Créée en 2004 sur l’île Saint-Louis, en plein cœur du Paris médiéval, la galerie Arludik fondée par Jean-Jacques Launier accueille régulièrement des artistes travaillant dans le jeu vidéo.
En 2011, son cofondateur Jean-Jacques Launier a sorti un livre écrit en collaboration avec Jean-Samuel Kriegk. Dans une première partie, il essaie de retracer un historique des arts graphiques modernes : bande dessinée, manga, comics, dessins animés, jeux vidéo. Dans la seconde section, il propose une vingtaine de biographies d’artistes dont les deux tiers ont notamment été exposés à la galerie. Nous sommes allés à sa rencontre pour qu’il nous définisse « l’art ludique » et nous explique son métier de galeriste.
Après des études de dessin, Jean-Jacques Launier a beaucoup travaillé dans la publicité pour assurer des promotions de films et de jeux vidéo. Par ce biais, il a pu rencontrer les artistes qui travaillaient sur les productions audiovisuelles ou vidéoludiques. Il a par exemple monté une exposition consacrée à Katsuhiro Otomo durant la période de promotion du film Steamboy. Ami de Moebius, avec qui il a d’ailleurs signé une bande dessinée, il est également parvenu à organiser une exposition « Miyazaki/Moebius » au musée de la Monnaie de Paris en 2005.
Avec une programmation éclectique, Arludik tient à promouvoir les artistes contemporains qui travaillent dans le secteur du divertissement. C’est ainsi qu’on peut retrouver dans la petite galerie des tableaux de John Howe qui ont inspiré le film Le Seigneur des anneaux, les dessins originaux de Lara Croft par Toby Gard, des crayonnés de Glen Keane (character designer et animateur chez Disney) ou encore des travaux de Sylvain Despretz, qui a réalisé des concept arts pour Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, Gladiator de Ridley Scott ou le Superman de Tim Burton qui ne verra finalement pas le jour.
Pourquoi avoir installé la galerie sur l’île Saint-Louis ?
Jean-Jacques Launier : Il s’agit de faire bouger les lignes entre l’art et ce que l’on considère encore comme de simples produits. Mettre la galerie au cœur du Paris médiéval était comme donner un écrin ancien à des expositions de toiles numériques. Quand les artistes étrangers viennent exposer ici, ils adorent ce contraste !
Quel est le concept de la galerie ?
Jean-Jacques Launier : L’idée était de montrer que derrière ces films et ces œuvres que nous aimons, il y a un crayon et une personne qui dessine fabuleusement bien. C’est important de redonner aux artistes leur importance et de montrer l’envergure du travail qu’ils ont réalisé. Nous leur offrons une galerie où exposer des œuvres qui ne sont pas toujours reconnues comme telles.
Par exemple, nous étions parmi les premiers à montrer les dessins originaux de Toby Gard, le créateur de Lara Croft, héroïne de Tomb Raider. Personne n’avait demandé à cet artiste d’exposer ces œuvres alors que Time Magazine avait classé Lara Croft comme l’une des vingt personnalités du siècle. Elle incarne en quelque sorte le jeu vidéo et c’est la femme virtuelle la plus connue au monde.
Qui est le public des expositions mettant en scène des artistes du jeu vidéo ?
Jean-Jacques Launier : Il y a vraiment de tout. C’est une façon de réconcilier le grand public et l’art vidéoludique. Lors de l’inauguration, beaucoup de gamers sont au rendez-vous mais ensuite, le public varie énormément. Le mercredi, nous accueillons pas mal d’écoles. Ensuite, il y a aussi les étudiants en art. Certaines personnes sont venues à la galerie admirer et acheter les toiles d’Assassin’s Creed sans connaître le jeu en question. C’est en cela que l’on reconnecte l’art et l’univers vidéoludique. Une dame de soixante-cinq ans a ainsi acheté une toile de Venise à cette occasion !
Dans le cas des expositions sur Assassin’s Creed ou Dead Space, n’était-ce pas seulement de la promotion pour les jeux ?
Jean-Jacques Launier : Il faut dire que ces expositions liées aux artistes du jeu vidéo sont généralement couplées à la sortie d’un jeu afin de bénéficier de la promotion faite autour du titre et de profiter de la présence de l’artiste dans la galerie. Mais la plupart du temps, nous exposons des artistes pour qui nous avons eu un coup de cœur.
Néanmoins, c’était avant tout l’exposition d’un titre de jeu et pas celle d’une équipe de concept artists.
