Catégories
Jeu vidéo

Yoji Shinkawa, directeur artistique de Metal Gear Solid

L’une des principales différences entre Metal Gear Solid et Splinter Cell se situe au niveau du design des personnages : photoréaliste d’un côté, plus stylisé de l’autre. L’identité graphique très prononcée de la série d’Hideo Kojima est assurée par Yoji Shinkawa, directeur artistique et designer depuis 1998. Influences, techniques et style sont détaillés dans ce court portrait.

Né à Noël en 1971, Yoji Shinkawa a eu une enfance relativement tranquille dans la région d’Hiroshima où il a été bercé par les séries télévisées japonaises de la Tatsunoko.

Ce nom ne vous dit sans doute rien, mais cette société était l’une des plus grosses entreprises de dessin animé des années 1970 à 1990, avec des titres comme Speed RacerDemetanShurato ou Video Girl Ai.

Elle avait aussi et surtout un très gros catalogue de séries avec des Mechas (robots géants et autres machines) qui ont fait rêver tous les jeunes garçons de l’archipel nippon : Gatchaman (alias La Bataille des planètes), Macross (alias Robotech), Tekkaman, Evangelion et bien d’autres.

Parmi les autres dessins animés marquants, on compte l’inévitable Gundam (chez Sunrise), série sans doute plus populaire au Japon que Star Wars !

Anime et Mecha fan

Avec tout cet imaginaire lié aux Mechas, vous comprenez pourquoi Yoji Shinkawa dessine les robots et les diverses machines du jeu avec autant d’amour et de plaisir que les personnages.

Dans les interviews qu’il accorde, le dessinateur avoue en outre qu’il ne peut pas s’empêcher de vouloir dessiner des humains quand il doit créer des Mechas, et qu’il se retrouve toujours à dessiner des robots à l’arrière-plan des illustrations mettant en scène des personnages.

Féru de Gundam et de Five Star Stories, il se dit ouvertement anime fan et puise son inspiration dans cet univers plus que dans le jeu vidéo.

Un soin tout particulier est donné aux diverses versions du Metal Gear, engin bipède armé de missiles nucléaires, qui est au cœur de la série vidéoludique et qui lui donne son nom.

Cette machine de guerre entre dans le même imaginaire du robot géant humanoïde que celui des séries télévisées et en suit les évolutions graphiques.

Dans la série Zone of the Enders, Shinkawa a pu donner vie à tous les croquis de Mechas qu’il avait faits dans sa jeunesse avant d’entrer chez Konami.

L’univers de ce jeu étant plus fantaisiste que celui de Metal Gear Solid, il a pu y placer beaucoup de design non retenu pour le jeu d’infiltration.

Sa passion pour les machines est telle qu’il modélise lui-même certains engins – comme les Metal Gear de MGS 4 – avec de l’argile afin d’aider les équipes de 3D à mieux appréhender les volumes.

Il avoue par ailleurs qu’il rêve de designer des voitures, car il est un vrai passionné d’automobile.

Tatsunoko’s touch

Outre le goût des Mechas, Shinkawa puise dans les séries de sa jeunesse l’essentiel de son style graphique : personnages aux proportions réalistes avec une vague inspiration comics.

Il faut dire que les character designers de la Tatsunoko voulaient imiter le style occidental pour les séries de science-fiction tout en conservant leur touche personnelle.

Les deux artistes qui l’inspirent le plus sont sans doute Yoshikazu Yasuhiko (créateur de Gundam) et Yoshitaka Amano (créateur de Gatchaman).

Cette filiation avec les anime de Tatsunoko explique sans doute pourquoi, dans son style, on retrouve peu d’éléments qui font penser au manga, comme les grands yeux, les petits nez disparaissant selon les angles de vue…

Durant sa scolarité, quand il faisait partie d’un club de manga, il se trouvait peu doué par rapport aux autres lorsqu’il s’agissait de faire de jolies filles kawaii correspondant aux stéréotypes à la mode.

C’est aussi pour cela qu’il a essayé de trouver son propre style et des techniques pour se distinguer.

Vers l’âge de douze ou treize ans, Yoji Shinkawa découvre la bande dessinée franco-belge et plus particulièrement Bilal. Ne comprenant pas la langue – les BD n’étant pas encore traduite – il déchiffre case à case l’album français et s’en imprègne notamment au niveau des couleurs.

C’est d’ailleurs par ce biais qu’il distingue Metal Gear Solid des autres productions plus flashy de l’époque. L’utilisation du bleu et du gris dans le premier MGS est à la fois liée à l’influence de Bilal et à la création d’une ambiance qui sied à un jeu d’infiltration.

Shinkawa n’oublie jamais que son dessin est au service du jeu et de l’immersion du joueur dans un univers. C’est pourquoi, après des essais pour adapter son style très jeté au niveau des textures pour la création des personnages, il a préféré adopter un certain photoréalisme convenant mieux au style de jeu.

L’aspect très graphique qui fait la marque de fabrique de la série est gardé dans tous les supports de communication comme les jaquettes toujours travaillées à partir de dessins.

Personnages en gestation

En collaboration avec Hideo Kojima qui imagine le passé des personnages et leur caractère, Shinkawa élabore les designs et s’assure de la cohérence artistique.

Il garde toujours en tête la démarche de ces personnages, car contrairement à ce qui se produit dans une simple illustration, les personnages doivent être animés et manipulés par le joueur.

Bien sûr, MGS n’échappe pas aux stéréotypes. Snake est le prototype du héros solitaire un peu taciturne qui a beaucoup vécu. Ce rônin moderne est aisément identifiable par le public et relativement simple à élaborer.

