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Questions à Paolo Pedercini, cofondateur de Molleindustria

Artiste, enseignant et concepteur de jeux, Paolo Pedercini est l’un des membres fondateurs de Molleindustria. Sur ce site, divers jeux Flash apportant un regard critique sur l’actualité et la société moderne sont régulièrement mis en ligne. Il nous explique sa démarche.

Que signifie « Molleindustria » et pourquoi avoir choisi ce nom ?

Paolo Pedercini : « Molleindustria » signifie littéralement en italien « industrie douce », « usine douce ». C’est une référence au paradigme du postfordisme et du capitalisme industriel pour lequel la valeur réside dans les biens immatériels.

Comment votre projet et votre site ont-ils débuté ?

Paolo Pedercini : Au début, c’était un projet de média activiste, c’est-à-dire que nous cherchions à transformer les médias de manière créative pour stimuler la pensée critique. Vous savez, nous avons un gros problème en Italie : notre Premier ministre contrôle les trois chaînes de télévision publiques et il est également le propriétaire des trois autres grandes chaînes commerciales. C’est pourquoi durant la dernière décennie, beaucoup de groupes se sont formés pour créer des moyens de communication alternatifs comme des sites d’information indépendants, de petites stations de télévision pirates, des canulars médiatiques pour faire réagir les gens ou encore des performances dans des espaces publics. Nous avons essayé de faire la même chose dans le domaine du jeu vidéo et d’internet.

Comment choisissez-vous le thème ou le gameplay de vos jeux ?

Paolo Pedercini : Cela dépend du projet. Parfois, c’est le thème qui vient en premier. Parfois c’est le message à faire passer qui vient avant de trouver un thème. Dans le cas d’Oiligarchy, l’idée du jeu est liée à mon déménagement vers les États-Unis. C’est à ce moment que j’ai découvert à quel point la voiture tenait une place essentielle dans la société et la culture du pays. Dans tous les cas, le gameplay vient après le choix du sujet. Il ne nous est jamais arrivé de nous dire que tel ou tel mécanisme de jeu était cool et que nous devions essayer de trouver un commentaire critique à faire passer par ce biais.

Vous avez eu des problèmes avec le Vatican et des groupes islamiques. Avez-vous été surpris par ces réactions ou est-ce quelque chose que vous avez cherché à susciter pour vous faire connaître ?

Paolo Pedercini : Nous avons effectivement eu des problèmes avec des associations catholiques et des partis politiques à cause du jeu Operation Pedopriest. C’était un jeu provocant et il a été publié dans un climat particulièrement tendu. Les activistes chrétiens faisaient fermer les expositions artistiques sous prétexte que les œuvres étaient « offensantes » et un documentaire très important sur les scandales sexuels au sein du clergé a été banni des antennes de la télévision publique. Avec tous ces événements d’envergure, nous avons vraiment été surpris de voir que notre petit jeu un peu stupide a été l’objet de débat au Parlement comme s’il s’agissait de pornographie infantile !

Dans le cas de Faith Fighter, le titre a été critiqué par un groupe islamique assez important et plusieurs tabloïds qui l’ont présenté comme un jeu anti-islamique. Malheureusement pour nous, les grands médias se sont contentés de mettre l’accent sur cette polémique au lieu de présenter objectivement le jeu. Dans les deux cas, nous sommes particulièrement frustrés car les jeux ont été présentés de façon totalement biaisée par des personnes qui visiblement n’y ont jamais joué.

Que pensez-vous de l’industrie du jeu vidéo ?

Paolo Pedercini : Les jeux mainstream sont coincés dans les mêmes genres qu’il y a des années. Ce sont toujours des jeux de sport, des titres de franchises et des suites qui dominent le marché. Même s’il y a eu une véritable avancée technologique, il n’y a pas eu d’innovation dans le domaine du gameplay ou du langage propre au jeu vidéo. L’industrie du jeu présente de nombreuses similitudes avec celle du cinéma hollywoodien à l’âge d’or : une grosse concentration des capitaux pour produire une poignée de films dans des genres populaires.

Le problème tient au fait que plus le budget est important plus les gens sont enclins à être conservateurs : personne ne veut prendre le risque de proposer de nouvelles formes de jeu ou de gameplay. Et je ne vous parle même pas de traiter des sujets potentiellement polémiques.

Néanmoins, il y a une scène indépendante qui se développe, qui change peu à peu les règles et apporte des expérimentations inédites vraiment nécessaires pour faire avancer le média.

Les jeux vidéo sont de plus enplus institutionnalisés et présentés dans des musées. Qu’en pensez-vous ?

Paolo Pedercini : Cela dépend des œuvres et des situations. Ce qu’on appelle le « game art » est actuellement le courant le plus à la mode dans les médias. Bien sûr, il y a parmi ces productions de très belles réalisations et d’autres plus contestables. De façon générale, je pense que cette tendance permet d’élargir le public et de montrer ce que sont l’esthétique infographique et les œuvres interactives, car le jeu vidéo est un média populaire et accessible. Il y a une chose qui me semble en revanche plus problématique : ce sont les expositions dites « historiques » qui mettent en scène des jeux vidéo commerciaux dans un contexte culturel ou artistique. J’ai surtout l’impression que c’est une manière bon marché d’attirer le public et je me demande si l’argent des contribuables n’est pas employé de façon discutable.

Pourriez-vous expliquer les notions de « radical game » et de « serious game ». Sous quelle étiquette mettre vos jeux ?

Paolo Pedercini : Radical game est en fait un nom un peu ridicule que j’emploie pour désigner certains titres. Assez peu en réalité. Sous la dénomination « serious game », il est possible de ranger les jeux d’entraînement, des jeux à vocation publicitaire ou éducative. Parmi les exemples bien connus, il y a America’s Army, un FPS qui permet de recruter des soldats pour l’armée américaine. C’est un serious game au sens le plus strict. D’un autre côté, je pense que tous les jeux sont « sérieux » étant donné qu’ils sont porteurs de messages et incarnent d’une façon ou d’une autre des valeurs. C’est le cas de tous les titres, même les produits commerciaux destinés à n’être que des divertissements.

La suite dans IG Magazine 14.

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