pour son lancement. Parvenir à convaincre tout Ubisoft est bien plus coûteux en temps et plus difficile. En revanche, une fois que c’est fait, le groupe a des leviers plus importants pour faire bouger les médias et attirer les joueurs. C’est un peu comme avec une courroie de transmission reliant deux poulies de taille différente : elles ne vont pas du tout au même rythme mais les résultats sont décuplés. 

Ensuite, il faut bien comprendre qu’Ubisoft ne nous a pas achetés pour avoir une licence. Ils nous respectent énormément et nous sommes là pour les contagionner de l’intérieur et développer leur expertise dans le multijoueur. C’est exactement la même chose avec d’autres studios qui ont été rachetés, comme Trial HD, ou Massive (World in Conflict) qui a rejoint Ubisoft. Nous, nous sommes là pour aider le groupe à faire du online. Nous sommes là en tant qu’expert et pas en tant que prestataire.

Parlez-nous des « planets » et de l’économie virtuelle.

Florent Castelnerac : C’est une notion que nous avions déjà en 2006 dans TrackMania avec les « coppers », objets virtuels qui servent de monnaie d’échange. Nous ne sommes pas du tout convaincus par le système d’« item selling », de vente d’objets virtuels contre de l’argent réel. En revanche, nous croyons au pouvoir des échanges communautaires et dans ce cadre-là, la monnaie que nous mettons en place n’est qu’un outil permettant de faciliter les échanges. C’est un peu comme faire revivre la naissance de la monnaie.

Avec TrackMania 2 et les deux autres titres de l’ensemble (ShootMania et QuestMania), nous avons mis en place les « planets » en guise de nouvelle monnaie d’échange. Contrairement à ce qui se passe dans les autres jeux, il n’est pas possible d’acheter de planets avec de l’argent réel. Ils sont donnés en fonction du nombre de connexions aux jeux, des scores dans chaque jeu, et les joueurs pourront se les échanger contre divers services : hébergement de serveur, publicité, plug-in, etc.

Il est important pour nous que les planets restent de la « fausse monnaie », une simple unité d’échange, car nous voulons demeurer au stade du jeu et ne pas entrer dans une logique de travail. Lorsque l’on travaille, on est rémunéré avec de l’argent et lorsque l’on joue, on gagne de la monnaie fictive. 

Ce qui se passe avec Diablo III et ses hôtels de vente d’objets virtuels nous semble vraiment ambigu. On peut se demander si l’adolescent se connectant après ses cours à ce genre de titre joue encore ou s’il n’est pas plutôt en train de travailler dans un monde virtuel qui lui rapporte de l’argent réel. Avec les free to play et les jeux de ce type, il me semble que la différence entre travail et jeu devient trop ténue, et je préfère garder un esprit plus libre en proposant un monde virtuel où les gens se retrouvent pour jouer. Nous souhaitons conserver une frontière avec le monde réel pour ne pas entrer dans une logique agressive et capitaliste. 

Imaginons qu’on vous vole une épée virtuelle que vous avez achetée avec de vrais euros. On vous prend alors quelque chose qui a une vraie valeur, c’est un « bien ». Nous serions alors redevables et devrions sans doute vous rembourser… C’est cette distinction entre le réel et le virtuel que nous tenons à conserver pour que les gens continuent de jouer et non de travailler.

Néanmoins, il y a une économie, des échanges et des rémunérations dans ce monde virtuel.

Florent Castelnerac : Disons que par le biais de ManiaPlanet, nous créons un laboratoire social avec diverses interactions mais il n’a pas d’influence directe sur la vraie société. 

À une époque, la fusée Ariane avait explosé en raison d’un mauvais programme informatique. Cela a eu des conséquences graves dans le monde réel. Dans mon cas, si je conçois un mauvais programme, l’impact est moindre et ça reste amusant.

Initialement publié dans IG Magazine 19 et 20.

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