Lors du Festival GeekTouch de Lyon, le jury de « Pitch your game » avait attribué le premier prix ex æquo à Abyss Crewde @Abyss_Crew_Game et Albert+Zoé de @appeau_studio. Dans le cas du dernier titre, trois amis l’avaient développé lors d’un Ludum Dare, Game Jam bien connue des développeurs (concours de création de jeu en temps très limité) avant d’essayer d’en faire un titre à part entière.
Appeau Studio se compose de trois personnes : Sacha Holsnyder (Sound designer and developer), Simon Stefanelli (Game designer and artist) et Nathanaël Tardif (Artist and developer). Ils ont répondu à quelques questions afin de présenter leur projet.
POURQUOI AVOIR CHOISI ALBERT+ZOÉ POUR LE TITRE ?
Albert est le prénom ancien Adalberht, composé des éléments adal- et berht qui signifient respectivement « noble » et « brillant », ce qui convient parfaitement à notre personnage, proche de l’archétype du chevalier. Zoé est unprénom mixte qui vient du grec zoe ou zoï qui signifie « vie », « existence », et reflète l’importance de notre sorcière à la fois dans le monde qui l’entoure et dans le destin d’Albert.
En fait, pour dire toute la vérité, la Game Jam qui a permis la naissance du projet avait pour règle “two button game”, et on a décidé de prendre les deux premières lettres du clavier : A et Z.
AVIEZ-VOUS TRAVAILLÉ ENSEMBLE AUPARAVANT ?
Nous avons participé ensemble à plusieurs jams, principalement des Ludum Dare. Nous envisagions également depuis quelque temps de travailler sur des projets plus importants. Mais nos impératifs professionnels (études et travail freelance) nous empêchaient de dégager suffisamment de temps et d’énergie pour mener à bien un projet aussi long et complexe qu’un jeu vidéo. Nous avons maquetté plusieurs jeux sans parvenir à trouver le souffle pour les mener à bien. Ces projets abandonnés nous on permis d’imaginer des mécaniques ludiques que l’on retrouve dans Albert+Zoé, mais aussi de trouver un rythme de travail entre vie professionnelle et investissement personnel.
POURQUOI AVOIR CHANGÉ L’ESTHÉTIQUE DE LA VERSION LUDUM DARE D’ALBERT+ZOÉ ET L’ACTUELLE ?
En game jam, le temps est compté et on n’a pas le temps de se poser pour faire des concepts. Les graphismes avaient donc étés produits de manière très instinctive et plusieurs points de cette version nous dérangeaient.
Tout d’abord l’esthétique générale n’avait aucune connexion avec la musique, or il nous semblait primordial de lier fortement l’image et le son. Les palettes de couleurs naturalistes de la version Ludum Dare s’éloignaient trop des sonorités électro du jeu. Ensuite certains designs ne collaient plus avec le développement que nous souhaitions apporter aux personnages. Par exemple dans la version du Ludum Dare Zoé était une enfant et Albert un adulte. Cela était bien évidemment complètement incompatible avec la relation amoureuse que nous voulions construire entre ces deux personnages.
POURQUOI AVOIR LAISSÉ AUTANT DE TEMPS ENTRE LE LUDUM DARE ET LA PRODUCTION DU JEU ?
Avant de nous lancer sur Albert+Zoé nous avons continué à faire quelques jams, et ce n’est que plus tard que nous avons pris l’initiative de nous lancer sur des projets personnels.
Nous avons alors prototypé deux projets que nous fûmes contraints d’abandonner. D’une part car ils étaient trop lourds techniquement pour une petite équipe. D’autre part car nous avions du mal à trouver un rythme conciliant nos impératifs professionnels (rémunérés) et ces projets (bénévoles). Nous avons beaucoup appris de ces abandons en terme de game design, de gestion de projet, de rythme de travail, etc. Ce cheminement nous a permis de gagner la maturité qui nous manquait pour développer un projet de A à Z.
Albert+Zoé nous semblait être l’un de nos prototypes où l’on avait le plus de choses qui étaient restées non-dites. Le gameplay nous plaisait à tous et on voyait déjà comment l’améliorer sans trop se disperser en terme de complexité.
POURQUOI FAIRE UN JEU DE RYTHME ?
