Lead designer de Morowind et Oblivion, Ken Rolston n’est pas un inconnu pour les amateurs de RPG. En 2006, il quittait Bethesda et la série des Elder Scrolls pour fonder une autre saga chez Big Huge Game. Racheté par THQ, puis revendu à 38 Studios, le développeur devrait enfin sortir son RPG au printemps 2012. En attendant, il nous promet des merveilles.
Qu’y a-t-il de neuf dans votre RPG ? On a l’impression de voir encore et encore les mêmes classes.
Ken Rolston : Vous avez cru en regardant la démo que l’on vous montrait une classe de combattant, de mage et de voleur, mais ce ne sont pas des classes mais des archétypes. Et c’est une nuance essentielle.
Quand vous jouez, vous prenez par exemple une classe de combattant car vous aimez aller au corps à corps et en découdre. Si vous étiez dans un RPG sur table à jouer avec des dés, vous seriez limité par ce choix de classe.
Vous serez le seul à pouvoir porter certaines armes ou des armures spécifiques et faire certaines actions. C’est une façon comme une autre d’équilibrer le jeu et de donner à tous les joueurs une fonction au sein d’une équipe.
Dans Reckoning, nous avons décidé de faire autrement. Vous pouvez portez les équipements que vous voulez et même avoir les compétences que vous souhaitez.
Nous avons le même panel de possibilités qu’un RPG classique, mais nous ne limitons pas les joueurs à une classe. Vous pouvez être un mage ou un voleur et vous pouvez aussi ne pas vous contenter des choses que font habituellement un mage ou un voleur. Vous pouvez aussi avoir des compétences que l’on trouve chez un guerrier si vous le souhaitez.
Vous avez accès à trois arbres de compétences où vous pouvez choisir ce que vous voulez avoir comme habilités. Dans la plupart des RPG, un personnage hybride est généralement un personnage médiocre en tout car ces jeux n’ont pas été pensés pour que les hybrides fonctionnent.
Or quand vous commencer un RPG, vous ne pouvez pas savoir ce qui va être « cool » à jouer de votre point de vue tant que vous n’avez pas avancé dans le jeu. Imaginons que vous ayez monter un personnage de mage mais que finalement vous vous rendez compte que les dagues sont sacrément plus sympa à manipuler.
Dans un RPG classique, il vous faudrait alors recréer un personnage pouvant utiliser efficacement les dagues. C’est une perte de temps.
Pour en revenir à votre question sur ce qu’il y a d’innovant dans notre jeu, savez-vous ce qui fait la base d’un RPG ?
Je vous en prie, dites-le moi !
Ken Rolston : Il y a quatre éléments fondamentaux dans un bon RPG : l’exploration, l’intrigue, l’évolution du personnage et le système de combat.
Dans ma carrière, j’ai déjà donné au niveau des RPG qui apporte du neuf en ce qui concerne l’exploration. Je n’ai pas vraiment grand-chose à prouver dans le domaine ni d’idées neuves.
D’autre part, il se trouve que notre éditeur Electronic Arts possède des jeux très bons en ce qui concerne le scénario grâce à BioWare. Je n’ai pas d’idées révolutionnaires dans ce domaine non plus. Quant à l’évolution du personnage,
Blizzard a déjà fait beaucoup dans ce domaine avec les loots (NDLR : butin que vous récoltez à la fin d’un combat) et d’autres mécanismes qui vous donnent envie de faire progresser votre personnage. Il ne reste donc que le domaine du combat !
Et, dans mon expérience, je trouve qu’il n’y a pas de RPG qui se distingue par des phases de combats vraiment passionnantes. Je viens du jeu de rôle papier et je pense que jusqu’à présent les RPG ont conservé de leurs origines un côté très stratégique.
D’ailleurs les anciens bons titres de BioWare sont des jeux au tour par tour et la plupart des RPG proposent des combats tactiques. C’est très cérébral, assez abstrait et aussi plutôt lent.
Imaginons à présent que l’on puisse faire un combat plus intense et que l’on se base plus sur les mouvements du personnage, un peu comme le joueur interprétait une chorégraphie.
Quand vous avez une idée neuve, vous avez plutôt intérêt à avoir un bon marketing derrière pour vous soutenir. Dans mon cas, je voulais faire une chose mais je ne savais absolument pas comment y arriver.
