Bien avant les clashs sur les réseaux sociaux et la prévalence d’internet, de petits groupes de passionnés voulaient propager leur amour pour l’animation japonaise. Voici comment des Québecois écrivant dans un anglais curieux ont influencé des Parisiens et contribué au développement du manga et de l’anime en France.
Pour les petits jeunes qui se plaignent de n’être pas encore nés dans les années 1980, voici quelques éléments de contexte. L’animation japonaise est diffusée aux États-Unis et en France depuis les années 1960 mais peu de gens savent que la production est japonaise. Au tournant des années 1980, suite au succès de Star Wars au cinéma en 1977, de nombreuses sociétés achètent des séries de science-fiction japonaises et les adaptent pour une diffusion en Occident.
Dans le cas de Kagaku Ninja-tai Gatchaman (1972), la série de 105 épisodes est remontée et réduite à 85 épisodes : les scènes jugées trop violentes sont supprimées et l’ajout de nouvelles séquences montrant un personnage de robot (7-Zark-7) sert à évoquer le R2-D2 de La Guerre des étoiles. Cette version produite par les Américains de Sandy Frank Entertainment se retrouve sur TF1 en 1979 sous le titre La Bataille des planètes. La série est censée rivaliser avec le Goldorak de la chaîne Antenne 2 diffusé depuis 1978.
L’effet Robotech
De la même manière, Karl Macek achète et remonte plusieurs séries de SF pour le compte de la société de production et de distribution de télévision Harmony Gold USA. Chôjikû Yôsai Macross (36 épisodes, 1982), ChôJikû Kidan Southern Cross (23 épisodes, 1984) et Kikô Sôseiki Mospeada (25 épisodes, 1983) deviennent alors Robotech sur les petits écrans américains en 1985. Cette version arrive sur la chaîne La Cinq le 25 mai 1987 dans l’émission Youpi ! L’école est finie. C’est donc avec deux ans d’avance que les Américains et les Canadiens tombent sous le charme de cette saga mêlant combat spatiaux et chanson d’amour, drame politique et tragédie intime. Pour unifier les trois séries, les Américains modifient des dialogues et ajoutent une nouvelle mythologie où la « protoculture » est une source d’énergie que les humains et les extraterrestres convoitent. Ce néologisme est repris en titre du fanzine canadien qui devient le magazine officiel de Robotech en Amérique.
Par la suite, la revue se transforme en magazine sur la culture populaire japonaise avec des articles sur les séries d’animation, les mangas et les divers produits dérivés. Elle devient aussi l’une des sources d’informations essentielles pour tous les amateurs européens. Les liens se tissent rapidement entre les groupes de fans et dans un numéro de 1992 il y a même un article sur la France par Philippe Lhoste, rédacteur chez AnimeLand, fanzine créé par des Parisiens en 1991.
Pour en savoir plus sur Protoculture Addicts, il faut aller sur le site de l’un des fondateurs, Claude J. Pelletier, qui a écrit une rétrospective et mis en ligne une table ronde sur le rôle de précurseur qu’a eu le fanzine dans la culture populaire.
Mais comme je voulais avoir encore plus de détails sur cette période, j’ai bombardé Claude et sa femme Miyako de questions plus ou moins stupides. Heureusement, ils ont tous deux accepté d’y répondre ce qui me donne la possibilité d’héberger des témoignages directs de ceux qui ont changé le paysage culturel en France.
Voici tout d’abord les réponses de Claude sur cette période charnière dans les années 1980. (Pour lire le témoignage de sa femme Miyako Matsuda, il faudra patienter ou le lire en anglais ici.)
Manga et anime au Canada
Quel est votre premier souvenir de dessins animés ? Dans quelles circonstances avez-vous vu ce titre ? Était-ce à la télévision ? Au cinéma ?
Quand j’étais enfant (dans les années ’60 et ’70) je me souviens d’avoir regardé beaucoup de dessins animés à la télévision. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte que ces dessins animés étaient japonais: Le roi Léo (Jungle Taitei), Marine Boy (Ganbare! Marine Kid), Mini-Fée (Mahotsukai Sally), Speed Racer(Mach Go Go Go), Prince Sapphire (Ribbon no Kishi), Démétan (Kerokko Demetan), Heidi (Alps no shojo Heidi), Vic Le Viking (Chiisana Viking Vicke), Calimero (id.), et Maya l’Abeille (Mitsubachi Maya no Boken) sont les titres les plus mémorables.
Je me souviens également d’avoir regardé avec assiduité et passion la série télé tokusatsu de Tsuburaya, Ultraman.
Est-ce que cela faisait partie des choses habituelles de l’enfance ou est-ce que cela vous a donné envie d’en savoir plus sur le média lui-même ?
Non, à l’époque, je ne me suis pas posé de questions sur ces séries d’animation. Je ne faisais que les visionner passivement.
Ce n’est qu’après avoir découvert Robotech et le fait que la série était constituée d’un amalgame de dessins animés japonais qu’est né mon intérêt pour l’anime et que j’ai réalisé que la plupart des séries de mon enfance étaient en fait des anime.
Étiez-vous un « gros lecteur » ? Quels sont les livres qui vous ont marqué (hors BD) ?
J’ai été un lecteur assidu très tôt. J’ai bien sûr lu beaucoup de BDs. Nous visitions régulièrement la bibliothèque de l’école et la bibliothèque municipale. Mes parents nous avaient abonnés aux magazines Pif Gadget, Tintin et Pilote (je n’ai connu Spirou qu’une fois adulte — plus tard mon magazine de BD favori a été Métal Hurlant) ce qui fait que — en plus de certains comics américains comme Charlie Brown — j’ai lu la plupart des BDs franco-belges classiques : Tintin, Astérix, Lucky Luke, Achille Talon, Boule & Bill, Rahan, Philémon, Génie des Alpages, Les Schtroumpfs, Yoko Tsuno, Gaston Lagaffe, Iznogoud, Michel Vaillant, Valérian & Laureline, etc.
