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Superdry : de la bière à la mode par le biais d’une mauvaise traduction

Depuis plusieurs années, les touristes japonais à Paris peuvent voir dans les rues de la capitale de jeunes gens branchés arborant en gros sur leurs vêtements le logo « Superdry » accompagnés de caractères japonais.

Sachez que dans ces cas-là, c’est un peu comme si un Français croisait à Tokyo un Japonais avec le logo « Heineken » ou « Kronenbourg » sur lui… C’est tout de suite moins classe, non ?

Créé de toutes pièces en 1987

Le terme Superdry (littéralement « super sec ») ne fait pas référence au linge non mouillé que vous pouvez porter sur vous, mais à l’alcool et notamment à la bière de la marque japonaise Asahi : Superdry. C’est une bière blonde légère inventée en 1987 suite à une étude de marché et un sondage sur plus de 5000 personnes afin de créer une bière différente de celles qui existaient alors au Japon.

Auparavant, l’image de la bière était celle d’une boisson amère et plutôt chargée en alcool. Avec le succès de la Superdry, Asahi a conquis un nouveau marché et les marques concurrentes se sont engouffrées dans la brèche.

Depuis lors, la Superdry d’Asahi occupe près de 50 % du marché au Japon et le groupe fait brasser sa bière japonaise… en République Tchèque depuis 2000 pour alimenter le marché européen ! Quant au terme superdry, son usage pour qualifier un liquide est similaire au français sec en parlant de vin blanc peu liquoreux, à saveur plus ou moins acide.

Créé de toutes pièces en 2003

Outre que vous portiez l’équivalent de « 1664 » sur le dos, il faut savoir que Superdry n’est en rien une marque japonaise malgré les idéogrammes qui figurent sur le logo.

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En réalité, Superdry est une marque anglaise élaborée en 2003 par le designer James Holder qui avait créé la marque Bench (mode inspirée des skateurs). Elle appartient au groupe fondé par Julian Dunkerton en 1985. Le succès de Superdry est tel en Angleterre que l’entreprise entre en bourse en 2010 avant d’ouvrir des magasins partout en Europe.

L’engouement pour la marque s’explique en partie grâce à une bonne campagne de communication où les people arborent le logo anglo-japonais. De Jamie Oliver à Pippa Middleton en passant par David Beckham, toutes les personnes populaires en Angleterre ont été vues avec un vêtement Superdry avec son logo plutôt voyant.

T-shirt-faux-vintage-Superdry

L’autre explication vient du créneau choisi : du street wear qui donne un air de surfeur / skateur californien même sous la pluie et le fog londonien grâce aux couleurs vives qui sont censées évoquer la mode de Tokyo.

Personnellement, je pense que les idéogrammes japonais ont également joué un rôle dans le succès de la marque. Ce sont les éléments qui lui ont donné une image « moderne » bien que le logo soit décliné sous différentes formes vintage pour donner l’impression que la marque existe depuis plusieurs décennies…

Vrai faux moderne

Qu’une langue puisse avoir des connotations positives et en quelque sorte faire référence à l’idée de modernité n’est pas un phénomène nouveau.

Au XVIIIe siècle, le Français était la langue internationale et il était de bon ton de parler la langue de Molière ou du moins d’en employer certains termes au milieu de son discours en langage vernaculaire.

Certains sont d’ailleurs restés : en anglais, on parle toujours de « déjà vu » et de plat « du jour ». Au XXe siècle, l’anglais a largement détrôné le français et lorsque l’on voit que même les chanteurs de variété française se pensent obligés d’ânonner des termes anglais au milieu de leur chanson en français, on peut se dire que, oui, l’anglais est bien une langue auréolée de « hype ».

Au XXIe siècle, il se pourrait que les connotations positives et modernes de la langue de Shakespeare glissent vers le Japonais ou le Chinois.

Et comme pour toutes les langues étrangères non maîtrisées, on se retrouve face à des cas cocasses : idéogrammes imprimés à l’envers pour des housses de couettes ou des futons, jeunes filles exhibant fièrement leur tatouage en expliquant qu’elles se sont fait calligraphier le mot « paradis » (alors qu’en fait il s’agit au mieux de l’idéogramme pour « ciel », au pire de tout autre chose).

Dans le cas de Superdry, les idéogrammes suivant le terme anglais changent assez régulièrement, mais ils signifient plus ou moins grossièrement la même chose : « super sec ». Toutefois, notons qu’en japonais le terme sec pour désigner un alcool est 辛口 ou karakuchi.

C’est tout de même curieux que ces deux idéogrammes apparaissent rarement sur les différentes versions du logo de la marque anglaise. Il faut croire que les équipes de Superdry préfèrent utiliser des traductions inexactes (Google Traduction ?) afin d’obtenir des logos plus harmonieux avec des caractères plus « beaux », plus exotiques pour nos yeux d’Occidentaux.

À la décharge des créatifs de la marque de vêtements, les Japonais ne sont pas en reste pour ce qui est des expérimentations linguistiques étranges. Mais, ceci est une autre histoire…

Et pour ceux que cela peut intéresser, le site officiel de la marque de vêtement donne un historique politiquement correct.

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