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Family Compo ou comment jouer avec le genre

Qu’est-ce qu’une famille ? Qu’est-ce que le genre ou le sexe biologique ? Ce sont les questions sérieuses auxquelles répondent les pages du magnifique et désopilant manga de Tsukasa Hojô, Family Compo.

Ce manga ne met pas en scène une contrée mystérieuse et exotique où fourmilleraient de jeunes femmes aux formes plantureuses destinées à assouvir la libido contrariée d’adolescents boutonneux en mal d’affection.

Certes, c’est ce que le lecteur pourrait penser en regardant les illustrations au style réaliste de Family Compo, BD de Tsukasa Hojô traduite en français aux éditions Tonkam. Il est vrai qu’au fil des quatorze couvertures du manga, les jeunes femmes plutôt dénudées se succèdent dans des poses plus ou moins lascives.

Et lorsqu’on sait que l’auteur est surtout connu en France pour Cat’s Eyes et Nicky Larson (City Hunter de son titre original), deux séries de dessins animés inspirées de ses bandes dessinées, on pourrait alors s’attendre à des intrigues policières dans lesquelles défileraient des ersatz de James Bond girls. Il n’en est rien.

Masahiko Yanagiba, jeune étudiant de Tôkyô, se retrouve recueilli par son oncle à la mort de son père, sa mère étant décédée depuis bien longtemps. Il souhaite retrouver chez son oncle Sora et sa tante Yukari la chaleur humaine qui lui a tant fait défaut dans son propre foyer.

La famille Wakanae paraît admirable et respectable à tous points de vue. Le père, bel homme à la carrure imposante, est dessinateur de manga et publie sous le pseudonyme de Sora Harukaze des séries pour adolescents mettant en scène un héros viril. La mère, douce, tendre et fragile, est femme au foyer et s’occupe de la maison avec soin.

Pour parfaire l’image idyllique et stéréotypée de la famille hétérosexuelle, le couple a une fille, mignonne et dynamique, élève brillante qui prend plaisir à taquiner son cousin. Tout cela est trop beau pour ne pas être suspect pour un lecteur averti.

Au moment où notre héros pense avoir retrouvé une famille modèle dans laquelle il peut se fondre harmonieusement et jouer au grand frère avec sa cousine Shion, il découvre que son oncle est une femme, sa tante un homme, et leur enfant un être qui a changé d’apparence sexuelle presque à chaque nouvelle année scolaire et dont le sexe biologique reste ambigu.

Surpris, sa première réaction est de fuir hors de cette famille où les repères génériques sont mis à mal. Voir son oncle danser nu en exhibant ses seins lors d’une soirée trop arrosée n’est pas une vision particulièrement habituelle.

Mais, finalement, Masahiko s’adapte assez bien à sa nouvelle famille et admet que le travestissement  n’est qu’un ajustement nécessaire des apparences à l’identité réelle de ses parents adoptifs.

C’est d’ailleurs lorsqu’ils ne sont pas travestis, lorsque Sora est habillé en femme et Yukari en homme, qu’ils paraissent être des travestis. En outre, Masahiko va lui aussi être conduit à se déguiser en femme pour les besoins d’un film de son club de cinéma amateur.

Sous les traits de « Masami », mystérieuse beauté aux apparitions aussi brèves que foudroyantes, il va faire des ravages dans le campus, augmentant très nettement le nombre d’inscrits mâles de son club.

C’est d’ailleurs lorsqu’ils ne sont pas travestis, lorsque Sora est habillé en femme et Yukari en homme, qu’ils paraissent être des travestis.

Jouant sur les quiproquos, la série présente une galerie de personnages étonnants : un yakusa amoureux du héros dans sa version féminine qui cherche à le faire devenir une « vraie femme », opération chirurgicale à l’appui ; une jeune fille qui se fait passer pour un garçon et qui charme les adolescentes pour mieux les exploiter ; d’anciennes amours de Shion dans sa version féminine ou masculine prêt(e) à tout pour le/la reconquérir, et bien d’autres personnages dont l’identité sexuelle n’est pas celle que l’on pense. Ajoutons à cela quelques problèmes liés à la physiologie féminine comme les règles qui rendent l’oncle Sora particulièrement  irritable…

Les intrigues de Family Compo se basant sur le travestissement sont monnaie courante, notamment dans le shôjo (manga destiné à un public féminin).

Dans le cas de Family Compo, l’auteur joue sur le comique de situation, mais il s’attache surtout à décrire de manière réaliste une famille unie. 

Chaque chapitre est une tranche de vie des Wakanae, famille d’apparence si irréprochable et si soudée que les autres paraissent bien défaillantes. Séparation du couple parental et incompréhension entre les générations semblent le lot commun des cellules familiales hétérosexuelles dans ce manga qui fait passer un message de tolérance sous une forme légère et distrayante.

L’un des principaux ressorts comique de la série réside dans les difficultés du couple Wakanae à paraître anodin dans des lieux aussi problématiques que les sources thermales d’eau chaude, la plage ou les hôpitaux.

S’ajoute à cela les difficultés occasionnées par la venue d’anciens amis qui ne les connaissent que sous leur ancienne identité, ou les complications liées à l’irascible père de Sora qui n’admet toujours pas que sa fille soit un homme.

Les variations autour des problèmes ayant trait à l’acceptation de la différence d’identité sexuelle sont accentuées par les intrigues mettant en scène des personnages secondaires homosexuels ou transsexuels. Chacune des péripéties de la vie quotidienne de ce couple de transgenres est traitée avec humour sans sombrer dans le pathos.

Finalement, le lecteur comme Masahiko accepte la différence et comprend que ce qui pose problème n’est pas tant le travestissement que le regard de la société sur l’identité de genre.

Shion est-il un garçon ou une fille ?

L’autre ressort comique du manga est l’indétermination de Shion. Elle a actuellement l’apparence d’une fille, mais hésite à le rester.

Masahiko sera bien des fois sur le point de lui poser la question : est-elle une fille ou un garçon ? Pourra-t-il aimer sa cousine en hétérosexuel ou en homosexuel ?

En fait, la question n’est pas vraiment présentée ainsi. Bien qu’il se travestisse en femme, bien qu’il soit amoureux d’une personne dont il ne connaît pas le sexe, Masahiko semble rester hétérosexuel.

Il veut que Shion soit une femme et l’idée qu’elle puisse ne pas l’être le trouble. Bien des fois, il fait le cauchemar de la voir arborer des attributs sexuels masculins.

Ce dernier point est sans doute explicable par le public visé (hétérosexuel masculin) qui doit pouvoir s’identifier avec le héros du manga.

Vous l’aurez compris, Family Compo prône le choix dans l’identité de genre et les goûts sexuels tout en emportant l’adhésion du lecteur par ses intrigues hilarantes et ses personnages attachants. Il démontre que la notion de famille n’est pas liée à celle d’un genre ou d’un sexe.

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