J’ai rapidement gradué vers des romans jeunesse (bibliothèque Verte), puis j’ai lu tous les Bob Morane ainsi que plusieurs autres séries de Marabout Junior (Doc Savage, Gil Terrail). Je me suis aussi intéressé un peu à ce que mes sœurs lisaient: la série Sylvie (par René Philippe) aussi chez Marabout Junior, les San Antonio, les Agatha Christie et les Arsène Lupin. J’ai surtout lu une grande quantité de Fleuve Noir Anticipation (près d’une centaine de titres par année — dont la série Perry Rhodan) avant de m’attaquer aux classiques de la SF, mes auteurs favoris étant : Asimov, Barjavel, Bradbury, Brunner, P.K. Dick, Farmer, Heinlein, Herbert, Le Guin, H. P. Lovecraft, Silverberg, Simak, Sprague de Camp, Tolkien, van Vogt, Verne, H.G. Wells, Zelazny. Dans les auteurs plus récents, je dois également citer William Gibson, Kim Standley Robinson et Charles Stross.
Je crois que tous ces auteurs m’ont marqué d’une façon ou d’une autre. Il est difficile de dire lesquels m’ont le plus marqué; sans doute Dick, Herbert, Lovecraft et Tolkien.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers la SF au lieu de l’Histoire ?
Mes parents m’ont inculqué très tôt le goût de la lecture et de l’Histoire (le passe-temps de mon père, qui travaillait dans le cinéma, était la généalogie). Après avoir visité des sites de fouilles, je me suis particulièrement intéressé à l’archéologie (surtout de l’antiquité).
Étrangement, mon intérêt pour la SF est un peu venu de celui pour l’Histoire. Je me suis brièvement intéressé (avant de rapidement réaliser que cela ne faisait pas de sens) à ce qu’on appelait à l’époque “l’archéologie mystérieuse” (Eric von Daniken, Robert Charroux) qui liait ovni et présence d’extraterrestres dans l’antiquité. Cela a certainement joué un rôle.
Toutefois, l’intérêt pour la SF vient surtout d’avoir très jeune lu des BDs (Valerian, Yoko Tsuno) et des romans (Bob Morane, Perry Rhodan) de SF. À l’aube de l’âge adulte, je me suis mis à lire presque exclusivement de la BD de SF, avec les auteurs de Pilote et de Métal Hurlant: Bilal, Druillet, Mézières & Christin (Valérian & Laureline), Moebius, etc.
Mes intérêts tant pour la SF et l’Histoire ont donc longtemps évolués en parallèle et si l’une à prit le pas sur l’autre professionnellement, ce n’est que le fruit du hasard. Pendant mes études universitaires en histoire, j’avais créé une petite maison d’édition (Publications Ianus) pour publier un fanzine consacré à la SF québécoise (Samizdat). De mon intérêt pour la SF a découlé celui pour l’anime, et j’ai donc aussi débuté un fanzine consacré à Robotech (Protoculture Addicts). Comme mes recherches de doctorat piétinaient un peu (le département d’histoire, surtout dédié à l’histoire nationale, offrait de la résistance envers la direction que prenaient mes recherches) et que la maison d’édition (créé d’abord juste comme un passe-temps) commençait à demander mon attention à temps plein, j’ai donc décidé d’abandonner le doctorat en histoire pour me consacrer totalement à la maison d’édition. C’est à ce moment que la SF a pris le pas sur l’Histoire…
Quel est votre premier souvenir de bandes dessinées ? Quel est votre premier souvenir de manga ? Dans quelles circonstances avez-vous trouvé ces titres ?
Les premières BDs que je me souviens d’avoir lu dans la bibliothèque de mes parents sont “Les Aventures de Martin le Malin.” J’en ai encore trois albums dans ma bibliothèque: L’héritage de l’oncle Archibald (#7), Martin le Malin et le monstre marin (#8) et Les espions de l’espace (#15). C’est une BD des années ’50 par J. H. Koeleman originalement publiée en néerlandais et traduite en français chez les Albums du Gai Moulin. Et, oui, c’était de la SF.
Je me souviens également vaguement d’une autre BD des années cinquante, Le Manitoba ne répond plus, une aventure de Jo, Zette et Jocko par Hergé. Par la suite, j’ai lu les Aventures de Tintin, et les histoires publiées dans les périodiques Tintin et Pilote.
Les premiers manga que j’ai lu (les ayant achetés dans une boutique de comics) étaient ceux publiés par Eclipse Comics : Area 88, Kamui et Mai, the Psychic Girl. C’étaient les seuls manga disponibles en traduction à l’époque. Aucun titre n’était disponible en français. Lorsque Eclipse n’a pas payé à Shogakukan les redevances de droits négociés pour eux par Toren Smith, les titres ont été repris par Viz Comics (et certains autres ont suivi Toren Smith chez Dark Horse). Le premier manga que j’ai lu en français a été Dragonball(acheté en librairie).
SF en anime et manga
Comment avez-vous découvert Robotech ? Qu’est-ce qui était inédit dans Robotech ?
Un ami m’en a parlé. La série jouait à la télé américaine et suite à sa recommandation je me suis mis à la regarder. J’ai rapidement été très impressionné par la maturité du récit et la complexité de la narration : un des personnages principaux meurt dès les premiers épisodes, l’action est captivante, on retrouve un triangle amoureux, la musique joue un rôle primordial dans le récit, etc. Les séries d’animation nord-américaines faisaient piètre figure en comparaison avec leur animation plutôt limitée et des scénarii simplistes. Cela m’a fait réaliser deux choses : d’une part, que l’animation, quand elle était bien produite, se révélait le médium idéal pour des récits de science-fiction sérieux et, d’autre part, en faisant quelques recherches sur la série, que c’était en fait une animation japonaise (tout comme, à ma grande surprise, la plupart des séries d’animation de mon enfance).
