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Les indé : ARC System Works

Après être parti à la rencontre de studios indépendants français et anglais, nous sommes allés au Japon pour faire une escale à Yokohama près de Tokyo. Nous avons fait connaissance avec ARC System Works. Surtout connu pour le jeu de baston Guilty Gear, les joyeux drilles d’ARC reviennent avec un titre toujours aussi beau et un peu plus accessible : BlazBlue

Créé en 1988, ARC System Works emploie aujourd’hui 87 personnes et produit plusieurs titres par an dans des genres très divers : baston pour core gamers sur arcade, action, aventure, sport et même des casual games. Elle travaille aussi bien pour les bornes d’arcade, les téléphones mobiles que pour les consoles de Sony, SEGA (Saturn et Dreamcast), Microsoft ou Nintendo. La série des Family est d’ailleurs restée plus d’un an dans le top 20 des jeux Wiiware : Family Table TennisFamily KartFamily TennisFamily Mini Golf… Un jeune développeur d’origine taiwanaise nous dit en souriant que « ces titres rapportent bien moins que les titres phares comme Guilty Gear ou BlazBlue, mais ils se vendent plutôt bien sur le marché des casuals ».

Dans un autre genre, ARC System a aussi travaillé sur des jeux de licences comme Sengoku Basara  ou des adaptations de manga comme Dragon Ball ou Fist of the North Star (Ken le Survivant). Le studio est donc bien occupé entre deux gros développements de jeux de baston. Le casual et les jeux de licence lui permettent d’étendre son public tout en finançant en partie le développement des jeux de combats qui sont longs et coûteux. Il aura ainsi fallu quatre ans avant que BlazBlue, la nouvelle licence qu’elle souhaite mettre en place, sorte enfin en salle d’arcade. 

SNK-esque ?

Contrairement à ce que dit la rumeur, les employés d’ARC System ne sont pas des vétérans issus de SNK. Daisuke Ishiwatari, lead designer de Guilty Gear, nous assure qu’il n’a jamais travaillé sur The Last Blade et cherche toujours à comprendre pourquoi tous les Américains lui attribuent cette paternité. Cette idée fait également sourire Minoru Kidooka qui préfère rester évasif sur la création de l’entreprise. Être affilié à SNK lorsque l’on crée des jeux de baston ? Avouons qu’il y a pire comme filiation ! Nous n’apprendrons pas grand chose sur lui bien que nous ayons tenté de le saoûler pour lui tirer les vers du nez. In vino veritas ? Pas cette fois-ci.

Il se contente de nous dire qu’il était développeur et qu’à son époque il était assez simple de faire des jeux avec quelques pixels. Du coup, il en faisait en guise de petits boulots et cela lui rapportait bien plus d’argent que ces autres activités. Selon lui, être président d’ARC System est juste son petit boulot actuel. Chose remarquable, son bureau est au milieu de l’open space rassemblant tous les employés et il se montre disponible pour tous les projets que lui proposent ses collaborateurs. Le schéma hiérarchique semble plus horizontal, chacun apportant son savoir-faire au groupe et partageant son enthousiasme.

En ce qui concerne l’origine du nom de l’entreprise, là encore, les doutes subsistent. ARC serait l’acronyme de Action Revolution Challenge. Le terme System étant généralement mis dans le nom des entreprises de développement au Japon et le terme Works évoquant les nombreux titres créés depuis ses vingt-deux ans d’existence. 

Mais revenons à ses débuts. Son premier jeu est Exector, sorti sur PlayStation en 1995. Après ce jeu de Mecha, elle rencontre son premier succès avec Wizard’s Harmony sur Playstation et Saturn. En 1998, Guilty Gear lui apporte une grande notoriété dans les jeux de baston en 2D. Créé par Daisuke Ishiwatari, qui a touché à tout sauf aux lignes de code, le titre se vend à 10 000 exemplaires dès le premier jour et s’écoule à 200 000 exemplaires. Character designer, game designer, musicien, producer, et voix du personnage Sol Bad Guy, Ishiwatari est vraiment le père de ce titre qui se décline sur plusieurs épisodes (Guilty Gear X, Guilty Gear XX Reload…) et de nombreux supports. Il y a même un STR avec les personnages de la licence ! Guilty Gear 2 –Overture.

