Catégories
Jeu vidéo

Valve, la compagnie qui ne manque pas d’air

Un FPS peut-il être intelligent ? Chez Valve, oui. Mais, lecteur, je vois à ta moue que ce type de jeux ne t’intéresse pas plus que les jeux de tennis ou les voitures de courses. Pourtant, tu vas arrêter de feuilleter le magazine et lire l’histoire de ce développeur, dont l’équipe d’écrivains fait un travail d’orfèvre et dont le fondateur propose une vision différente du jeu vidéo et de son marché.

Pour bien des joueurs PC, Valve est une sorte de paradis geek devenu réalité, un monde merveilleux dans lequel des étudiants peuvent développer des jeux dans leur chambre puis se faire embaucher, des gamers tenant un site devenir scénaristes de jeux, des modders créer une version commerciale de leur création.

Des exemples ? Ils sont nombreux. Chet Faliszek et Erik Wolpaw ont tous deux reçu un mail du fondateur de Valve leur demandant de rejoindre le studio après avoir tenu un site de critiques sur le jeu vidéo et passé beaucoup d’heures sur Team Fortress Classic. Minh Le, créateur de modspour Half-Life,a élaboré Counter-Strike dans sa chambre d’étudiant avant de rejoindre les rangs de Valve pour développer Counter-Strike : Source. Des étudiants du DigiPen Institute of Technology ont été recrutés après leur projet de fin d’études : Narbacular Drop, dont s’inspire Portal. D’autres étudiants, ceux de la promotion 2008, ont également été intégrés à l’équipe de Portal 2 après avoir développé le projet de fin d’études Tag : The Power of Paint. Il faut dire que le DigiPen est situé à Redmond, ville de Microsoft, non loin des bureaux de Valve à Bellevue…

Mais avant d’être le rêve de tous les geeks, Valve est la création de Gabe Newell.

De l’importance de la vision

Atteint d’une maladie provoquant une dégénérescence de la cornée, Newell reçoit plusieurs greffes avant de recouvrer la vue, ce qui peut paraître assez ironique chez un tel visionnaire du jeu vidéo.

Avant de créer Valve en 1996, il travaille durant treize ans chez Microsoft au développement des premières versions de Windows. Fan de Doom, il rencontre John Carmack d’iD Software et lui propose de faire gratuitement une version Windows. Durant le projet, un développeur de Microsoft part travailler dans la compagnie de jeux et Carmack incite Newell à changer de métier. Il lui propose le code source de son FPSpour qu’il crée ses propres titres en dehors de Microsoft. Et c’est ainsi que Newell quitte son emploi très bien rémunéré et vend ses stock-options pour essayer de faire un petit jeu avec un autre ex-collègue de Redmond, Mike Harrington. Ils embauchent des modders à une époque où personne ne pensait encore à chercher des talents chez ces amateurs éclairés. Dans leur équipe, ils recrutent aussi Marc Laidlaw, écrivain de science-fiction, pour donner une véritable densité à l’univers où évolue le joueur.

Après à peine deux ans, la petite entreprise sort sa première production qui est elle aussi un jeu de tir en vision subjective : Half-Life. Le titre ne fait pas dans la demi-mesure avec 2,5 millions d’exemplaires vendus rien que pendant la première année d’exploitation. En 2000, Newell rachète les parts de son partenaire et poursuit sur sa lancée.

De la source à la vapeur

Newell ne veut pas se contenter de faire des FPS et travaille sur un moteur de jeu propriétaire au lieu d’en acheter un ou de continuer d’utiliser celui de Carmak. Pendant qu’une partie de l’équipe continue de travailler sur le code du moteur de Half-Life, une autre le transforme. C’est pourquoi « Source », le nouveau moteur de Valve, est un outil basé sur une architecture modulaire à laquelle on peut ajouter de nouvelles fonctionnalités sans que cela demande des modifications majeures. Flexible et rétrocompatible, du moins, en grande partie, Source permet donc de suivre les évolutions technologiques sans exiger un travail colossal. Comme le moteur d’iD Software, Source est commercialisé pour des développeurs tiers et de nombreux mods existent.