Pourquoi Robotech vous a plus intéressé que d’autres anime de SF disponibles de l’époque ?
C’était la SEULE série d’anime que je connaissais. J’ai été suffisamment impressionné pour décider, avec des amis, de faire un fanzine qui lui était consacré afin d’approfondir notre connaissance sur le sujet. Cela nous a amenés à découvrir le vaste monde de l’animation japonaise. Après dix numéros, le fanzine s’est d’ailleurs consacré à l’animation japonaise en général.
Comment avez-vous découvert les ayants droit américains ?
Je n’en suis plus très sûr. Je crois que nous étions en contact avec Kevin Siembieda à Detroit (Palladium Books, qui publiait le jeu de rôle de Robotech) et que c’est lui qui nous a donné l’adresse de Harmony Gold. Ou alors nous avons trouvé leur adresse dans une des publications traitant de Robotech (soit le comics de Comico, les cassettes VHS de Family Home Entertainement, le “Official How To Draw Robotech“ de Blackthorne Publishing ou le “Robotech Art Book” de Donning Publishing). Quoiqu’il en soit, l’adresse de Harmony Gold était déjà indiquée dans le numéro zéro du fanzine.
Saviez-vous que la série était initialement japonaise ?
Oui, très tôt dans nos recherches, nous avons constaté que la série était en fait un amalgame de dessins animés japonais.
Avez-vous vu les 3 séries japonaises en dehors du remontage Robotech ?
Oui, j’ai vu les trois séries en version originale sous-titrée et je les ai trouvées excellentes. Je n’ai pas vraiment de préférence, car les deux versions ont leurs points forts. Parmi les versions japonaises, mes favorites sont Macross et Mospeada. Je trouve Southern Cross beaucoup moins intéressant. Par contre, je dois avouer que Carl Macek a fait preuve de génie dans la façon qu’il a intégré trois récits qui n’avaient rien en commun à la base pour en faire un ensemble très cohérent.
Avez-vous des séries SF favorites en dehors de Robotech en manga/anime ?
Plusieurs (voir mon entrée de blogue consacrée à mes séries favorites). Je citerais préférablement (en top 5) Ghost in The Shell (TV + movies), Kimagure Orange Road, Nausicaa, Evangelion et probablement n’importe quelle œuvre d’Osamu Tezuka.
Est-ce qu’il y a quelque chose qui distingue la SF japonaise de la SF occidentale ?
Je n’ai pas encore lu beaucoup de SF japonaise (il y en a si peu de traduites), mais c’est un autre projet pour la retraite. Si je me fie aux anime et manga que j’ai vus ou lus, je dirais que la SF occidentale est plus humaniste et que la SF japonaise est plus axée sur la technologie (robot, mécha, vaisseau spatial, etc.). Il est toutefois difficile de généraliser, car la SF occidentale est loin d’être homogène, puisque l’on retrouve de grandes différences entre la SF européenne et américaine…
Academia
Vous étiez étudiant à l’université lorsque vous avez débuté le fanzine. Pourquoi avoir choisi l’histoire antique et non la littérature pour faire des recherches en SF ?
À cette époque, la SF n’était pas considérée comme une littérature. C’était de la para-littérature qui n’était pas considérée sérieusement et pas du tout étudiée dans le monde académique (du moins au Québec). L’Histoire était une valeur plus sûre pour espérer faire une carrière… Les choses ont beaucoup changé.
Pourquoi avoir arrêté vos études au lieu de changer de domaine pour utiliser vos connaissances dans le domaine de la SF, manga/anime ? Était-ce envisageable à cette époque ?
Non, comme je l’ai déjà mentionné, ce n’était pas envisageable à l’époque de faire une carrière académique dans ce domaine. Par contre, j’espérais pouvoir vivre de la maison d’édition. Ce ne fut, hélas, pas très réaliste. L’internet est rapidement venu anéantir la publication papier, surtout des périodiques.
Avez-vous appris le japonais ? Avez-vous envisagé d’étudier le japonais pour valoriser vos connaissances dans le domaine de la SF, manga/anime ?
J’ai bien essayé d’apprendre le japonais (des cours à l’université, des manuels, des CDs, des apps), mais je ne suis pas très doué pour les langues. Après plus de vingt ans, j’y ai renoncé.
Vous continuez d’écrire sur les séries qui vous intéresse sur votre blog. Envisagez-vous de faire des versions plus « académiques » de vos textes ?
Non, je me suis trop éloigné du milieu académique. Je ne saurais pas par où commencer. Par contre, j’ai plusieurs projets de publications sur lesquels je compte travailler après ma retraite.
Entreprenariat
Combien étiez-vous pour la création du premier numéro de Protoculture Addicts ?
Au départ nous étions une demi-douzaine de participants (Michel Gareau, Jean Carrières, Yvon Maillé, Paul Berthiaume, Alain Dubreuil et moi-même) pour le #0, mais cela s’est rapidement réduit de moitié par la suite (Michel Gareau, Alain Dubreuil et moi-même).
Comment avez-vous fait pour imprimer et distribuer le premier numéro ? En combien de temps avez-vous réalisé ce premier numéro ?
Je crois que nous avons produit le premier numéro (#0) en quelques mois. Nous étions tous très inexpérimentés dans le domaine. Toutefois, j’avais déjà l’expérience d’avoir produit quelques numéros du fanzine de SF Samizdat (SZT) et je me suis basé sur cette expérience pour faire PA.