Nous n’avons pas réussi à connaître les raisons qui ont poussé ARC System à développer une nouvelle licence de combat. Les droits de Guilty Gear sont partagés avec SEGA mais à part cela, rien n’est clair et à mesure que la journée avançait le flou augmentait, l’alcool n’aidant pas à éclaircir les choses. Une chose est sûre, pour que ARC survive dans un marché next gen, il fallait diversifier les titres et trouver une nouvelle série à succès.

Le tournant 3D

Conscient d’être un peu à part avec ses titres de baston de 2D, ARC System décide de passer à la 3D avec Battle Fantasia. Certes, c’est quatorze ans après le premier jeu de ce style en 3D et on pourrait croire que tout le monde est rodé à cette technique. Pour le petit studio ce fut un cap difficile à franchir car personne n’avait d’expérience dans ce domaine, mais c’était indispensable pour utiliser toutes les performances des bornes Taito Type X2. On pourrait croire qu’il est plus facile de faire de la 2D que de la 3D. En réalité, c’est tout le contraire. La plupart des cartes graphiques sont optimisées pour la 3D qui est moins lourde à gérer, encore plus sur les bornes d’arcade de type actuel. Il est plus facile de charger des coordonnées spatiales, des vecteurs et des petites textures qu’une multitude d’images bitmaps plus ou moins lourdes.

Battle Fantasia sort d’abord en arcade en 2007 avant d’être porté sur Xbox 360 et PlayStation 3. Ce jeu de combat propose un univers très kawaii avec de nombreuses références à l’univers heroic fantasy. Les teintes pastel et les sepia le distinguent immédiatement des autres titres même si au niveau des coups et des combos on reste dans les classiques quarts de tour chers aux habitués de Street Fighter. Là encore, le producer est aussi character designer. Emiko Iwasaki a porté le projet et essuyé les plâtres de la 3D avec effets 2D. Avec ce titre, ils espéraient élargir le public et ne pas ce contenter des fans de Guilty Gear. Selon une autre rumeur, ce style aurait influencé le producteur de Street Fighter IV, titre en 3D avec, là aussi, des effets 2D.

Néanmoins, les résultats de Battle Fantasia n’étant pas tout à fait satisfaisants, le jeu n’aura pas de suite. Du coup, ARC System revient à un style plus proche de celui auquel sont habitués les fans de Guilty Gear. D’ailleurs, on trouve aux commandes du projet Toshimichi Mori, un grand fan du travail de M. Ishiwatari à qui il a d’ailleurs confié la musique du jeu. Prenant en compte le semi échec de la 3D, seuls les décors et les modèles des personnages seront en image de synthèse. L’animation des personnages se fait à la main et un joli dessin animé réalisé par le studio Gonzo sert d’introduction au jeu. ARC revient donc à ce qui fait sa force : la 2D.

La nouvelle licence phare est BlazBlue : Calamity Trigger, jeu de baston proposant douze personnages très typés et un mode histoire extrêmement fourni. Le titre a même été élu meilleur jeu de combat de l’année 2009 par le site américain IGN (devant Street Fighter IV, Tekken 6 et King of Fighter XII). Selon Kazunori Taguchi (development division), le titre est plutôt destiné à un public jeune, principalement des garçons de moins de 20 ans, tandis qu’un jeu comme Street Fighter IV est plus grand public et rassemble des joueurs nostalgiques. Il estime que le gameplaydu titre de Capcom est plus connu et plus relax tandis que BlazBlue est très speed ! Malgré tout, le succès de SFIV a permis de remettre au goût du jour les jeux de baston. En ce qui concerne la nouvelle licence, ARC System estime avoir trouvé l’équilibre idéal pour contenter les fans hardcore, qui analysent tous les coups pour trouver les meilleurs combos, et les joueurs plus occasionnels qui doivent aussi pouvoir se faire plaisir et sortir de beaux effets. 

Arcade toujours

Une fois de plus, c’est sur arcade que le nouveau titre est lancé avant d’être converti sur console et PC. Le délai entre les deux sorties sert d’une part à ne pas fagociter les ventes des game centers et ne pas décevoir leur fans, d’autre part cela leur donne du temps pour développer des contenus complémentaires : un training mode, des DLC. Enfin, plus le jeu marche sur arcade, plus ils se garantissent de bons chiffres sur console. 

