Après la fin du développement de Hell Yeah et un bon mois de vacances, les petits gars d’Arkedo sont entrés en mode « promo » et nous ont accueilli dans leurs locaux parisiens dans le XIVe arrondissement pour discuter de tout et de rien, mais surtout des indé et du jeu vidéo en général. Retour sur la petite entreprise qui aspire à devenir plus grande tout en gardant son énergie et sa taille humaine.
Comme dans le cas de beaucoup de studios en France, tout commence par la fin d’une société ou presque. Kalisto une fois mort avait permis à plein de petits studios de naître dans la région de Bordeaux et les multiples soubresauts d’Infogrames ont permis à divers studios lyonnais de se monter. Dans le cas d’Arkedo, cela commence par une société de jeux vidéo pour les téléphones mobiles (InfraWorlds) dont le fondateur est évincé. Camille Guermonprez, serial entrepreneur, ne se laisse pas démonter pour autant et fonde avec Aurélien Regard, un de ses anciens graphistes, une nouvelle structure : Arkedo. Le nom est une sorte de mot valise entre l’architeuthis (calmar géant et animal favori de Camille) et arcade (style de jeux préféré d’Aurélien). Oui, parfois il ne faut pas chercher plus loin…
Cette fois-ci plus question de laisser les investisseurs décider à leur place et plus question de jeux mobiles. Les deux hommes sont bien décidés à faire un « vrai jeu » en boîte qui s’échange entre amis et qui se revend des années après en brocante. Bref, tout le contraire de ce qu’ils ont connus jusque là. Camille se souvient de la frustration qu’ils avaient à l’époque avec les jeux dématérialisés : « Nous venons du jeu mobile et j’avais un studio qui a fait des titres pas mal ou du moins pas mal de jeux. Dès qu’un opérateur éteignait son serveur le jeu n’existait plus. On voulait des jeux qui restent, que les gens puissent revendre et offrir sans passer pour un radin. Et puis il y a une puissance tactile de l’objet qui lui donne une valeur tangible que le digital n’a pas. »
Du téléchargement aux boîtes
Au moment où les deux hommes créent le studio, les développeurs assistent à l’arrivée de la première Nintendo DS avec des fonctionnalités innovantes comme le Touch Screen ou le fait de souffler dessus pour faire avancer des objets en jeu les font rêver. Et c’est ainsi que pendant presque deux ans, ils travaillent à trois personnes sur leur premier titre qui sort sur DS : Nervous Brickdown.
Leur chance est d’avoir eu assez une mise de départ suffisamment importante pour mettre le studio sous cloche pendant deux ans. Ils peuvent alors présenter aux éditeurs potentiels un jeu presque fini. Le projet est d’autant plus fou que le studio garde les droits sur le jeu. Bien sûr, ils auraient pu signer rapidement avec un éditeur sans négocier quoi que ce soit. Mais ces cas-là, le développeur perd des éléments clefs comme la capacité de vraiment faire le jeu qu’il veut, à gagner de l’argent si le jeu est un succès, de gérer les suites et les éventuels portages, etc.
Dans le deal entre Arkedo et Eidos, la propriété intellectuelle reste au studio, qui est maître du contenu, tandis que l’éditeur promeut une licence qui ne lui appartient pas. « Il était très important pour nous de faire une bonne première impression et c’est pour cela que nous avons autofinancé le jeu. Nous nous sommes présentés comme un studio indépendant un peu taré qui propose des jeux terminés plutôt pas mal et qui garde la propriété intellectuelle. »
Nervous Brickdown est un « casse-briques » modernisé avec de nombreux mélanges de gameplay(shoot’em up, puzzle…) et des niveaux très différents, petite gageure pour le jeune studio qui n’avait jusque-là créé que des jeux pour mobiles. Mais le pari est réussi et il engrange suffisamment d’argent pour financer le second titre tout en restant indépendant : Big Bang Mini, chez Southpeak.
