Pour la rédaction de mon livre Indie Games, j’ai pu discuter avec l’artiste tchèque Jakub Dvorský. Après avoir créé son premier jeu vidéo Point & Click tout seul, il a fondé son studio de jeux indépendants, Amanita Design.
Il produit des jeux fabuleux tels que Samorost, Machinarium, Botanicula, CHUCHEL, Pilgrims…
En 2003, il était le seul employé d’Amanita Design. Le petit studio est devenu une entreprise d’une douzaine de personnes. Elle est célèbre pour ses visuels surréalistes et son humour.
De la chambre d’étudiant au studio indé
Est-il difficile de gérer les gens quand on est habitué à travailler seul ?
Jakub Dvorský : C’est vrai que j’ai commencé seul, mais c’était il y a longtemps. Depuis lors, le studio se développe lentement mais sûrement.
J’ai commencé à collaborer avec quelques amis, puis de nouvelles personnes sont arrivées, etc.
Actuellement, nous sommes environ 25 personnes, mais nous fonctionnons toujours essentiellement comme une bande d’amis. Nous avons plusieurs petites équipes qui sont presque entièrement indépendantes et autonomes.
Nous nous aidons les uns les autres, nous partageons nos idées, notre savoir-faire et nos expériences.
Quelle est la plus grande erreur que vous ayez faite en tant que manager ?
Jakub Dvorský : J’ai certainement fait beaucoup d’erreurs. Et je ne saurais dire qu’elles sont les expériences les plus douloureuses.
Je suis quelqu’un d’impétueux et je ne suis pas toujours très doué pour communiquer avec mes collaborateurs.
C’est particulièrement gênant lorsqu’il faut résoudre des problèmes à distance avec les messages textuels. Cela crée beaucoup de malentendus. Il est facile de blesser accidentellement quelqu’un, par exemple.
Aujourd’hui, je préfère voir régulièrement mes collè- gues ou, mieux encore, travailler avec eux au même endroit, dans notre bureau: c’est plus rapide, plus efficace et beaucoup plus agréable.
Le studio va-t-il se diversifier en dehors des jeux vidéo ?
Jakub Dvorský : En fait, nous ne faisons à présent que des jeux et nous voulons que cela reste ainsi à l’avenir.
Mais ce qui a changé, c’est que nous faisons plusieurs jeux simultanément.
Amanita est actuellement comme un hub de création pour les gens talentueux partageant une vision artistique proche. J’espère que ce modèle s’avérera durable sur le long terme.
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Technologie
Utilisez-vous encore la technologie du premier jeu ?
Jakub Dvorský : J’utilisais Flash alors, et nous nous servons toujours ce logiciel, du moins pour certains jeux. Mais il a beaucoup évolué depuis cette époque.
Nous utilisons également un moteur maison pour Machinarium et Unity pour quelques jeux à venir.
Nos jeux n’ont pas besoin d’une technologie de pointe, donc Unity convient tout à fait à nos besoins. Mais, ce n’est pas facile à adapter aux évolutions techniques.
Les animations complexes faites à la main sont particulièrement délicates à gérer dans Unity.
Pour l’un de nos prochains jeux, nous utilisons toujours Flash pour l’animation avant de la convertir avec nos propres outils et de l’intégrer dans Unity.
Le premier jeu avait des visuels dessiné à la main. Utilisez-vous des outils numériques aujourd’hui ?
Jakub Dvorský : Pour le rendu final, nous utilisons principalement Adobe Photoshop. Pour le design et les concept arts, nous nous servons surtout d’un papier et d’un crayon 🙂
Identité visuelle et musique du jeu
À quel point est-il important d’avoir une identité visuelle ?
Jakub Dvorský : Pour nous, c’est essentiel d’avoir un style visuel et une atmosphère forte.
À chaque nouveau jeu, nous faisons évoluer le style graphique des projets précédents, mais celui-ci est toujours spécifique à un titre.
En général, notre style visuel est fortement influencé par la tradition des films d’animation et des illustrations d’Europe de l’Est.
Dans quelle mesure la musique et la conception sonore ont-elles évolué depuis le premier Samorost ?
Jakub Dvorský : Pour nous, l’audio est aussi important que les visuels car ils se combinent pour créer l’atmosphère et susciter des émotions. Mais ils renforcent la narration et les autres aspects du jeu.
Nous adoptons toujours une approche un peu différente pour chaque titre, afin qu’il corresponde au mieux au ton du jeu.
Samorost 3 est extrêmement hi-fi, que ce soient l’ambiance de fond et les petits effets sonores jusqu’aux musiques plus dramatiques.
Nous dépensons beaucoup de temps et d’énergie pour que tout soit parfait, un peu comme pour les films à gros budget.
À l’inverse, le son de jeux comme Botanicula ou CHUCHEL est plus punk, plus brutal et plus drôle. Ainsi, il correspond mieux à ces titres.
