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Takehiko Inoue, la force et l’élégance

À quarante ans passé, Takehiko Inoue est l’un des artistes japonais les plus talentueux du moment. Il parvient à séduire la critique comme le public. Son trait réaliste s’adapte aussi bien à des récits contemporains qu’à la représentation des samouraïs de l’ère Tokugawa.

Né le 12 janvier 1967, Takehiko Nariai a toujours vécu parmi les mangas avant de prendre Inoue comme nom de plume et de mettre en cases ses propres récits. Comme il le déclare humblement dans Vagabond :

« Le dessinateur que je suis devenu ne saurait se passer des souvenirs qui me sont restés de tous ceux que j’ai dévorés. S’il m’arrivait de ne plus respecter mes prédécesseurs, j’aurais l’impression de me dévaluer moi aussi. Je ne suis pas seul, mais le maillon d’une chaîne ».

Même s’il a toujours aimé dessiner, il n’a fait son premier manga qu’à 18-19 ans. Il a participé à des concours de manga du magazine Shônen Jump. Il n’a pas reçu de prix, mais a été contacté par un éditeur.

Assistant de Tsukasa Hôjô durant une dizaine de mois, il a dormi dans le canapé du studio de l’artiste en attendant de trouver un logement. Il explique qu’il a sans doute provoqué plus de problèmes qu’il n’a aidé Hôjô.

À l’époque, il n’avait jamais travaillé avec un mangaka professionnel. Débarquant de son île, Inoue a ainsi appris sur le tas le métier de dessinateur de BD.

Avec Kaede Purple, il reçoit le prix Tezuka. Mais c’est avec Slam dunk que Takehiko Inoue rencontre un succès aussi spectaculaire qu’inattendu. Il y reprend le personnage de Kaede Rukawa, déjà apparu dans Kaede Purple.

Suivant les conseils de son éditeur, Inoue mélange récit sur un furyô (voyou), une histoire d’amour adolescente et des matchs de basket. Cela permettait de changer le récit d’orientation en cas d’échec.

Il faut dire qu’à l’époque, peu de gens auraient misé sur un manga de basket. Mais le succès est là. L’enthousiasme d’Inoue se révèle communicatif.

Basket forever

Si l’on évalue les sports à leur présence télévisuelle, on peut dire que le basket n’existe pas au Japon. D’ailleurs les multiples terrains de basket disponibles pour une pratique urbaine comme on peut en voir aux États-Unis sont totalement absent du quotidien des Japonais.

Grâce à Slam Dunk, ce sport a bénéficié d’une vitrine exceptionnelle. Et l’on pourrait presque dire que c’est grâce à Takehiko Inoue s’il y a aujourd’hui un joueur japonais dans une équipe de NBA (Yûta Tabuse).

Bien après l’arrêt de sa série, Inoue n’en oublie pas pour autant le basket. Certes, il n’a plus vraiment le temps de jouer. Mais il a créé un stage spécial permettant aux étudiants japonais d’apprendre l’anglais tout en faisant du basket dans une équipe universitaire.

Le « Slam dunk Scholarship » se déroule dans le Connecticut et vise à accroître les chances des bons joueurs japonais. Il s’agit de motiver les jeunes et de leur donner une possibilité de jouer avec de futurs professionnels.

Rappelons qu’il n’existe pas d’équipe de basket professionnelle au Japon contrairement à ce qui se passe aux États-Unis ou en Europe.

Artbook de Slam Dunk

Par la création de ce stage, Takehiko Inoue prouve qu’il est le meilleur ambassadeur de ce sport au Japon. Il met son talent et sa renommée au service du basket.

Après 31 volumes, en plein gloire, Inoue s’est arrêté au lieu de continuer sur sa lancée. Deux ans après la fin de sa série phare, l’artiste se lance dans un genre bien différent.

Il adapte en manga le roman d’Eiji Yoshikawa sur la vie de Miyamoto Musashi. À l’époque, les histoires de samouraïs ne suscitaient guère l’intérêt des jeunes Japonais.

Pourtant, en revivifiant le mythe, il redonne goût pour ce genre de manga historique et remporte à nouveau un succès mérité.