« Le premier contrat a été très compliqué, se remémore Camille, alors que pour les suivants, on peut montrer à l’éditeur que d’autres ont déjà accepté ce genre d’accord et que tout s’est bien passé. Il s’agit au fur et à mesure de faire entrer dans la tête des éditeurs que les nouveaux types de studios indépendants prennent tous les risques et qu’il est donc juste qu’ils gardent la propriété intellectuelle. »
Toujours sur DS, ce jeu d’arcade est une sorte de shoot’em up pour des gens qui ne sont pas spécialement fans du genre. En grattant une allumette avec le stylet de la DS, le joueur lance des feux d’artifice et détruit les ennemis et autres éléments farfelus. Le jeu est là encore un petit succès, même si le public qui y joue n’est pas vraiment celui qui était visé. Selon Aurélien, ils voulaient « créer un jeu assez ouvert au début avec un public féminin, etc. Finalement, nous avons abouti à un jeu assez hardcore et il a curieusement bien marché, notamment auprès des amateurs de shoot, alors que ce n’était pas eux que nous visions à la base ! Ça c’est bien vendu pour notre échelle, c’est-à-dire à environ cent mille exemplaires, ce qui permet de rentabiliser le projet et d’enchaîner avec un autre. »
Premier couac
Hélas, les bonnes choses ne durent pas et Arkedo doit faire face à un éditeur quelque peu récalcitrant à honorer ses dettes : Southpeak a demandé une version Wii de Big Bang Mini à Arkedo mais cesse les paiements vers la moitié du développement, tout en exigeant la livraison des éléments du jeu. Ne se laissant pas faire, les Français décident d’aller au procès contre l’éditeur texan et entament les démarches à l’américaine en avançant l’argent pour financer le procès et en espérant le gagner. Après une bonne année de démêlés juridiques, ils remportent la victoire. Mais ils ont perdu du temps et de l’énergie. De plus, le jeu arrive trop tard sur Wii et ils ne peuvent espérer revendre le projet à un autre éditeur pour le finaliser.
Arkedo passe alors du statut de joyeuse bande de potes qui crée des jeux sur DS à celui de petite entreprise essayant de survivre en réalisant des prestations et des projets plus alimentaires. Néanmoins, cette période de vaches maigres leur permet de s’exercer sur la Wii et les autres consoles. Ils sont alors à la croisée des chemins : vont-ils concevoir des jeux pour l’iPhone au risque d’être noyés dans la masse ou repartir vers des consoles de salon pour jouer sur grand écran ? Ils optent pour la seconde option.
En 2010, Arkedo lance les Arkedo Series sur Xbox 360 pour se faire la main avec de petits jeux arcades truffés de références pour « les vieux cons dont nous faisons partie », dixit Aurélien. Ils sortent ainsi trois titres en téléchargement et reçoivent un accueil critique très favorable. Mais comme ceux-ci sont diffusés en tant que jeux indépendants et non dans l’interface principale du XBLA, ils passent relativement inaperçus. Bien qu’ils soient classés dans le top 3, les ventes restent très faibles. Ils rentrent dans leurs frais mais n’en tirent pas beaucoup de bénéfices pour financer d’autres projet plus gros.
Une fois de plus, ils doivent faire face à un dilemme : réaliser un nouveau jeu dans les Arkedo Series et vendre peu mais sûrement ou concevoir un joli prototype en dépensant pas mal de temps et d’argent pour espérer trouver un éditeur. Ils prennent finalement le risque de partir sur un projet plus gros pour être visibles et entament quatre mois de prototypage afin de présenter leur nouveau titre à des éditeurs.
Rebond
La prise de risque s’avère payante. Lors de la Gamescom, où développeurs et éditeurs se rencontrent pour vendre et acheter des projets, le prototype d’Arkedo fait sensation. Plusieurs éditeurs sont intéressés et c’est SEGA qui s’avère le plus rapide et motivé : entre le moment où ils se serrent la main et celui où le contrat est effectivement signé, il ne s’écoule que deux mois. C’est d’autant plus rapide qu’Arkedo garde là aussi la propriété intellectuelle.
Camille rappelle que c’est une exception dans le milieu : « Souvent, quand tu parles avec des éditeurs classiques, ils ont des schémas de contrats qu’ils appliquent depuis des années mais qui sont en totale incohérence avec le monde actuel, les droits des auteurs actuels. Pour les faire évoluer au niveau de l’écriture du contrat, cela peut prendre plus de trois mois de négociation ».
Bien sûr, cette indépendance peut sembler bizarre et surtout difficile à obtenir, mais pour Arkedo, c’est un point essentiel, comme le rappelle Camille. « Par définition, si les gros éditeurs s’intéressent à de petits studios, c’est parce que ceux-ci sont capables de faire des titres que les éditeurs ne savent pas, ne veulent pas ou ne peuvent pas faire. Or quand une grande société signe avec toi, la première chose qu’elle va chercher à faire, c’est un jeu formaté comme avant, même si elle promet que ce n’est pas le cas. Il y a une espèce d’inertie dans le fonctionnement qui fait que très vite, des personnes vont venir te donner leur avis et au final, pour des petites boîtes comme Arkedo, c’est une catastrophe. C’est comme un tableau jaune pétant : il y a des gens qui adorent, d’autres qui détestent, mais cela fait l’identité du tableau. Quand il y a trop d’avis qui se mélangent, on finit par obtenir du marron. Or cela ne peut fonctionner pour les petites structures. Bien sûr, si nous avions une autre taille et que nous présentions un jeu ressemblant à Diablo mais en moins bien, nous pourrions sans doute nous en sortir grâce au marketing. Dans notre cas, nous sommes dans une logique de grosse prise de risque pour élaborer des choses nouvelles. Accepter le contrat type est donc impossible. »
Ne plus se faire mettre en boîte
Alors qu’ils avaient créé Arkedo pour concevoir des jeux en boîte, ils ne font plus du tout depuis 2010 de titres vendus dans les magasins traditionnels. Même s’ils restent attachés au jeu physique en tant que joueurs, ils préfèrent en tant que développeurs investir le marché des jeux dématérialisés.
