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Interview : Michel Ancel, créateur de Rayman Legends

Fin septembre 2012, j’avais eu la chance d’aller dans la villa de Montpellier pour jouer à Rayman Legends. Malheureusement pour Michel Ancel, bien occupé par la fin du jeu, il lui a fallu dégager un peu de temps pour répondre aux questions d’IG Magazine sur le nouveau jeu exclusif à la Wii U. Il s’y est prêté avec le sourire entre deux validations de niveaux.

Vous sortez trois jeux Rayman en à peine un an et demi. Comment faites-vous ?

Michel Ancel : C’est vrai que c’est tout à coup une frénésie de Rayman : on travaille en un an, mais pour couvrir deux années ; il va nous falloir deux ou trois ans pour nous en remettre.

La version mobile a été pour nous un peu comme des vacances puisque c’est Pastagames qui a pris en charge la partie difficile du projet : création des niveaux, réglages, programmation…

Moi, j’ai eu la partie facile. Je me suis contenté de lui envoyer des mails en disant : « On pourrait faire comme si ou comme ça ». C’est surtout Fabien Delpiano qui a fait le jeu avec son équipe.

Donc cela ne nous a pas pris autant de temps que le jeu console. La version Wii U est vraiment l’élément phare en termes de difficultés. Nous avons bénéficié de la collaboration avec Nintendo. C’est passionnant mais très compliqué aussi.

Avec tous ces Rayman, vous n’avez pas envie de passer à autre chose ?

Michel Ancel : Je n’avais pas fait de Rayman depuis longtemps et le développement de Rayman Origins a finalement été assez rapide.

Avec la Wii U, on a pu ajouter des tas de choses rigolotes et amener des éléments nouveaux pour garder l’excitation autour du jeu et de la marque. Ça reste très fun !

Le nouvel écran apporte-t-il quelque chose au jeu ou n’est-il qu’un gadget ?

Michel Ancel : Au début, je ne savais pas vraiment quoi en faire ; puis avec le temps, on a travaillé dessus et on est vraiment contents de ce que ça donne, surtout la collaboration entre les joueurs qui ne sont pas toujours d’un même niveau.

Ça permet à quelqu’un qui n’est pas à l’aise avec la manette de collaborer de façon très efficace avec les autres. On a fait en sorte que ce soit de la collaboration positive et qu’il n’y ait pas trop de gaffes possibles de la part de celui qui tient le gamepad car il peut agir sur tout l’écran.

Parmi les interactions possibles, celui qui joue au gamepad peut déterrer des éléments, couper des cordes, chatouiller des ennemis, etc. L’idée est de faire de ce joueur une sorte de level designer qui va modifier le niveau, le contexte. Celui qui tient la manette est plus cantonné à un rôle de joueur de plateforme.

Certains avaient râlé à propos du « girlfriend mode » de Borderlands 2 en disant que c’est un parti pris sexiste. Est-ce qu’il n’y a pas la même chose dans Rayman avec celui qui tient le second écran ?

Michel Ancel : On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un « girlfriend mode » car lorsque l’on joue seul, on joue avec le second écran. Ce n’est pas une expérience classique dans le sens où le touch fait partie du jeu. On ne peut pas jouer à Rayman Legends sans cette fonctionnalité.

En revanche, on peut facilement s’échanger les rôles et les manettes lorsque l’on joue à plusieurs et selon que l’un ou l’autre est plus à l’aise avec tel ou tel type de contrôle, on peut changer de rôle en jeu.

On a poussé les manipulations au touchpad à un niveau de difficulté qui est similaire à celui qui existe pour la manette. Jouer avec le gamepad n’est pas plus facile, on va lui demander du skill !

C’est simplement plus accessible et facile à prendre en main car on agit directement sur les personnages en touchant l’écran. On ne peut pas dire que ce soit une couche gadget sur Rayman Origins : c’est  vraiment un autre jeu.

Origins était sur toutes les plateformes. Pourquoi réserver Legends à la Wii U alors que Sony propose des connexions entre la PS 3 et la Vita en guise de gamepad ?