Le premier numéro était photocopié recto verso en format lettre (8.5 x 11 pouces) sur papier régulier sauf pour la couverture qui était photocopiée sur un carton mince. Il n’a été imprimé qu’à quelques dizaines d’exemplaires et distribué dans des boutiques de comics locales. Toutefois, comme il était photocopié, il y a eu plusieurs tirages pour répondre à la demande.
Comment étaient écrits les textes de Protoculture Addicts ? Manuscrit ? Machine à écrire ? Traitement de texte ?
Nous avions tous des ordinateurs, donc les textes ont été produits sur traitement de texte.
Comment se déroulait la fabrication du magazine au fil des numéros ?
La mise en page du fanzine était sur deux colonnes. À l’aide d’un traitement de texte, chaque colonne était imprimée au bon format et collée sur un carton. Les illustrations étaient réduites au bon format à la photocopieuse et collées dans le montage.
Pour le #2, nous avons engagé quelqu’un pour le montage, mais c’était à la fois dispendieux et insatisfaisant alors j’ai continué à faire la maquette sur carton. Après quelques numéros je crois que j’ai commencé à utiliser un logiciel de mise en page (mais je ne sais plus lequel). À partir du #11 nous avons utilisé les services du graphiste Pierre Ouellette, qui faisait la mise en page sur Adobe PageMaker. Il a également conçu la nouvelle jaquette du magazine, puis le nouveau format. Il s’est finalement joint à l’équipe, puis est devenu un associé (lorsque mes associés de l’époque ont quitté pour se consacrer à une véritable carrière, l’un dans l’armée et l’autre dans l’enseignement).
Lorsque nos chemins se sont séparés (Ianus Publications s’est scindé en Protoculture [moi] pour l’anime et Dream Pod 9 [Pierre Ouellette] pour le gaming) après le #37, j’ai repris la totalité du montage sur PageMaker. Plus tard, après m’être associé à Anime News Network, j’ai changé de logiciel pour InDesign et j’ai conçu une nouvelle jaquette. Pour pouvoir imprimer en couleurs, nous avons également changé d’imprimeur.
Vous avez été obligé de devenir professionnel du jour au lendemain pour financer les droits d’exploitation du terme protoculture. Est-ce que c’est quelque chose auquel vous vous attendiez lorsque vous avez écrit aux ayants droit américains ?
Nous ne nous attendions à rien de cela. Nous faisions le fanzine pour le plaisir. Les réactions des lecteurs étant positives (il n’y avait pas d’autres publications pour faire le lien entre les groupes et clubs de fans des différentes régions de l’Amérique donc notre travail était reçu avec enthousiasme) nous voulions poursuivre la publication. Toutefois, les exigences financières créées par la licence officielle des ayants droit nous ont forcés à produire un fanzine plus professionnel. C’était comme mettre la main dans un engrenage et les choses se sont enchaînées toutes seules. Nous avons dû apprendre sur le tas. Le seul marché pour ce genre de produit étant celui du comic book, nous avons donc dû adopter le format comics, une couverture couleur, une reproduction professionnelle chez un imprimeur et passer par les distributeurs de comic book (principalement Diamond et Capital City). Puis pour faire la promotion du magazine auprès des boutiques de comics nous avons participé à des “conventions” de distributeurs (Trade Show), des conventions de gaming (GenCon), de comics (ComicCon et des événements plus locaux) et finalement (quand elles ont commencé) d’anime (AnimeCon, Anime Expo, A-Kon, Anime Central, etc.).
Quelle était la nature de l’entité publiant Protoculture Addicts ? Était-elle différente de celle publiant les jeux de rôle et les livres ?
Ianus Publications a d’abord été une compagnie enregistrée (Enr) composée de trois copains qui ne recherchaient pas le profit. Puis, elle est devenue une compagnie incorporée (Inc) qui a eu entre trois et une douzaine d’employés (dans les bonnes années). C’est cette dernière qui a publié les jeux de rôle. Elle est devenue par la suite Protoculture Enr (avec seulement moi comme propriétaire) et finalement Protoculture Inc. (après l’association avec Anime News Network).
Vous avez publié des BD et des jeux de rôle. Qu’est-ce qui a dicté ces choix ? Quelle activité était la plus difficile à mettre en place ? Laquelle était la plus rentable ?
La première BD a été faite par plaisir. Michel Gareau et moi avions eu l’idée d’un scénario de BD, The Gates of Pandragon, et ont a voulu essayé de la publier par pur plaisir. Mais ce n’était pas d’assez haut niveau et les ventes n’ont pas été bonnes alors nous n’avons jamais publié le #2.
Pour le reste, nous cherchions à diversifier notre offre de produits afin d’accroître les ventes et tenter de rendre notre expérience en publication rentable. Pour cela nous avons publié des numéros spéciaux consacrés aux fameuses scènes de douche dans les anime (Anime Showers Special #1, 2 et 3). Nous avons essayé de publier une affiche avec des articles au verso (Poster-Zine #1, en collaboration avec Robert Fenelon de Anime-Zine). Nous avons essayé de publier une autre BD par Tim Eldred [qui a dessiné un des comics de Robotech] (Cybersuit Arkadyne #1-3). Toutefois, sauf pour les Anime Shower qui ont été assez populaire, rien de cela n’a généré de profit.
Pour ce qui est des jeux de rôle, mon associé de l’époque était amateur de modèle à coller et de jeux et il voulait donc que la compagnie aille dans cette direction. Moi, cela me laissait plutôt indifférent, mais je trouvais qu’il serait utile, encore une fois, de diversifier notre offre de produit. Les jeux de rôle ont eu l’avantage de nous donner accès aux distributeurs de jeux, ce qui a accru les ventes du magazine, surtout à l’international (avec des distributeurs de jeux en France, en Allemagne et en Italie).
