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Ghost in the Shell Arise : le GITS le plus fidèle ?

Vous pensiez tout connaître de Ghost in the Shell (GITS) ? Vous pensez que le film de Mamoru Oshii a déjà tout résumé ? Vous n’aviez en réalité rien vu. Avec Arise, l’univers de Ghost in the Shell se dote d’un passé et l’œuvre de Masamune Shirow trouve enfin une adaptation fidèle à son esprit.

Je n’attendais pas grand chose de Ghost in the Shell Arise. Après tout, ce n’est que la Nième adaptation du manga de Masamune Shirow imaginé en 1989.

Visionnaire à son époque, l’œuvre cyberpunk a depuis tellement influencé les imaginaires que l’on pourrait presque dire qu’elle est devenue mainstream.

Le film de Mamoru Oshii de 1995 était la première adaptation du manga et il a fait le tour du monde, contribuant à populariser l’animation japonaise et influencer les réalisateurs d’Hollywood dont les frères Wachowski pour leur Matrix (1999).

Le second film d’Oshii, GITS : Innocence (2004) est plus un film d’auteur qu’une véritable adaptation et le réalisateur y montre son goût pour la littérature, les sciences et la philosophie à travers des dialogues truffés de références lettrées.

Mais pour le commun des mortels, le name dropping tombe à plat.

Quant aux fans de Shirow, ils restent sur leur faim car les films s’éloignent du scénario original et possèdent une atmosphère mélancolique (voire dépressive) qui n’apparaît pas dans le manga.

Récapitulation sur les adaptations

Parallèlement, le studio Production I.G. a mis en place un univers parallèle à travers une série télévisée : GITS Stand Alone Complex (GITS SAC).

Les 26 épisodes diffusés à partir d’octobre 2002 sont un peu plus fidèles au manga et se déroulent dans un monde où le major Kusanagi ne rencontre pas le Marionnettiste comme c’est le cas dans les films.

Le succès est tel qu’une deuxième saison de 26 épisodes (GITS SAC 2nd GIG) est inaugurée en janvier 2004, suivi par un OAV en 2006 Ghost in the Shell Stand Alone Complex Solid State Society (GITS SAC SSS pour les intimes — oui, même les abréviations commencent à être longue… habitude japonaise).

Le réalisateur Kenji Kamiyama propose un entre-deux en conservant la lenteur et les longs dialogues propres à Mamoru Oshii tout en racontant le quotidien de la section 9 comme c’est le cas dans le premier et le troisième manga de Shirow.

Il y a même un peu d’humour par le biais des Tachikomas, tanks dotés d’une intelligence artificielle (IA) et d’une voix haut perchée de gamine découvrant le monde.

Les mechas sont bien plus présents et les quelques scènes d’action sont relativement bien menées.

Il faut dire que cette fois-ci, Masamune Shirow a vraiment participé au projet en relisant et validant les scripts, en proposant des scénarios et en concevant les Tachikomas.

Malgré tout, GITS SAC n’arrive pas à passionner le grand public et les épisodes sont sans doute à réserver aux fans de SF.

Même si GITS SAC SSS est vraiment très intéressant au niveau de son scénario, il n’est pas bluffant au niveau technique et il ne peut pas faire de l’ombre au film de 1995.

Heureusement, les quatre longs-métrages de Ghost in the Shell Arise apportent un souffle nouveau à cet univers.

Se déroulant avant les événements décrits dans le manga original et les séries télévisées, ces OAV projetés au cinéma permettent d’explorer le passé de Motoko Kusanagi et les débuts de la section 9. Plus dynamique et plus dense, ces quatre épisodes valent le détour.

Enfin de la couleur !

Le réalisateur et character designer Kazuchika Kise n’est pas vraiment connu chez nous si ce n’est par les fans de Mylène Farmer pour qui il a co-réalisé le clip de la chanson « Peut-être toi » (2006).

Il travaille depuis longtemps chez Production I.G et a même participé au premier film de GITS en tant qu’animateur.

Pour cette série d’OAV, il a décidé de donner plus d’énergie à l’ensemble et cela passe notamment par un shoot de couleurs.

Si vous avez lu les manga de Shirow, vous savez que l’auteur adore les mélanges de teintes et les notamment les couleurs chaudes.

Pour la jeune Kusanagi, Kise a décidé de lui faire une coupe de cheveux plus courte et de lui donner une combinaison rouge correspondant à la fois à sa moto et son caractère flamboyant.

Le tout évoque inévitablement Kaneda dans Akira pour les vieux fans d’anime.

Mais contrairement au héros d’Otomo, Kusanagi utilise avant tout son cerveau avant engager le combat.

