Catégories
Bande dessinée Jeu vidéo

Rencontre Joe Madureira, Creative Director de Darksiders II

Connu des amateurs de comics pour la série des Uncanny X-Men, Joe Madureira a insufflé un souffle oriental à la bande dessinée américaine avec ses dessins inspirés du manga.

Par la suite, il a créé sa propre licence Battle Chasers, mais il s’est progressivement détourné du papier pour travailler dans le jeu vidéo en tant que Concept Artist et illustrateur.

Après plusieurs échecs, il livre Darksiderblockbuster qui voit sa suite arriver à la fin de l’été 2012. En attendant de pouvoir juger sur pièce, voici les propos de Joe Mad, sur le jeu.

Pourquoi délaisser les comics pour le jeu vidéo ?

Joe Madureira : En fait j’ai toujours été un gamer, j’ai joué dès mon plus jeune âge mais je n’ai jamais pensé au jeu vidéo comme à une possible carrière.

Je suis simplement entré dans l’industrie du comics et j’ai alors croisé plein de gens qui n’arrêtaient de me dire « oh tu devrais vraiment venir travailler avec nous ».

C’est seulement à ce moment que je me suis rendu compte qu’on pouvait vivre du jeu vidéo. Et après plusieurs années à faire des comics, j’avais envie de passer à autre chose, d’explorer ma créativité dans un autre domaine et j’ai eu l’opportunité de le faire dans le jeu vidéo.

J’ai collaboré à différents projets puis j’ai créé Vigil Games et nous avons sorti Darksiders. Voilà, c’est aussi simple que cela !

Êtes-vous passé au jeu vidéo à cause au côté répétitif la BD (toujours les mêmes personnages à dessiner) ?

Joe Madureira : C’est vrai que d’un point de vue créatif le jeu vidéo est un peu plus libre et vous n’avez pas à soutenir le regard plus ou moins réprobateur des fans. Quand vous faites des concept arts vous devez toujours innover.

Bien sûr faire des planches et raconter des histoires par le dessin est quelque chose que je trouve toujours très excitant.

Mais ce qui est génial dans le concept art, c’est que vous pouvez très bien faire quelques croquis et c’est fini. Il y a toujours quelque chose de neuf à faire et d’un point de créatif c’est effectivement très fun.

Mais n’est-ce pas frustant de faire des concept arts et de ne pas les voir en jeu comme c’est cas pour Dungeon Runners ?

Joe Madureira : C’est vrai que c’est une situation un peu bizarre et je ne sais pas pourquoi les concept n’ont pas été retenu. Mais il faut dire que le développement a été compliqué.

Au début le jeu devait s’appeler Trade Wars puis c’est devenu Exarch et finalement c’est sorti sous le nom Dungeon Runners.

Sincèrement, je ne sais pas ce qui c’est passé avec mes dessins mais la bonne nouvelle est qu’avec l’argent perçu pour ces travaux, nous avons pu terminer Darksider I !

À l’époque nous étions à court d’argent pour finir le jeu et la rémunération de Dungeon Runners est vraiment arrivée à point.

Cela nous a permis de tenir jusqu’au moment où THQ nous a racheté. Finalement nous sommes redevable à ce titre !

Lorsque vous avez créé Vigil Games était-ce pour créer un jeu en particulier ou pour être indépendant ?

Joe Madureira : En fait nous avons créé la société pour sortir le jeu que nous voulions. D’ailleurs nous l’avions en tête même avant d’avoir le nom de notre société. Nous travaillions sur la démo de Darksidersavant d’être indépendant.

À l’époque nous développions sur un jeu PC et c’est là que nous nous sommes dit que nous ferions bien un jeu pour console, un titre d’action-aventure, le genre de jeu auquel on aurait aimé joué. C’est de là qu’est né Darksiders

À présent que Vigil Games appartient à THQ, gardez-vous une certaine liberté créative ?