Nous avons d’abord fait un magazine consacré aux modèles et aux mecha (Mecha Press) et même essayé de faire un journal (The Gamers’ Herald). Puis nous avons fait des modules de jeux pour Robotech et Macross II (de Palladium Books), puis pour un univers alternatif de Cyberpunk, avec des vampires, et pour Mekton (de R. Talsorian Games, dontJovian Chronicles). Toutefois, l’équipe de production voulait créer des jeux qui nous étaient propres alors nous avons créé Heavy Gear. Il y a eu aussi un module de jeu pour Project A-Ko qui utilisait une version simplifiée du système de jeu créé pour Heavy Gear. Toutefois, mon associé voulait que nous abandonnions complètement l’anime et les magazines pour se consacrer uniquement au jeu. Je n’étais pas d’accord (c’était l’anime et Protoculture Addicts qui étaient ma motivation) et c’est là que nos chemins se sont séparés.
Chacune de ces activités a été difficile à mettre en place et aucune n’a vraiment été rentable.
Si vous pouviez revenir en arrière, qu’auriez-vous fait différemment pour ces activités ?
J’aurais rapidement arrêté la publication du magazine quand mes premiers associés ont quitté pour se consacrer à leur carrière. J’aurais suivi leur exemple, terminé mon doctorat et trouvé un travail dans la fonction publique. Autant que nous ayons eu beaucoup de plaisir à faire tout cela, l’expérience a toujours été plutôt pénible. Toutefois, si je n’avais pas poursuivi ces activités, je n’aurais probablement jamais rencontré mon épouse… alors c’est sans doute pour le mieux que j’ai poursuivi…
Avez-vous tenté de créer des partenariats avec les sociétés japonaises ? Étaient intéressées ou non par la presse hors Japon ?
Au début, non. Par la suite, j’ai fait quelques tentatives, mais sans succès. La barrière linguistique rendait les choses difficiles et la méfiance des Japonais envers les étrangers était trop grande. Il était pratiquement impossible de gagner leur confiance.
AnimeLand a partiellement permis la création de label VHS d’anime. Pourquoi ne vous êtes-vous pas lancé dans ce domaine ?
En fait, je me suis lancé dans ce domaine, mais sans grand succès. Il n’y avait pratiquement aucun anime de disponible en français au Québec alors que les fans d’ici en réclamaient. À cause de la différence de format, il était impossible d’importer des VHS directement d’Europe (qui utilisait le format PAL / SECAM alors qu’ici nous utilisions le format nord-américain NTSC).
J’ai donc fait une entente avec Carlo Lévy de Dynamic Vision. Il m’a d’abord envoyé deux titres en version intégrale sous-titrée : Escaflowne et Vampire Hunter: La Vengeance des Darkstalkers. Il m’a fourni les masters en Betacam SP pour le premier volume (3 episodes) de chaque série ainsi que les jaquettes de couverture (que j’ai modifiées avec des auto-collants pour indiquer qu’il s’agissait de cassettes VHS NTSC). J’ai sous-contracté une compagnie pour faire la duplication en une centaine d’exemplaires chaque pour commencer afin de tâter le marché. J’ai trouvé un grossiste pour acheter des centaines de boitiers de VHS vide. J’ai assemblé le tout et je l’ai distribué dans des boutiques locales, des conventions et les ai offerts à certains distributeurs canadiens.
Malheureusement, si une minorité très vocale en réclamait, les ventes ont été lamentables. Était-ce la sélection de titres qui déplaisait ? Le prix trop élevé (évidemment avec une production en petite quantité c’était inévitable) ? Ou était-ce le fait que les épisodes n’étaient pas doublés (c’était encore un problème à cette époque, les versions sous-titrées n’étaient pas appréciées du grand public) ? Ou alors une combinaison de ces trois facteurs ? Je l’ignore, mais cela a été un échec et je n’ai pas produit les volumes 2 (même si j’avais déjà les masters). De plus, il commençait à y avoir de plus en plus de titres disponibles en version anglaise (une bonne sélection, à prix plus compétitif), alors les amateurs (qui étaient généralement bilingues) ont sans doute préféré acheter ces versions-là.
Mon, plan, si l’entreprise avait été fructueuse, était de sortir plus de titres et surtout Goldorak (UFO Robo Grendizer), qui avait été phénoménalement populaire au Québec. Malheureusement, la sortie vidéo de cette série a été très longtemps retardée à cause d’une série de batailles légales. J’ai donc éventuellement abandonné l’idée de distribuer des anime au Québec.
La même chose d’est produite pour les mangas. De nombreux titres étaient publiés en France, mais aucun ne parvenait au Québec. J’ai donc fait des ententes avec quelques éditeurs français (principalement Tonkam, Pika et Dynamic) pour en importer une petite quantité et les distribuer dans les boutiques spécialisées locales, les conventions et par commande postale. N’ayant pas les fonds ni l’organisation, cela restait une entreprise très artisanale que j’ai dû abandonner quand les distributeurs de livres du Québec ont découvert ce marché et ont commencé à importer en grande quantité des mangas pour les vendre, non plus dans les boutiques spécialisées, mais dans les librairies.
Réseau de fans
Où se réunissaient les fans de Robotech ? de manga/anime ?
