Combattant pendant la première guerre du Golfe, Andy McNab était le soldat le plus décoré lorsqu’il a quitté les unités de forces spéciales de l’armée britannique. Depuis ce jour, il est devenu romancier (auteur de Bravo Two Zero), consultant pour des films (Heat), des séries télévisées. Il tient à ne pas dévoiler son visage mais se montre plutôt disert en interview sous le soleil de Stockholm. Il a conseillé les développeurs de DICE pour la création de Battlefield 3.
Dans le jeu vidéo, la production se fait par à-coups plutôt que tout soit défini d’un bloc. N’est-ce pas frustrant de voir autant de réitérations ?
Andy McNab : Bien au contraire ! Je trouve cela très efficace et assez plaisant comme processus créatif. Dans un film, la période de création est limitée dans le temps, durant la préproduction. À partir du moment où les lieux de tournage et les scènes ont été définis, rien ne peut plus être vraiment modifié.
Dans le jeu, on peut tester des choses. Et si on joue et que ça ne marche pas, on peut revenir en arrière et recommencer. Le moment où l’on tourne les mouvements en motion capture n’est pas un couperet.
On peut toujours reprendre des scènes et même dialoguer avec les développeurs et les acteurs pendant ces séances de tournage pour modifier des éléments.
Parfois, je leur donne des idées qu’ils ne souhaitent pas mettre en place pour diverses raisons. Parfois, cela leur plaît et on change tout ! Je trouve que ces réitérations sont intéressantes et permettent d’avoir plus de flexibilité dans la création.
Comment une séance de motion capture se déroule-t-elle ?
Andy McNab : Je ne dirige pas les acteurs durant le tournage. Il y a un réalisateur pour le faire. Je suis là pour donner des conseils afin que les acteurs soient plus crédibles et bougent comme des soldats.
Je leur montre les bons gestes ou du moins les actions qu’accompliraient des combattants. Lors d’une séance, on peut recommencer les mouvements jusqu’à ce que tout le monde soit satisfait.
Dans l’écriture d’un roman, il n’y a pas non plus de réitération.
Andy McNab : C’est vrai jusqu’à un certain point. Tout dépend toutefois du temps dont vous disposez.
Si l’on prend l’exemple du roman que j’ai fini ce mois-ci et que j’ai commencé en janvier, j’ai défini une ligne directrice puis découpé l’intrigue en différentes sections qui peuvent être écrites et réécrites sans que le schéma initial change.
En fait, c’est un peu comme si l’on ajoutait des couches de calques pour obtenir le résultat final. Ce que je m’impose à chaque fois, c’est de donner un premier jet à Pâques pour qu’il soit lu par un critique.
Je retravaille alors le texte à partir de ses remarques, couche après couche, pour finalement assembler le tout. Il y a donc de la réitération, un peu comme dans un jeu dans la mesure où moins de personnes sont finalement impliquées.
Par contre, dans un film, trop de paramètres et de personnes interviennent pour que l’on puisse apporter des modifications.
Qu’en est-il du roman Battlefield ? Avez-vous joué à tous les titres de la série avant de le rédiger ou était-ce plus lié à votre envie d’écrire ?
Andy McNab : L’idée du roman est venue au fur et à mesure car je travaille sur le jeu. Par ailleurs, il faut voir que Battlefield propose un récit d’assez bonne facture avec plusieurs histoires imbriquées.
Et comme dans bien des cas, certains personnages vous intéressent plus que d’autres. Il se trouve que Dima, l’un des personnages que l’on joue dans la campagne en solo, nous a vraiment plu à tous.
C’est pourquoi nous nous sommes dit qu’il serait opportun d’écrire un roman à partir de l’histoire de cet agent russe infiltré.
Il ne s’agit pas de retranscrire le jeu en roman car cela n’aurait pas d’intérêt et ne rendrait pas justice au jeu. L’idée est plutôt de donner un autre angle aux événements du jeu en adoptant le point de vue de Dima.
L’intrigue permet de comprendre ce qui s’est passé avant que tous ces soldats s’affrontent. Et je pense que c’est une approche plus intéressante et originale.
J’aime beaucoup ce personnage car il vit dans une époque troublée où il n’y a plus les anciens repères tels que l’affrontement simple contre le communisme ; il doit faire face à la corruption.
C’est un homme qui veut faire le bien mais qui se retrouve dans l’autre camp.
Avez-vous aussi participé à l’élaboration graphique du jeu en expliquant aux développeurs ce qui était le plus réaliste dans ce qu’ils voulaient mettre en scène ?
Andy McNab : Je suis arrivé sur la production de ce titre il y a environ un an. À l’époque, ils savaient déjà ce qu’ils voulaient et ne voulaient pas inclure en jeu.
J’ai donc participé à beaucoup de réunions avec les différents graphistes afin de les orienter au niveau esthétique pour accroître la vraisemblance.
Prenons l’exemple des soldats dans les tanks. Eh bien pour eux, ce n’est pas seulement un tank, c’est leur maison, le lieu où ils passent le plus clair de leur temps.
