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Skullgirls : Rencontre avec Reverge Labs

Le jeu de baston en 2D n’est pas mort et les amateurs de tous les pays sont bien décidés à veiller sur la pérennité du genre. Entre King of Fighters XIII et BlazBlue, il y a de quoi s’occuper ; et en 2012 arrive Skullgirls de Reverge Labs, jeu de baston en téléchargement créé par des Américains. Nous avons discuté avec le lead programmer et designer Mike « Z » Zaimont ainsi qu’avec Alex Ahad, creative director.

Pourquoi le studio Reverge Labs a-t-il opté pour un jeu de combat en 2D ?

Mike Z : Simplement parce que nous en avions envie ! J’aime les tournois de jeux de baston et je pense qu’une approche en 2,5D comme celle de Street Fighter IV élimine certaines des bases techniques des tournois de haut niveau, comme les hit boxes et le frame counting.

C’est moins technique et moins précis, ce qui n’est pas satisfaisant pour de nombreux fans de jeux de baston.

Alex A : Pour moi, cela se résume à l’amour du graphisme en 2D. Je suis dessinateur de comics et animateur aguerri : un jeu en 2D était donc une bénédiction.

Quelles sont les influences du jeu ?

Mike Z : L’influence principale pour moi vient de la série des « Versus » de Capcom, dont Marvel vs. Capcom 2. C’est un jeu très marrant grâce à son système de combos très ouvert, mais il est inadapté à la compétition. Je suis parti de là, j’ai équilibré les choses, puis façonné le gameplay en fonction des éléments que réclamait la communauté des joueurs.

Alex A : Je dessine des personnages de Skullgirls depuis le lycée, soit depuis une dizaine d’années. Mon travail est influencé par un tas de choses. Du côté des BD et des films d’animation, j’aime Batman : The Animated Series, des dessins animés comme FLCL et Gurren Lagann, ainsi que les vieux cartoons américains comme ceux de Tex Avery. Je suis aussi très fan du graphisme des jeux de Capcom et de Vanillaware.

Pourquoi n’y a-t-il que des combattantes ?

Alex A : C’est lié au scénario. J’ai travaillé sur ce dernier en même temps que sur les personnages. Comme l’histoire raconte que le « Skull Heart » n’exauce que les vœux des femmes, il s’en est suivi que les premiers protagonistes ont été féminins. Cela dit, le jeu ne va pas continuer à se limiter aux filles. Il y aura aussi des personnages masculins à télécharger. Beaucoup de factions comportant des hommes se battent pour le Skull Heart : l’armée, la mafia et d’autres organisations.

Comment ce projet a-t-il débuté ?

Mike Z : Un cabinet fantôme constitué de cadres du marketing et de prescripteurs de tendances s’est réuni dans un endroit secret. Ils ont entré un certain nombre de paramètres démographiques et de mots-clés dans une équation de génération de produits, ont appuyé sur « Enter », et le design de Skullgirls en est sorti ! Évidemment, ce n’est pas vrai. La réalité est plus agréable.

Alex A : Depuis que je travaille sur les personnages, une ou deux versions PC ont déjà été développées avec d’autres gens. Mais aucun de ces projets n’a abouti car ils manquaient en général d’un bon gameplay.

Mike Z : Je bossais chez Pandemic Studios sur un moteur de jeu de baston lorsque j’avais du temps libre mais je ne disposais d’aucun graphisme. Des amis communs m’ont présenté à Alex en 2009, et quand Pandemic a fermé, je me suis mis à plein temps sur le jeu. Je me suis alors associé avec Reverge Labs pour lui trouver des financements. Nous avons présenté le jeu à des éditeurs et, fin 2010, nous avons signé avec Autumn Games et commencé la production.

Il y a des différences entre les premières images et l’aspect d’aujourd’hui.

Mike Z : Je sais. Alex a beaucoup progressé sur le plan artistique depuis qu’il a commencé à travailler sur la première version du jeu.

Alex A : C’est lié à mes études artistiques mais tout le mérite ne m’en revient pas. Nous avons aussi une sacrée équipe d’animation, au sein de laquelle se trouvent deux membres du Mecha Fetus Visublog qui ont travaillé sur le jeu téléchargeable d’Ubisoft Scott Pilgrim.

Bien sûr, nous bénéficions aussi du moteur HD de Mike pour pousser le jeu. Les gens pensent que la 2D est plus facile que la 3D, mais ce n’est pas le cas.

Sans les techniques qui nous permettent de créer des personnages avec des calques différents et toutes les animations en haute résolution, le jeu serait beaucoup moins beau.

