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Vagabond : Le sabre et le pinceau

Bien loin des shônen manga au scénario prévisible, Inoue livre une œuvre adulte, violente et pleine de rebondissements. Dans Vagabond, il propose sa version de la vie de Miyamoto Musashi, l’un des plus grands samouraïs de l’histoire du Japon.

Le choix d’un titre anglais peut surprendre pour une œuvre aussi ancrée dans l’histoire et la mentalité japonaise.

Le terme vagabond a été choisi pour que les lecteurs nippons n’aient pas en tête le roman d’Eiji Yoshikawa (1892-1962). Il fallait éviter que ceux-ci comparent l’œuvre du mangaka à celui de l’écrivain.

Si la bande dessinée suit assez fidèlement le roman à ses débuts, elle s’en démarque assez vite. Inoue propose une libre adaptation de la vie de Musashi.

Il semble en réalité que le parcours du samouraï vers la maîtrise du sabre correspond au cheminement de l’artiste vers la perfection graphique. L’art martial et le dessin se rejoignent dans une même optique d’excellence.

Philosophie du sabre

L’intrigue peut paraître simple : un orphelin tente de se faire un nom parmi les escrimeurs en battant en duel les représentants des meilleures écoles.

Pourtant, le parcours de Musashi n’a rien de linéaire et la narration complexe du manga augmente cet effet de fourmillement : digressions, flash-back ou prolepses interrompent le cours de l’action pour rendre le scénario plus dense.

Ainsi le duel entre le héros et les membres de l’école Yoshioka est entrecoupé par plusieurs intrigues : un premier cycle consacré au duel contre Inshun et l’école Hôzôin, un second à l’affrontement raté entre Musashi et Yagyû, un autre l’oppose à Kohei Tsujikaze.

Kojiro Sasaki, l’opposant de Musashi lors du duel final, est introduit lors d’une longue digression sur 6 volumes.

Cette progression sinueuse peut perdre le lecteur peu attentif, mais elle permet surtout de mettre l’accent sur les motivations et les doutes des personnages.

Il n’y a pas un héros et des figures secondaires mais plusieurs destins qui se croisent. Le sujet du manga est moins la vie de Musashi que les divers parcours pour aller dans la voie du sabre.

C’est pourquoi Sekigahara n’est plus la bataille historique qui signe le début du règne des Tokugawa. Elle devient le terrain de jeu d’hommes qui confrontent leur maîtrise des armes afin de devenir meilleurs dans cette discipline.

Liberté du pinceau

N’étant pas spécialiste des samouraïs ni de cette époque du Japon, l’artiste avoue avoir commis quelques anachronismes au début de la série.

Tous les sabres ne sont sans doute ni conformes à ce qui se faisait à l’époque ni toujours les mêmes selon les volumes. Les kimonos des personnages présentent bien plus de plis qu’il n’y en a dans la réalité.

Pourtant, malgré tous ces détails, le manga semble réaliste et plonge ses lecteurs dans un Japon historique qui ne paraît pas idéalisé.

Inoue a fait de Kojiro Sasaki, adversaire de Musashi, un enfant muet. Ce choix était l’occasion pour lui d’essayer d’exprimer des émotions autrement que par les mots, uniquement par le dessin.

L’expérimentation scénaristique correspond à un graphisme différent car c’est lors de cette digression qu’il abandonne la plume au profit du pinceau.

Ce changement de technique explique pourquoi il travaille sans assistant. Il explique d’ailleurs qu’il prend beaucoup de plaisir à faire les arrière-plans.

C’est pour lui un espace de liberté et de repos car il n’a pas de cohérence graphique à respecter.

Du coup, Vagabond est ainsi le seul manga dont on peut apprécier intégralement les planches, même les détails du second plan.

Article initialement paru dans AnimeLand.

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