De ce fait, un tank devient un véhicule très personnel : ils font des barbecues à l’arrière, branchent leur lecteur MP3 sur les enceintes, le décorent…
J’ai aussi été consulté pour la création des environnements. Ce sont des détails mais par exemple, on ne peut pas échapper aux affiches de propagande dans certaines villes du Moyen-Orient.
De même, on voit partout des femmes qui ont fait appel à la chirurgie esthétique et qui portent des bandages sur le nez… C’est fou mais dans certains pays, la pratique est bien plus développée qu’en Occident et il y a là aussi des publicités partout.
Enfin, j’ai également été consulté sur les tactiques militaires et les gestes. Avant de mettre en place la motion capture, nous avons tourné pas mal de choses avec l’iPhone avec des gens du studio pour qu’ils comprennent mieux comment agissent les soldats.
Êtes-vous resté un an à Stockholm ?
Andy McNab : J’ai surtout fait des allers-retours, répondu à énormément d’e-mails et souvent demandé à ma femme de me filmer avec l’iPhone en train de faire le pitre pour que les développeurs visualisent les mouvements. J’ai ensuite participé aux séances de motion capture.
Avez-vous regardé les titres de la concurrence ? Battlefield est-il plus réaliste que les autres ?
Andy McNab : Je pense que Battlefield est le plus réaliste, car au niveau technologique, il est très performant. Des choses extraordinaires ont été faites au niveau du son.
Le public de ce type de jeu est plus âgé et demande plus de réalisme aux développeurs, ce qui contribue à augmenter l’authenticité des titres.
Mais il faut bien garder à l’esprit que tout ceci reste du divertissement. Il ne s’agit pas de faire un documentaire mais de donner l’impression que c’est réel.
C’est comme dans un film : il ne s’agit pas de reproduire la réalité mais d’en donner une image proche et divertissante. Il est très difficile pour un public de déterminer ce qui « fait vrai » ; c’est aussi pour cela que l’on doit ajouter un maximum de détails vraisemblables, pour qu’il se dise : « Oui, c’est comme cela que ça se passe », même s’il n’a jamais vécu et ne vivra jamais ce que vivent les personnages.
Je vous parlais des ingénieurs du son. Ici, pour une même arme, les gars ont constitué une banque d’une soixantaine de sons différents pour couvrir un maximum d’utilisations possibles.
Vous êtes là pour accroître la vraisemblance.
Andy McNab : Oui, je suis là pour aider à susciter des émotions. Que ce soit dans un livre, un film ou un jeu, c’est toujours pareil : il faut créer des émotions. La peur, la volonté de ne pas perdre : c’est la même chose que doivent ressentir le soldat et le joueur.
Bien sûr, un gamer ne lutte pas pour sa survie ; il veut seulement aller au niveau suivant. Mais nous voulons lui faire éprouver les mêmes sensations et cela passe par la maîtrise visuelle.
C’est pourquoi nous devons ajouter plein de détails qui « font vrai ».
Avez-vous contribué à l’écriture des scripts ?
Andy McNab : Non, je suis arrivé après qu’ils ont été écrits. J’ai remis en contexte et motivé certaines actions pour que les acteurs comprennent mieux ce qu’ils font lors de la motion capture.
J’ai aussi modifié certains dialogues. Les militaires s’expriment d’une façon particulière : ils n’emploient que des affirmations. Ils ne disent jamais « peut-être » ou « nous allons essayer de ». Ces phrases n’existent pas.
Ils parlent au futur et de façon affirmative : « À telle heure, nous serons à tel endroit. » « Nous allons faire ceci ou cela. » Toutes les phrases suggèrent que le succès ou la réalisation ne posent pas de problème.
J’étais donc là pour montrer aux acteurs comment parler et quelle intonation avoir.
Entre un film et un jeu, quel média est le plus vraisemblable dans la mise en scène de la guerre ?
Andy McNab : Dans les deux cas, il s’agit de divertissement. Certains anciens soldats sont furieux lorsqu’ils estiment qu’un film déforme la réalité. Moi, ça ne me pose pas de problème.
À côté de cela, il existe des films qui sont justes dans l’émotion qu’ils suscitent même s’ils ne sont pas « réalistes ». Par exemple, il y a un vieux long métrage australien intitulé The Odd Angry Shotqui raconte le quotidien de soldats au Viêtnam.
Dans un autre genre, on peut citer Platoon. Le film est réaliste car le réalisateur était là-bas comme soldat et a mis dans les scènes tous les détails qui vous paraissent vrais, même si vous n’y êtes jamais allé.
Ensuite, il y a une sorte d’évolution naturelle qui fait que les jeux ont une mise en scène de plus en plus cinématographique. C’est plus spectaculaire car la technologie le permet.
Voir les visages des personnages exprimer des émotions permet aux joueurs d’être encore plus immergés dans l’univers et d’améliorer l’expérience de jeu.
Publié initialement dans IG Magazine 16.