Jean-Jacques Launier : Dans l’exposition Dead Space, nous avons vraiment fait la promotion du directeur artistique Ian Milhan, qui est d’ailleurs venu signer des toiles et discuter avec le public. À cette occasion, nous avions des toiles numériques mais aussi d’autres peintes à la main, des crayonnés d’études de personnages… Dans le cas de Metal Gear Solid : Peace Walker, les œuvres de Yoji Shinkawa, character designer de la série, avaient été exposées au sein des espaces Arludik des Fnac dans le cadre de notre partenariat avec cette enseigne. Les dessins de Shinkawa sont très « jetés » et font penser à du Frank Miller dans Sin City. C’est du noir et blanc au marqueur repris ensuite avec du Typex. Même si le jeu est très photoréaliste, à la base, dans les recherches et dans la démarche de création, il y a des esquisses très stylisées ; c’est ce que nous avons voulu montrer au public.
Le problème de ces artistes est qu’ils ne sont pas vraiment connus et nous profitons de la promotion faite autour des jeux pour les mettre en lumière. Auparavant, on considérait le jeu vidéo comme un simple produit que l’on achète. Les gens qui le produisent ne bénéficient pas de réelle reconnaissance. Certes, Hideo Kojima est un nom connu des gamers mais dans le cas de Dead Space ou d’Assassin’s Creed, personne ne sait qui sont les artistes derrière le jeu. Quelqu’un comme Michel Ancel est par exemple réputé dans le milieu du jeu vidéo mais il n’a pas encore une vraie notoriété auprès du grand public, alors qu’il la mériterait. C’est dommage qu’on ne découvre pas le talent des artistes qui sont à l’origine de ces univers ! Heureusement, c’est en train de changer et nous étudions à l’heure actuelle l’organisation de beaucoup d’expositions de ce genre.
N’est-ce pas curieux d’acheter des toiles d’images qui n’existent normalement que sous forme numérique ?
Jean-Jacques Launier : Initialement, les collectionneurs étaient très réticents par rapport à la peinture numérique. Dans les galeries de BD, personne n’en voulait car ils ne vendaient que des originaux en noir et blanc. Puis nous avons organisé une vente aux enchères à Drouot avec Cornette de Saint Cyr et Benjamin, artiste et dessinateur chinois de bandes dessinées, qui s’est retrouvé aux côtés de Warhol, Basquiat ou César. Depuis, les choses ont changé.
Même pour les artistes, c’est très gratifiant d’avoir un tirage de leur œuvre numérique. Sylvain Chomet, réalisateur des Triplettes de Belleville et de L’Illusionniste, me disait justement que pour son premier film, il avait des éléments physiques à montrer sous forme de Celluloïd, mais pas pour le second. Et il était ravi de voir des images de son long métrage sur des toiles avec un tirage unique. Cela donne un côté tangible.
En outre, le numérique n’est que l’outil moderne au service des artistes. Un tirage d’une œuvre digitale unique signée de la main de l’artiste reste un objet exceptionnel. Il en va de même dans l’univers de la photographie. À partir du moment où l’artiste fait une toile, qu’il la signe et la fait authentifier avec un certificat, c’est un peu comme avoir d’un côté le négatif et de l’autre un tirage. Le tirage d’art n’est qu’une façon de proposer un nouveau format aux toiles numériques.
Que pensez-vous des multiples expositions sur le jeu vidéo qui fleurissent ces derniers temps ?
Jean-Jacques Launier : C’est surtout du retro gaming et même si je trouve cela intéressant, pour moi, ce n’est pas de l’art contemporain. Ce qui m’intéresse plus, c’est de montrer ce qui se fait maintenant. En outre, ces expositions ne mettent pas en valeur le travail artistique qu’il y a derrière le jeu vidéo. Dans notre galerie, nous donnons à voir comment un jeu est réalisé. Les concept arts sont des tableaux qui créent des carrefours par lesquels tous les joueurs vont passer. Ce sont des images représentant en quelque sorte l’essence du jeu, qui donnent la lumière et l’ambiance et qui permettent à tout le monde de travailler autour de la même idée. C’est presque comme dans les ateliers de la Renaissance italienne avec plein d’artistes travaillant autour d’une grande œuvre.
Nous tenons à montrer des artistes vivants qui suscitent des vocations et de l’émulation. C’est un vrai plaisir car en général, ils aiment rencontrer le public et partager avec lui. Il est important de rencontrer les gens qui font bouger les choses aujourd’hui.
Vendez-vous beaucoup de toiles ?
Jean-Jacques Launier : C’est un art émergent qui reste relativement accessible et le faire connaître est plus une croisade qu’un business. Il nous arrive de vendre une vingtaine de toiles, mais tout dépend de l’artiste exposé.
Finalement, pourquoi avoir intitulé la galerie et le livre « Art ludique » ?
Jean-Jacques Launier : Pour moi, il s’agit de donner un nom à l’art figuratif et narratif qui vient de l’entertainment. La traduction française du mot, « divertissement », n’est vraiment pas terrible et j’ai pensé que les termes « art ludique » étaient plus explicites. Il s’agit de mettre en valeur ces artistes venus de l’industrie de l’entertainment : cinéma, films d’animation, bandes dessinées, comics, mangas, jeux vidéo.
Initialement publié dans IG Magazine 18.