Michel Ancel : Disons qu’en ce qui concerne la connexion de la Vita à la PS 3, ce n’est pas encore fait. Et puis il faudrait qu’il y ait plus de gens équipé à la fois d’une PS 3 à tant d’euros et d’une Vita à tant d’autres euros… Aujourd’hui, on ne sait vraiment pas comment cela peut réellement fonctionner.

Est-ce Nintendo qui vous a demandé expressément de développer un Rayman pour la Wii U ?

Michel Ancel : En fait, Rayman Origins aurait pu être sur Wii U mais la console n’est pas sortie au moment où on le pensait. On pouvait sortir une version en 2011. Mais comme la sortie de la console a été reportée à fin 2012, cela ne s’est pas fait avec Origins.

Nous sommes en contact avec Nintendo depuis longtemps à propos de cette console et lorsque nous avons envisagé de réaliser la suite de Rayman, nous avons pensé à la développer pour la Wii U et nous avons travaillé avec les SDK assez tôt.

Comme c’est une suite, était-ce plus simple à développer ?

Michel Ancel : En réalité, c’est plus difficile parce que le Wii U GamePad change énormément les règles du jeu et de notre côté, on avait envie de faire des mondes vraiment nouveaux.

On avait des idées de game design différentes et tout ce qu’on n’a pas pu faire dans Origins se retrouve en quelque sorte dans Legends. On a fait un jeu presque de zéro. On a gardé les contrôles du personnage mais tout le reste est différent : la structure, les fondamentaux sont inédits.

Pourquoi ne pas avoir réalisé une simple suite ?

Michel Ancel : Dans ce cas-là, on aurait imaginé un jeu totalement différent et on ne l’aurait pas réalisé dans ce délai-là. Si on avait fait une suite sans modifier les fondamentaux, on aurait pris encore plus de temps pour apporter de la nouveauté sur d’autres aspects du game design.

Là, on s’est surtout focalisés sur la Wii U. On voulait être à la sortie de la console car cela permet de parler du jeu et de la licence. C’est aussi un challenge d’être à la sortie de la console. Ce n’est d’ailleurs pas encore fait… Y’a du boulot !

Euh, donc vous êtes très en retard…

Michel Ancel : En fait, il reste quelques semaines et on ne peut pas vraiment savoir à quel point on est en retard car tout peut se corriger très vite ou tout peut arriver avec de nouveaux problèmes.

La Wii U étant une nouvelle machine, c’est toujours assez compliqué car il faut s’adapter très vite au nouveau matériel.

Par exemple, il y a un mode où l’on joue tout seul au gamepad avec un Rayman automatique et ça, ça demande une IA vraiment performante car le PNJ doit comprendre ce que fait le joueur au touch screen, l’attendre s’il ne va pas assez vite, etc.

C’est l’une des parties les plus difficiles en termes de développement. Disons que la Wii U est idéale pour les party games où l’on joue à plusieurs, mais il faut aussi que le jeu marche tout seul : il faut coder et anticiper pour qu’un joueur puisse tout de même s’amuser seul.

Comment faire le tri entre les idées pour les intégrer en jeu ?

Michel Ancel : Prenons l’exemple des dark creatures : on voulait les intégrer à Origins mais on n’y arrivait pas, tandis que là, ça ne marche pas mal avec l’idée de monde infernal ; ça collait bien au style et on les a rendues interactives, etc.

Il y a aussi pas mal de choses comme les fluides que l’on détourne avec l’aide du gamepad, les éléments que l’on déterre du décor.

Là, on peut creuser comme dans un gâteau et créer son niveau de jeu. Ça, c’est typiquement une chose qu’on ne pouvait faire qu’avec l’écran tactile.

Il y a eu un travail mené en collaboration avec Nintendo très en amont sur le touchpad et la société nous a vraiment consultés pour savoir ce dont on avait besoin : quel type de boutons, à quel endroit les placer…

Il y a eu de grosses discussions et la Wii U a donc été un projet très participatif. Souvent, les constructeurs ne consultent que leur studio en interne.

Là, ce qui s’est produit avec la Wii U est un cas à part car il s’agissait de créer quelque chose d’assez polyvalent.