Lorsque j’ai contribué à créer Protoculture Addicts j’étais en études supérieures à l’Université de Montréal et je demeurais aux résidences de l’université. Notre petit groupe d’amis et d’amateurs de Robotech et d’anime se réunissaient régulièrement dans le foyer de l’étage de la résidence où j’habitais. Pour agrandir notre cercle d’amateurs nous avons publicisé ces rencontres et c’est devenu le club d’anime de l’U de M. On y regardait toutes les nouvelles anime que nous pouvions mettre la main dessus. À cette époque, les fansubs étaient encore rares alors nous regardions les anime en version originale japonaise avec des synopsis pour en comprendre l’histoire. Quand le club a grandi, nous avons dû réserver une salle de rencontre plus grande. Des gens venaient de partout pour les rencontres du club (certains même d’autres villes comme Trois-Rivières!). Toutefois, si les anime étaient vraiment difficile à trouver avant l’avènement de l’internet, nous avons développé de nombreuses sources qui nous permettaient d’alimenter le club avec du matériel toujours nouveau.
Une première méthode pour trouver ce matériel était de faire des raids sur New York pour se procurer des vidéos à la librairie japonaise Kinokuniya (il y en avait d’autres, mais j’ai oublié leur nom — l’une était Asahiya, mais elle a été fermée en 2009). Toutefois, cette option était dispendieuse. Éventuellement, nous avons également eu l’option d’acheter du matériel japonais (VHS, LDs, magazines, model kits, etc.) à des boutiques spécialisées par la poste ou en ligne (comme Books Nippan, J-List ou Nikaku Animart). Et lorsque nos contacts avec le milieu de l’anime se sont accrus, par les clubs, les fanzines et les conventions, nous avons découvert les fansubs qui commençaient à se développer. Toutefois, il fallait contacter un groupe de fansub par la poste, recevoir la liste des titres disponibles, puis leur envoyer des cassettes vierges avec le montant pour couvrir les frais d’expédition de retour. Quelques années plus tard, j’ai établi des contacts au Japon avec des amateurs qui m’enregistraient des émissions à la télé japonaise (d’abord sur VHS, puis sur des MiniDiscou Hi-MD) et me les envoyaient par la poste. Heureusement, le Japon utilise le même format vidéo que l’Amérique du Nord (NTSC). Cela m’a entre autres permis de visionner Evangelion à peu près en même temps que l’émission était diffusée au Japon (lorsque je recevais la cassette, le dernier épisode de la cassette avait été diffusé la semaine précédente). Ce n’est que beaucoup plus tard que l’internet a été assez développé pour permettre de télécharger des émissions télé en format original ou sous-titré. Puis, des compagnies comme US Renditions ou Central Park Media (et, plus tard, A.D. Vision, AnimEigo, Bandai, Manga Entertainment, Pioneer/Geneon, Right Stuf, Urban Vision, Viz Media, etc.) ont acquis des droits de traduction et ont mis en vente des vidéos sous-titrés et même, éventuellement, doublés en version anglaise.
Lorsque j’ai quitté l’université, un nouveau groupe a repris le club d’anime et j’ai continué pendant un temps à y participer et à fournir du matériel de visionnement. Malheureusement, cette nouvelle génération d’amateurs était surtout intéressée à voir des versions doublées (ou à la rigueur sous-titrées) alors j’ai éventuellement arrêté de contribuer. J’ai alors démarré un club de salon chez moi où nous avons continué pendant des années à visionner des anime (quoi qu’il s’agissait de plus en plus de versions sous-titrées commerciales reçues en service de presse).
Comment avez-vous su qu’il y avait une convention à San Diego ? Pourquoi y être allé ? Qu’en attendiez-vous et quels sont les contacts que vous avez conservés ?
Même sans l’internet, nous avons très tôt développé une liste extensive de contacts dans le milieu des amateurs et des professionnels de l’anime qui incluait des clubs d’anime, des BBS, des fanzines (Anime-Zine, Anime Stuff, Animenominous, F.P.S., The Rose, etc.), des magazines (Animag, Animeland, Anime U.K.,Animerica, Mangazine, V-Max, etc.) et des compagnies de production (comme US Renditions, CPM ou Streamline Pictures). C’est par des échanges avec ces contacts (par courrier, fax ou téléphone) et des services de presse que nous rassemblions toutes l’information nécessaire pour faire notre fanzine / magazine. Les librairies et boutiques spécialisées japonaises nous ont également fourni nos premiers ouvrages de référence (comme le Viewer’s Guide to Japanese animation produit pour BayCon ’86). C’est comme cela que nous avons entendu parler des conventions d’anime nord-américaines.
Toutes les raisons étaient bonnes pour se rendre à une convention d’animation japonaise et cela même si les coûts de déplacement étaient exorbitants (mais, bon, on a réduit les coûts en se rendant aux USA soit en automobile, soit en bus). Je connaissais déjà l’importance des conventions pour le réseautage en ayant déjà participé à beaucoup de conventions de science-fiction (au Québec, au Canada-Anglais et en France). Se rendre à une convention d’anime nous permettait de rencontrer nos contacts en personnes, d’en établir de nouveaux, de faire la promotion du magazine et de rassembler du matériel (interviews, articles, etc.) pour le contenu du magazine. Plus de contacts signifiaient de la meilleure information pour le magazine, de nouveau distributeurs, obtenir des services de presse des producteurs et leur vendre de la publicité. C’était donc une opération de réseautage essentielle pour la croissance du magazine.
Avant même de faire des conventions d’anime nous avons beaucoup voyagé aux USA : à Détroit MI pour rencontrer Kevin Siembieda de Palladium Books, à Madison WI pour la Capital City Sales Conference, au New York Book Fair pour rencontrer Jack McKinney (l’auteur des romans de Robotech), à Boston MA pour la WorldCon, à Milwaukee WI pour GenCon, à San Diego pour la ComicCon (août 1989), à Arlington VA pour EveCon (janvier 1990), etc. Toutefois, nos premières conventions d’anime ont été A-kon (à Dallas TX en mai 1991) et AnimeCon (à San Jose CA en août 1991). C’est d’ailleurs à cette dernière que j’ai rencontré les fondateurs d’Animeland et mon épouse. Par la suite, nous nous sommes rendus à plusieurs autres conventions (Anime East, Anime Expo, Anime Central, Big Apple Anime Fest, Anime North, Otakuthon, etc.).