Chaque membre de l’équipe aura sans doute une réponse différente à cette question. Nathanaël Tardif aime beaucoup les jeux de rythmes, surtout ceux où les actions du joueur construisent la musique (REZ, Proteus, Patapon, etc.). Il avait depuis longtemps envie de designer un jeu sonore. SS n’en est pas un habitué à vrai dire, et c’est surtout la clarté du gameplay qu’implique ce genre qui l’intéresse. Et pour Sacha Holsnyder, en tant que sound designer, renverser le rôle habituel de la musique pour en faire le chef d’orchestre du gameplay est une perspective irrésistible.
En ce qui concerne les jeux de rythme nous nous accordons pour dire que Guitar Heroes est le titre de référence pour parler aux néophytes mais c’est vraiment l’antithèse de ce que nous voulons pour Albert+Zoé : des partitions linéaires et dépourvues de choix qui s’appuient sur une musique préjouée.
POURQUOI CHANGER LE GAMEPLAY ENTRE LE PERSONNAGE MASCULIN ET FÉMININ ?
Albert+Zoé se joue à la manière du Pierre et le Loup de S. Prokofiev : Albert, Zoé et les différents opposants qu’ils vont rencontrer sont autant d’instruments. Il était donc naturel que deux instruments se jouent différemment.
Bien qu’on soit tenté d’y observer un parti pris sur les questions de féminisme et de représentation des genres, ce n’est pas le gameplay qui en est le véhicule dans notre jeu. C’est plutôt via la narration et l’identité des personnages rencontrés que l’on représente des variations sur les genres masculins et féminins et sur les relations amoureuses.
Albert et Zoé possèdent des caractères établis, mais le choix de la nature de leur relation amoureuse est laissé au joueur.
POURQUOI AVOIR CHOISI DE LA MUSIQUE L’ÉLECTRO ?
Avant tout, il est important de souligner que Appeau Studio se positionne comme un créateur de jeu d’auteur. Nous laissons beaucoup de liberté aux membres de notre équipe de manière à ce que la personnalité de chacun impacte le jeu créé.
Le processus créatif derrière Albert+Zoé est basé sur la musique, c’est elle qui est créée en premier lieu, avant les graphismes. Elle est le pilier de notre direction artistique et nous souhaitions donc laisser carte blanche à notre designer sonore pour le choix stylistique musical.
L’électro est un super-genre musical vaste, varié, et connu aujourd’hui de tous, sous une forme ou une autre. Les références pour Albert+Zoévont de Carpenter Brut à Vangelis en passant par Danny Baranowsky ou la BO 8-bits contemporaines comme celle de Hopiko.
En plus de cette souplesse stylistique, Sacha Holsnyderconçoit la musique à la manière du design sonore : tous les sons présents dans la musiquesont fabriqués et transformés pour refléter une ambiance précise ou les actions du combat. Ceci est parfaitement permis par les musiques électroniques et électroacoustiques.Bitgolemempreinte par exemple des sonorités aux musiques 8-bits, tandis Psychomagicincorpore aux arpèges interminables de la synthwave des vocalises et des clochettes aux connotations chamaniques.
POURQUOI AVOIR CHOISI UN UNIVERS MÉDIÉVAL ?
De la même manière que le design sonore est porté par l’univers de Sacha Holsnyder, le choix de l’univers narratif porte la signature de SS. Il confectionne un univers fantasmagorique aux influences variées, centré sur un contexte médiéval européen. Historiquement, c’est dans ce contexte médiéval que l’Eglise systématise la chasse aux sorcières, qui n’est qu’un prétexte pour l’élimination de gens influents et l’instauration d’une hégémonie chrétienne. Les sorcières sont une thématique centrale dans le jeu et c’est donc naturellement que nous avons planté notre décor sur les bases de cette période. Viennent s’y ajouter différentes références, entre autres à l’industrialisation du XIXesiècle, aux rites et civilisations maya et égyptiennes, ou encore à l’époque victorienne, selon les lieux et intrigues présentés.
POURQUOI LE PIXEL ART ?
Concernant le choix graphique, la 3D n’a jamais réellement été une option, nous sommes une équipe fermement orientée 2D. Pour le choix du type de graphisme 2D, la question s’est posée au début du projet. Nous avons envisagé différents styles, notamment des versions HD, mais notre choix s’est porté sur le pixel pour les raisons suivantes.