La technologie d’Origins a-t-elle été conservée ? Y a-t-il eu beaucoup de modifications ?

Michel Ancel : La console est suffisamment puissante pour supporter différents types d’architecture et il n’y a pas vraiment eu de problème avec la machine elle-même.

La vraie difficulté est de l’ordre du gameplay et il fallait imaginer les façons dont on joue avec le Wii U GamePad, des façons totalement différentes de celles de la manette traditionnelle. C’est un nouveau jeu avec un touchpad.

Et c’est même plus dur que de créer un nouveau jeu dans le sens où on a dû mélanger un nouveau jeu tactile avec un jeu de plateformes existant.

Donc on a dû tout recommencer de zéro et imaginer des façons de jouer, comme le personnage que l’on dirige au doigt.

En général, on dirige un simple pointeur au doigt et on fait apparaître des choses  à l’écran. Ici, le doigt est « personnalisé » par le petit personnage vert, Murphy.

On a inventé cela pour que le joueur au touchpad n’ait pas l’impression d’être juste un doigt à l’écran alors que les autres incarnent des personnages.

Pourquoi avoir choisi Murphy pour le joueur au gamepad ?

Michel Ancel : C’est un personnage qui existe déjà dans Rayman mais ce n’était jusqu’alors pas un personnage que l’on incarne. C’est l’un des potes de Rayman depuis Rayman 2 et c’est souvent le personnage qui raconte l’histoire et aide les autres.

C’était l’occasion de le rendre acteur. C’est finalement son quatrième casting dans Rayman.

Mais pourquoi spécifiquement ce personnage plutôt qu’un autre ?

Michel Ancel : C’est aussi parce que c’est un personnage volant et que celui qui joue au doigt peut aller très vite d’un point à un autre. C’est un personnage magique qui se téléporte.

Souvent, dans le jeu vidéo, on cherche des formes qui vont avec la fonction. En l’occurrence, la fonction est de se déplacer très vite et la meilleure forme est donc ce magicien qui agit sur les éléments. C’est comme un petit Yoda !

Pourquoi avoir mis un personnage humanoïde parmi les personnages joueurs ?

Michel Ancel : On voulait le faire depuis pas mal de temps et c’est lié au concept de Legends. On voulait reprendre des univers légendaires connus et faire en sorte que les personnages de Rayman voyagent à travers ceux-ci, comme s’ils voyageaient dans le temps. Ils passent d’une époque à une autre.

On voulait aussi faire en sorte qu’ils ne fassent pas que passer de monde en monde, on voulait qu’il y ait une interaction. En ce qui concerne Barbara, le joueur la rencontre dans l’un des univers et elle rejoint l’équipe de Rayman dans la suite du jeu.

On va dans des univers pour recruter ! On avait les fées auparavant mais elles n’étaient pas très actives. On ne va pas dire que c’étaient des potiches, mais presque.

Je trouvais donc intéressant que les personnages humanoïdes et féminins soient un peu plus actifs et c’est la première fois que l’on joue un humanoïde.

Bon, cela dit, on ne s’est pas non plus posé des questions métaphysiques ! Rayman, c’est un peu au petit bonheur la chance.

Comment se créent les passages musicaux ?

Michel Ancel : C’est un travail avec le musicien. On s’est aperçu qu’il y a des choses qui marchent vraiment bien en rythmique. Il y des morceaux originaux et des reprises.

Dans les deux cas, le musicien essaie de composer un thème qui colle bien à l’action des joueurs.

Le level designer se plonge dans le morceau et imagine le niveau correspondant. Ça se fait assez naturellement, il n’y a pas tellement de réflexion avant.

Parfois, on fait des retouches au niveau de la musique car c’est trop répétitif et cela pose problème dans le niveau. Mais parfois, on joue aussi sur la répétition.

Disons qu’il est important que dans chaque morceau, il y ait quelque chose qui se démarque, un accent fort pour que les joueurs puissent s’en servir comme guide.

C’est finalement comme la musique de danse, il y en a qui sont plus faciles à danser que d’autres.

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