Avez-vous rencontré des lecteurs du premier numéro de Protoculture Addicts ? Aviez-vous des feedbacks ? Lesquels ? Comment la mise en ligne sur un site a changé les feedbacks ?
Dans les conventions nous avons toujours rencontré beaucoup de lecteurs. Et nous recevions aussi beaucoup de courriers de lecteurs. Nous avons toujours porté attention à leurs commentaires (presque toujours très positifs). Notre tout premier abonné est même devenu plus tard un membre essentiel de l’équipe de production (et il est maintenant à la tête de Dream Pod 9).
Évidemment, la mise en ligne d’un site internet a fait une différence énorme pour la promotion du magazine et la vente directe aux lecteurs.
Le premier numéro était bilingue, mais la suite était anglophone. Est-ce que cela vous a coupé des francophones canadiens ?
Pas vraiment. La plupart des amateurs de comics ou d’anime étaient de toute façon soit bilingue ou anglophone.
Y a-t-il beaucoup de lecteurs qui sont devenus rédacteurs ou des professionnels dans le domaine du manga/anime ?
Plusieurs de nos lecteurs nous contactaient pour offrir de collaborer au magazine (avec des articles, des illustrations ou simplement de l’information). Certains se sont trouvé plus tard des positions dans des compagnies de production.
Aviez-vous des feedbacks des lecteurs en dehors du Canada ? Quels étaient ces feedbacks ?
Je dirais que 80% de nos ventes étaient aux USA, 15% à l’international et seulement 5% de ventes locales (Canada). Notre tirage a varié entre deux et dix mille exemplaires.
Dans le courrier des lecteurs, nous avons souvent publié des lettres qui venaient d’Europe ou d’Asie. Outre le Canada et les USA, nous avons eu des abonnés en Allemagne, Australie, Bahrain, Danemark, Émirats Arabes, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Qatar, Royaume-Uni, et Suède (j’en oublie sûrement).
Il devait y avoir un partenariat entre Protoculture Addicts et AnimeLand. Pourriez-vous expliquer comment celui-ci a été mis en place et s’il y a eu des suites concrètes ?
Je crois bien avoir rencontré les fondateurs d’Animeland à AnimeCon en 1991. Nous sommes restés relativement en contact et avons fait un échange de service de presse. Il a été question d’aussi s’échanger des articles, mais je ne crois pas que cela se soit réellement produit. On s’est certainement servi d’articles de l’un et l’autre comme référence, mais je ne crois pas que des articles d’un magazine aient été traduits et repris par l’autre magazine. J’ai toujours eu une très grande admiration pour le travail fait dans Animeland. C’est certainement le meilleur périodique dédié à l’anime hors Japon.
Vous avez traduit un livre sur l’animation réalisé par des fans italiens. Comment s’est déroulé la création du livre ?
J’allais souvent dans les diverses bibliothèques universitaires pour faire de la recherche dans mes temps perdu. Une fois (en 1994 ou 1995), en attendant de rencontrer un copain pour aller au cinéma, je suis allé lire à la bibliothèque de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Dans un périodique (je ne me souviens plus lequel) j’ai trouvé la mention du livre Anime: Guida al Cinema d’Animation Giapponese par un collectif d’auteurs italiens (Andrea Baricordi, Massimiliano de Giovanni, Andrea Pietroni, Barbara Rossi et Sabrina Tunesi) publié à Bologne chez Granata Press en 1991. À l’époque, il y a avait déjà quelques références sur le manga (notamment le Manga! Manga! de Frederik Schodt), mais absolument aucune sur l’anime. Je me suis donc dit que cela serait intéressant d’obtenir les droits pour traduire ce livre en anglais afin de rendre disponible au plus large public possible ce qui me semblait une référence essentielle sur le sujet.
Je n’imaginais pas alors comment une telle entreprise serait difficile et qu’il me faudrait un peu plus de six ans pour en venir à bout ! À une époque où l’internet n’existait pas (ni Amazon), il était pratiquement impossible de trouver un exemplaire du livre ou de me mettre en contact avec l’éditeur. Heureusement, j’eu l’idée de demander à un ami qui se rendait à la foire du livre jeunesse de Bologne de regarder si cet éditeur n’avait pas un kiosque à la foire et, s’il le trouvait, de lui donner ma carte d’affaires. Mon ami est revenu à Montréal avec deux exemplaires du livre et les coordonnées de l’éditeur. Sur plusieurs mois, nous avons échangé de la correspondance et ainsi négocié un contrat de publication. Il me restait à trouver un traducteur.
J’ai d’abord tenté de trouver un traducteur professionnel, mais les tarifs de la corporation des traducteurs sont exorbitants (près de $0.25 le mot, soit €0.17). J’ai donc pensé engager un étudiant. Un des organisateurs qui avaient repris le club d’anime de l’université était justement d’origine italienne. Je lui ai proposé $1000 (€665) pour la traduction du livre (en me disant que s’il demandait plus je pourrais toujours négocier avec lui). Je lui ai remis un exemplaire du livre en lui demandant de traduire les deux premiers chapitres de sorte que je puisse juger de la qualité du son travail avant de finaliser l’entente. Il s’est écoulé de longs mois avant que j’aie de ses nouvelles. En fait, il avait trouvé mon offre minable, mais n’avait pas jugé bon de me le mentionner (sinon je lui aurais offert plus). Il a quand même commencé à traduire le livre, mais pour lui-même, et il mettait la traduction sur le site internet du club (l’internet s’était développé entre temps). Comme je possédais les droits du livre par contrat, j’ai dû le menacer de le poursuivre en justice (et de faire fermer le club d’anime qui contrevenait à la loi sur le copyright) s’il ne me remettait pas la copie du livre que je lui avais prêté et s’il ne retirait pas sa traduction de l’internet. Avec cette histoire, j’ai perdu beaucoup de temps et, entre temps, j’ai découvert que l’éditeur italien, Granata Press, avait fait faillite.