Visuellement le pixel permet de lier les deux piliers sur lesquels est construit Albert+Zoé : les musiques électroniques et l’univers narratif de lafantasy. Les graphismes endossent le rôle de pont entre ces deux esthétiques très éloignées. Le choix du pixel mais aussi des gammes colorées (couleurs tour à tour sombres et saturées) rappellent le côté synthétique. Les designs (guerrier, sorcière, etc.) évoquent, quant à eux, le lore fantasy.
Le choix du pixel est également fonctionnel. Il facilite le travail collectif sur les graphismes en “gommant” une partie des différences stylistiques. Il donne un vernis connu et rassurant pour les joueurs, comme tu le dis jeu indé = pixel. Le game design de Albert+Zoé étant assez expérimental nous voulons que l’apparence du jeu soit facile d’accès, notre but n’est pas de créer un OVNI total qui risquerait d’être trop déroutant pour les joueurs.
SUR QUELLE PLATEFORME ALLEZ-VOUS LE SORTIR ?
Le jeu est prévu pour PC, Mac, Linux, Android et iOS. Comme nous sommes peu nombreux sur le développement du jeu pour le moment, il s’agit surtout d’un choix logique et réaliste. Si nous avions les moyens nous aimerions énormément pouvoir faire un portage sur la Nintendo Switch car les contrôleurs et la console en elle-même nous semble tout à fait à propos pour Albert+Zoé.
Nous envisageons Albert+Zoé comme un jeu cross platform. Nous essayons de le penser pour offrir une expérience optimale sur mobile et sur ordinateur. De fait les deux versions sont graphiquement différentes. La version mobile se concentre sur l’action avec un cadrage serré sur les personnages et leurs opposants. La version desktop propose un cadrage plus large, faisant la part belle aux décors et mettant plus en valeur l’univers graphique du jeu.
Pour l’instant, à part quelques restrictions techniques, le mobile n’est pas particulièrement contraignant pour Albert+Zoé. Le jeu ayant des inputs très simples (2 boutons) et proposant des parties courtes (chaque niveau dure le temps d’un morceau) il se prête bien à la plateforme mobile.
QUEL EST VOTRE MOTEUR DE JEU?
Nous développons Albert+Zoé en Haxe, plus précisement avec OpenFL et Starling.
Ce choix est motivé d’une part par un attachement à l’open-source, ce qui met de côté un bon nombre des moteurs majeurs actuels. D’autre part les programmeurs avaient déjà une certaine expérience avec Haxe. Enfin, nous voulions un moteur léger, adapté à nos besoins, et cross-platform.
EST-CE QU’IL Y A DES ÉVÉNEMENTS GÉRÉS DE MANIÈRE PROCÉDURALE OU AVEZ VOUS PRÉVU DES MISSIONS DANS TOUS LEURS DÉTAILS ?
Albert+Zoé est un univers presque complètement déterministe. Les embranchements narratifs sont définis en fonction des choix du joueur durant les dialogues. Cela permet de varier, à chaque partie, les lieux visités, les opposants rencontrés et les histoires racontées.
QUEL EST VOTRE BUDGET ACTUEL POUR PRODUIRE LE JEU ?
Jusque là nous travaillons sans nous préoccuper de l’aspect financier, chacun de nous ayant une activité professionnelle à côté. Nous avons néanmoins évalué le budget nécessaire à la production complète du jeu aux alentours de 70.000 €. Nous n’avons pas encore pris le temps de démarcher les différentes aides pouvant exister pour ce type de projet. Nous lancerons aussi une campagne de crowdfunding même s’il nous semble impossible d’acquérir l’intégralité de la somme nécessaire au développement du jeu par ce biais. Nous nous intéressons tout récemment à ces problématiques financières (seulement depuis que l’on a réalisé notre démo), et nous avons donc tout à faire pour nous assurer la participation d’aide extérieure.
AVEZ-VOUS UN STUDIO EN DUR OU FAITES-VOUS DU TÉLÉTRAVAIL AVEC SLACK ET GOOGLE DRIVE ?
Nous avons trois superbes studios, en effet ! Plus sérieusement nous travaillons beaucoup par télétravail mais nous nous retrouvons une fois par semaine pour discuter de vive voix parce qu’il est toujours plus simple de débattre sans ces interfaces numériques désynchronisées.
