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The Cave : Le mythe de la caverne selon Ron Gilbert

Bien souvent, le plus difficile lorsque l’on crée un jeu, ce n’est pas la production en elle-même mais sa promotion auprès des journalistes et des joueurs. Ron Gilbert (connu pour Maniac Mansion et Monkey Island) a ainsi fait le tour des capitales à travers le monde pour répondre avec le sourire aux mêmes questions à propos de The Cave. À Paris, malgré la grippe et la fièvre, il a tenu à nous présenter son nouveau jeu d’aventure et nous raconter ses histoires.

Pour réaliser un bon jeu d’aventure, il faut un monde imaginaire qui transporte le joueur hors de son quotidien. Dans The Cave, il s’agit d’une grotte mystérieuse et… parlante.

« Je commence toujours par créer l’univers, nous explique Ron Gilbert. Dans Maniac Mansion, tout tourne autour de la demeure et dans Monkey Island, le point essentiel était Pirates des Caraïbes. J’ai toujours voulu vivre dans ce type d’univers. C’est aussi avec la caverne que j’ai commencé à penser The Cave. C’est seulement après que viennent les récits puis les énigmes à résoudre qui viennent faire avancer l’histoire. »

Même si cette grotte possède une voix masculine caverneuse, elle n’est pas le thème du jeu mais bien le lieu à explorer. Sept personnages d’époques différentes s’y retrouvent : un péquenot, une scientifique, une exploratrice, un chevalier en armure, un moine bouddhiste, une voyageuse dans le temps et un couple de faux jumeaux. Même s’il n’y a que sept personnages joueurs, en réalité, ils sont bien huit, quatre de chaque sexe pour un parfait équilibrage au niveau des genres. Gilbert explique que cette attention particulière à la représentation des genres est sans doute liée à son histoire familiale.

« J’ai toujours aimé les personnages féminins forts. C’est le cas dans Monkey Island avec Elaine Marley et même lorsque Guybrush va la sauver à la fin, il n’y parvient pas vraiment et fait plutôt tout capoter. Je suppose que c’est lié à ma mère, qui a été très impliquée dans les mouvements féministes dans les années 1960. »

Sept histoires, un seul jeu

Les motivations des personnages divergent et sont révélées au fil du jeu par des séries d’images peintes sur les murs. Chacun des sept protagonistes s’enfonce dans la grotte comme il replonge dans son passé. L’analogie assez évidente entre le voyage au plus profond de la terre et dans les souvenirs les plus intimes donne une cohérence au jeu.

« Le thème principal du jeu n’est pas la grotte en elle-même mais les sept petites histoires des personnages qui y évoluent. Je voulais explorer les recoins sombres de leur cœur. La grotte rassemble les personnages mais n’a pas d’histoire. En parlant, elle met en lumière les éléments qui les unissent. »

Tel un narrateur omniscient, la voix de la caverne commente les faits et gestes des héros avec une pointe d’ironie. Il faut dire que les héros ne sont pas très héroïques, comme ce chevalier peureux ou ces jumeaux malfaisants. Gilbert nous explique que ces protagonistes possèdent tous une faille intérieure.

« J’aime les personnages un peu cassés comme Tony Soprano de la série télévisée. C’est un tueur, un mafieux mais il a une fêlure et c’est ce qui en fait quelqu’un d’intéressant. Et même s’il est un personnage mauvais, le public a envie de le voir réussir dans ses actions. »

Chaque héros possède un pouvoir spécifique qui permet de débloquer des zones ou de résoudre des énigmes différentes. Mais comme vous devez en choisir trois parmi les sept, il vous faudra refaire le jeu à trois reprises pour connaître tous les récits et explorer toute la caverne. Chaque énigme peut se résoudre de manière différente selon les personnages que vous avez choisis et mis à part les lieux spécifiques à un héros, vous pouvez aller et venir où bon vous semble.

Ainsi, pour prendre un fusible dans un lieu donné sans vous faire électrocuter, vous pouvez soit utiliser le pouvoir de la scientifique, soit poster un personnage à un endroit de la grotte pour désactiver un générateur pendant qu’un autre prend le fusible. Heureusement, vous n’avez pas à déplacer un à un tous les personnages pour qu’ils vous suivent au cours de l’exploration de la caverne. Le jeu est en outre pensé pour vous laisser profiter des décors et des énigmes sans que vous ayez à faire preuve d’une habilité quelconque pour réussir des sauts millimétrés. L’important, c’est l’aventure. C’est ailleurs pour cette raison que Ron Gilbert a tenu à se débarrasser de l’inventaire.

« Dans les anciens jeux d’aventure, les gens avaient toujours plein d’objets dans leur inventaire et ils ne savaient pas quoi en faire, explique-t-il. Ils passaient un temps fou à errer pour essayer de trouver un emploi à chaque chose. »

Dans The Cave, chaque personnage peut prendre un objet à la fois et interagir avec le monde. C’est plus simple, mieux pensé et plus efficace sans que cela nuise à la difficulté des énigmes, bien au contraire.

Le plaisir de jouer ensemble

Une fois l’univers et les récits définis, Gilbert s’occupe des énigmes et de leur résolution. Pour cela, il suit les règles qu’il a définies en 1989 et appliquées dans Monkey Island (elles sont disponibles sur son site personnel).