Si le premier épisode reste assez sombre avec les plans de nuit ou sous la pluie, la suite est un peu plus lumineuse et l’on s’éloigne avec bonheur du noir et vert.

Certes, l’univers de GITS est glauque, mais il est inutile de le matérialiser littéralement avec cette couleur en teinte générale (oui, glauque est une couleur).

Pour faire écho à la nouvelle tenue du major, le tank intelligent est lui aussi rouge. Le Logicoma accompagne notamment l’héroïne dans ses combats dans le monde réel et le virtuel.

D’ailleurs celui-ci est toujours matérialisé de manière assez sombre. Le cyberspace est avant tout un fond noir avec des objets aux traits de couleurs vives qui s’en détachent à peine.

Comme l’intégration de la 3D à la 2D est bien mieux maîtrisée par Production I.G., le tout est plus digeste qu’au début de GITS SAC.

Mais une autre image s’ajoute à ce noir sporadiquement éclairé, c’est celle de l’océan où l’on plonge comme l’on s’immerge dans la mer des données.

Kusanagi y nage avec une espionne arborant pour cette occasion un corps évoquant la sirène. La créature mythique est ensuite reprise dans le troisième volet de la série.

Ainsi, la série apporte une esthétique différente correspondant plus à l’accent mis sur l’action.

En rouge et noir, Kusanagi exilera sa peur opère sa transition entre l’unité 501 de l’armée et la section 9 où elle créée sa brigade.

Enfin de l’action !

Je n’ai vraiment rien contre les dialogues longs et les réflexions philosophiques sur l’humain et ce qui le distingue des machines. Bien au contraire !

Mais comme Masamune Shirow et Mamoru Oshii ont déjà longuement écrit sur le sujet, il est inutile d’insister lourdement.

Du coup, le scénariste (Tow Ubukata)et le réalisateur ont misé sur les scènes d’action. Très présents dans les mangas de Shirow, les combats manquaient un peu jusqu’à présent.

La série débute par la mort du Lieutenant Colonel Mamuro, supérieur hiérarchique et mentor de Kusanagi.

Elle enquête sur l’affaire malgré les réticences de son chef, Kurutsu, et les menaces de ses compagnons au sein de l’unité 501 de l’armée.

On pourrait s’attendre à une lente résolution du mystère mais dès ce premier volet, le major multiplie les corps-à-corps et les coups de feu.

Batou n’est pas encore un collègue mais un adversaire avec qui elle lutte durant les deux premiers épisodes.

De même, la première rencontre avec le flic Togusa se fait dans un hangar où une armée d’androïdes-bombes les poursuit.

Ces robots de combat ont les traits fins d’une jeune fille blonde, évoquant les marionnettes/prostituées d’Innocence. Mais elles se déplacent à quatre pattes comme de la fillette de l’Exorciste.

Quant à Paz, il croise Kusanagi dans une ruelle sombre où il se fait rapidement immobiliser au sol.

Après cette enquête, Ghost in the Shell Arise continue avec une course contre la montre.

Un ancien militaire condamné pour avoir commis un massacre dans un camp de réfugiés décide de hacker Pandore, système recélant tous les secrets militaires du Japon.

Kusanagi doit l’en empêcher en neutralisant son équipe au combat ou par la raison. Là encore les explosions sont nombreuses.

On pourrait croire que le troisième volet, centré sur la relation amoureuse du major et d’un médecin cybernéticien, serait plus tranquille mais il n’en est rien.

Il faut croire que les producteurs tiennent à un quota important de scènes d’action dans chaque OAV et ce n’est pas un mal.

Enfin des informations nouvelles !

La série sert avant tout à mettre en lumière le passé du major Kusanagi et donne ainsi beaucoup d’informations sur la création de la section 9 et ses membres.

Ceux-ci n’apparaissent pas vraiment dans les films en dehors de Batou et Togusa.

Dans GITS SAC 2nd GIG, certains épisodes permettaient de donner un peu de densité à des figures secondaires comme Paz ou Saito avec des scénarios focalisés sur ces personnages.

Ghost in the Shell Arise poursuit dans cette veine en mettant en scène la création de la brigade. Comme dans la série télévisée, le sniper de l’équipe est aussi un joueur invétéré.

Batou est un ranger prompt à dégainer qui a déjà eu affaire avec Kusanagi durant la Quatrième Guerre Mondiale.

Togusa est un jeune père encore complètement humain qui intègre l’équipe car il est totalement différent des autres membres plus ou moins cybernétisés.

(Attention : spoiler, allez directement à l’intertitre suivant)

Mais les informations les plus inédites concernent le major. Contrairement à ce que GITS SAC 2nd GIG laissait entendre, elle n’a pas été cybernétisée après un accident d’avion.

