Jungle wa itsumo hare nochi guu
Tarés, frappés, déjantés, barges, gravement atteints ? Non, on ne sait toujours pas à quel point les concepteurs de cette série étaient fous à l’origine. Mais une chose est sûre : après avoir bien fumé la moquette, ils ont sérieusement attaqué le béton.
Après Arale tapant la discute avec des cacas dans Docteur Slump, ou les multiples agonies de Hyatt et de Pedro dans Excel Saga, voici les aventures d’un petit garçon modèle de onze ans. Vous allez me dire : mais quel intérêt de suivre la vie quotidienne d’un gamin s’il est sage comme une image, responsable et toujours prêt à aider son prochain ? La réponse tient en un mot : Guu. Son arrivée fait basculer l’histoire dans l’absurde et le spectateur dans le fou rire.
Une jungle « normale »
Tout était normal dans la vie de Hare. Il vivait dans la jungle avec sa mère célibataire, Ueda, et allait tous les jours à l’école. Tout est normal, sauf que les gens se nourrissent de pokute, animaux multicolores à deux pattes et aux oreilles de lapins qui se baladent ici et là, mine de rien. Comme dans toute jungle ordinaire, il existe des plantes dont la fleur ressemble à des œufs avec un visage et on peut manger la confiture qui sort de leur nez. Comme dans toute jungle normale, le chef du village possède une moquette de poils sur le torse et y plonge le visage des enfants lorsqu’ils ont des soucis. Comme dans toute jungle, il y a des sources d’eau chaude thermale et des écoles où le prof passe son temps à faire sieste sur son bureau. Bref, tout est normal. Les concepteurs de la série se sont renseignés sur les conditions de vie dans la jungle tropicale et en ont surtout retenu les bases pour faire la musique du générique, plein de sons dignes des rythmes du carnaval brésilien. Pour le reste, il y a une bonne part de divagations comme l’indique le titre de chaque épisode, nommé « illusion ».
Mais bon, revenons en au point de départ. Tout allait bien dans la vie de Hare jusqu’au jour où Ueda recueille Guu, une soi-disant orpheline perdue dans la jungle. À partir de ce moment-là, Hare va vivre un cauchemar permanent pour le plus grand bien de nos zygomatiques. Grâce à Guu vont se succéder des expériences limites comme visiter le ventre d’un monstre où la tour de Pise côtoie le Mont Fuji, dialoguer avec des cafards, pouponner ses parents transformés en nourrissons grâce à un jeu vidéo, affronter une tempête de neige en pleine jungle, participer à un tournoi débile pour pouvoir garder sa mère. Hare sera également amené à rencontrer des personnages à la démence plus ou moins intense comme Yamada, femme éplorée qui cherche à se suicider à cause d’une histoire d’amour malheureuse (mais pas à cause de son chagrin : pour pouvoir devenir un fantôme et hanté l’amant infidèle), Robert, garde du corps paranoïaque (plus dangereux pour ceux qu’il protège que pour ceux qu’il doit combattre), ou Bell, gouvernante amoureuse de sa protégée (qui exprime ses sentiments par des jets de sang s’échappant de son nez). La galerie des personnages est particulièrement bien remplie en déments et hystériques de toutes sortes. On peut même se demander s’il y a un personnage raisonnable mis à part Hare, qui, de toutes façons, est amené à adopter un comportement d’apparence irrationnel.
Tous les goûts
L’humour de la série devrait contenter tout le monde. Pour le public non averti, le rythme hystérique et la succession des grimaces de Hare sont déjà à pleurer de rire. La vie du garçon est un vrai calvaire, mais on ne peut s’empêcher de se moquer en voyant sa tête. Constamment torturé par Guu, Hare crie, hurle, gronde et essaie d’arranger les choses comme il peut. Vu le nombre de fois où il perd son sang-froid et où il s’énerve, il finira avec un ulcère avant ses vingt ans ; c’est sûr !