Joe Madureira : Nous sommes relativement indépendants car THQ nous fait confiance pour la création et le design de jeu. Le premier Darksiders a été un succès et cela nous aide à garder notre liberté.

Dans l’artbook de Darksiders, il y avait déjà les concept arts des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Avez-vous refait Mort pour Darksiders II ?

Joe Madureira : J’ai fait le dessin des quatre cavaliers lorsque nous travaillions sur la démo du premier Darksiders. Et quand nous nous sommes vraiment mis à développer le jeu, j’ai dû refaire des centaines de fois Guerre.

En fait, nous l’avons retravaillé jusqu’au moment où le jeu a été livré. Je ne sais pas pourquoi le personnage était si difficile mais j’ai vraiment lutté avec lui.

Quand nous avons commencé Darksiders II, j’appréhendais un peu de devoir recommencer la lutte et passer beaucoup de temps sur le héros.

Mais cela s’est déroulé de manière bien plus simple : le premier dessin de Mort avec son armure a été conservé et c’est devenu l’armure du nécromancien.

Le plus drôle est qu’à chaque fois que j’essayais de changer un détail, d’ajouter des éléments, les gens du studio me disaient : « Non, je ne sais pas, je préfère toujours la première version du personnage ». Le premier jet était le bon.

Donc s’il y a un troisième épisode, vous reprendrez l’un des deux cavaliers que vous aviez créés ?

Joe Madureira : Ce serait vraiment sympa d’avoir un autre jeu mettant en scène l’un de ces personnages mais pour le moment, nous n’y pensons pas et restons concentrés sur la livraison du Darksiders II !

Bien sûr, si c’est un succès, nous aurons plus de liberté pour créer d’autres titres autour de cet univers. Ce serait génial pour nous !

Plusieurs jeux ont été transformés en comics comme Silent Hill ou Dead Space. Pourquoi ne réalisez-vous pas une BD de Darksiders II ?

Joe Madureira : Je pense qu’il faudrait plutôt poser la question aux gens de THQ. Je sais qu’ils ont été en contact avec différents éditeurs. Je serais très content si cela pouvait se faire et j’aimerais collaborer au projet.

Nous avions sorti une courte BD au moment de Darksiders mais je ne sais pas si l’équipe qui l’a réalisée est disponible pour faire une suite pour la sortie du second jeu.

Quel est votre rôle sur Darksiders II en dehors de la création des concept arts ?

Joe Madureira : J’ai un rôle de creative director : je supervise les équipes, commente et vérifie les éléments livrés… Je regarde les animations, les attaques etc. Je tiens beaucoup de réunions pour voir l’avancée des projets.

Il faut dire que nous avons un pôle composé de quarante artistes travaillant sur la partie graphique. Il y a un directeur artistique qui s’occupe d’eux et je m’assure que tout se passe bien.

Auparavant, j’étais en relation plus directe avec chaque artiste et j’allais les voir directement quand quelque chose n’allait pas. Mais c’était un travail démentiel.

À présent, je discute surtout avec les leads et nous regardons ensemble les éléments livrés. C’est beaucoup plus facile à gérer ainsi ! Tous nos artistes sont bons. Il n’y a souvent que des détails à faire modifier.

Comment savoir si telle animation est plus sympa que telle autre ?

Joe Madureira : Je ne sais pas, c’est ce que je ressens. Mais je pense que je suis dans le vrai la plupart du temps.

D’ailleurs, les animateurs sont souvent surpris par mes remarques quand je vérifie leurs travaux. Ils trouvent que j’ai un regard très critique.

En fait, j’adore l’animation et si je n’avais pas fait carrière dans les comics, j’aurais certainement fait du dessin animé.

C’est pourquoi je suis très exigeant sur cette partie et j’ai des avis assez précis sur la question. Je sais ce qui est cool et ce qui l’est moins. C’est sans doute à cause de tous les anime que j’ai vus et sans doute intégrés.