« Je pense qu’il y a globalement une vingtaine de casse-tête différents dans les jeux d’aventure, nous dit-il. Les énigmes de jeux d’aventure ne sont qu’une façon nouvelle d’habiller l’un d’eux. Donc si  vous avez joué à beaucoup de jeux d’aventure, vous êtes sans doute en mesure de les reconnaître et de vous dire à l’occasion : ’’Oh, mais c’est le puzzle 17 !’’ ».

La seule différence tient à l’attention accrue aux traductions. Gilbert nous explique que depuis Monkey Island 2, il évite de faire des énigmes dont la résolution repose sur un calembour anglais car c’est souvent totalement intraduisible, ce qui ruine le jeu pour les joueurs de certains pays.

À partir de là, commence la longue suite de playtests. Des centaines de personnes ont joué à différents moments de la production, dès le stade des premiers niveaux. « Les playtests sont inestimables », affirme Gilbert, qui nous relate ensuite le plaisir de voir des enfants de huit à dix ans découvrir le jeu. « Curieusement, ils ne rencontraient pas de problème en jeu ! Pourtant, aucun d’eux n’avait joué à des jeux d’aventure auparavant. Au début, ils ne comprennent pas vraiment en quoi consiste une énigme et se posent des questions pendant quelques minutes. Puis sans que l’on sache pourquoi, ça fait ’’boom’’ et ils se mettent à résoudre les énigmes et à courir partout pour en trouver d’autres. »

Avec The Cave, un spectateur peut à tout moment prendre une manette et diriger l’un des trois héros de l’équipe. De cette façon, le jeu est plus convivial, mais les deux joueurs doivent éviter d’aller dans des directions totalement opposées. C’est aussi plus simple lorsqu’il s’agit d’expliquer à l’autre comment résoudre une énigme : il suffit de prendre en main un personnage. Gilbert tient beaucoup à ce mode de jeu collaboratif :

« Lorsque je me remémore mes parties avec mes amis, je me souviens qu’il y avait quelque chose de vraiment amusant à résoudre ensemble les énigmes devant le moniteur. C’est ce que j’ai voulu reproduire. Nous avons expérimenté les split screens et le jeu en ligne. Le problème est que les gens ne jouent pas ensemble mais à des jeux différents, chacun allant explorer le bout qui l’intéresse. C’est pourquoi tout se passe sur le même écran. Et lors des playtests, il y avait quelque chose de réjouissant à voir tous ces joueurs se suivre pour explorer la grotte, coopérer pour résoudre des énigmes.

C’est une connexion particulière qui n’existe pas en ligne. Je trouve que c’est bon de faire que les gens se réunissent pour jouer. C’est aussi intéressant pour les familles. En général, il y a souvent un membre de la famille qui aime jouer tandis que les autres apprécient mais se contentent de regarder. Avec The Cave, ils peuvent participer et ils n’ont pas besoin d’être ’’bons’’ en jeu vidéo. Ils peuvent eux aussi voyager dans la grotte et expérimenter le jeu. »

Toujours indé, toujours artiste

Même si le jeu est édité par SEGA, Gilbert garde les droits et son studio reste indépendant. Il a d’ailleurs un regard amusé sur ce qu’on appelle la scène indé. « En fait, les gens ont toujours fait des jeux indé, même dans les années quatre-vingt. C’est juste qu’ils n’avaient aucun moyen de les distribuer ! Ils faisaient des copies sur des disquettes et allaient les distribuer lors de regroupements d’utilisateurs mais ça n’allait pas plus loin. À présent, avec Internet, il est plus simple de distribuer son jeu et même d’avoir un compte Paypal pour recevoir des dons. Avec les différents app stores, les indé peuvent facilement vendre leurs jeux. »

Bien sûr, on peut se demander pourquoi Gilbert continue de faire du jeu d’aventure alors que le genre semble délaissé par le reste de l’industrie. Il nous explique que ce qu’il aime, c’est écrire des histoires, et que le jeu d’aventure est le genre qui se prête le plus à l’élaboration d’un récit. Il se souvient qu’il était chez LucasArts quand quelqu’un a installé Doom sur un PC et que tout le monde a été happé. Il s’est alors dit que c’était la fin d’une ère. Il n’y a pas de déclin des jeux d’aventure selon lui, mais le fait que les autres types de jeux ont été tellement plus populaires et se vendaient tellement mieux les a relégués au second plan. « Les jeux comme Doomtouchent un public de jeunes adolescents de façon plus viscérale que les jeux d’aventure. » Pendant que les éditeurs brassent des millions avec ce type de titres et des équipes gigantesques à travers le monde, Gilbert poursuit sa voie de manière artisanale.

« Je pense que le jeu vidéo est un art et que j’ai quelque chose à transmettre par le biais des jeux que je crée. J’espère que les gens qui y jouent en retirent quelque chose de personnel. Ce genre de chose est possible car nous travaillons en petite équipe. Lorsque vous êtes plus d’une centaine de personnes et que tout le monde veut mettre un peu de ses idées en jeu, cela finit par être chaotique. Dans The Cave, il y a beaucoup d’idées qui ne viennent pas de moi mais des personnes de mon équipe et je suis là pour donner une cohérence à l’ensemble et garder les idées qui fonctionnent le mieux. Je pense que les jeux ont besoin d’une personne assurant ce rôle. »

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