Pour l’amateur de cinéma de genre et d’anime, il y a de multiples clin d’œil et des parodies de séries ou de film connus. Un des personnages se transforme en Digikara pour séduire Hare. Le Père Noël revêt les traits du tueur en série de Vendredi 13. Ueda, déguisée en petit chaperon rouge, offre une peau de loup à son fils. Guu se transforme en monstre (type Godzilla) et écrase les avions avec une tapette à mouche. Tous les codes sont détournés de leurs fonctions initiales. Les clichés des shojo manga et des récits « fleur bleue » pour adolescents sont repris à des fins humoristiques tout au long de la série.
Pour le connaisseur en techniques de dessins animés les passages d’un dessin ultra stylisé à l’ultra détaillé et réaliste sont particulièrement réjouissant. Certaines blagues leurs sont spécialement destinées, comme lorsque Hare détaille la couleur rouge que prend la tête de Clive : « C’est du R :40 pour l’animation sur cellulos et rouge 230, vert 230 et bleu 57 si de l’animation par ordinateur ». Dans le même genre d’humour, Hare reproche à Guu d’avoir employé 539 cellulo à trois couches pendant 3 minutes et 16 secondes pour ne raconter que des âneries.
Pour l’intellectuel cherchant une justification à sa passion des anime, de multiples décalages burlesques jalonnent les épisodes. Ainsi l’un des collégiens lit Sein und Zeit de Heidegger, pavé d’un des plus grands philosophes allemands du XXe siècle, tandis que des ensembles de Mandelbrot (fractales correspondant à la formule zn+1=zn2+c) se retrouvent en arrière-plan du visage de Guu. Il pourra aussi s’extasier sur le mazacon (« mother complex ») de Hare qui renouvelle à sa façon la légende bouddhique du prince Ajase et de sa mère Idaike[1].
Pour les réticents, qui pensent que quelques épisodes valent mieux que des articles sur cette série, il faut voir les épisodes 10, 18 et les OAV Deluxe 3 et 6. Ils suivront avec enthousiasme la saga de Dama, une vieille femme arborant une coiffure à la Jackson Five qui est à la poursuite de son « Oji-sama » chéri. Une grand-mère acariâtre en tout point semblable à Dama apparaît dans les OAV Final. Mais je vous laisse la surprise. Après ça, vous ne verrez plus jamais les femmes du troisième âge sous le même angle.
Et plein de couleurs
Les gags se succèdent sans qu’il y ait toujours un scénario bien solide pour les lier dans le même épisode. Le moindre prétexte est bon pour se lancer dans les délires les plus fous : est-ce que les gens prennent leur bain avec leur vêtement ? est-ce que le père de Hare est un pokute ? quelles sont les réactions des personnes qui n’ont pas l’habitude de boire lorsqu’elles sont complètement bourrées ? que se passe-t-il lorsque toute la tribu va à la plage ? Il semble que chaque épisode est une occasion pour faire tourner Hare en bourrique. Pourtant vers la fin de la série télévisée, l’intrigue tournant autour du personnage de Ueda reprend le dessus. On la voit, enceinte, quitter sa riche demeure familiale au tout début de l’histoire. On comprend bien plus tard qu’elle a été rejeté par son père et qu’elle a élevé son fils seule dans la jungle en pensant ne plus jamais revoir sa famille. Il n’en est rien.
Mis à part le côté délirant, Hare nochi Guu est un anime très attachant par la mise en scène des relations entre parents et enfants. Chaque épisode constitue non seulement une succession de gags ininterrompus mais compose souvent aussi une sorte de mini réflexion sur les problèmes de communication. Hare cherche toujours à aider les autres et à comprendre leurs manières d’agir ou de penser. La série parvient ainsi à marier sérieux, émotion et délire le plus total avec une inventivité graphique étonnante. Bien que le manga original soit prépublié dans un mensuel destiné aux préadolescents (Shônen Gangan), bien des gags sont plutôt destinés à un public plus âgé. Le graphisme initial de la mangaka, Renjuro Kindaichi, a été arrondi par Hiroshi Kugimiya qui a enlevé le côté très shôjo de certains personnages. La grande stylisation des traits permet une plus grande souplesse au niveau des changements de mimiques et contribue largement à l’humour graphique de la série.