Est-ce un vrai titre ou seulement un jeu fan service ?

Mike Z : Pourquoi ça ne serait pas les deux ? Skullgirls est conçu pour être joué en tournoi. Alex influence la direction artistique du titre mais tout ce qui s’intègre dans le jeu doit coller au game design.

Alex A : Nous avons un processus de création intéressant. D’abord, Mike propose le type de gestes qu’il veut en fonction du style de jeu prévu pour le personnage ; ensuite, avec les dessinateurs, je produis plusieurs centaines d’idées de mouvements, que je lui présente.

Mike les intègre dans sa conception, puis l’équipe artistique réalise l’animation clé pour les idées retenues afin que Mike puisse déterminer le timing approprié au gameplay.

Quand l’intention recherchée est atteinte et que le timing est défini, nous la transmettons pour l’animation finale. Et même après cela, nous procédons à des ajustements !

Mike Z : Il y a beaucoup d’allers-retours entre le dessin et la conception. Il arrive qu’Alex veuille intégrer tel ou tel mouvement, et c’est à moi de déterminer comment le faire correspondre avec ce que j’ai conçu.

Parlez-nous des combos et des attaques spéciales.

Mike Z : Le système de combos est très semblable à celui des Versus de Capcom. Vous pouvez combiner presque tout avec presque tout, c’est ouvert et libre : chain comboslaunchersair comboset attaques spéciales de différentes puissances.

Bien que la liberté qu’offre un tel système soit très appréciable, les inévitables infinite combos qui en résultent ont tendance à gâcher le jeu, comme cela a été le cas dans les Versus. J’ai conçu un système pour empêcher que cela se produise.

En gros, si le jeu détecte que votre combo se met en boucle, les effets visuels et sonores changent et votre adversaire peut s’en sortir sans dommages.

Notre moteur empêche les attaques imparables haut/bas. Dans les autres jeux, quand on est touché à la fois par une attaque haute et par une basse, on ne peut pas bloquer les deux ; l’adversaire gagne un coup supplémentaire et le combo qui va avec.

Dans Skullgirls, si on est touché par une attaque qui oblige à parer en haut ou en bas, on est protégé des autres coups pendant un court laps de temps.

En écartant ces attaques doubles, nous avons pu introduire des assistances personnalisées : on peut déterminer le type d’aide que fournira un personnage en choisissant un mouvement prédéterminé ou en programmant une action.

Tout est possible : mouvements normaux, mouvements spéciaux, et même dashes… On peut donc essayer un tas de façons de constituer son équipe.

Bien sûr, il existe un large éventail de mouvements spéciaux et de superattaques, dont beaucoup sont assez dingues. Par exemple, Cerebella dispose de nombreux lancers spéciaux ; Peacock peut balancer une trentaine d’objets divers sur ses adversaires ; Parasoul a un garde du corps qui encaisse les coups à sa place.

Quant aux attaques classiques, nombre d’entre elles ont aussi des rôles stratégiques intéressants.

Que raconte l’histoire qui sous-tend le jeu ?

Alex A : L’histoire se déroule dans le royaume de Canopy, sorte d’Amérique d’après-guerre mâtinée d’un zeste d’Europe, le tout agrémenté d’un soupçon de magie. Les événements sont très liés à la ville de New Meridian, qui est aux mains des gangs et qui recèle de sombres secrets.

Il existe dans ce monde un mystérieux objet appelé le « Skull Heart », dont on raconte qu’il exauce les vœux des femmes. Par contre, si leur cœur n’est pas pur, il déforme leur souhait et les transforme en horribles monstres, les « Skullgirls ».

Par exemple, la mère de Parasoul voulait que la Grande Guerre se termine : elle a été transformée en une Skullgirl si puissante que les nations ont dû s’allier pour la vaincre, ce qui a créé une paix instable.

Dans le jeu, Marie, une nouvelle Skullgirl, vient d’entrer en scène et les personnages essaient de l’empêcher de sauver le pays ou tentent de s’approprier le Skull Heart.

Chacune vise son propre objectif vis-à-vis de l’artéfact : certaines ont un vœu à exaucer, d’autres veulent le détruire, d’autres encore veulent étudier son pouvoir et en faire une arme.

Qu’est-ce qui différencie les attaques des personnages ?

Mike Z : Dans la mesure où le jeu est réalisé par un petit studio indépendant, nous n’aurons que huit personnages au départ : nous travaillons donc pour donner à chacun un aspect et un style de combat personnels. Ils sont tous conçus pour être aussi bons en solo qu’en équipe et disposent d’un bon éventail de mouvements.