Lorsque nous avons présenté le jeu au Tokyo Game Show, certains développeurs trouvaient d’ailleurs que les personnages bougeaient comme dans un anime. Et ça, c’est vraiment un compliment !

Je trouve que la plupart des studios occidentaux ne savent pas faire de bons jeux d’action car les animations ne sont pas cool. Ça se veut trop réaliste et cela manque de dynamisme.

Pour Darksiders, nous avons un parti pris plus marqué et plus de stylisation. D’ailleurs, il n’y a pas eu de motion capture et pas vraiment d’humain non plus. Avec tous les démons et les monstres, il fallait de toute façon créer quelque chose de stylisé.

Pourrait-on voir un jour un dessin animé Darksiders ?

Joe Madureira : Ce serait excellent mais malheureusement, la licence Darksiders appartient à THQ et c’est eux qui décident de ce genre de projet. Si c’était possible, je le ferais de suite. J’adore les anime et j’en regarde régulièrement avec mes enfants.

Que pensez-vous du fait que d’autres artistes issus du comic travaillent sur des jeux, comme Todd McFarlane sur Reckoning ?

Joe Madureira : Je pense que c’est une bonne chose car l’industrie du jeu offre beaucoup d’opportunités. Le milieu de la BD est très compétitif et il y a beaucoup de bons artistes qui font des concept arts, qui peuvent être de bons storyboarders, etc. Mais une chose est sûre, j’ai le meilleur projet de jeu (Rires) !

Joe Madureira et le jeu vidéo

Sa première collaboration remonte à 1997, date à laquelle il dessine l’illustration de couverture pour le portage console de Marvel Super Heroes, sorti en arcade en 1995.

Il poursuit avec Gekido : Urban Fighters (PlayStation, 2000), beat’em up à la Double Dragon, pour lequel il s’occupe aussi de certaines illustrations. Il faut croire que cela lui a donné des idées car il se lance dans une start-up pour créer un action-RPG sur Xbox.

Joe Madureira fonde ainsi Tri-Lunar avec Tim Donley et Greg Peterson (deux anciens de Black Isle Studios). Le projet ambitieux, nommé Dragonkind (2002), impressionne et se veut comme une version mature de Zelda avec plus d’action et de violence ; mais ne trouvant pas d’éditeur, il reste au stade de prototype…

Joe Madureira collabore aussi à Darkened Skye (PC, N 64, 2003) aventure vaguement heroic fantasy fondée sur la licence Skittle (vous savez, les fameux bonbons de couleurs vives appartenant au même groupe que M&M’s) : une jeune fille du nom de Skye découvre un artéfact lui permettant de transformer les Skittles qu’elle trouve disséminés sur son chemin en pouvoir magique…

Il travaille aussi avec Realm Interactive, société créée en 2000, pour réaliser une version MMORTS de Trade Wars (cf. IG 14),  Trade Wars : Dark Millemium.

Le jeu devait être édité par NCsoft, mais il est finalement suspendu… indéfiniment. L’équipe travaille alors sur Exarch, qui est à son tour arrêté pour se transformer en Dungeon Runners.

Vu tous les changements en peu de temps, on devine pourquoi certains membres de l’équipe ont décidé de quitter la société pour fonder la leur : Vigil Games, en 2005.

Leur projet, Darksiders : Wrath of War, séduit THQ qui rachète le studio en 2006 et lui confie le développement de Warhammer 40 000 : Dark Millenium Online dès 2007 (oui, visiblement ils tiennent à ce sous-titre qu’ils accolent à leurs différents projets).

Pour le moment, Vigil Games est surtout reconnu pour Darksiders. Espérons pour ses membres que le second volet soit un succès critique et commercial afin de leur permettre de continuer leurs projets malgré les difficultés financières de THQ.


Et si vous avez lu jusqu’ici et apprécié l’article, offrez-moi un café 🙂

Pour d’autres portraits et entretiens avec des concept artists :


Initialement publié dans IG Magazine.

Qu'en pensez-vous ?