Si vous pensez que le manga gay est du yaoi et que les homosexuels japonais adorent les éphèbes efféminés, vous vous trompez. Avec Tagame et Jiraya, entrez dans le monde des hommes virils et musclés qui préfèrent les hommes.
Les éditions H&O ont été fondées en 1999 par Olivier Tourtois. Elles sont dédiées à la culture gay sous toutes ses formes : littérature française et étrangère, essais historiques et sociologiques, livres de photos, livres érotiques et livres de poche. H&O compte 130 titres à son catalogue dont une trentaine de comics, bandes dessinées ou livres d’illustrations. En 2003, le catalogue s’étoffe d’un secteur « bandes dessinées » avec la publication des comics du canadien Patrick Fillion, bientôt rejoint par les Français Logan et Max’.
Lors de recherches sur le Net, les éditeurs ont découvert le site personnel d’un auteur de manga gay, Gengorô Tagame. Ils en avaient entendu parler par un ami journaliste et décident alors de prendre contact avec l’artiste. Celui-ci a immédiatement été séduit par la proposition de publier un premier manga et leur propose même un traducteur (Yuji Kitashima). C’est ainsi qu’en 2005, naît la collection H&O « manga » en publiant pour la première fois en France une véritable bande dessinée gay, pornographique à tendance sado-masochiste : Gunji.
Nous sommes très loin du yaoi, manga écrit par des femmes pour un public féminin et mettant en scène de beaux éphèbes homosexuels. Au programme des récits de Tagame : relations sexuelles à presque toutes les pages avec gros plan sur les parties intéressantes, rapports violents de domination, et surtout du muscle car on est plutôt dans la tendance « bear ». Âmes sensibles s’abstenir.
Le succès de ce premier manga est immédiat. Ce titre en est à son second tirage pour un total de 4 000 exemplaires. En 2006, H&O récidive avec Arena et en 2007, la maison d’édition diversifie son catalogue avec la sortie d’art-books consacrés à Tagame et à un autre auteur gay, Jiraiya. Dans les deux cas, le graphisme est photo-réaliste, les images fort belles et destinées à un public gay. Les deux recueils d’illustration sont intitulés sobrement The Art of Gengoroh Tagame et The Art of Jiraiya. H&O édite également un autre manga de Tagame, Goku, l’île aux prisonniers : 700 pages de relations sexuelles très musclées entre hommes.
Maintenant que le porno gay SM a fait son entrée en France, il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée de manga gay non pornographiques.
Interview de Olivier Tourtois, directeur de H&O
Comment êtes-vous entré en contact avec Tagame ? Est-ce que cela c’est fait par mail, par téléphone ? Êtes-vous allé au Japon pour le voir ? Combien de temps ont duré les négociations pour l’acquisition des droits ?
Tout s’est passé par mail, en quelques semaines. Un premier message pour prendre contact et nous présenter, rapidement suivi d’une proposition de contrat, qui a été acceptée. Le plus long fut le travail du traducteur, puis la mise en place fastidieuse du texte français dans les bulles et surtout des onomatopées qu’il fallait incruster dans les planches : un bon mois de travail !
Beaucoup d’éditeurs français semblent avoir des difficultés à dialoguer avec les ayants droits japonais. Il semble que ce ne soit pas votre cas. Est-ce que cela est dû au caractère très particulier de ces manga ?
Peut-être. Il faudrait poser la question à Tagame lui-même. Toujours est-il que nous avons traité directement avec lui puisqu’il parle anglais, ce qui a grandement facilité les échanges. C’est plus compliqué avec Jiraiya, car il faut passer par un traducteur japonais pour le moindre message. Je pense qu’en effet, le fait que l’on soit une maison d’édition gay a été un élément important dans la décision de Tagame.
Certains pourraient estimer que vous profitez de l’engouement général pour le manga pour sortir une BD pornographique et « faire du fric ». Qu’auriez-vous à leur répondre ?
Cela me ferait rire. Derrière cette remarque, il y a un jugement moral qui ne me touche pas. Si je suis boulanger, « faire du fric » en vendant des baguettes, c’est bien. Mais si je suis éditeur, faire du fric en vendant de la BD « porno », c’est mal. Parce que le porno, c’est mal, le sexe, c’est sale. Mais le porno fait partie de la culture gay. Ayant longtemps été réduits à notre sexualité, nous l’assumons (ainsi que toutes ses variantes et ses diversités) avec plus de sérénité, semble-t-il, que le tout venant. Mais, allez savoir, le porno apporte peut-être quelque chose aux gens d’aussi important que le pain pour qu’ils s’y intéressent tant. D’ailleurs, nous publions également de la littérature érotique. Le sexe est un matériau narratif comme un autre, et qui peut être (entre les mains, si j’ose dire, d’un auteur de talent) tout aussi intéressant que d’autres sujets.
Et puis, on ne se fait pas tant de fric que ça. Cela reste destiné à un public limité et n’est en vente que dans quelques librairies spécialisées. Il ne faut pas exagérer, nous n’avons pas inondé la France ! C’est plutôt du côté de l’exploitation de la niaiserie qu’il faut chercher les opportunistes. Comme je vous l’ai dit, nous nous intéressons à toutes les formes d’expression de la culture gay (sur papier, j’entend) dans tous les pays et à toutes les époques. Le manga n’est qu’une forme parmi d’autres,qui nous intéresse, ni plus ni moins.
Comment s’est passé votre rencontre avec Jiraiya ?
Egalement par Internet, mais toujours par l’intermédiaire de notre traducteur Yuji Kitajima, donc de façon plus laborieuse, mais sans anicroche particulière…
Pour quelles raisons avoir choisi un auteur SM et non un auteur plus « classique » ?
Tagame est sans conteste le plus connu et le plus talentueux des dessinateurs gay, qui ne font pas dans le yaoi. Il est internationalement reconnu. Par ailleurs, il était aisé de rentrer en contact avec lui grâce à son site. Bien que nous n’ayons pas d’attirance personnelle pour le SM, nous respectons les goûts et l’imaginaire d’un auteur, quand il a un talent aussi incontestable. On peut lire Sade sans obligatoirement être sadique, non ? On peut lire un polar sans être policier ou assassin…
N’avez-vous pas peur que certains confondent pratiques SM et homo ?
Ceux qui, de toute façon, ont envie de tout mettre dans le même sac, le feront quoi qu’on fasse parce que ça les arrange. Ne pas être capable de faire la différence entre réalité et fiction, c’est triste. Je n’ai personnellement jamais rencontré de femmes qui ressemblent de près ou de loin à celles qu’il m’est arrivé de voir dans des films X. Vous savez, avec les faux ongles de 5 cm vernis de blanc et tout l’attirail… J’en conclue que le domaine du fantasme, de l’imaginaire et celui de la réalité ne se recoupent qu’occasionnellement.
Article initialement paru dans AnimeLand.