Camille explique concrètement ce revirement d’opinion : « Nos deux premiers jeux étaient sur DS et étaient vendu 30 € pièce. Nous ne
touchions que 1,50 € et 1,60 €, c’est-à-dire moins de 10 % du prix de vente. Quatre ans plus tard, nous avons réalisé les Arkedo Series en digital. Ils étaient vendus 3 € et nous touchions environ 2 €. Nous avons donc gagné bien plus par le biais des jeux dématérialisés que par boîte de Nervous Brickdownen sachant qu’en plus, le public les a payés dix fois moins cher ! Cela nous a amenés à nous poser des questions. » Le marché digital étant plus structuré et en pleine croissance, Arkedo décide de se lancer uniquement sur ces plates-formes dématérialisées car elle peut financer ses productions plus simplement, et avoir un retour sur investissement sept fois plus grand.
Aurélien ajoute à ces raisons économiques des déconvenues qui ne peuvent se produire que dans le marché des jeux en boîte, comme la frustration d’attendre la sortie du jeu et de ne pas le trouver chez le revendeur le plus proche. « Cela donne l’impression qu’il est mal
L’enfer du jeudistribué. Et cela ne veut pas dire que telle ou telle personne est nulle mais à un moment donné, il y a tellement de boîtes que les distributeurs doivent faire un tri et choisissent de mettre en rayon moins de jeux pour moins de temps. Big Bang Mini a mis pas mal de temps à être distribué partout en France. Avec le digital, le jeu est disponible partout tout le temps. Plus de problème parce que la livraison a mis plus de temps que prévu, que le stock est épuisé ou que le jeu n’est pas distribué parce que deux personnes dans la chaîne se sont disputées et qu’il n’a pas été pris… Quand tu passes beaucoup de temps à créer du contenu et que tu as envie que les gens s’amusent bien avec, c’est extrêmement frustrant de voir qu’ils n’y ont pas accès. »
Avec Hell Yeah, Arkedo s’est lancée dans sa plus grosse production jusqu’à présent. En dehors de l’équipe principale composée d’une petite dizaine de personnes, il a fallu faire appel à des free-lance pour divers coups de main. Auparavant, Aurélien s’occupait de toute la création, game design et graphisme inclus. Cette fois, il a eu de l’aide notamment pour les boss et leur animation. Il faut dire qu’il y a cent ennemis uniques tant au niveau du design que de la méthode pour les tuer, une dizaine d’environnements différents à explorer et plein de détails qui en font un titre intéressant et pas seulement un simple jeu de baston rigolo. Si les précédents titres d’Arkedo n’avaient pas de mascotte, on peut dire que celui-ci en a cent. Mention spéciale pour le caca à tronçonneuse qui a beaucoup fait rire SEGA lors de la présentation du prototype.
Bien sûr, le pitch peut sembler débile : un lapin, accessoirement prince des enfers, est surpris en plein moment de tendresse avec son canard en plastique. Pour que cela ne nuise pas à sa réputation de badass, il n’a plus qu’à tuer tous ceux qui ont vu l’image. Projet exutoire élaboré juste après une prestation alimentaire pour un public très familial, Hell Yeah mélange tout – plate-forme, shooting, action, puzzle et finish à la Mortal Kombat – mais en plus délirant. Le mot d’ordre est : « N’importe quoi ». Il s’agit aussi de dédramatiser toute la violence du jeu en l’exprimant par un univers très riche et super coloré. Il y a donc du sang partout sans que ce soit glauque.
À présent que Hell Yeah est prêt à être dégusté sur console, Arkedo se met au travail pour son prochain titre tandis que Camille fonde une autre structure. Après avoir recherché en vain un éditeur pendant dix ans, il crée les Nice Guys, incubateur et catalyseur pour les développeurs indépendants. Son but est simple : repérer et aider les créateurs à monter des projets, voire les éditer sur les plates-formes dématérialisées. Tout un programme et une petite revanche pour celui qui a buté contre un plafond de verre pendant longtemps.
La suite dans IG magazine 21 en kiosque.