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Summer Wars de Mamoru Hosoda

Deuxième film de Mamoru Hosoda, Summer Wars réussit à mélanger drame familial, comédie et science-fiction tout en rendant accessible au commun des mortels les problématiques les plus importantes de l’internet. Comment parvient-on à réaliser ce tour de force en moins de deux heures ? Voici quelques éléments de réponse.

Lorsqu’on lit un résumé de l’intrigue, on a l’impression d’être face à l’histoire banale de la belle et du geek : elle est jolie et sociable ; il est champion de maths et timide. Mais un jour, la souriante Natsuki propose à Kenji de jouer le rôle de son petit-ami face à sa famille durant un week end. C’est l’anniversaire de son arrière grand-mère et elle souhaite faire bonne figure. Évidemment le garçon accepte. On se doute que cette protohistoire d’amour se terminera bien. Mais l’essentiel du film est ailleurs.

À la fois réalisateur et scénariste du film, Mamoru Hosoda se sert de cette historiette d’amour fleur bleue comme d’un appât pour mieux nous faire pénétrer dans un récit plus complexe. Il s’agit de nous montrer les interactions humaines à la fois au sein d’une famille réelle et de l’univers virtuel. Et c’est dans la représentation de la toile mondiale que Hosoda réalise un premier tour de force.

Une autre image de l’informatique et du net

Depuis Tron (1982) et Ghost in the Shell (1995) dont l’imagerie a été reprise dans Matrix (1999), l’informatique est un monde globalement noir dans lequel évoluent parfois des éléments de couleurs primaires (les personnages rehaussés de traits bleus ou rouges dans Tron), des suites de codes binaires en vert ou des attaques de pirate sous la forme d’image de synthèse abstraite.

Face à cette imagerie qui se veut froide et technique, Hosoda oppose une esthétique Superflat. Désormais tout se déroule dans un univers d’un blanc immaculé où des créatures mignonnes et colorées flottent. Cette direction artistique était celle de l’artiste contemporain Takashi Murakami dans le court-métrage Superflat Monogram pour Louis Vuitton (par Mamoru Hosoda en 2003). C’était déjà par un espace blanc que le monde virtuel était représenté dans un précédent film de Digimon qu’il avait dirigé.

Dans Summer Wars, le monde virtuel d’OZ est une sorte de réseau social ultime où tout le monde est connecté à tout. Il ressemble à l’univers coloré et joyeux dans lequel la petite fille de Superflat Monogram est aspirée afin de retrouver son téléphone portable, telle une Alice au Pays de Merveilles moderne. On y trouve un même totem central souriant aux courbes douces et accueillantes. Pour signifier le piratage des données, cet espace est tagué mais reste toujours globalement blanc avec des tâches de couleurs vives.

Ce monde très blanc et très propre est également à rapprocher de la place des Mii où les avatars créés dans les consoles de Nintendo se regroupent. D’ailleurs plusieurs personnages du film se connectent à OZ via une console portable Nintendo DSi. Au noir de la fin du XXe siècle qui découvrait les possibilités de l’informatique et de la toile, succède ainsi le blanc du web 2.0.

Mais il ne faut pas croire que Hosoda fait l’erreur de la plupart des séries télévisées américaines lorsque les policiers experts en tout se mettent à utiliser l’informatique pour zoomer sur des pixels qui n’existent pas ou parcourir un succédané de Second Life. Dans le film tout est à la fois cohérent et très visuel. Le piratage des comptes d’utilisateurs est représenté par un avatar au sourire grimaçant volé au héros. Avec des grandes oreilles, il a tout du Mickey apprenti sorcier dans Fantasia (1940) qui fait voler les objets jusqu’à la catastrophe finale.

Par la suite, à force d’usurper et d’absorber de nouvelles identités, le programme pirate devient un dieu dans ce monde virtuel. Après tout, il en a les pouvoirs puisqu’il peut contrôler et dérégler tous les systèmes par le biais de ces identités volées. Comme les divinités bouddhiques, il est entouré d’une auréole et tient un vajra, arme traditionnelle représentant la puissance de la foudre. Une roue symbolisant le cycle de la vie est en arrière-plan.

Dans cette représentation innovante, le character designer réactive des symboles anciens en leur donnant une nouvelle signification qui colle parfaitement à l’état du monde virtuel d’OZ : le programme malveillant (Love Machine) a toutes les clefs du monde (main gauche)  et peut le détruire avec son arme (main droite). La roue devient non seulement le symbole de la vie mais comporte aussi les avatars usurpés. (D’ailleurs, étymologiquement, le mot avatar désigne une incarnation de dieu hindou. Par exemple : « Le sanglier, un des avatars de Vishnou » (J. Cuisinier, La Danse sacrée en Indochine et en Indonésie,1951, p. 86))

Les différentes formes de combat contre ce programme pirate sont également originales. Outre les arts martiaux, il y a une partie mémorable de Koi Koi, jeu traditionnel avec des cartes à jouer typiquement japonaises (Hanafuda). Là encore, les créateurs mélangent modernité et pratiques traditionnelles pour mieux expliquer visuellement ce qui se produit dans le monde virtuel et réel.

Enfin, contrairement à toutes les représentations de l’informatique et du net qui insistent sur la solitude des gens devant leurs écrans, Summer Wars met en avant les bienfaits des univers virtuels. Ainsi Kazuma, enfant maltraité par ses camarades de classe dans le monde réel, devient King Kazma, champion d’art martial dans OZ. Il s’y épanouit et retrouve ainsi un équilibre. Sa pratique martiale dans le monde virtuel et le monde réel vont de pair.

