Rédacteur pour un site de jeux vidéo, Anthony Burch réalise une web série humoristique avec sa sœur Ashly qui a suffisamment plu à Gearbox pour que les Texans l’embauchent en tant que scénariste sur Borderlands 2. Il nous livre quelques secrets de fabrication sur le jeu et les DLC.
Comment se passe l’écriture : vous avez une idée que vous soumettez à ceux qui font les quêtes, ou les designers arrivent avec une trame et vous devez broder dessus ?
Anthony Burch : En fait, c’est un peu des deux. Il y a un va-et-vient entre ceux qui créent les quêtes et moi. Souvent, ils viennent avec une quête, par exemple celle où on lève des drapeaux, et je m’adapte ; mais il arrive aussi que je discute avec les level designers et que l’on se dise que ce serait bien de mettre en valeur tel élément.
À partir de là, j’écris des dialogues et nous concevons une quête en lien avec le bateau qu’on doit brûler. Nous faisons de même avec des zones que nous mettons en scène avec des quêtes et leurs dialogues. Nous donnons un sens aux lieux par le biais de la narration.
Pour la quête principale, j’ai surtout travaillé avec le lead designer pour donner un fil directeur au jeu. C’est ce dialogue avec tous les autres métiers qui est vraiment passionnant. Si j’avais été enfermé dans mon bureau tout seul, cela n’aurait pas du tout donné ce résultat-là.
Comment testez-vous les dialogues ?
Anthony Burch : Nous faisons quelques tests en interne avec les membres de Gearbox mais la plupart des tests ayant une vraie valeur sont menés avec des personnes extérieures au projet.
Nous avons réalisé plusieurs focus tests qui nous ont permis de vraiment construire des personnages appréciés des joueurs. Pour Axton par exemple, la personnalité a changé plusieurs fois avant d’aboutir à un équilibre qui plaise.
Bien sûr, c’est intéressant de demander aux autres membres de l’équipe ce qu’ils pensent des personnages mais un focus test permet d’avoir des avis plus objectifs car les personnes ne vivent pas au quotidien avec le projet depuis des mois.
Quelle était la première personnalité d’Axton ?
Anthony Burch : Initialement, je voulais en faire une sorte de Han Solo, mais c’est devenu un Duke Nukem, un personnage complètement barré racontant n’importe quoi, et cela ne plaisait pas.
Du coup, on en a fait un personnage plus sérieux, avec un côté très militaire, presque un protagoniste de Call of Duty. Mais là, les tests nous ont montré que les gens le trouvaient trop ennuyeux.
Nous avons alors mélangé une moitié des dialogues de la première version et de la seconde pour obtenir un personnage un peu fou qui, la plupart du temps, prend les choses sérieusement car il s’agit de se battre, mais qui plaisante aussi sur sa tourelle, qu’il traite comme sa petite amie.
Tous les personnages ont-ils été modifiés après les focus tests ?
Anthony Burch : Le seul personnage qui n’a pas subi de modifications est Salvador, et je ne sais pas trop pourquoi. Il est tout le temps aussi bourrin mais les gens l’aiment ainsi.
En ce qui concerne Maya, initialement, elle était bien plus jeune, fragile et inexpérimentée mais finalement, nous avons opté pour une femme qui en a vu d’autres et qui est beaucoup plus confiante en elle.
Quant à Zero, toutes ses paroles étaient des haïkus. C’est certes toujours un peu le cas actuellement mais beaucoup moins qu’à l’origine. Ça devenait un peu pénible, donc nous avons changé quelques mots dans chaque dialogue pour que cela passe mieux.
Est-ce long à écrire ?
Anthony Burch : En fait non, c’est rapide car c’est ce que je sais faire, même si je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que j’ai un quelconque talent pour cela !
Cela prend environ une semaine. Je m’installe à mon ordinateur et je tape les lignes de dialogues dans un tableur Excel avant de retourner voir l’équipe et de lui demander son avis, puis nous modifions des choses pour que cela colle bien.
