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SEGA : c’était trop fort pour nous ?

En 2001, Sonic a dix ans et SEGA abandonne la production de consoles. Depuis lors, le hérisson bleu un peu orphelin sans sa machine a subi de multiples modifications sur les plans de l’esthétique et du gameplay. Comme la société de jeux vidéo dont il est la mascotte, il a dû beaucoup évoluer en peu de temps pour survivre.

En novembre 2000, Hideki Sato, vice-président de SEGA, est confiant car la Dreamcast possède un avantage de taille par rapport aux autres consoles :

À l’heure actuelle, la Dreamcast est la seule console reliée à Internet par le biais d’un modem. De plus, son positionnement et son concept diffèrent de ceux de la concurrence. En préparation d’un temps qui arrivera bientôt, lorsque le réseau deviendra en lui-même la plateforme de jeu, nous sommes en train d’opérer une transition de ’’fournisseur de produits’’ à ’’fournisseur de format’’, d’architecture pour les jeux. Pour cela, nous allons poursuivre le développement de nos opérations en portant l’architecture de la Dreamcast à d’autres supports […]

SEGA en ligne

Précisons qu’entre décembre 1994 et juillet 1998, les possesseurs américains de la Mega Drive pouvaient accéder à SEGA Channel, plateforme de téléchargement de jeux et de démos par le biais d’Internet.

En partenariat avec Time Warner Cable et TCI, un technicien venait installer un gros modem et avec votre abonnement d’environ 15 $ par mois, vous pouviez découvrir Shining ForceSonic 3D Blast et des jeux exclusifs à cette plateforme.

Bien sûr, certains des jeux qui « passent » par ce canal de distribution sont un peu amputés de personnages, comme le Street Fighter II Special Champion Edition. Il n’empêche que pour 1994, c’est une petite révolution.

De l’autre côté de la Manche, certains Anglais ont également pu profiter de l’internet par le câble et de SEGA Channel. Une raison de plus pour les trouver perfides.

Avec le modem inclus dans la Dreamcast et le réseau Internet SEGAnet, la société compte généraliser l’expérience et anticiper l’avenir de l’industrie du jeu.

En septembre 2000, le service est disponible aux États-Unis et divers jeux réunissent les joueurs des deux côtes américaines : ChuChu Rocket !, NBA 2KNFL 2K et tous les titres de sport de Visual Concept, Bomberman OnlinePhantasy Star OnlineQuake III ArenaUnreal Tournament...

Parallèlement, au Japon, SEGA relie les salles d’arcade et les bornes entre elles pour avoir un réseau connecté à travers tout le pays et permettre aux joueurs de toujours trouver un partenaire même s’il n’est pas physiquement dans la même salle.

En France la pub télévisée essaie de promouvoir l’utilisation de la console pour se connecter à Internet.

SEGA misait donc sur le jeu en réseau depuis très longtemps et a tout fait pour mettre en place ces plateformes en ligne. Elle avait raison : le jeu en ligne et la distribution numérique sont de nos jours monnaie courante.

Et le fait que Valve, qui a le quasi-monopole de la distribution en ligne, veuille sortir une console liée au Net (Piston) est en quelque sorte l’illustration de ce que SEGA avait pressenti dès la fin des années quatre-vingt-dix.

Hélas, cela ne lui a pas servi à grand-chose. En 2001, la société opère bien une transition de taille : elle passe de constructeur de consoles à simple éditeur tiers. En 2004, la transformation se poursuit et SEGA fusionne avec Sammy, société leader dans les pachinko et pachislot.

Depuis lors, la part du jeu vidéo pour console ne cesse de régresser dans les activités de la firme. Comment en est-on arrivé là ?

Choc des cultures

SEGA a toujours beaucoup investi dans la création de machines, que ce soit pour l’arcade ou pour le salon. On peut d’ailleurs penser que cette course à la puissance a été menée au détriment de la rentabilité, le constructeur sortant beaucoup de consoles en peu de temps, ce qui laisse une durée très courte pour vendre les jeux et installer une base d’utilisateurs.

Le développement de la Dreamcast est assez symptomatique de l’argent dépensé en recherche et investissement technique : en 1997, Shoichiro Irimajiri, vice-président de SEGA Japan, décide de mettre en concurrence deux équipes pour créer une console afin de contrer Nintendo.

D’un côté, une équipe japonaise sous la houlette d’Hideki Sato (projet Dural) ; de l’autre, l’équipe américaine de Tatsuo Yamamoto d’IBM (projet Black Belt). Cette dernière décide d’utiliser une carte graphique 3D de 3Dfx Interactive qui lui concocte une version spéciale de la Voodoo 3. SEGA aurait même investi deux millions de dollars dans cette carte.

Mais c’est avant que la société californienne entre en Bourse et dévoile aux yeux de tous le fait qu’elle travaille sur la prochaine console de SEGA.

