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SEGA, l’autre visage de l’arcade

En 2013, SEGA ne produit plus de consoles mais s’accroche plus que jamais à l’arcade, qui est en quelque sorte dans son ADN.

En 2000, Akira Nagai (senior managing director) estimait que les salles d’arcade doivent être modifiées pour devenir des espaces de loisirs plus grand public afin de toucher une cible plus large et de renouveler la clientèle.

Il parle d’hybrid outlets qui seraient tous reliés par fibre optique afin de connecter toutes les bornes d’arcade entre elles à travers le Japon. Cet attachement à l’arcade est lié à l’histoire de la société.

Si l’on revient aux débuts de SEGA, avant même que la firme ne se nomme ainsi, on trouve des jeux mécaniques qui sont à l’origine du jeu vidéo d’arcade. Retournons au siècle dernier.

Des divertissements de soldats

À Hawaï en 1940, James Humpert et les Bromley père et fils fondent une société nommée Standard Games afin de monétiser le temps libre des soldats installés dans les bases militaires américaines.

Après la Seconde Guerre mondiale, la société s’établit au Japon, occupé par les Américains qui livrent une autre guerre en Corée. Elle crée une filiale du nom de Service Games of Japan (1952) afin de souligner que le client visé est le soldat en service. Comme à leur habitude, les Japonais forment un mot valise plus court pour désigner l’entreprise : SEGA.

Durant cette première partie de l’histoire de la firme, ses propriétaires américains commercialisent avant tout des machines à sous et des juke-boxes. SEGA fait de l’arcade au sens large du terme. D’ailleurs, les Japonais ne parlent pas d’arcade mais d’amusement, de divertissement.

Parallèlement, un certain David Rosen, soldat mobilisé pour la guerre de Corée, reste au Japon pour fonder une entreprise d’import de Photomatons. C’est un succès immédiat et il continue en important des jeux de tir : il s’agit de tirer sur des ours avec un fusil en plastique.

Par la suite, il commercialise d’autres bornes similaires où il faut tirer sur des requins ou des raies. Comme on le voit, l’arcade est plus proche de ministands de fête foraine que des jeux vidéo.

L’origine de SEGA explique aussi pourquoi la firme a toujours tenu à innover dans le domaine de l’arcade. Après tout, entre les machines à tuer les requins avec un fusil et Virtua Cop où l’on doit recharger son arme en plastique pour tirer sur des ennemis en polygones, il n’y a que des différences technologiques, le gameplay de base étant le même.

De même, l’engouement pour les Photomatons sera relayé par celui envers les Purikura (Photomaton avec images personnalisées à coller) de nos jours…

Les bandits manchots laissent leur place aux medal games. Quant aux juke-boxes, ils sont remplacés par les jeux de rythme et musicaux dont Project Diva est l’un des derniers avatars à succès (lire l’article consacré à Hatsune Miku).

De SEGA à SEGA

En 1965, SEGA et l’entreprise de Rosen fusionnent et la nouvelle entité change de stratégie : au lieu de simplement importer des machines, elle va en créer.

Entre les jeux de basket, sac de sable à frapper, ou hélicoptère à manœuvrer, SEGA s’occupe vraiment de jeux mécaniques et électroniques. Son premier logo en caractères un peu gothiques témoigne de cette période durant laquelle les bornes de jeu sont l’essentiel de son activité.

Parmi les succès, on trouve Periscope en 1966, jeu d’arcade qui n’est plus vraiment un jeu électronique mais dont le succès est suffisant pour que Gulf & Western Industries, Inc. rachète SEGA au début des années soixante-dix.

David Rosen, resté à la tête de SEGA, poursuit sa lancée avec des jeux d’arcade électroniques et lance les versions PC. Mais, avec la crise des années 1983-1984, l’industrie balbutiante du jeu vidéo sur ordinateur sombre. Heureusement, SEGA a toujours ses activités dans les bornes de jeux !

Le succès de Space Invaders étant mondial, SEGA se met à créer des jeux vidéo pour l’arcade et rachète son principal distributeur au Japon, Esco Trading. Son ex-dirigeant Hayao Nakayama prend alors la place de vice-président de SEGA.

La société perdant de l’argent, la filiale américaine de SEGA est vendue à Bally, entreprise fabriquant des flippers. Par la suite, CSK rachète SEGA et en fait une société florissante. Le conglomérat japonais renomme la société SEGA Enterprises Ltd. lors de son rachat en 1984.

