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Metroid Other M : interview de Yoshio Sakamoto et Yosuke Hayashi

Un an après l’annonce de Metroid Other M à l’E3, nous retrouvons Yoshio Sakamoto, le créateur de la série, et Yosuke Hayashi de la Team Ninja lors du salon californien. Les deux hommes nous parlent du choix de la Wii, de la place de ce Metroid dans la série et des jeux qui les ont influencés.

Pourquoi avoir choisi de commencer ce jeu par une cinématique reprenant la fin de Super Metroid ? Cela veut-il dire que les Metroid Prime n’étaient qu’une parenthèse dans la chronologie de la saga ?

Yoshio Sakamoto : Je n’irai pas jusque-là. Il ne faut pas exclure les épisodes Prime de la chronologie. Je fais des Metroiddepuis la NES, et lorsque Metroid Prime a été lancé avec son gameplay en FPS et la vue en 3D, cela a fait une coupure certaine. Cela reste néanmoins le même univers, la même Samus. Selon les jeux, certains ont plus mis l’accent sur l’histoire de l’héroïne et essayé de la développer. Lorsque la Team Ninja a commencé à travailler sur Metroid Other M, je leur ai dit qu’ils devaient s’affranchir de toute contrainte et se sentir libre d’aborder la saga comme ils l’entendaient. Je pense que tous les épisodes peuvent exister indépendamment les uns des autres mais ils forment tous la même histoire. Si on tient à situer Metroid Other M, on peut le placer entre Super Metroid etFusion. J’ai toujours pensé qu’il fallait combler le vide narratif entre ces deux jeux.

Samus est une femme de façon « accidentelle ». Cette donnée change-t-elle quelque chose dans les jeux ?

Yoshio Sakamoto : C’est vrai que tout est né d’une proposition d’un membre de mon équipe. À partir de là, Metroid a été l’un des premiers jeux d’action à proposer une héroïne et cela influe sur l’intrigue. Le fait le plus marquant est bien sûr qu’à la fin du jeu sur Game Boy, elle rencontre un bébé Metroid qui l’identifie comme sa mère. Ce développement narratif n’aurait jamais pu se produire si Samus avait été un homme et cela a un réel impact sur la fin du jeu puisque le bébé sauve sa mère. C’est sans doute l’une des scènes les plus marquantes de la série.

En dehors de la continuité avec Super Metroid, cette scène a-t-elle une conséquence sur la suite de l’aventure ?

Yoshio Sakamoto : Je ne peux pas vraiment vous répondre car je voudrais que les joueurs découvrent par eux-mêmes ce qu’il en est. La scène indique la continuité des titres et c’est aussi une scène clé dans Metroid Other M. En cours de jeu, les gens vont sans aucun doute devoir réviser leur opinion sur la scène par rapport aux décisions qui ont été prises. Il faudra donc jouer pour connaître la réponse.

Le jeu révèle-t-il des éléments sur le passé de Samus ?

Yoshio Sakamoto : Samus retrouve des personnes de son passé et cela nous permet de dramatiser les scènes. Il y aura donc beaucoup d’émotion dans ce titre. Nous avons développé le côté plus humain du personnage.

Dans les premiers Metroid, Samus était seule face au danger avec le temps qui défilait de manière très stressante. Qu’en est-il dans cet épisode ?

Yoshio Sakamoto : Je pense que vous retrouverez cette même impression de solitude, même si la mise en scène est différente. Elle va rencontrer des soldats qu’elle a connus et va même collaborer avec eux à certains moments. Mais même lorsqu’elle est entourée d’autres personnes, Samus reste un personnage solitaire. C’est dans son caractère et c’est quelque chose qui est intériorisé. Quant à l’impression de danger permanent et à la pression du temps, ne vous inquiétez pas, vous retrouverez cette ambiance !

Cet épisode est-il plus axé sur l’action ou sur l’exploration ?

Yoshio Sakamoto : Lorsque nous avons réfléchi au jeu, nous nous sommes vraiment beaucoup penchés sur le gameplay et nous avons essayé de le lier à l’intrigue à faire évoluer. Cela implique des passages obligés et un peu de linéarité. Cependant, il y a toujours une part d’exploration, des chemins alternatifs, des zones à découvrir. Ce ne sera pas un long couloir avec de l’action.