Diffusé en 2001 à la télévision, les 26 épisodes de Jungle wa itsumo Hare nochi Guu ont été suivie par 12 autres « illusions » regroupées en six OAV sortis en 2002. Intitulée Jungle wa itsumo Hare nochi Guu Deluxe et accompagnée d’une nouvelle version du générique de début, cette mini série se distingue de la série TV par sa grande qualité de réalisation. L’animation est bien meilleure et le graphisme plus soigné. Le rythme y est plus soutenu car les intrigues y sont plus condensées : chaque OAV comportent deux « illusions » différentes. On peut regarder ces OAV sans avoir vu la série TV, même si certains personnages font directement références à des épisodes précis de celles-ci. Les OAV sont tellement hilarant qu’ils peuvent être une façon de s’initier à la série TV, plus longue et plus inégale. Une dernière série d’OAV est sortie en décembre 2003 : Hare nochi Guu Final. Changement de décor : les « illusions » se déroulent en ville où Hare est scolarisé dans un immense établissement. De nouveaux personnages, aussi bizarres que les autres, font leur apparition pour plonger Hare dans de nouvelles situations impossibles. Maintenant il n’y a plus qu’à espérer qu’un éditeur français sorte enfin l’intégralité de cette série désopilante.
Onze ans et déjà tant de responsabilités… Il s’occupe de tout : cuisine, ménage, rangement, aide psychologique. C’est parce qu’il est trop gentil qu’il est la victime favorite de Guu. Il rêve d’une vie normale à jouer à ses RPG favoris sur ses consoles de jeux vidéo. Malheureusement pour lui, il doit s’occuper de sa mère immature, de son père indigne et d’une Guu intenable. On sent que les dessinateurs ont pris beaucoup de plaisir à inventer de nouvelles « tronches » pour marquer l’agitation ou la colère du personnage.
Guu
On ne sait pas vraiment ce qu’elle est. Un monstre curieux qui peut prendre plusieurs apparence, qui dispose de plusieurs estomacs et de pouvoirs magiques, mais surtout, qui sauve Hare pour mieux le torturer. Son sport favori est de le rendre fou de panique en avalant tout ce qui bouge en se transformant en robot géant ou en manipulant les autres personnages. Guu fait également office de mauvais génie qui prend un plaisir pervers à réaliser à sa manière les souhaits de Hare. Pour montrer que Ueda est une mère qui ferait tout pour sauver son fils en danger, Guu fait en sorte que Hare soit victime d’une prise d’otage. Si le visage de Hare est hilarant par les mimiques qui se succèdent à grande vitesse, celui de Guu est plus statique. L’air blasé et profondément agacée par ce qui l’entoure, Guu ne se montre pas spécialement chaleureuse mais c’est ça qui fait son charme.
Ventre de Guu
Dans l’une des poches stomacales de Guu, on trouve tout un petit monde délirant où vivent Mamo Tomoya et Tachibara Seiichi. Ce couple de jeunes gens bien sympathiques est entouré par une faune des plus excentriques : statues de l’Île de Pâques vivantes, chat-millepattes, libellule psychédélique géante. Si vous pensiez que la jungle était bizarre, c’est que vous n’avez rien vu.
Jeune mère célibataire de 25 ans, Ueda ne pense qu’à deux choses dans la vie : l’alcool et la sieste. Qu’elle dorme après s’être complètement saoulée, ou qu’elle boive au réveil pour se désaltérer après ses heures de sommeil où elle n’a pas bu, une chose est sûre, elle n’a pas le temps de s’occuper de Hare. Son premier réflexe après avoir accouché de son second enfant est de boire ! (neuf mois d’abstinence, c’est dur). Irresponsable, fainéante, capricieuse, elle est particulièrement douée pour la chasse et ses techniques de combat viennent à bout des personnages les plus dangereux.
Issue d’une famille très bourgeoise, elle a quitté ses parents lorsqu’elle est tombée enceinte de Hare. Par la suite, elle retournera dans la maison familiale ce qui permet aux concepteurs de la série de situer dans des décors nouveaux les frasques de Hare et de Guu.
Article initialement paru dans AnimeLand.