Catégories
Jeu vidéo

Panopticon et jeu vidéo

Quel est le point commun entre le jeu pour PS Vita Freedom Wars de Sony, la console Xbox One de Microsoft et la philosophie ? 

En 2014, Sony va sortir un jeu dont le nom de code provisoire a beaucoup fait rire les journalistes de Gamekult : « panopticon ». Ils ont dû se dire que c’était un nom qui sonne un peu « débile » pour le public occidental mais que les Japonais sont sans doute voulu bien faire avec un titre qui donne l’impression d’être occidental… En réalité, les créateurs chez Sony sont bien plus cultivés qu’on ne le croit et ils faisaient référence au panoptique de Foucault, philosophe pourtant bien français.

Michel Foucault. Pas Jean-Pierre.

Dans son livre Surveiller et punir (1975), Michel Foucault examine de quelle façon les philosophes, architectes et économistes se sont penchés sur la question des sanctions et de la gestion des criminels. Jeremy Bentham, philosophe anglais du XVIIIe siècle avait conceptualisé une prison modèle où tous les prisonniers seraient enfermés dans une structure circulaire : le panopticon.

Au centre du cercle, une tour occupée par un surveillant serait érigée. De cette façon, le garde pourrait avoir une vision panoramique de toute la prison, les prisonniers pourraient tous être vus. La surveillance serait d’autant plus efficace que ceux-ci se surveilleraient également les uns les autres. Enfin, ce dispositif permettrait de faire des économies puisqu’un garde seul pourrait surveiller tous les prisonniers. Le nom de ce dispositif de pouvoir alliant regard asymétrique, savoir sur les criminels et architecture montre bien que la vision équivaut à une coercition.

Selon Foucault, le panopticon est essentiel dans la mise en place de notre société moderne où tout est quadrillé, quantifié et examiné :

« Dispositif important, car il automatise et désindividualise le pouvoir. Celui-ci a son principe moins dans une personne que dans une certaine distribution concertée des corps, des surfaces, des lumières, des regards ; dans un appareillage dont les mécanismes internes produisent le rapport dans lequel les individus sont pris. Les cérémonies, les rituels, les marques par lesquels le plus-de-pouvoir est manifesté chez le souverain sont inutiles. Il y a une machinerie qui assure la dissymétrie, le déséquilibre, la différence. Peu importe, par conséquent, qui exerce le pouvoir. »

Pour Foucault, le panoptique est d’une façon plus général le dispositif qui permet de voir sans être vu et d’instaurer une relation de savoir et de pouvoir dissymétrique. La multiplication des caméras de surveillance, des différents moyens de traquer les activités des utilisateurs par des moyens électroniques, tout ceci relève du panoptique.

Que voit on dans la bande annonce du jeu de Sony ? Des caméras de surveillances dans une mégalopole, des informations sur chaque individu accessibles par le biais de la réalité augmentée, une prison et ses prétendus criminels. Les Japonais utilisent donc à bon escient le terme « panopticon ».

Malheureusement, il faut vendre et peu de gens connaissent les théories de Michel Foucault. Donc le nom définitif du jeu est Freedom Wars. Et comme il est toujours plus simple de refaire un concept qui marche, le jeu ne sera finalement qu’un jeu d’action à la Monster Hunter.

Xbox One is watching you

Pendant que Sony finit son jeu vidéo d’action, Microsoft s’apprête à sortir une console où une caméra braquée sur le consommateur sera toujours allumée. La Xbox One est livrée avec Kinect alors que pour la précédente console Xbox 360, il fallait acheter la caméra à part. Désormais, lorsque vous regarderez la télévision ou jouerez, votre console vous observera aussi. Impossible d’éteindre Kinect sans éteindre la console. Plus encore, il semble que Microsoft ait acquis un brevet pour surveiller le nombre d’utilisateurs et si celui-ci dépasse le nombre autorisé, la console pourrait demander à son propriétaire d’acheter une licence d’utilisation étendue. Pour le moment Microsoft reste vague sur l’implémentation de ces potentielles fonctionnalités de surveillance. Toutefois, cette situation n’est pas sans rappeler les télévisions dans le roman 1984 d’Orwell : elles étaient à la fois un instrument de lavage de cerveau et de propagande mais aussi un moyen de surveillance de la population. Dans les deux cas, il s’agit d’un dispositif panoptique où l’on est vu sans possibilité de voir qui nous observe ou de dialoguer avec celui-ci.

Ces deux références au panoptique ne doivent pas nous faire oublier qu’en réalité, dans notre monde hyper connecté, nous sommes déjà soumis à une surveillance continue que ce soit par le biais de nos téléphone portable, nos cartes de transport magnétiques, nos recherches sur internet, ou les réseaux sociaux où nous laissons volontairement des données personnelles. Et la création des Google Glass avec des informations en réalité augmentée et possible reconnaissance faciale ne va certainement pas arranger les choses.

Qu'en pensez-vous ?