Ils me font des retours par rapport aux armes, aux habilités ou au contexte qui peuvent se présenter en jeu et je modifie les textes au mieux.
Dans le cas du Mechromancer, ils m’ont montré les builds « Anarchy » et « Discord », qui proposent des aptitudes différentes et qui engendrent des dialogues adaptés.
D’où viennent les idées des DLC ?
Anthony Burch : Ce sont les designers qui proposent cela et en discutent avec les producers. Pour le deuxième DLC, Randy Pitchford voulait une arène mais sans que cela soit trop similaire au second DLC du premier jeu ; il voulait que ce soit à moitié une arène et à moitié une quête.
À partir de là, Scott Kester (concept artist) et moi avons commencé à proposer des choses en nous posant pas mal de questions : quel est le ton, l’intrigue, la taille des environnements ?
Et à partir de là, nous avons eu l’idée de connecter cette quête au Torgue, manufacture d’armes bien connue pour ses explosions, et nous avons proposé l’idée et commencé à travailler dessus.
À propos des manufactures, qui a créé leur histoire et le ton donné aux armes ?
Anthony Burch : Beaucoup de choses viennent de Borderlands, où les manufactures étaient déjà présentes mais de manière moins appuyée. Matt Armstrong avait des idées bien précises pour chacune.
Prenons le cas de Jacob, qui fabrique un peu les armes du Far West : nous avons accentué cette impression au niveau du graphisme et ajouté des fausses pubs pour ancrer cette idée dans Borderlands 2.
C’est aussi le cas pour les autres comme Torgue, où nous avons mis l’accent sur les muscles et les explosions, et nous sommes simplement partis de cela pour le ton du DLC.
Travaillez-vous sur les autres titres de Gearbox ?
Anthony Burch : J’ai un peu écrit pour Aliens mais ce n’est pas comparable. Je suis essentiellement sur Borderlands.
Les joueurs s’intéressent-ils vraiment aux dialogues dans un FPS ?
Anthony Burch : En ce qui concerne les DLC, nous n’ajoutons pas simplement de nouveaux dialogues et quêtes, mais surtout de nouvelles armes, de nouveaux objets de drop, des zones inédites, etc.
Je pense que ceux qui s’intéressent avant tout au score pourront se rassasier de ces nouveautés. Pour eux, les dialogues sont en quelque sorte la cerise sur le gâteau.
L’intrigue des DLC n’est pas reliée à celle du jeu.
Anthony Burch : Chaque DLC est comme une suite de nouvelles quêtes annexes. Si vous en avez assez d’aller contrer les projets du Beau Jack, vous pouvez vous lancer dans ces DLC optionnels et prendre plaisir à changer de ton ou de style d’environnement.
Là, vous êtes plus dans une ambiance Hunger Games où il s’agit de tuer le boss du lieu. La structure de chaque DLC est différente de celle du jeu principal.
Vous avez écrit tous les dialogues de la quête principale. D’où est venue l’idée de la filiation entre Jack et l’Ange ?
Anthony Burch : J’ai effectivement rédigé 90 % des dialogues mais j’ai travaillé avec l’aide des creative directorsPaul Hellquist et Michael Neumann.
Assez tôt dans le projet, nous voulions trouver un moyen de lier la quête du Beau Jack à l’Ange afin d’apporter des réponses aux questions soulevées dans le premier jeu : qui est-elle vraiment ? Existe-t-elle ? D’où vient-elle ?
Le problème est que nous avions deux intrigues qui étaient totalement indépendantes et que nous n’arrivions pas à relier. Je crois que c’est Paul qui un jour s’est dit : « Et si on en faisait sa fille ? »
Cela permettait de mettre en place plein d’éléments et nous sommes partis là-dessus. Bref, il arrive que l’on soit coincé et que soudain, quelqu’un sorte un truc qui fait que ça se débloque, et on se lance.
Bien sûr, la plupart du temps, on sait ce que l’on fait, on progresse et tout va bien. Mais parfois on se rend compte qu’il y a des trucs qui ne collent pas et on en vient à se poser la question pendant une journée entière assis tous ensemble dans la même pièce.