De même, la pratique des jeux vidéo est mise en valeur dans l’intrigue. Comme le dit l’un des personnages, des années de pratique sont utiles dans la bataille contre Love Machine. Le jeu donne ainsi des compétences et des réflexes qui sont cruciaux.

La solidarité entre joueurs et membres d’OZ est célébrée dans le combat final suivi par la population mondiale à travers les smartphones, moniteurs et consoles de jeu. Quel que soit le lieu et les moyens, tous se connectent pour suivre l’affrontement à l’image de cette famille rurale ou de cette population massée derrière le soldat en liaison satellite avec le monde virtuel. Le réseau social et la toile lient aussi bien les avatars virtuels que les êtres de chair et de sang.

Summer Wars innove donc à travers sa façon particulièrement séduisante de représenter la toile et les luttes s’y déroulant. Le film permet au spectateur de suivre l’intrigue quand bien même il ne comprendrait rien à la notion de compte piraté. Quant à la désorganisation des réseaux routiers et des systèmes d’alertes de tous les services publiques par le programme malveillant, elle rend tangible les effets de l’attaque virtuelle et montre à quel point tout est désormais interconnecté par le biais de l’informatique.

Une autre image de la femme

L’autre tour de force de Summer Wars est de mettre en avant une femme, qui plus est, une femme âgée de 90 ans : Sakae Jinnochi. Certes on a déjà vu beaucoup d’héroïnes dans les long-métrages japonais, entre les femmes fortes de Hayao Miyazaki (Nausicaä, Princesse Mononoke) et de Mamoru Oshi (Ghost in the Shell). La nouveauté ici est qu’il s’agit d’une personne (très) âgée. Tous les personnages sont réunis pour fêter son anniversaire et suivent ses ordres.

Face à la désorganisation des organismes publics et privés en raison du programme malveillant, la respectable doyenne n’hésite pas à prendre son téléphone à cadran pour appeler tous les membres de la famille qui travaillent à rectifier la situation et à houspiller les dirigeants qu’elle connaît pour qu’ils gardent la tête froide et s’organisent sans l’outil informatique.

De même lorsqu’elle comprend que Kenji n’est pas un mauvais garçon même s’il a fait semblant d’être le petit-ami de Natsuki, elle le force à protéger la belle malgré elle. Et en bonne descendante d’une famille de samouraï, elle sait utiliser le naginata (lame courbée au bout d’une lance) pour défendre son honneur.

Face à la doyenne, Natsuki paraît désarmante de naïveté au début du film. Mais les événements tragiques vont la forcer à murir et elle est un élément clef dans la lutte anti-piratage. Comme son arrière grand-mère, son avatar porte le kimono dans le monde virtuel et à la fin du film Natsuki porte celui que lui a offert Sakae dans le monde réel. Toutes deux jouent au Hanafuda de façon experte et toutes deux participent activement à la guerre contre le programme malveillant.

Sur les affiches, Natsuki est d’ailleurs mise au premier plan avec l’étendard de la famille. Elle symbolise le renouveau de cette longue lignée.

Une autre image de la famille

Dernier point sur lequel Hosoda innove est la représentation de la famille. Dans plusieurs interviews, le réalisateur a expliqué qu’il n’était pas très attaché à cette notion jusqu’au moment où il a rencontré celle de sa femme. L’histoire de Kenji et Natsuki est donc un peu celle de Hosoda qui découvre de quelle manière on peut s’intégrer et s’épanouir au sein d’une communauté familiale.

Dans cette famille, il y a bien sûr l’histoire des ancêtres et des batailles de samouraïs, mais il y a surtout une multitude de petits portraits permettant à chacun des personnages secondaires d’avoir une importance. Parmi eux, on trouve le policier nigaud, le fils prodigue mais né bâtard, l’enfant contrarié par la venue d’une petite sœur, le vieux bourru, etc. Chacun apporte une note d’humour ou de drame au film.

Le moment clef est bien sûr le repas où tous les membres sont réunis et peuvent dialoguer. Kenji leur explique d’ailleurs à quel point il est heureux de pouvoir participer à de tel repas, lui qui n’a jamais vraiment pu manger avec ses deux parents en même temps, chacun étant trop débordé pour partager ce moment de convivialité. Ainsi le film est ponctué par ces réunions autour de la nourriture : introduction d’un nouveau membre, dispute ou conseil de guerre. Tout se fait autour de la table à manger. Et quand ils ne mangent, on les voit préparer le repas.

Toutes les tensions familiales réelles se retrouvent dans la toile au moment de la guerre contre Love Machine mais les différents membres finissent par faire un front commun pour sauver OZ et le monde.

Summer Wars donne ainsi une image très positive de la famille sans pour autant atténuer les sources de conflit qui s’y trouvent. Drame et bonheur se succèdent rapidement pour mettre en scène le passage de témoin entre les générations.

En moins de deux heures, Mamoru Hosoda parvient à entrelacer le destin individuel et celui d’une famille, à mélanger monde réel et univers virtuel, à nous faire passer du rire aux larmes en nous permettant de réfléchir à ce qui fait le sel de la vie : les relations humaines IRL et IG.

  • Titre : Summer Wars
  • Année de sortie : 2009
  • Réalisateur : Mamoru Hosoda
  • Dialogues : Satoko Okudera
  • Durée : 1 h 54

Et si vous avez raté ce film, vous pouvez toujours vous rattraper en commandant le DVD.

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