Ce qui pose plus de problèmes à Shinkawa est la création de personnages sans passé ni biographie un peu dense, comme les ennemis de MGS 3. Ceux-ci dévoilent peu de leur histoire avant de se faire tuer par le héros…

Ayant moins de contraintes ou d’indications, il lui est plus difficile de trouver une direction graphique pour les dessiner.

Dans le dernier MGS, il a dû dessiner plus de 300 visages différents pour tous les soldats de Mother Base. C’est jusqu’à présent le titre qui a nécessité le plus d’artworks.

Parfois, l’élaboration des personnages se fait d’abord par le dessin. Ainsi, le ninja du premier MGS était un croquis qui avait plu à Kojima.

Ce dernier a ensuite décidé d’en faire un personnage central. De même, l’un des protagonistes devait être un homme (Sniper Wolf), et c’est Yoji Shinkawa qui a proposé d’en faire une femme pour changer.

Dans le cas de Raiden, c’est la remarque d’une jeune fille qui a motivé le design. Lors d’un des sondages effectués pendant MGS, une cliente a expliqué qu’elle ne voulait pas jouer à un titre rempli de vieillards et qu’elle préférerait voir de beaux jeunes hommes. C’est ainsi qu’est né Raiden dans MGS 2.

Comme la plupart des joueurs le trouvaient trop efféminé, son design a été repensé dans MGS 4 pour lui créer une histoire plus profonde : son corps n’est quasiment plus humain en dehors de son visage et de sa colonne vertébrale.

Ce nouveau look plaît tellement qu’il devient l’un des personnages favoris de Shinkawa et le prochain titre de la série, Metal Gear Solid : Rising, lui est consacré.

Techniques

La plupart du temps, Yoji Shinkawa dessine avec le Brush Pen de Pentel, une sorte de pinceau d’encre de Chine sous forme de feutre, ce qui évite le transport d’un pinceau et d’un flacon d’encre, les deux étant dans le même outil.

Ceci lui permet de faire des croquis n’importe où et n’importe quand même si, maintenant qu’il a un enfant, son emploi du temps est un peu plus chargé et réglé.

Il garde le côté très vivant des croquis en employant une technique proche du layout qui évoque au lieu de poser définitivement les traits ou les contours.

En jouant sur la suggestion des formes, il peut ainsi garder une impression de légèreté et de facilité, alors que le dessin est très travaillé et détaillé au niveau des nombreux traits qu’il met pour former les silhouettes.

Il avoue préférer la création de personnages à l’illustration destinée à la promotion, travail beaucoup plus stressant, car l’image est en quelque sorte « définitive » et donne l’identité visuelle au jeu.

Sa technique qui fait que son trait est reconnaissable de suite n’est pas sans poser de problème aux infographistes qui doivent déterminer des contours définitifs et précis pour la création des personnages en 3D.

En ce qui concerne les mises en couleurs, Yoji Shinkawa passe généralement par les logiciels Paint ou Photoshop sur ordinateur Mac. Il continue néanmoins de dessiner avec le Brush Pen, car celui-ci amène plus d’imprévu (taches fortuites) et permet de mieux s’adapter aux méandres de la création.

Il arrive d’ailleurs que la réalité dépasse la fiction. Les dernières scènes de MGS 2 ont ainsi dû être refaites suite à l’attentat du 11 septembre pour que le jeu vidéo ne se rapproche pas trop des événements réels.

Dans le premier MGS, la technologie de la PlayStation ne permettait pas une résolution très détaillée par rapport à ce qui se fait aujourd’hui.

C’est aussi pourquoi Yoji Shinkawa est passé de simples croquis à des dessins plus détaillés et doit plus s’impliquer dans les détails de la réalisation d’un personnage, même s’il laisse toujours aux graphistes 3D une certaine marge de manœuvre.

Avec la PlayStation 3, il a dû être plus rigoureux et produire des dessins plus précis pour la conception des modèles.

Il essaie aussi de s’inspirer au plus près de personnes réelles comme l’actrice japonaise Yumi Kikuchi qui a servi de modèle à Raging Raven ou Cécile Caminades, chargée de communication française, qui devient Cecile Cosina Caminades dans MGS : Peace Walker.

Différentes techniques sont employées pour créer un modèle 3D des personnages et des Mechas. En général, les designs de Yoji Shinkawa sont retravaillés pour élaborer le personnage virtuel, et lorsque le dessin est compliqué, une sculpture en argile est élaborée.

Ces données sont ensuite importées dans le logiciel Softimage XSI pour être reprises par les infographistes. En plus du dessin, Shinkawa donne des indications précises sur les couleurs, les textures et les ombres qui vont être développées et appliquées aux personnages et aux Mechas.

Par la suite, ces modèles servent à la fois aux cinématiques, aux trailers et aux séquences en jeu afin de garder une même unité artistique et ne pas rompre l’immersion du joueur entre les phases de jeu et les cut scenes.

À lire : Metal Gear Solid Comics

Dans le premier artbook de Metal Gear Solid, Yoji Shinkawa explique qu’il a dû faire des planches de comics pour le marketing. Bien qu’il ait apprécié ce challenge, il ne se voyait pas faire de la bande dessinée, travail très long et assez épuisant auquel il n’avait pas de temps à consacrer.

En 2006, l’artiste Ashley Wood a donné vie à la bande dessinée dont rêvait Shinkawa. En collaboration avec Kris Oprisko qui a retravaillé le scénario de MGS, le dessinateur australien a produit douze fascicules qui ont ensuite été retravaillés pour créer le « jeu » MGS : Digital Graphic Novel, à la frontière entre une BD interactive et un jeu.

Et si vous avez lu jusqu’ici et apprécié l’article, offrez-moi un café 🙂

Autres portraits de concept artist :

Qu'en pensez-vous ?