Pendant qu’une partie de l’entreprise part à la conquête des salons par le biais des consoles, l’autre consolide l’expertise dans le domaine du jeu d’arcade. SEGA s’est diversifiée au fil du temps pour maîtriser toute la chaîne, de la fabrication à la salle où joue le public. Elle possède des salles d’arcade (nommées game centers au Japon), construit des machines et les jeux qui fonctionnent dessus.

Bien sûr, SEGA continue d’innover dans le domaine de l’amusement et des machines à jouer avec notamment l’invention de l’UFO Catcher en 1985 : une pince mécanique contrôlée par des boutons permet d’attraper ou non des lots à gagner dans une gigantesque boîte transparente.

L’arcade est aussi le secteur où la recherche et l’innovation sont les plus essentielles : bien souvent, les nouveaux titres sortent sur les bornes d’arcade avant d’être adaptés pour les consoles. En 1990, SEGA a ainsi lancé la première borne d’arcade pouvant pivoter sur elle-même (R-360) et en 1993, elle a sorti Virtua Fighter, premier jeu de baston en 3D au monde.

En se diversifiant dans le domaine de l’arcade, la firme obtient des revenus non négligeables tout en contrôlant une grande partie de ce marché. En 2000, un quart de son chiffre d’affaires provient des salles d’arcade et un autre quart des ventes de machines d’arcade ; les ventes de jeux et de consoles représentent le reste.

En 2012, dans les documents officiels de SEGA, l’arcade regroupe six catégories, dont une seule est nommée explicitement « jeux vidéo » : jeux de cartes à collectionner virtuelles, simulateurs, medal games, jeux avec lots à gagner, jeux pour enfants. Cette diversité se retrouve dans les salles d’arcade japonaises où le jeu vidéo tel qu’on le conçoit en Occident n’occupe qu’une place restreinte.

SEGAland

Afin de mieux mettre en avant ses bornes d’arcade et de capitaliser sur les différentes marques de son catalogue, SEGA a même créé différents parcs d’attractions à travers le monde pour attirer un public plus familial et créer une nouvelle dynamique de consommation dans un lieu de loisirs.

Il y en a eu plusieurs sur le territoire britannique dont SEGAworld Bournemouth (1993-2007), SEGAworld London (1996-2000). En Australie, le SEGAworld de Sydney a survécu trois ans (1997-2000).

Aux États-Unis, une chaîne gérée par une joint-venture entre SEGA, Universal et Dreamworks devait permettre de regrouper jeux d’arcade, restaurants et autres boutiques dans un même centre de loisirs. Le premier du genre s’est ouvert en 1996 à Seattle.

Plus récemment, SEGA a ouvert un parc d’attractions à Dubaï (2009, SEGA Republic). Ces parcs d’attractions sont d’autant plus surprenants qu’en Occident, les salles d’arcade ont pratiquement disparu du paysage urbain contrairement à ce qui se passe au Japon et dans le reste de l’Asie, où les game centers occupent même plusieurs étages d’un immeuble.

Si vous êtes de passage à Tokyo, vous pourrez visiter le parc d’attractions Joypolis à Odaiba (créé en 1996) ou vous rendre dans les différentes salles d’arcade disséminées à travers la ville.

Les plus grosses, nommées SEGA CLUB ou SEGA GIGO, occupent cinq à sept étages et sont globalement arrangées de la même façon. Au rez-de-chaussée et à l’entrée, il faut attirer le chaland et l’arme la plus efficace est une suite d’UFO Catchers. Familles, couples et groupes de copines se retrouvent devant ces grandes vitrines lumineuses pleines de peluches, jouets mignons ou nourriture.

Évidemment, comme dans les boîtes de nuit, il s’agit d’attirer la clientèle féminine pour que les clients masculins viennent fréquenter la salle… Ces machines à cadeaux attirent les jeunes filles, ce qui séduit les gamers de passage qui peuvent se dire que la salle est fréquentée par la gent féminine.

Aux étages les plus hauts, on trouve en général les jeux de paris (football et turf) et les medal games. Comme ce ne sont ni des jeux d’argent ni des jeux vidéo core gamers, ils attirent un public différent, dont les femmes et même les familles.

Contrairement aux pachinkos (sorte de flipper japonais), qui permettent de gagner des lots ensuite échangeables contre de l’argent, ces titres n’offrent que des crédits supplémentaires pour rejouer.

Néanmoins, tout est fait pour recréer une ambiance de casino avec les pièces de monnaie qui tombent en rythme et les lumières dans tous les sens lorsque l’on gagne le jackpot. Dans le cas des jeux de turf, les joueurs parient sur des chevaux qui ensuite font une course virtuelle.