Dans le même temps, Valve élabore aussi un réseau de distribution dématérialisé : « Steam », littéralement « vapeur » en anglais. Initialement, celui-ci devait être un moyen d’envoyer des patchs automatiques pour ses jeux, dont Counter-Strike. Mais comme aucun industriel ou éditeur ne veut en entendre parler, Valve conçoit le réseau seul. Il faut dire qu’à l’époque le haut débit est encore un rêve ou un privilège réservé à une poignée de clients. On peut comprendre les hésitations des partenaires potentiels. Qu’importe ! Valve sort Steam et Source en 2004 et son fer de lance s’appelle Half-Life 2. Le titre draine une somme considérable de joueurs qui s’inscrivent sur la plate-forme pour le recevoir directement chez eux sans passer par la case achat en boutique.

Non seulement Steam permet d’envoyer des patchs pour corriger les bugs des jeux ou pour améliorer Source, mais il permet surtout de se passer du réseau de distribution physique. Plus de galettes à imprimer, de boîtes en carton à remplir et de stocks à gérer ! Steam amène directement le jeu du développeur au client final, ce qui permet à Valve de gagner plus d’argent par exemplaire vendu.

D’autres avantages et fonctionnalités apparaissent au fil du temps : récoltes directes de données marketing auprès des joueurs, création d’une communauté soudée, micropaiement, possibilité de vendre des objets faits par des joueurs à d’autres joueurs… Même si les débuts de Steam sont un peu problématiques avec quelques soucis techniques, cette plate-forme est actuellement leader dans le marché des jeux dématérialisés. Il y a plus de 30 millions de comptes, et selon les analystes américains, la plate-forme de Valve occupe 70 % du marché de la vente de jeux dématérialisés qu’ils estiment à 4 milliards de dollars.

Développeur de jeu, créateur de middleware et distributeur, Valve a investi tous les maillons de la chaîne de production et de valeur. Indépendante et autonome, la société n’est pas cotée en bourse pour éviter les fluctuations des marchés financiers et affichait crânement une croissance de 200 % l’an dernier. Avec ses nouveaux bureaux à Bellevue, sur quatre étages d’un bâtiment faisant face à celui de Microsoft, Valve fait tout pour le confort de ses 250 employés.

Intégration de la communauté

En dehors du bien-être de ses collaborateurs, Newell veille à celui des joueurs, notamment ceux qui jouent par le biais de Steam. La plate-forme permet de jouer à plusieurs en ligne et Valve a bien profité de ces titres multijoueurs en équipe pour recruter de nouveaux fidèles ainsi que de nouveaux employés.

Parmi les titres issus de la communauté, on trouve Team Fortress Classic, refonte du mod de Quake élaboré par Robin Walker, John Cook et Ian Caughley en 1996. Ils ont refait leur jeu avec le moteur de Valve avant de produire Team Fortress 2sorti en 2007, six ans après l’annonce de sa mise en production. Non seulement Valve a ainsi recruté du personnel motivé et compétent, mais de plus la société a sorti un titre qui avait déjà un public et une communauté de fans.

Dans un même genre, mais dans un contexte différent, Day of Defeat est un mod pour Half-Life se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale. L’équipe ayant créé le titre a été embauchée par Valve et a ensuite travaillé sur Day of Defeat : Source, version refaite et améliorée utilisant le moteur de jeu maison. Même processus avec un univers différent pour le FPS.

Mais le titre issu de la communauté le plus célèbre reste Counter-Strikemod de Half-Life élaboré par Minh Le (alias Gooseman) et Jess Cliffe. Les deux étudiants ont été embauchés par Valve suite au succès de leur jeu et ont produit Counter-Strike : Source, version du titre refait avec le moteur maison. Counter-Strike reste un monument du FPS, même si actuellement les médias parlent surtout de Call of Duty. D’ailleurs, le jeu de Valve figure toujours en bonne place dans les disciplines de l’e-sport.

Tuer des soldats ennemis et des extraterrestres, c’est fun et relativement classique. Tuer des zombies, c’est encore mieux et cela suit la tendance actuelle qui incorpore à tous les types d’univers des hordes de morts-vivants ou d’infectés à décimer, même dans un western comme Red Dead Redemption. Pas étonnant donc que Valve sorte un FPS où l’on massacre des zombies en coopération : Left 4 Dead. Le jeu a initialement été développé par le studio Turtle Rocks qui avait fait un portage de Counter-Strike pour console avant de travailler sur le survival horror. Il a été racheté par Valve et grandement modifié suite aux play tests afin de mieux convenir au public.