Est-ce à cause de cette « fuite » que la firme au hérisson décide de ne plus travailler avec 3Dfx ? Est-ce à cause de la compétition interne qui explique que les décisionnaires japonais préfèrent travailler avec NEC, entreprise japonaise ?

Quoi qu’il en soit, les ponts sont rompus et l’équipe du projet Black Belt doit faire ceinture. Plus encore : cette même année 1997, 3Dfx Interactive lance un procès contre SEGA, lui réclamant cent millions de dollars pour avoir rompu le contrat et l’accusant d’espionnage industriel.

Ce point litigieux avec 3Dfx a une autre conséquence fâcheuse : EA, l’un des éditeurs tiers soutenant SEGA depuis ses débuts, a investi dans 3Dfx… Ce détail a peut-être pesé par la suite dans les négociations.

Il faut dire que l’éditeur de San Francisco et la société japonaise ont eu une relation un peu particulière. Pour la Mega Drive, EA avait réussi par retro engineering à créer un kit de développement sans payer de royalties à SEGA, qui a finalement laissé faire.

Cela a été bénéfique pour les deux firmes puisque les jeux de sport d’EA ont été un vrai succès sur le marché américain, ce qui a permis à l’éditeur de devenir un poids lourd dans l’industrie et au constructeur d’imposer sa console sur le territoire américain de façon plus efficace.

Lors des négociations entre les deux partenaires pour le lancement de la Dreamcast, la relation symbiotique a été rompue. Selon Bernie Stolar, alors président de SEGA of America, Larry Probst (président d’EA) aurait demandé à avoir l’exclusivité des jeux de sport sur la nouvelle console puisque le constructeur lui refusait les accords avantageux des précédentes machines.

Or SEGA a racheté le studio Visual Concept pour dix millions de dollars peu de temps avant. Spécialisé dans les jeux de sport, celui-ci pouvait aisément rivaliser voire faire mieux que les studios d’EA. La série des NFL 2K, NBA 2K et autre en témoignent.

Du coup, SEGA a préféré miser sur ses propres titres plutôt que sur EA. Madden NFL 99 sort alors sur PlayStation, Nintendo 64 et PC. Même si la plupart des critiques préfèrent NFL 2K, la puissance marketing d’EA et sa base de fans l’emportent d’un point de vue commercial.

À défaut des licences phare d’EA, SEGA possède de nombreuses marques exclusives qui auraient pu lui assurer un bon lancement : Jet Set RadioShining ForceCrazy Taxi

Mais cela n’a pas été suffisant face à la PlayStation. SEGA a manqué de financement pour imposer sa console par le biais du marketing et de la communication.

Contrairement au lancement de la Xbox et à Microsoft, qui a un trésor de guerre dans lequel puiser grâce à son activité principale de vendeur de logiciels, la société n’a pas d’activité secondaire très rentable où prendre de la trésorerie, puisque sa seule autre activité est l’arcade, qui coûte également très cher.

Revenir en ligne

Après l’abandon de son activité de constructeur de consoles, SEGA tente de sauver son volet arcade et de se concentrer sur la publication de jeux en tant qu’éditeur tiers.

Hélas, le marché de l’arcade décline et les jeux édités pour le marché des consoles ne sont pas assez rentables. En 2004, SEGA fusionne avec Sammy, entreprise spécialisée dans les pachinko et pachislotsurtout connue pour son exploitation de la licence Hokuto no Ken (Ken le Survivant) en machines à sous.

Depuis lors, l’activité de publication et de production de jeux pour le marché des consoles a été réduite d’année en année suite à de mauvais paris. En 2006, environ 50 % des revenus de SEGA Sammy venaient des machines à sous et seuls 16,3 % provenaient des jeux vidéo…

Alors que SEGA affichait fièrement les photographies des créateurs de jeux dans ses rapports annuels aux investisseurs, SEGA Sammy évoque à peine le « consumer business » (jeux vidéo hors arcade).

En 2008, SEGA a pourtant essayé d’innover et s’est lancée dans la création de nouvelles licences en signant quatre titres avec PlatinumGames, studio prestigieux comptant dans ses rangs Shinji Mikami (créateur de Resident Evil), Hideki Kamiya (Devil May Cry) et Atsushi Inaba (OkamiViewtiful Joe).

Le premier fut un four : Madworld, exclusivité Wii de 2009, était un bon jeu sur la mauvaise console ; le public plus casual de la console Nintendo n’a pas compris l’intérêt de ce titre violent à l’esthétique très tranchée. Bayonetta (2009) a bien dépassé le million d’exemplaires vendus, mais est loin des chiffres espérés.

De son côté, Vanquish, autre titre développé par les Japonais de PlatinumGames, n’a même pas atteint le million. Espérons qu’Anarchy Reigns du même studio fasse mieux (annoncé dès 2010 mais sorti seulement début 2013 en Occident ; lire la critique dans IG magazine 24, p. 60).