POURQUOI AVOIR FAIT UN DEVBLOG ET UN THREAD SUR TIG ?
Le devblog nous permet à la fois de tenir un journal pour l’équipe et de faire part de nos cheminements aux plus curieux. Facebook remplissait cette fonction au départ mais notre devblog nous permet une plus grande flexibilité pour montrer du contenu. Le topic sur TIGSource a été notre premier lieu de publication sur internet car nous avions envie d’avoir une interaction avec d’autres développeurs indépendants, ou au moins un public intéressé par un projet de jeu vidéo naissant.
QU’AVEZ-VOUS RETENU DE VOS INTERACTIONS SUR CES PLATEFORMES ?
Le devblog est tout jeune, on ne peut donc pas vraiment tirer de conclusion sur les interactions avec celui-ci. Concernant la plateforme TIGsource, nous recherchions un endroit pour discuter avec des développeurs ou des joueurs impliquées. C’est un des gros points forts de cette plateforme, il faut le vouloir pour aller traîner sur ses forums ! Malheureusement on perd assez vite en visibilité et bien que les quelques conversations engagées sur notre fil se sont avérées intéressantes, nous n’y avons maintenant que trop peu d’interactions. Au final nos nouveaux moyen de communication (Facebook,Twitter) ont plus ou moins remplacé celui-ci.
QUI SE CHARGE DE LA COMMUNICATION SUR FACEBOOK ET TWITTER ?
Nous utilisons Facebook et Twitter car ce sont les réseaux que nous connaissons le mieux. Nous n’avons pas énormément de temps à consacrer au community management et avons donc choisi des outils familiers. Nous nous occupons plus ou moins tous du CM, en fonction du temps que chacun peut fournir.
QU’AVEZ-VOUS RESSENTI LORSQU’ON VOUS A ACCUSÉ DE PLAGIAT ?
Les premières maquettes graphiques étaient trop proches d’Hyper Light Drifter, parler de plagiat est peut être un peu fort, mais les réseaux sociaux sont rarement mesurés dans leurs propos ^^. L’esthétique électro-fantasy est très importante pour nous, et en effet les couleurs utilisées se rapprochent de celles d’HLD, mais aussi de Dead Cells, Valfarisou de bien d’autres jeux. Quoi qu’il en soit, il est toujours bénéfique de soumettre notre travail à notre communauté, les feedbacks reçus sont extrêmement importants. Même, et surtout, quand ils pointent les défauts du projet ! Nous faisons de notre mieux pour en tenir compte, sans pour autant dénaturer ce qui nous semble important dans Albert+Zoé.
AVEZ-VOUS FAIT TESTER LE JEU PAR D’AUTRES PERSONNES QUE VOS PROCHES/AMIS ?
Le jeu a été testé par des inconnus pour la première fois lors du week-end de la Japan Touch Haru. C’était la première apparition publique de Albert+Zoé et de notre équipe, et nous nous attendions à un accueil sceptique, au mieux dubitatif. L’accueil que l’on a reçu était on ne peut plus éloigné de ce que nous avions imaginé : il y avait des curieux avides de tester notre jeu, on a reçu des compliments sincères, et vu des fans instantanés émerger. On est tous les trois repartis gonflés de gratitude, un sourire jusqu’aux oreilles et une larme à l’œil.
Nous confronter au public, à la fois à l’oral et avec la démo du jeu, nous a fourni une quantité impressionnante de feedbacks, agréablement convergents, et qui vont nous guider pendant un moment et nous permettre de rendre Albert+Zoé meilleur.
AVIEZ-VOUS PARTICIPÉ À BEAUCOUP D’ÉVÉNEMENTS POUR PRÉSENTER VOTRE JEU ?
La Japan Touch était la première présentation publique de Albert+Zoé. Nous manquons donc de points de comparaison, mais l’expérience a été vraiment géniale. Nous avons une autre apparition publique de prévue, lors du Vide-Grenier du Geek, le 22 avril, et comptons bien participer à des événements ultérieurs.
QUAND PENSEZ-VOUS SORTIR LE JEU ?
Le jeu devrait sortir en 2019. Pour être honnêtes, nous en sommes encore au début du projet, il nous est difficile d’envisager une date précise de sortie si tôt dans le développement du jeu.