Catégories
Jeu vidéo

Toshimichi Mori, game designer de BlazBlue

Producer, principal character designergame designer et scénariste de BlazBlue, Toshimichi Mori accumule les fonctions et nous avoue que, s’il avait pu, il aurait tout fait dans le nouveau titre d’ARC System. Voici donc les propos du nouvel homme-orchestre !

Il doit y avoir une règle tacite dans le monde du jeu vidéo japonais qui fait que bien des producteurs ont un look particulier. Après le bronzage de Toshihiro Nagoshi (Yakuza), les photos des muscles de Hideo Kojima (Metal Gear) sur son blog, voici les chemises de cow-boy et les lunettes noires de Toshimichi Mori. Lorsqu’il a compris que nous allions prendre des photos lors de l’interview, il est parti prendre ses lunettes de soleil ! C’est donc avec le look adéquat qu’il a répondu à nos questions.

Comment êtes-vous entré dans le monde du jeu vidéo ?

Toshimichi Mori : J’ai fait une école spécialisée, la même que Daisuke Ishiwatari a fréquentée. Mais nous nous sommes à peine croisés une fois et il ne s’en souvient pas ! (Rires.) J’étais fan de jeux de baston quand j’étais gosse. J’ai énormément joué à Street Fighter et Vampire Hunter (NDLR : Darkstalkers en France). Je travaillais pour une autre société de jeu vidéo auparavant, mais quand le président Kidooka m’a demandé si je voulais venir chez ARC, j’ai sauté sur l’occasion.

Comment les personnages de BlazBlue sont-ils nés ? Comment définissez-vous les styles de combat ?

Toshimichi Mori : Lorsqu’on fait un jeu de baston, il y a de nombreuses attentes de la part des joueurs. Il faut nécessairement faire un protagoniste très puissant mais un peu lent, un personnage technique et agile, un combattant qui se maintient toujours à distance, etc. Pour les attaques, c’est pareil : il y a des attentes de la part des joueurs. On retrouve nécessairement des coups rapides mais peu puissants, des attaques dévastatrices mais difficiles à produire, etc. Une fois que vous avez répondu aux principales attentes des joueurs, l’équilibrage entre les personnages et le casting est presque fini !

Ensuite, c’est juste beaucoup de tests et de pratique pour trouver les bons équilibres entre les attaques. Nous nous servons aussi des revues spécialisées, des tournois et des retours des joueurs pour mieux équilibrer les attaques. C’est très important pour nous d’avoir ce feed-back.

J’essaie de laisser beaucoup de liberté dans le gameplay pour que les gens inventent leurs propres combos et trouvent les meilleures techniques. Nous ne donnons pas la liste complète des coups afin que les gens les découvrent par eux-mêmes. De toute façon, ici, nous ne sommes pas les meilleurs joueurs, loin de là ! Je peux juste me vanter d’être celui qui a le plus joué et fini BlazBlue ! La seule chose importante, c’est de mettre des verrous de sécurité.

Par exemple, lorsqu’on envoie un coup qui projette un adversaire en l’air, il est possible de lui donner un coup de poing au moment où il retombe pour le renvoyer en l’air. Mais si ce coup peut être répété à l’infini jusqu’à ce que la barre de vie se vide, c’est mauvais. Il faut faire en sorte que cela ne soit possible qu’une fois ou deux. Nous devons trouver le moyen pour que le joueur ne puisse pas gagner un match en faisant uniquement des balayettes en boucle !

C’est un peu comme aux échecs, un débutant ne peut pas gagner contre un pro qui joue depuis des mois. Il faut avoir un minimum de stratégie et de dextérité. D’un autre côté, nous créons le jeu de manière à ce que la prise en main soit facile pour les débutants. Il y a beaucoup d’effets visuels, ça bouge dans tous les sens et les coups sont spectaculaires. Il faut récompenser les joueurs avec de belles attaques !

Dans la création des personnages, c’est donc le gameplay qui prime sur le graphisme et le scénario ?

Toshimichi Mori : Pour le héros, il faut que ce soit un design très orthodoxe qui le signale en tant que « héros ». Donc pour lui, on commence par le design et les recherches sur papier, car il doit être immédiatement identifiable comme figure principale. C’est pourquoi on emploie toujours les mêmes codes couleurs. Au Japon, le héros est toujours habillé en rouge ! (NDLR : prenez l’exemple des Bioman dont Force Rouge est le leader !) Ensuite, on définit les personnages par les types de combattants et d’attaques que l’on veut créer. Le design vient ensuite.

En ce qui concerne le graphisme, nous sommes très exigeants chez ARC ! Il fallait impérativement que chaque protagoniste ait une apparence reconnaissable dès le premier coup d’œil et qu’en même temps les joueurs puissent deviner à son look son style de combat. Daisuke Ishiwatari a été intraitable sur ce sujet ! Nous avons fait des tables rondes pour choisir les designs les plus percutants qui correspondaient le mieux au gameplay que nous voulions mettre en place. Par exemple, Jin est un personnage très fin et élancé pour souligner sa rapidité et l’uniforme est là pour suggérer le côté technique.

Vous inspirez-vous de personnages d’anime ou de comics à la mode ? Les illustrations d’Iron Tager me font penser à Hellboy.