Y. Hayashi : C’est vrai que les jeux sur lesquels j’ai travaillé ne sont pas connus pour le côté aventure ou exploration. Mais au sein de notre équipe nous avons des membres qui apprécient ce type de jeu et nous avons fait en sorte que ce titre soit vraiment ressenti par les fans comme un vrai Metroid, avec notamment une réflexion sur le gameplay en 2D. J’ai rejoué aux jeux en 2D de la série et lorsque je sentais qu’un élément était vraiment typique de l’univers, j’ai essayé de le reproduire dans notre titre.

Pour moi, cela illustre vraiment la manière dont les différentes personnes ont collaboré pour élaborer un nouveau Metroid qui contente les fans.

Le deuxième Metroid est sorti sur Game Boy pour soutenir les ventes hardware. Est-ce pour des raisons de calendrier que ce nouveau Metroid ne sort pas sur 3DS ?

Yoshio Sakamoto : En fait, quand nous avons commencé à travailler sur le projet, nous ne savions pas grand-chose de la 3DS : ni à quoi elle ressemblait, ni ses capacités. Mais en dehors de ce problème de calendrier, il y a aussi des raisons qui nous ont poussés à choisir la Wii et un gameplay spécifique. Même si la 3DS avait existé au moment de la conception de ce Metroid, je pense que nous aurions choisi de porter le titre sur Wii car le support est plus adapté à ce que nous voulions réaliser avec l’alternance des vues à la première et à la troisième personne.

Qui est à l’origine de l’alternance de gameplay entre la vue à la première et la vue à la troisième personne ?

Yoshio Sakamoto : Cette alternance de gameplay était vraiment au cœur du projet que je souhaitais réaliser et je ne pouvais pas le faire seul. C’est pourquoi j’ai demandé la collaboration de la Team Ninja.

Y. H. : J’ai beaucoup travaillé sur les jeux d’action en 3D. La plupart du temps, je me disais qu’il y avait trop de boutons sur le pad et que le gameplay devenait trop complexe, au point que certains joueurs ne profitaient pas de toute l’expérience de jeu car ils ne pouvaient pas bien le maîtriser. Je me suis dit qu’il fallait essayer de faire un jeu d’action avec un nombre limité de boutons. C’était un challenge que je souhaitais relever, et lorsque M. Sakamoto est venu me présenter le projet, j’ai été absolument ravi !

La simplicité des commandes n’entraîne-t-elle pas un manque de précision ?

Y. H. : En limitant les commandes, nous essayons aussi de créer une prise en main plus intuitive et plus naturelle. Au lieu de réfléchir à la création d’un long manuel explicitant ces commandes, nous faisons en sorte que le joueur découvre les multiples possibilités avec les commandes limitées. Bien sûr, il y a des commandes contextuelles. Lorsque vous êtes à proximité d’un certain type d’objet et que vous appuyez sur l’un des boutons, le personnage fait une action précise. Celle-ci se montre différente s’il est près d’un autre objet ou dans un autre lieu. Avec une même commande, il est donc possible d’accomplir une multitude d’actions différentes.

Comment les cinématiques s’intègrent-elles dans le jeu ?

Yoshio Sakamoto : Nous avons confié leur création à D-Rocket qui s’était chargé des cinématiques des titres de Team Ninja chez Tecmo. Je ne dirai pas que nous étions des équipes différentes mais plutôt une même grande équipe avec des missions spécifiques. Nous avons fait en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d’ondes. Ces cinématiques sont au cœur de l’expérience que nous voulions créer. Il ne s’agit pas de jouer puis de regarder un morceau de film mais d’intégrer les séquences au jeu. Nous avons donc beaucoup discuté pour que tout le monde aille dans la même direction. La collaboration avec Tecmo, Team Ninja et D-Rocket a été très étroite et poussée.

Plus les équipes sont grandes, plus la gestion est difficile. Comment votre collaboration s’est-elle passée ?