Même si aujourd’hui, à travers tout le Japon, il est possible de jouer en réseau à la plupart des titres d’arcade, BlazBlue se joue sur deux bornes reliées et non en ligne afin de limiter les risques de lag. Casey Carlin, développeur américain entré en stage chez ARC System et engagé depuis, nous explique qu’il est plus simple de prévoir ce qu’un joueur va faire sur un FPS que sur un jeu de baston, c’est pourquoi le lag se gère mieux dans le premier type de jeu. En revanche, sur console et PC, les joueurs japonais et américains peuvent s’affronter en ligne. Ils peuvent aussi regarder les combats des autres joueurs comme si tout le monde était dans la même salle.

Sur la version PSP de Calamity Trigger, quatre joueurs peuvent s’affronter à tour de rôle : pendant que deux personnages se combattent, les autres assistent à la scène en spectateur. Des éléments supplémentaires font aussi leur apparition comme le mode « Legion » qui permet d’affronter une série d’équipes générées par l’ordinateur. Il faut battre chaque équipe pour récupérer des personnages et agrandir ses troupes armées. On peut s’étonner de ce portage sur console portable étant donné que le jeu est très gourmand en ressources. Mais pour ARC System, cela permettait d’élargir l’audience de BlazBlue et d’aller à la rencontre de son public potentiel. Beaucoup d’adolescents japonais n’ont pas de PS3 ou de console de salon alors qu’ils sont très équipés en PSP.

Enfin, il existe un jeu DSiware proposant aux fans de combattre dans des arènes avec des versions SD de leur héros favoris (des caricatures mignonnes et disproportionnées, la tête étant aussi grande que le corps). Les jeux d’ARC System ont une image un peu élitiste au sein des fans de baston. Le jeu DSi était l’occasion de faire connaître la licence en proposant un titre bien plus fun et accessible. Il a également permis de faire plaisir aux fans qui avaient d’ailleurs plébiscité les versions SD diffusées dans des courts métrages sur Nico Nico Doga (site de vidéo similaire à YouTube au Japon). Contre 500 points, quatre joueurs peuvent choisir entre cinq personnages et s’affronter. Plusieurs modes de jeu et options sont là encore disponibles : on peut notamment ajouter des éléments sur le terrain ou le faire disparaître en partie en actionnant un levier. 

Assurer le spectacle

Avec plus 490 000 exemplaires écoulés au Japon et aux États-Unis, BlazBlue Calamity Trigger est déjà un joli succès pour ce petit studio indépendant. Le second volet sort cet été (Continuum Shift) avec de nouveaux personnages. En dehors des graphismes très attirants pour tous anime fans, M. Mori nous a expliqué que l’intrigue est l’un des points forts de la licence et qu’il a essayé de développer la personnalité des douze combattants. On pourrait sourire face à cette affirmation, les scénarios des jeux de combats étant rarement d’une grande complexité. Mais les personnages jouissent d’un réel engouement de la part des fans. Une émission de radio avec les voix des doubleurs permet même de leur donner vie à travers des sketchs. 

À chaque « anniversaire » d’un des personnages, des regroupements de fans sont là pour fêter l’événement. ARC System organise aussi des manifestations réunissant les joueurs et les doubleurs qui incarnent le personnage auquel ils prêtent leur voix. Lors du « Spring Raid » du 20 février dernier, 1 600 personnes ont assisté au spectacle des doubleurs dessinant, discutant ou chantant sur une immense scène devant un public enthousiaste qui avait fait la queue plus de deux heures avant le début de l’événement. Il semble donc que les personnages et les intrigues ont vraiment réussi à convaincre les joueurs qui n’hésitent à pas à refaire le mode histoire pour connaître le passé des douze protagonistes.

Comme les joueurs occidentaux ne peuvent guère se rendre à ces événements, il ne reste plus qu’à les suivre sur leur compte officiel Twitter. Et bien sûr jouer à leur jeu dont la version HD de Guilty Gear disponible sur différents stores et consoles.

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