De la plume au pinceau

Le style graphique de Takehiko Inoue est reconnaissable entre tous : hyperréaliste et totalement maîtrisé. Il est sans doute le seul mangaka capable de donner à chacun de ses personnages un visage à la fois beau et distinct.

Contrairement à Tsukasa Hôjô ou Ryoichi Ikegami qui ont tendance à toujours dessiner les mêmes têtes avec des coiffures différentes, Inoue anime chaque visage d’une personnalité propre.

Il puise son inspiration dans les manga de son enfance et de son adolescence : Dokaben de Shinji Mizushima, Otoko Gumi de Ryoichi Ikegami et Ichi ni no Sanshiro de Makoto Kobayashi.

Dans Dobaken, (manga de base-ball), il recherchait les scènes les plus spectaculaires et les recopiait avec ferveur. Lorsqu’il a retrouvé des éditions originales de Dobaken, il a failli pleurer de joie en reconnaissant certaines couvertures qu’il avait redessinées lorsqu’il était plus jeune.

Même s’il a fait partie d’un club de basket durant ses études, on ne peut pas dire qu’il ait été très doué pour ce sport.

Pour représenter de manière réaliste les mouvements, il s’est sans doute plus tourné vers les images de son équipe préférée en action (Los Angeles Lakers) que vers ses souvenirs en tant que joueur.

Avec l’aide de photos et de vidéo, Inoue donne à son manga un réalisme encore jamais atteint.

Dessin de Slam Dunk d’après photo de la NBA

Lorsque Takehiko Inoue travaillait sur Slam dunk, il avait un rythme de travail très soutenu car la publication était hebdomadaire.

Toutefois, il avait encore du temps pour lui. Il n’était pas acculé dans les délais car l’intrigue était relativement linéaire. Pour chaque chapitre hebdomadaire, la semaine s’organisait de manière assez simple.

Il passait environ deux jours à dessiner le story board et trois jours pour dessiner et finaliser les planches.

Dans le cas de Vagabond, le scénario est bien plus étoffé, les personnages nombreux et le dessin plus travaillé. Il a notamment dû faire des recherches sur les costumes et autres détails de l’époque afin d’accroître le réalisme et la crédibilité de l’œuvre.

Pour finaliser chaque chapitre, il lui faut désormais deux ou trois semaines car il travaille désormais sans aucun assistant.

Inspiration

Être un auteur qui produit beaucoup de pages de manga, ne signifie pas que l’on ait toujours beaucoup d’inspiration. Takehiko Inoue va de librairie en librairie, flâne chez les disquaires ou dans des cinémas et des restaurants pour fuir le moment où il doit affronter la feuille blanche.

Ceci semble devenu un rituel hebdomadaire avant de se mettre au travail. Pour trouver son inspiration, il a besoin d’entendre ses morceaux de musique préférés et de voir des œuvres dans lesquelles l’auteur s’est totalement investi. C’est ce qui lui donne la volonté de se dépasser.

Travailler sur Vagabond est bien plus épuisant que de dessiner Slam dunk, mais la qualité graphique est meilleure et ne cesse de s’améliorer.

Vers le 14e volume, l’auteur a abandonné la plume pour se servir du pinceau. À l’époque, les fans avaient vivement protesté car le trait était différent et semblait au début moins maîtrisé.

Ces dessins sont à présent presque faits entièrement au pinceau et il use de moins en moins de trame sauf pour les décors.

Il se sert de multiples traits au pinceau pour créer les ombrages au lieu d’employer des trames différentes.

Après un brouillon rapide au critérium, qui lui permet de construire les poses des personnages, il dessine au pinceau par-dessus.

Cette technique lui permet de plus jouer sur les pleins et déliés de donner plus de souplesse et de chaleur au trait

À la plume les dessins pouvaient paraître un peu « froids » en raison du caractère réaliste de son style. Avec la plume, il y a une plus grande liberté et une plus grande gamme de traits. Il peut aussi jouer sur plusieurs styles de dessin à l’intérieur d’une même planche.