Dans un autre style, le STR DotA 2 qui doit sortir à la fin de 2011 était initialement un mod de WarCraft IIIDotA (Defense of the Ancients) a été créé par IceFrog, modder connu uniquement par son pseudo, et doit sortir en fin d’année 2011. Il a lui aussi été embauché par Valve pour produire son titre.

Le multijoueur est ainsi l’un des atouts majeurs de Valve. Par ce biais, les joueurs incitent d’autres participants à venir s’inscrire et utiliser Steam. Une fois habitués à la plate-forme, ils seront plus à même d’acheter des produits par ce biais. C’est sans doute aussi pour cette raison que Portal 2propose un mode multijoueur en coop’, même si la raison officielle est différente (cf. l’interview de Chet Faliszek p. 62).

Le jeu comme industrie de service

Contrairement aux autres studios de développement qui misent sur la vision d’un créateur (du moins dans les versions officielles et politiquement correctes), Valve prône une idée différente du jeu. Selon Gabe Newell, le jeu est un « service » dont le client roi est le joueur. Ainsi, Steam est un service pour pouvoir jouer en ligne avec des privilèges payants, Source un service pour créer ses propres titres ou des mods de licences existantes. Quant à la production d’un nouveau jeu, elle doit être guidée par les réactions des joueurs que l’on mesure par le biais des play tests.

Bien sûr, il ne faut pas se voiler la face, ce discours séduisant brossant la communauté des joueurs dans le sens du poil n’est là que pour cacher le fait que Valve se comporte de la même manière que les autres compagnies de jeu vidéo : il fait confiance à un service marketing pour sonder les envies des clients et les satisfaire. Mais il faut reconnaître que Newell le fait bien mieux que les autres patrons du paysage vidéoludique.

Ainsi, pendant que les éditeurs classiques sont critiqués pour les DRM, Valve propose des jeux qui utilisent un système de sécurité différent : l’obligation de passer par un compte Steam pour jouer en ligne. Lorsqu’Ubisoft lance Uplay et doit faire face à de multiples problèmes de connexion, Newell vante la fiabilité de sa plate-forme en place depuis 2003. Dans les deux cas, le discours est le même : si le service de distribution était meilleur, il n’y aurait pas de piratage. Par ce biais, il se fait apprécier des pirates et des consommateurs, tout en vantant les services de sa société.

En ce qui concerne les mécaniques de jeu et les multiples aspects d’un titre en développement, Valve place aussi le consommateur au cœur du processus créatif. Les nombreux playtestspermettent de faire le tri dans les idées de gameplay, le scénario, les niveaux et ajuster la difficulté. Le processus est long et peut paraître fastidieux, mais c’est lui qui régit la production.

Toujours dans l’optique de satisfaire le client, lorsque des voix s’élèvent pour protester contre le lancement de Left 4 Dead 2 peu de temps après celui du premier titre, Newell invite au cœur du studio les personnes qui râlent le plus sur les forums et qui sont à l’initiative de l’appel à boycotter le second volet. Bien sûr, les râleurs se transforment alors en VRP zélés après la visite…

Il ne faut pas pour autant croire que la relation de Valve avec sa communauté a toujours été idyllique. Le principal point noir reste le vol du code source de Half-Life 2 par un jeune Allemand en 2003. Axel Gembe, fan de Half-Life et impatient d’avoir la suite, parvient à s’introduire dans le réseau de Valve et à télécharger une version du jeu qui se retrouve bien vite sur la toile. Après avoir prévenu les forces de l’ordre, Newell demande l’aide des joueurs pour retrouver ceux qui ont volé quatre années de labeur. Peine perdue, la version pirate prolifère. Quelques mois plus tard, il reçoit un e-mail de Gembe expliquant qu’il est désolé pour la situation. Grâce à cela, le FBI remonte la piste et arrête le jeune pirate qui est accusé d’avoir porté un préjudice de 250 millions de dollars. Finalement, la sentence est assez clémente puisque Gembe n’écope que de deux ans de probation. Depuis, il s’est reconverti dans la sécurité informatique. Moralité : il faut toujours livrer les jeux en temps et en heure afin d’éviter que les fans impatients ne viennent chercher le titre à sa source. Ce n’est sans doute pas pour rien que les différents épisodes de Half-Life permettent de faire attendre les fans jusqu’à l’hypothétique Half-Life 3.

Suite dans IG Magazine.

Qu'en pensez-vous ?