Toshimichi Mori : Ah oui, ce n’est pas faux ! (Rires.) Je n’y avais même pas pensé ! En fait, Tager n’est pas du tout lié à Hellboy. Il nous fallait un personnage très puissant au corps à corps, mais qui soit également lent afin de compenser cette caractéristique et ne pas le rendre invincible. Franchement, nous n’avions pas pensé à Hellboy. En fait, ce personnage est inspiré de l’anime Giant Robot ! La piste initiale était de faire un super robot surpuissant. En fait, au niveau du dessin, je m’inspire surtout de la série Trigun. J’aime bien tous ces noms à consonance américaine en deux parties du genre « Vash the Stampede » ! J’apprécie les armes et les designs des habits de cette série.

Le nombre de personnages masculins ou féminins est-il aussi lié aux attentes des joueurs ?

Toshimichi Mori : Le genre des personnages et leur nombre ne sont pas vraiment définis à l’avance. Mais selon moi, la bonne proportion est de six garçons pour quatre filles. Au Japon, il y a peu de joueuses, environ 20 % seulement. Mais une majorité de garçons aime jouer avec des personnages féminins. C’est pourquoi les figures féminines sont souvent très importantes dans les jeux de baston. Elles ne sont pas des éléments de second ordre, bien au contraire ! Du coup, il faut absolument soigner leur design et leur gameplay !

Prenons l’exemple de Final Fantasy VII. Je sais qu’en Occident Clad est le personnage favori des joueurs et celui qui apparaît le plus dans les cosplays. Au Japon, ce n’est pas le cas. Beaucoup préfèrent les personnages plus efféminés. D’ailleurs, le dernier Final Fantasy a pour personnage principal une femme !

En ce qui concerne le style vestimentaire des personnages, de quoi vous inspirez-vous ?

Toshimichi Mori : En fait, je m’inspire de Star Wars (rires) ! Je pense que George Lucas a réussi à faire une synthèse des styles vestimentaires occidentaux et asiatiques. Après tout, les Jedi portent une sorte de kimono mélangée à une robe de moine ! Regardez Jin ! Il porte un kimono et par-dessus, il a une veste militaire. J’ai essayé de faire en sorte que tous les costumes mélangent les deux influences. Ensuite, nous apprécions particulièrement les uniformes au Japon. J’ai donc fait des variations dessus.

Vous arrive-t-il de jouer avec les désirs des joueurs ou de ne pas parvenir à satisfaire à leurs attentes ?

Toshimichi Mori : Il y a toujours des figures un peu mystérieuses où le joueur doit tester le personnage pour savoir quelle est sa technique de combat. Ensuite, même lorsqu’on fait de notre mieux pour rendre les protagonistes intéressants, il y a toujours un personnage un peu boulet que personne ne veut jouer ! C’est pourquoi j’ai accordé beaucoup d’importance à l’histoire comme à placer les combats dans un contexte. Plus qu’un jeu de baston, il s’agit de créer un univers scénarisé.

Du coup, une fois que les joueurs ont fait le tour d’un personnage, ils ont souvent envie d’en tester un autre afin de connaître son histoire. Bien sûr, il y a toujours des personnages plus populaires au début mais comme l’histoire est élaborée et que le public est demandeur de background, tous les protagonistes deviennent intéressants. BlazBlue est sans doute le jeu de baston où le « story mode » est le plus étoffé ! C’est vraiment ma fierté, et même les gens qui n’aiment pas ce style de jeu y jouent pour connaître l’histoire.

Est-ce pour cela que chaque personnage possède une fiche d’identité détaillée (taille, poids, date de naissance, groupe sanguin…) ?

Toshimichi Mori : Tout à fait ! C’est très important que le public puisse s’intéresser aux personnages et à leur histoire. De plus, les dates de naissance correspondent toujours à des fêtes, ce qui nous permet de faire des événements spéciaux. Pour l’anniversaire de Jin (le 14 février), nous avons organisé une compétition où il n’y avait que des filles dans une salle d’arcade de Shinjuku. Elles étaient plus de trois cents à concourir !

Le côté androgyne du personnage est donc fait pour plaire aux filles ?

Toshimichi Mori : À fond ! Il y a de plus en plus de filles qui jouent et elles préfèrent prendre des personnages féminins ou des androgynes que des figures trop masculines comme Bang.

Comment les idées de scénario vous viennent-elles ?

Toshimichi Mori : L’inspiration vient dans des moments de flottement entre le sommeil et la veille. Il m’arrive souvent de prendre des notes dans la nuit car je trouve une idée super, mais en général, le lendemain, ce que j’ai griffonné est incompréhensible (rires) !

Les personnages de BlazBlue sont modélisés en 3D mais l’animation est faite en 2D traditionnelle et à la main. Pourquoi ne pas avoir tout fait en 3D avec des effets 2D comme dans Street Fighter IV ?

Toshimichi Mori : On nous pose souvent cette question ! La 3D est très pratique pour les personnages et les animations, mais je trouve que cela manque de dynamisme. Par ailleurs, c’est un peu comme de comparer la sculpture et le dessin. Ce sont deux techniques différentes pour reproduire la réalité. Les deux sont valables, les deux sont intéressantes et il y a de belles œuvres dans les deux domaines. Dans notre cas, nous préférons simplement le dessin à la sculpture ! C’est un art que nous maîtrisons mieux et qui nous permet de mieux aboutir à nos fins.

La suite dans IG Magazine 7.

Qu'en pensez-vous ?