Miyazaki en retraite et Ghibli arrêtant la production de film, le public va-t-il enfin s’intéresser à l’animation japonaise ?
Certes, je suis triste de voir que le studio fondé par Toshio Suzuki, Hayao Miyazaki et Isao Takahata cesse de faire des longs métrages alors même que la société avait été fondée pour produire des films d’animation de qualité pour un public d’adulte il y a près de 30 ans. Ils ont produits de nombreux chefs d’œuvres et pour moi Pompoko, Nausicaä et Princesse Momonoke restent les films les plus importants et les plus significatifs qu’ils aient jamais réalisés.
Arrêt des créations, poursuite de la gestion
Le quotidien The Guardian relate que le co-fondateur Toshio Suzuki a annoncé officiellement l’arrêt dans l’émission Jounetsu Tairiku : les équipes vont être réduites et le studio va s’occuper de la gestion du catalogue des vingt films déjà existants au lieu d’en créer de nouveau presque chaque année.
La décision de Toshio Suzuki n’est pas une réelle surprise. Contrairement à ce qui se fait dans les autres studio d’animation, les artistes de Ghibli sont en CDI (selon le site Catsuka) et les coûts élevés des films ne sont pas compensés par les résultats au box office. Le dernier film d’Isao Takahata (Le Conte de la princesse Kaguya, novembre 2013) n’a semble-t-il pas vraiment séduit le public alors qu’il proposait une nouvelle esthétique et de nouvelles techniques d’animation. On estime que le film d’animation japonaise n’a rapporté qu’environ 17 millions d’euros au box office au Japon contre 84 millions pour Le Vent se lève. De même, Omoide no Marnie, le dernier long métrage sorti le 19 juillet au Japon ne paraît pas avoir eu le succès escompté.
Même si je suis triste pour les équipes actuelles de Ghibli qui devront sans doute chercher des opportunités de travail ailleurs, j’ai l’espoir que l’arrêt des films de Ghibli va enfin permettre au grand public de s’intéresser à tous les talentueux réalisateurs de films qui forment l’animation japonaise.
Depuis les accords de distribution signés en 1998 entre Disney et Ghibli, la presse mondiale et le grand public ne jurent que par Miyazaki. Avec la puissance de feu de la multinationale, il n’est pas vraiment étonnant que le rouleau compresseur du marketing américain parvienne à convaincre tout le monde que Miyazaki est le « Disney japonais ».
Il est devenu de bon ton d’aimer le « style Ghibli » et d’employer cette locution dans toutes les articles évoquant de près ou de loin le graphisme japonais. Contrairement au « style manga » (autre locution qui ne veut rien dire mais qui est pléthorique dans la presse), qui évoque dans la tête des journalistes et des services marketing des chevelures et des tenues improbables aux couleurs vives, le « style Ghibli » est paré de tous les bienfaits. D’ailleurs les services marketing du jeu vidéo l’emploient à toutes les sauces.
A présent que Miyazaki et Ghibli s’arrêtent de faire des films, j’espère vraiment que les représentations vont changer.
Tuer le père
Même si j’adore Miyazaki, au fil du temps, ce réalisateur me semblait de plus en plus proche de Chronos, le dieu grec qui mangeait ses propres enfants car il ne voulait pas être détrôné. Yoshifumi Kondo, réalisateur de Si tu tends l’oreille (Mimi o Sumaseba, 1995), devait reprendre le flambeau mais il est mort en 1998. Depuis lors, d’autres réalisateurs auraient pu être désignés comme des héritiers et ont tenté de renouveler les succès commerciaux et critiques de Miyazaki. Mais dans les faits, aucun prétendant n’a pu y parvenir.
Mamoru Hosada, qui travaillait sur le Château ambulant avait été finalement évincé du projet et remplacé par le maître. Il n’a pu s’épanouir que dans une autre structure et réaliser ainsi les superbes films que sont La Traversée du temps (2006), Summer Wars (2009) et Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012). Le joli Royaume des chats (Neko no ongaeshi, 2002) de Hiroyuki Morita a eu du succès mais ne restera pas dans les mémoires comme un chef d’œuvre incontournable.
Lorsque le fils de Miyazaki se met à réaliser les Contes de Terremer (Gedo Senki, 2006), son père s’oppose au projet et ne lui parle pas durant sa production. Lorsque Goro Miyazaki réalise son deuxième film, la Colline aux coquelicots (Kokuriko zaka kara, 2011), son père s’implique dans le projet et s’occupe du scénario avec Keiko Niwa. Mais là encore, les résultats au box office sont loin de ceux des films réalisés par le père.
Or le dernier film de Miyazaki a coûté tellement cher à la production qu’il n’était pas rentable en septembre 2013 selon une source interne au studio. Le dernier film de Takahata était encore plus pharaonique au niveau du budget et l’on peut donc également s’inquiéter de sa rentabilité.
Finalement, le seul réalisateur qui a pu avoir une carrière l’a faite en dehors du studio Ghibli, loin de Miyazaki.
Après le Disney japonais, le Pixar du Soleil Levant ?
Si l’on poursuit l’analogie entre Disney et Miyazaki/Ghibli, on peut se dire qu’après la mort de Disney et durant l’affaiblissement de la société, des outsiders ont pu bénéficier de la couverture médiatique, devenir populaire et proposer autre chose. Ainsi Dreamworks (Skrek, Madagascar) et Pixar (Toy Story) ont pu émerger et trouver un écho chez le grand public.
Je prie de tout cœur pour que les yeux du public se tournent enfin vers les autres talentueux réalisateurs car Ghibli ne représente pas toute l’animation japonaise. Pourvu que les spectateurs ne soient plus éblouis par le soleil Miyazaki et puissent enfin voir la forêt qui se cache derrière l’arbre.