Elle annonce à Batou dès le premier volet qu’elle a toujours été un cyborg. Mais comme l’épisode met en place le virus « Fire Starter » qui créée de faux souvenirs et qui sert de fil narratif reliant les quatre OAV on peut se demander ce qui est vraiment réel dans cette histoire.

D’autre part, on comprend mieux pourquoi Kusanagi tient tant à son corps cybernétique qu’elle a longuement modifié pour qu’il imite celui d’un humain.

Elle prend des douches, mange et boit pour s’approprier un corps et y figer son « Ghost ». Il s’agit pour elle de se ressaisir au lieu de se perdre dans l’océan des informations.

À la fin du premier OAV, elle gagnait son indépendance par rapport à l’armée en gagnant le droit de disposer librement de son corps. À la fin du troisième, elle se transfère dans un corps neuf mais identique.

Entre les deux elle s’est fait détruire les membres plusieurs fois, a été infectée par un virus et l’on apprend qu’il existe des copies de son « Ghost ».

Avec tout cela on se demande comment elle parvient à rester « elle-même » et l’on comprend pourquoi elle avait besoin d’un homme lui faisant sentir qu’elle n’est pas un robot.

Comme vous le voyez les questionnements philosophiques sont également présents dans Arise. Mais ils se font de manière plus subtile qu’une joute de citations.

Toujours plein de références

Le titre initial de Shirow, The Ghost in the Shell, faisait initialement référence à un essai d’Arthur Koestler : The Ghost in the Machine (1967).

Ce titre était lui-même une référence à Gilbert Ryle qui dans The Concept of Mind (1949) critique le dualisme corps-esprit de Descartes.

Pour le philosophe français, le cogito ergo sum (« Je pense donc je suis ») désignait le moment où l’on peut être sûr d’exister puisque l’on a la conscience de penser.

Pour l’anglais Ryle, cette conception oppose le corps et l’esprit comme si la conscience était un « fantôme dirigeant une machine ».

Par la suite, il utilise la métaphore du « cheval dans la locomotive » pour reprendre la même idée.

C’est avec cette locution qu’a d’ailleurs été traduit l’essai de Koestler en français : Le cheval dans la locomotive : Le paradoxe humain.

Pour Ryle et à sa suite Koestler et Shirow, le corps et l’esprit sont liés, l’esprit n’étant finalement qu’une émanation du corps, une façon différente d’envisager le fonctionnement de celui-ci.

Dans les Ghost in the Shell Arise, ce thème du corps et de l’esprit est bien présent dès le début avec les souvenirs erronés et les visions perturbées, les changements d’identité et de corps.

Le terme Ghost au lieu de faire référence à la conscience comme dans le reste de l’univers prend d’autre sens dans les titres des films.

Dans le premier volet (ou Border 1 selon la terminologie de la série), le « Ghost Pain » évoque les membres fantômes, douleur réelle créée par le cerveau qui se souvient d’un membre ou un organe amputé.

Dans le Border 2, le Ghost désigne à la fois les fantômes des réfugiés massacrés mais aussi le véritable responsable de la situation.

Ghost in the Shell Arise se permet aussi d’autres clins d’œil plus léger comme la carte d’Akira Hose, spécialiste des prothèses cybernétiques et des jambes artificielles, dont l’un des modèles est Ariel, prénom de la petite sirène…

Le Border 4 qui sort le 6 septembre 2014 semble truffé de références au Magicien d’Oz avec deux personnages reprenant les noms de l’Homme de fer et de l’Épouvantail.

Comme dans les manga de Shirow, on trouve aussi quelques renvois évidents à la mythologie grecque : Pandore dans l’épisode 2 et Scylla dans le troisième. La première indication fait référence à la première femme qui ouvrit la boîte contenant tous les maux de l’humanité.

La seconde correspond à un monstre marin de la mythologie grecque qui est évoqué dans l’expression aller de Charybde en Scylla (« aller de mal en pis »).

Ces références ne sont pas des freins à l’appréciation de la série mais permettent d’y ajouter un peu de complicité avec le spectateur.

Pour moi, Ghost in the Shell Arise est le GITS le plus fidèle à l’esprit de Shirow : de l’action, des enquêtes, des mechas et un brin de réflexion pour lier le tout sans que les thèmes philosophiques sur le corps et l’esprit prennent le pas sur le reste.

Bien sûr, cette série n’aura jamais l’impact du premier film de Ghost in the Shell tout simplement car celui-ci était la première adaptation et l’un des premiers films médiatisés en Occident.

Mais Arise se laisse très agréablement regarder et met en scène des personnages qui semblent enfin vivants.

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