Yoshio Sakamoto : C’est vrai que travailler avec des petites équipes permet de faciliter la communication et d’accentuer la réactivité des gens. Je ne peux pas dire que je regrette l’époque où les équipes étaient plus petites, comme à mes débuts. Pour ma part, j’ai toujours l’impression de travailler avec de petits effectifs car je m’occupe aussi de jeux DS qui nécessitent moins de personnes. Pour les jeux consoles, vous êtes obligés de travailler avec des équipes plus grandes et la communication devient effectivement quelque chose d’essentiel.

Lorsque vous êtes capable de faire en sorte que tout le monde travaille dans le même sens avec une vision commune, tout devient plus simple. C’est cette bonne communication entre les membres qui fait que le jeu est bon ou mauvais, quel que soit le nombre de personnes. C’est aussi pour cette raison que j’ai choisi de travailler avec Tecmo. J’ai senti que nous nous comprenions parfaitement et que nous avions le même esprit. Dans ces conditions, il n’y a pas de différence entre travailler avec une grande ou une petite équipe.

Y. H. : Il faut bien comprendre que faire un jeu vidéo est très différent que d’organiser un match « All Stars » de base-ball dans lequel toutes les célébrités ultra-compétentes de différentes équipes se retrouvent soudain pour jouer un match ensemble. Il faut plutôt voir cela comme un sport collectif où tout le monde partage la même envie, et c’est ce qui rend les choses intéressantes et attrayantes.

La 3D vous oblige à créer des univers plutôt photoréalistes. Cela nuit-il à la fantaisie ?

Yoshio Sakamoto : C’est vrai, on peut se dire que ce Metroid est l’un des plus réalistes au niveau des images. Mais il y a une différence entre le graphisme et le ressenti. Le plus important est de donner une impression globale réaliste, de créer une cohérence du monde fictif. Une fois que vous avez posé les éléments de vraisemblance, il n’y a pas de limitation sur ce qui est faisable ou pas, et cela vous laisse une grande marge de manœuvre.

L’important est d’immerger le joueur dans l’univers et qu’il pense que tout ce qui s’y trouve est « vrai », même s’il y a des choses qui peuvent être de l’ordre du fantastique. Samus a plein de capacités particulières dont certaines peuvent sembler irréelles. Mais vous pouvez noter qu’elle ne se téléporte pas. L’accent est plutôt mis sur le personnage et l’utilisation de ses pouvoirs pour se déplacer et explorer le monde. C’est vraiment ce qui définit cette série de jeux. C’est une sorte de thématique dominante, quelque chose qui serait de l’ordre de la grammaire de tous les Metroid.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans le jeu vidéo ?

Yoshio Sakamoto : Quand j’ai commencé le jeu vidéo, il n’y avait pas vraiment un marché développé comme aujourd’hui. Donc je ne peux pas dire que tel ou tel jeu m’a donné envie de me lancer et de faire mieux. J’ai par exemple beaucoup aimé Donkey Kong. En fait, j’étais plus influencé par les autres médias du divertissement. Le cinéma est vraiment ma plus grande source d’inspiration. J’aime particulièrement les films d’un cinéaste italien nommé Dario Argento : Suspiria, Deep Red

Y. H. : Quand j’étais petit, je jouais à la NES et j’étais totalement absorbé par les jeux. Je ne pensais pas pouvoir faire autre chose. À l’école, je jouais aussi au jeu de M. Sakamoto et à présent que j’ai la chance de travailler avec lui, je suis vraiment très fier ! J’ai aussi adoré Super Mario Bros. qui m’a beaucoup marqué !

Yoshio Sakamoto : Moi aussi ! Ce n’est pas le titre qui m’a donné envie d’entrer dans le monde du jeu vidéo, mais il a eu une très grosse influence sur ma façon de penser le jeu et cela m’a ouvert les yeux sur les possibilités de ce média.

Y. H. : J’ai aussi été très impressionné par Policenauts de Kojima. J’ai apprécié sa manière de réaliser le jeu et de diriger le joueur dans une situation ou une autre. Néanmoins, je suis plutôt tourné vers la réalisation de jeux d’action !

Entretien initialement publié dans IG Magazine.

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