Alex A : Nous en sommes à cinq persos, que je vais brièvement évoquer. Filia est une écolière amnésique qui sert d’habitat à une créature parasite appelée Samson, laquelle s’est greffée sur sa tête. Elle combat en se servant de cette chevelure.

Mike Z : C’est un perso de rushdown : très agile, elle excelle dans les combos mais utilise peu de mouvements spéciaux.

Alex A : Cerebella se sert d’un puissant chapeau vivant, Vice-Versa, dans sa double vie d’artiste de cirque et de gros bras de la mafia.

Mike Z : C’est un personnage très souple, excellent au corps à corps, un grappler. Je suis connu parmi les joueurs de jeux de baston pour aimer jouer les grapplers, et je voulais en faire quelqu’un de particulier, accessible et marrant à incarner. Elle dispose d’une foule de projections puissantes.

Alex A : Peacock m’a été inspirée par mon amour des vieux cartoons américains. C’est une espèce de monstre biomécanique psychotique créé pour détruire les Skullgirls. Son armement consiste en gags mortels. Presque chacune de ses animations comporte une blague ou une allusion.

Mike Z : Peacock est une combattante à distance, c’est là qu’elle est la meilleure. Elle a donc à sa disposition de nombreuses attaques de longue portée et divers moyens de tenir l’adversaire à distance.

Alex A : Parasoul est la princesse du royaume de Canopy dont elle commande l’unité d’élite, les « Black Egrets » [les Aigrettes noires, NDLR]. Elle utilise un parapluie vivant nommé Krieg et livre d’élégants assauts à la manière d’une escrimeuse.

Mike Z : C’est un poking character qui se contrôle comme Guile. Elle a une portée d’attaque exceptionnelle, des projectiles piégés et elle peut faire appel aux soldats pour encaisser les coups à sa place ou pour éloigner ses adversaires. Elle a d’intéressantes caractéristiques stratégiques.

Alex A : Enfin, Ms. Fortune est un monte-en-l’air qui a un penchant pour les calembours. Elle a volé à la mafia un bijou qui donne la vie et l’a avalé avant de se faire couper en morceaux et jeter à la mer. Elle a survécu et peut maintenant livrer de violentes attaques en séparant les parties de son corps, y compris sa tête.

Mike Z : Comme c’est une sorte de catgirl, elle est très rapide et mobile. Elle est bonne au rushdownmais peut faire beaucoup de trucs bizarres avec sa tête amovible pour vous rendre perplexe.

Comment avez-vous convaincu Michiru Yamane de travailler avec vous ?

Alex A : Il a surtout suffi d’essayer ! Certains amis de nos community managers dirigent une société de localisation installée au Japon qui s’appelle 8-4. Ils la connaissaient grâce aux contacts professionnels qu’ils ont établis sur place.

Nous avions entendu dire qu’elle était disponible et trouvions que son style musical collait au genre et à l’esprit du jeu. Quand nous avons commencé Skullgirls, nous l’avons donc contactée par l’intermédiaire de 8-4.

Nous sommes tous très fans de son travail, et c’était un peu comme un rêve quand elle a donné son accord. Ensuite, ce n’était plus qu’une question de négociation de contrat et autres détails sans intérêt.

Une fois le contrat signé, les premiers extraits sont arrivés un mois plus tard et nous lui avons transmis nos retours via 8-4. La réaction a été si positive que nous avons pu élargir un peu le contrat et commander quelques morceaux supplémentaires.

Tout s’est bien passé, et nous n’hésiterons plus à faire appel à des compositeurs japonais.

Pourquoi vous tournez-vous vers les jeux téléchargeables ?

Mike Z : Les fondateurs de Reverge Labs sont convaincus qu’ils représentent l’avenir. La plupart des jeux ont désormais plus ou moins une composante online, il est donc logique de les distribuer de cette façon car cela permet de déterminer avec certitude ce que veulent les clients.

Nous n’avons rien contre le fait de créer des jeux sur CD… Cela dépend beaucoup du budget et de ce qui convient aux éditeurs. Produire des CD est en soi coûteux et financièrement risqué.

Les gens s’habituant progressivement à acheter des jeux en ligne et les vitesses de connexion augmentant, je pense que vous verrez de plus en plus de jeux s’orienter vers la distribution numérique.

Le jeu est disponible sur PS4 et PS Vita. En attendant, il y a la BO pour les amateurs.

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