Variation autour du jeu vidéo, certaines bornes permettent de jouer avec des cartes à collectionner : il suffit de poser une carte pour que le personnage apparaisse à l’écran et pour que le joueur le fasse évoluer, comme si l’on était dans un épisode du dessin animé Yu-Gi-Oh avec les monstres qui se matérialisent sur l’écran de la borne.

Ce système a pour avantage de fidéliser les joueurs qui cherchent à compléter leur collection de cartes. Parmi les succès de ce genre, il y a le Sangokushi Taisen de SEGA. Ce STR est inspiré par l’histoire chinoise des trois royaumes. Le déplacement des personnages en jeu correspond à celui des cartes sur un écran spécial.

Finalement, seuls un ou deux étages sur six sont consacrés à des bornes de jeux d’arcade. En général, ceux-ci se destinent à des core gamers et les genres les plus populaires sont les mêmes qui ont du succès sur le marché des consoles : RPG, mecha, baston, rhythm. 

Bien sûr, même si vous êtes dans une salle d’arcade SEGA, vous pourrez trouver des jeux Namco Bandai comme les pods de Kidō Senshi Gundam : Senjō no Kizuna, simulateurs de pilotage de mecha avec écran panoramique. Le plus important est d’attirer et de faire rester les clients dans la salle, quels que soient les jeux…

Innover dans l’amusement

Depuis 2007, la crise du marché de l’arcade s’est fait sentir de manière plus intense qu’auparavant. Il faut dire que SEGA et les autres acteurs de cette industrie ont beaucoup œuvré pour diversifier le public et rénover les salles de jeu.

Ainsi, la plupart d’entre elles sont reliées à Internet et les joueurs peuvent désormais affronter des adversaires à travers l’Archipel au lieu de simplement combattre une personne du même quartier. Toujours grâce à Internet, des cartes de fidélisation ont été élaborées pour que les joueurs conservent leurs scores et avancement en jeu.

Enfin, SEGA et les autres constructeurs essaient de rendre les bornes plus faciles à adapter pour que des jeux différents puissent tourner sur une même machine et que les mises à jour se fassent sans trop de soucis pour les gérants de salles.

Afin de toucher un public d’enfants, SEGA a sorti en 2003 une borne à leur taille disposée dans les centres commerciaux pour les occuper pendant que les parents vaquent à d’autres occupations.

Cette borne nommée Mushiking (Kōchū Ōja Mushikingu) combine à la fois jeu vidéo et jeu de cartes à collectionner tout en s’appuyant sur une pratique ancestrale des jeunes Japonais : le combat d’insectes.

Il y a plus de six versions du jeu et d’autres éditeurs ont essayé de renouveler le succès en déclinant le gameplay à base de pierre-feuille-ciseau avec d’autres domaines à connotation enfantine. Plus récemment, SEGA s’est intéressée à la clientèle âgée pour renouveler son public.

En dehors de ces efforts pour toucher des catégories de joueurs différentes, SEGA cherche à constamment renouveler les contrôles des bornes. Ainsi, le joystick est remplacé par une sorte de souris géante pour BorderBreak, un jeu de tir et de mecha où il s’agit de collaborer avec d’autres pour gagner petit à petit du terrain sur l’équipe adverse.

Dans le même genre, SEGA a présenté une nouvelle borne pour les amateurs de danse en 2012 : MaiMai. Les joueurs touchent un écran tactile géant au lieu d’appuyer sur des touches mécaniques pendant qu’une caméra filme la prestation et la publie sur l’équivalent du YouTube japonais.

Dans un tout autre genre, SEGA commercialise en 2012 une borne de jeu urinoir : Toylet. Avec la pression du jet d’urine, le joueur participe à divers minijeux dont l’un consiste à soulever les jupes de filles…

Dans le domaine des UFO-Catchers, SEGA cherche aussi à se renouveler pour attirer plus de public. La firme a diversifié la taille des machines et les lots à gagner sont régulièrement modifiés, mais c’était toujours globalement la même chose.

En 2010, les traditionnelles commandes sont remplacées par une sorte de « balance board » dans la borne UFO Balance Catcher. Désormais, on contrôle la pince mécanique avec ses pieds et son poids.

Toujours dans le but de renouveler les concepts de bornes existantes, SEGA introduit la 3D et des jets d’air pour des bornes montées sur vérin afin de faire des minivéhicules proposant de la « 4D ».

Bien sûr, tout en innovant, SEGA ferme sans cesse les salles déficitaires et peut annoncer en mars 2011 que les ventes de bornes ont pour la première fois depuis trois ans augmenté tandis que les revenus générés par les salles ont moins baissé.

Cette politique permettra sans doute à la firme de maintenir son secteur consacré à l’amusement en Asie qui est son noyau historique.

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