Avez-vous vu les versions européennes de vos dialogues ?
Anthony Burch : J’ai pu voir certaines versions dont la française. J’adore la voix du Beau Jack. Je trouve que ça colle très bien. Malheureusement, je ne comprends pas ce qu’il dit, donc si ça se trouve, c’est totalement pourri !
Le jeu est très humoristique mais comment savoir si ce n’est pas trop débile, si ça colle à l’univers ?
Anthony Burch : En fait, j’ai tendance à faire des choses très débiles ! Ça vient de mes précédents travaux et Gearbox m’a encouragé à l’être en jeu.
Mais le plus important était que Borderlands reste un jeu sombre. Il peut être délirant au premier abord mais si l’on creuse un peu, on s’aperçoit que les personnages sont tous assez torturés ou ont de bonnes raisons de se battre.
Le jeu est donc à la fois drôle et dramatique. C’est le cas de ClapTrap par exemple. Il a des propos un peu timbrés mais en fait, ça vient du fait qu’il est seul au monde et qu’il n’y a plus d’exemplaire comme lui. Il dit des bêtises car il souffre de solitude.
Justement, la quête de son anniversaire est atrocement triste !
Anthony Burch : Pour tout avouer, je n’aimais pas du tout ClapTrap dans Borderlands car c’est un personnage bavard qui dit n’importe quoi.
Du coup, dans le second jeu, je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen de le rendre moins ennuyeux et le seul moyen pour moi était que les joueurs se sentent désolés pour lui.
C’est pour cela que nous avons créé cette histoire autour de lui et insisté sur sa solitude. Nous avons essayé de l’humaniser pour le rendre plus sympathique.
Quant à la quête de l’anniversaire, nous avons tous pensé que c’était la chose la plus drôle à faire en jeu. ClapTrap content de faire la fête et personne n’y allant.
Ce qui nous a surpris, c’est la réaction des joueurs ! Ils nous ont dit que cette quête d’anniversaire était bien plus triste que la mort de Bloodwind. C’est fou, non ?
Et vous avez aussi écrit les chansons de ClapTrap ?
Anthony Burch : Il y a pas mal de choses issues du premier Borderlands et David Eddings (NDLR : dans la « vraie vie », il est responsable du développement marketing au sein de Gearbox) qui fait la voix du personnage avait déjà lancé des gimmicks comme le fait de danser.
Pour ma part, je me suis contenté d’écrire une chanson dubstep que ClapTrap interprète devant le personnage joueur.
Les relations entre Ellie et son frère sont-elles en rapport avec les vôtres avec votre sœur ?
Anthony Burch : Oh non ! Moi, je n’ai pas le béguin pour ma sœur, je vous rassure tout de suite. En tout cas, je ne le pense pas. (NDA : Elle est la voix de Tiny Tina et participe aux web émissions de son frère).
D’où vient l’idée de la quête des deux familles qui s’entretuent ?
Anthony Burch : Cela s’inspire d’une histoire vraie qui s’est déroulée aux USA. Les Hatfield et McCoy, vous connaissez ? Ce sont deux grandes familles qui se sont entretuées durant presque un siècle.
C’était une guerre à petite échelle. Je crois qu’initialement, le fils d’un clan a tué celui de l’autre. Dans tous les cas, c’est une histoire connue chez nous et nous l’avons prise en exemple pour mettre en scène la famille Zaford contre les Hodunk. Les Zaford viennent de Borderlands 1 et s’inspirent de Zach Ford, un des senior designers du jeu.
Y a-t-il d’autres références internes dans Borderlands 2 ?
Anthony Burch : Nous avons fait beaucoup de références à la pop culture pour que tout le monde puisse les percevoir. Il y a pas mal de choses liées à Top Gun ou Seven par exemple.
Dans le premier DLC, le personnage principal est graphiquement une version de Johnny Depp dans Las Vegas Parano (film de Terry Gilliam, 1998). C’était une idée du character designer.
Initialement publié dans IG Magazine.