On produit souvent la musique en dernier dans les jeux. Est-ce le cas chez Amanita Design?
Jakub Dvorský : Ce n’est pas le cas chez nous. Nous travaillons toujours avec un musicien et un sound designer dès le tout début du développement.
Ils influencent le jeu et ont un impact non seulement sur le son, mais aussi sur le game design, l’histoire et pleins d’autres éléments.
Accordez-vous plus d’importance aux sons de gameplay ou à la musique pour l’atmosphère ?
Jakub Dvorský : Je pense que les deux catégories sont essentielles, et c’est difficile de trouver le juste équilibre.
Il s’agit de créer un monde riche et plein de vie (sons), mais sans perturber les actions des joueurs. Et l’on veut éviter d’accumuler trop de bruits désagréables.
Il s’agit donc de trouver le bon équilibre.
Pour cela, nous discutons beaucoup en interne, changeons souvent des tas de choses. Et nous testons l’audio sur différents haut-parleurs: des trucs cheap en plastique aux téléphones portables en passant par le matériel de studios professionnels.
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Sortir des jeux sur la scène indé
Est-il plus difficile de faire un jeu après un succès ou un échec ? Comment gérez-vous la pression ?
Jakub Dvorský : Je crois que nous ne nous sentons pas trop sous pression parce que notre objectif principal n’est pas d’obtenir le plus d’argent possible.
Nous faisons toujours ce que nous pensons être le mieux au niveau artistique, et nous nous efforçons de le faire le mieux possible.
Bien sûr, nous essayons de nous surpasser dans tous les domaines, mais je pense que notre approche reste assez décontractée.
Il est impor- tant de ne pas se prendre trop au sérieux, car, après tout, nous créons des jeux, et, si nous sommes trop stressés, je suis sûr que le public le sentira.
Comment la scène indie a-t-elle changé depuis vos débuts ?
Jakub Dvorský : Elle est très différente, mille fois plus grande, et la concurrence est énorme. La qualité des jeux continue d’augmenter rapidement.
Il y a à la fois de grands projets artistiques plus expérimentaux et beaucoup de titres très commerciaux, de copies et d’imitations.
C’est à la fois excitant et effrayant.
Est-il difficile pour Amanita Design de rester visible alors qu’il y a tant de jeux vidéo ?
Jakub Dvorský : Oui, c’est difficile et c’est l’un des plus gros problèmes des studios indépendants.
Le marketing est plus important que jamais, et les moyens pour promouvoir efficacement un jeu sont en constante évolution.
Les média et la scène indé
L’exposition médiatique de Machinarium grâce au prix reçu à l’IGF a-t-elle fait vendre plus de jeux ?
Jakub Dvorský : L’IGF a certainement aidé. C’est une reconnaissance importante qui a rendu le titre beaucoup plus visible auprès des amateurs de jeu vidéo. Mais le prix est surtout essentiel auprès de la presse jeu vidéo, des éditeurs, des plateformes de diffusion et des autres développeurs.
La presse de jeux vidéo contribue-t-elle encore à la visibilité des jeux ?
Jakub Dvorský : La presse nous a probablement beaucoup aidés par le passé, mais la situation actuelle est différente.
Premièrement, il est plus difficile de convaincre les médias de s’intéresser à un jeu qui n’est pas un blockbuster. Deuxièmement, ils ont moins d’impact qu’auparavant.
Comment gèrez-vous les critiques des journalistes, des blogueurs, des YouTubers chez Amanita Design ?
Jakub Dvorský : Obtenir des critiques est devenu beaucoup plus difficile.
Il y a tellement de blockbusters à couvrir qu’il est assez rare de voir un jeu indépendant être testé sur les plus gros sites de jeux.
Il est essentiel de garder le contact avec les joueurs qui s’intéressent à vos titres, de les tenir au courant et d’entretenir une relation positive.
La diffusion de communiqués de presse en masse ne fonctionne plus du tout.
Quelle relation entretenez-vous avec vos consommateurs/joueurs ?
Jakub Dvorský : Ce qui est cool avec nos jeux est que tout le monde peut les apprécier.
Peu importe si vous avez cinq, quinze, quarante ou soixante ans. Nous recevons, par exemple, des courriels de parents qui jouent avec leurs enfants.
Les joueurs PC peuvent y trouver leur compte tout comme ceux qui jouent occasionnellement sur leur téléphone. Si vous êtes sensible aux jeux visuellement éblouissants avec des casse-tête, il y a de bonnes chances que vous aimiez nos jeux.
Nous avons les fans les plus sympathiques de toute l’industrie du jeu vidéo. Cette communauté a été incroyablement bienveillante. Nous faisons de notre mieux pour maintenir cette relation.
Certains jeux d’Amanita Design sont en démo gratuite sur le site officiel.
Pour en savoir plus, rendez-vous dans Indie Games !