De la même façon, les ventes de Binary Domain de Toshihiro Nagoshi, sorti en 2012 et destiné à un public occidental, se sont révélées très décevantes.

Or développer des jeux sur les consoles actuelles coûte très cher, d’autant plus quand il s’agit de nouvelles marques difficiles à installer dans un marché déjà bien rempli. Ce n’est pas pour rien que SEGA semble bien décidée à ne pas refaire les mêmes erreurs et à se concentrer sur ses marques déjà bien installées…

SEGA n’arrivant pas à lancer de nouvelles licences, la firme tente de capitaliser sur le quota de sympathie de sa mascotte Sonic en le mettant presque à toutes les sauces.

Le hérisson participe aux Jeux Olympiques en Chine et en Angleterre avec son ex-ennemi Mario, tout en faisant du tennis et de la course automobile. Plusieurs jeux Sonic sortent en parallèle soit sur les plateformes dématérialisées (Sonic 4) soit en boîte (Sonic Generations en 2011)…

Les anciennes licences de l’éditeur ressortent sur les consoles portables, les consoles virtuelles et les smartphones dans des portages plus ou moins réussis. Ce n’est sans doute pas très original comparé à ce que peut faire PlatinumGames mais c’est dans cette voie que SEGA compte poursuivre à l’avenir.

En dehors des jeux pour console, SEGA a acquis deux grands studios de jeux PC. En 2005, SEGA jette l’éponge en ce qui concerne les jeux de sport sur console en revendant la perle Visual Concept pour vingt-quatre millions de dollars à 2K. C’est désormais sous le label 2K Sport que Visual Concept développe NBA 2K qui ravit les fans de ce sport au point qu’EA a arrêté de faire des jeux de basket.

La même année, l’éditeur acquiert The Creative Assembly et la licence Total War, titre leader dans le marché des jeux de stratégie sur PC, et poursuit un an plus tard avec l’acquisition de Sport Interactive, créateur de Football Manager, jeu de gestion toujours sur PC.

Dans les deux cas, il s’agit de licences élaborées en Angleterre et en quasi-hégémonie sur leur segment de marché. Plus récemment, SEGA a racheté le studio Relic à THQ afin d’ajouter une autre licence de jeu de stratégie PC à son escarcelle : Company of Heroes. Actuellement, en Occident, la firme au hérisson est donc sans doute plus un bon éditeur pour PC qu’un bon éditeur pour console.

Et pendant ce temps, alors que SEGA essaie de se faire une place parmi les autres éditeurs tiers, les fans ne s’intéressent qu’aux vieilles consoles de la firme comme en témoigne la sortie de Pier Solar, RPG élaboré par le studio Water Melon pour… la Mega Drive ! Sorti en 2010, le jeu va être porté sur Wii U.

SEGA Go West !

Entre 2001 et 2008, le marché du jeu vidéo a été totalement bouleversé. Selon le livre blanc du jeu vidéo publié par Famitsu en 2009, la part du Japon est passée de 35 % à 14 % alors que celle de l’Europe atteint 39 %. Si l’on cumule les marchés américain et européen, ils représentent six fois la taille du marché japonais.

Or SEGA a beaucoup de mal à exporter certaines séries qui marchent essentiellement sur le territoire japonais, telles que Yakuza.

Et comme lancer de nouvelles marques élaborées par des studios japonais ne s’est pas avéré être une réussite, SEGA mise désormais sur la distribution numérique pour lancer de nouveaux titres sur les consoles, à l’image de Hell Yeah ! créé par les Français d’Arkédo ou The Cave produit par les Américains de Double Fine.

Pour la distribution de jeux sur PC, SEGA s’allie à Steam et cherche à limiter autant que faire se peut le piratage pour ses deux licences phare : Total War et Football Manager.

Dans le même temps, en juillet 2012 s’ouvre SEGA Networks au Japon, filiale consacrée à la création de jeux pour smartphones. Elle lance Kingdom Conquest II sur iOS et Google Play sur le marché européen. Mélange de jeu de cartes à collectionner et de jeu de stratégie, ce MMO free to play sur mobile doit permettre à SEGA de conquérir un nouveau marché.

Avec plus de deux cents employés dans le studio, il va falloir produire beaucoup de titres à succès pour rentabiliser le tout ! L’avantage du numérique est qu’il permet à la firme japonaise de se débrouiller sans filiales dans tous les pays européens : celle de la France a fermé ses portes l’an dernier.

N’en déplaise aux fans qui ne jurent que par les consoles défuntes, l’avenir de SEGA est bien dans le numérique et la diffusion de ses titres sur la Toile comme elle l’avait pressenti dès les années 1990. En tout cas, c’est semble-t-il sa seule manière de créer et publier des jeux désormais.

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