Il m’a fallu encore de longs mois pour retracer (grâce à l’internet) les auteurs italiens afin de leur offrir les mêmes termes que j’avais négociés avec Granata. Ils avaient fondé ensemble leur propre petite maison d’édition et il a été facile d’établir un nouveau contrat. Il me restait toujours le problème de trouver un traducteur. Ma sœur, qui travaillait alors pour un éditeur religieux (qui publiait aussi une collection de science-fiction pour la jeunesse !) dont la communauté religieuse avait sa maison mère en Italie, m’a proposé de faire affaire avec une de ses collègues qui partait en congé de maternité. Adeline d’Opera parlait bien italien et, si elle était surtout francophone, elle se débrouillait en anglais. Je lui ai fait aussi traduire quelques chapitres pour voir la qualité du travail et cela semblait satisfaisant. Je lui ai proposé les mêmes termes qu’à l’étudiant ($1000 sur remise du travail), mais en lui promettant un autre $1000 lorsque je serais payé par le distributeur. Cela lui a pris quelques mois pour faire la traduction. Je faisais la mise en page du livre sur Adobe PageMaker au fur et à mesure qu’elle me remettait des chapitres. J’étais assez satisfait de la conception du livre. J’ai choisi un format un peu plus grand que l’original (8.5 x 11 po soit 21 x 27 cm) et de conserver l’illustration de couverture originale en compensant la différence de format par une bande du côté droit comportant les noms des auteurs — un design très similaire à celui du magazine Protoculture Addicts. Les auteurs ne désiraient pas que l’on ajoute du matériel (ou fasse de correction), mais j’ai toutefois ajouté à l’ouvrage original un index alphabétique anglais, un index français, une liste des titres disponibles en Amérique du Nord, une liste de compagnies américaines distribuant des anime et une bibliographie. Pour ce qui est des ajouts ou des corrections, je comptais le faire sur le site internet du magazine.
Étrangement, l’une des plus grandes difficultés dans la production de ce livre a été de trouver des illustrations et d’obtenir le droit de les utiliser. Pour les séries les plus anciennes, je ne me suis pas donné la peine de demander : en effet, tant qu’il n’y a pas d’abus et que l’usage est surtout promotionnel, il est possible d’utiliser une image promotionnelle d’un film ou d’une série animée. J’avais une imposante collection de matériels japonais (magazines, livres de référence, etc.) dans laquelle j’ai puisé pour trouver des illustrations. J’ai également utilisé beaucoup d’illustrations venant du livre original (assumant que les auteurs avaient obtenu la permission de les utiliser). La plupart des compagnies japonaises que j’ai contactées n’ont montré aucune objection — sauf Sunrise et Go Nagai. J’ai toutefois contourné leurs objections en demandant aux détenteurs des droits nord-américains, qui n’ont montré aucune objection à ce que je fasse la promotion de leurs titres. Il était juste dommage que le livre soit en noir et blanc, ce qui ne rendait pas justice aux illustrations. J’ai compensé cela en mettant une demi-douzaine d’illustrations couleur sur la couverture arrière, dans une bande de pellicule de film, pour représenter quelques titres phares (The legende of the white serpent, Mini-Fée, Lupin III: the Castle of Cagliostro, The Rose of Versailles, Gundam et Akira).
Il restait à faire la sollicitation du livre auprès des distributeurs, la promotion dans le magazine et de remettre le matériel à l’imprimeur. Le livre est paru en décembre 2000. J’en ai tiré deux mille copies qui se sont presque toutes vendues dans la première année (il ne m’en reste qu’une dizaine d’exemplaires). La majorité des ventes s’est faite par nos distributeurs de comics, plusieurs par vente directe (dans les conventions ou par ventes postales) et certaines même via Amazon.
Je suis assez satisfait du produit même s’il est TRÈS loin d’être parfait. Vers la fin du processus j’ai travaillé d’une façon plutôt précipitée, car je savais que Helen McCarthy préparait une encyclopédie de l’anime et je désirais être le premier à sortir une référence sur l’anime. D’une certaine façon nos livres sont plutôt complémentaires : l’Anime Guide est une filmographie présentée chronologiquement alors que l’Anime Encyclopedia est une référence critique présentée alphabétiquement. Dès le départ, l’ouvrage original contenait plusieurs erreurs et lacunes. Toutefois, le principal défaut de l’ouvrage est la piètre qualité de la traduction : l’anglais d’Adeline laissait à désirer et, même si plusieurs correcteurs d’épreuves sont passés à travers le texte, il n’en demeure pas moins qu’il est criblé de fautes orthographiques, syntaxiques et stylistiques. On m’a beaucoup reproché d’avoir publié un ouvrage imparfait, de ne pas avoir pris le temps de le peaufiner, mais mon objectif premier était de rendre l’information (les données) disponible le plus rapidement possible. Si j’avais poli l’ouvrage pour le rendre parfait, il ne serait sans doute jamais paru. Mon seul regret est de ne pas avoir poussé plus loin le produit. L’idée était de sortir éventuellement une version corrigée en format électronique (avec peut-être une version papier disponible en impression sur demande) qui serait tout en couleurs ! Malheureusement, je n’en ai jamais eu l’occasion. Si jamais je peux en obtenir à nouveau le droit des auteurs, cela pourrait toujours être un projet pour la retraite ! (Un de mes très nombreux projets !).