Très attentif à la qualité du graphisme, il a été un peu déçu par la série animée de Slam dunk. Il regrette que les impératifs d’une diffusion hebdomadaire prévalent sur la qualité du dessin.

Les personnages ont dû être simplifiés pour faciliter leur animation et ne ressemblent pas toujours aux originaux. Quant aux mouvements de basket, ils ne sont pas toujours très réalistes.

Lorsque la Shueisha propose une réédition de Slam dunk avec un format plus grand et une couverture cartonnée, Inoue en profite pour y insérer des planches en couleurs inédites et redessiner les couvertures pour que l’objet soit digne de son nom « Perfect Edition ».

Multi supports

Dessinateur de manga, Takehiko Inoue est aussi un touche à tout qui a essayé des supports de création très divers : internet, tableaux noirs et jeux vidéo.

Entre Slam dunk et Vagabond, il s’est occupé d’un manga en couleurs : Buzzer Beater. Les six pages hebdomadaires disponibles sur le net ont été réunies en 4 volumes aux éditions Shueisha.

Inspiré de Space Jam, cette BD colorisée par ordinateur est une expérimentation inédite dans le monde de la BD japonaise.

Autre originalité : le 8 août 2004, Inoue s’est offert une page dans les six plus grands quotidiens japonais pour remercier ses lecteurs et fêter les 100 millions d’exemplaires vendus de Slam dunk.

Il donne ainsi à ses fidèles lecteurs six portraits inédits des joueurs de la série. En décembre de la même année, la commémoration prend une tournure totalement inédite. Inoue propose en effet un « happening ».

Durant quatre jours, il dessine à la craie sur les 23 tableaux noirs d’un ancien lycée où est censée se dérouler l’intrigue de Slam dunk. Ces dessins constituent une série d’histoires courtes à propos de chaque personnage se déroulant 10 jours après la fin de la série.

Après trois jours de visites, les dessins sont effacés. Il ne reste de cet événement que quelques photos et un DVD (Slam dunk, 10 days after).

Dans un tout autre genre, Inoue participe à la création d’un jeu vidéo qui devrait sortir au Japon en décembre 2007. 

Lost Odyssey est développé par la société Mistwalker, créée par le père de la série des Final Fantasy, Hironobu Sakaguchi.

Takehiko Inoue s’est occupé du character design des personnages. Le héros, Kaim Argonar, est un homme condamné à vivre 1000 ans. Les raisons de cette malédiction sont à découvrir à travers les rêves et flash-backs de ce personnage peu commun dans un jeu de rôle sur console.

La transformation en 3D des dessins d’Inoue n’a certes pas du être facile en raison des nombreux détails et traits qui constituent son style. Mais le résultat est tout de même satisfaisant.

Le réalisme des personnages apporte à cette saga vidéoludique un côté dramatique qui sied à l’ambiance sombre du jeu.

Plus récemment, Takehiko Inoue figure parmi les artistes à être présenté lors du Tokyo Design Premio, une exposition temporaire à Milan qui présente les œuvres des plus grands designer de la capitale japonaise.

Comme on peut le constater, l’artiste est de plus en plus médiatisé et figure parmi les plus importants talents de la décennie.

Au XIXe siècle, le peintre Hokusai avait inventé le mot manga pour désigner les 15 volumes de dessins destinés à ses disciples pour qu’ils puissent voir les techniques de travail du maître.

Au XXIe siècle, Inoue fait de même mais en vidéo. Pour répondre aux demandes de ses fans non-japonais, il propose plusieurs longues séances de dessin qui nous permettent de voir comment il passe du brouillon à la version finale.

Dans les deux DVD du coffret Draw, il y a aussi un livret avec les planches au brouillon et les versions finalisées. Deux longues interviews permettent de mieux connaître le maître.

Inoue avoue que si pour lui dessiner est une chose naturelle, il ne sait pas lui-même ce qui le pousse à dessiner.

En fait, cela n’a que peu importe, du moment qu’il continue son œuvre pour notre plus grand plaisir.

Ne ratez pas non plus le beau livre de Takehiko Inoue consacré à Gaudi ! Et relisez Slam Dunk 😉

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