En revanche, je sais que je travaille avec une équipe formidable et que cela vaut le coup d’explorer dans cette direction. Vous découvrez alors des choses inattendues.
C’est le propre des visionnaires d’aller là où personne n’est allé et d’ouvrir ses yeux pour reconnaître les nouveautés parmi les autres éléments. Et c’est ainsi que nous avons décidé de nous inspirer des jeux d’action.
(Là, il y a une amorce de question, mais Ken Rolston en grand spécialiste la précède)
Ken Rolston : Je vois à votre mine que vous êtes sceptique. C’est vrai que les rôlistes sont très méfiants vis-à-vis des jeux catalogués comme Action-RPG.
En général, ils se disent : « mon dieu, ne venez pas gâcher mon jeu avec votre côté action ». Et je suis tout à fait d’accord avec eux. Je déteste les jeux d’action. Pas parce qu’ils sont mauvais mais parce que ce n’est pas ce que je recherche dans un jeu.
Généralement, leur scénario est insipide et il n’y a pas d’exploration. Juste un long couloir avec des ennemis et des énigmes à résoudre pour suivre ce que le game designer à imaginer que vous feriez. Donc, je n’avais pas du tout envie de faire des jeux d’action.
En revanche, il y a des choses très intéressantes dans un jeu d’action comme les animations des combats qui sont très bien réalisées et aussi le fait que chaque mouvement a un sens.
Dans un jeu de combat, chaque geste a son importance et il faut être précis au niveau du timing et avoir de l’anticipation pour pouvoir prendre l’avantage sur l’adversaire.
Et c’est à ce moment que j’ai repensé à une interrogation de Todd MacFarlane qui se disait : « mais pourquoi les animations sont toujours aussi nulles dans les RPG ».
Moi à l’époque, je me disais : « N’exagérons pas et puis si tant de monde à aimé nos RPG cela veut bien dire que ce n’est pas si mauvais ». Mais finalement, il a raison, les animations dans les RPG sont médiocres.
Nous en sommes donc venu à travailler les animations et les combats pour qu’ils soient plus fluides et plus intenses. En plus de cela, j’avais aussi ma petite marotte.
J’aime le côté exploration et j’ai toujours regretté la sensation de ne pas appartenir au monde que j’explore. Grâce à une meilleure animation, il est alors plus agréable de parcourir l’univers virtuel.
De plus, le mouvement, et plus précisément les tactiques dans les placements et les gestes, peuvent vraiment devenir un point clef dans les combats.
Habituellement, dans les RPG, le plus gros de la stratégie consiste dans le choix de l’équipement pour faire face à l’adversaire.
Une fois en combat, l’interface ne vous laisse pas la possibilité de changer d’arme. Avec notre système de combat, pour la première fois, lorsqu’un adversaire m’attaque, je ne me contente pas d’esquiver en espérant que mon geste soit réussi pour pouvoir attaquer au tour suivant.
Je peux esquiver en mettant ensuite derrière lui pour le poignarder. Et ça, ça fait vraiment plaisir car je peux enfin me positionner en combat là où je veux pour agir.
D’habitude, il s’agit de combat au tour par tour et je peux donc me positionner là où je sais que mes flancs seront protégés ou que des compagnons pourront me venir en aide. Mais tout cela est abstrait et peu immersif.
Dans Reckoning, je peux faire la même chose mais en temps réel. En mettant l’accent sur les animations, nous améliorons donc à la fois le système de combat et l’expérience globale au niveau de l’exploration.
N’y a-t-il pas de danger à mettre toutes les classes sur un même plan ?
Ken Rolston : Si vous jouez au RPG, vous savez comme moi que les dagues sont des armes assez peu prisées. Dans Donjon & Dragon, elles vous permettent de faire beaucoup de dégât lorsque vous attaquer l’ennemi par l’arrière, mais elles paraissent toujours moins cool que les autres armes.
En fait, nous avons fait en sorte que toutes les armes soient sur le même plan et que le joueur ait envie de les tester, même les dagues ! Et si vous aimez les dagues, vous aimez aussi un certain type de comportement en combat et vous vous imaginez faire les gestes.
Avec Reckoning, nous avons essayé de faire en sorte que ce théâtre intérieur soit vraiment représenté devant vos yeux et que vous ressentiez le plaisir du combat.
Vous innovez sur le plan du combat. Mais pourquoi conserver des autres éléments d’interface du RPG ce qui au jeu un aspect standard ?
Dans l’industrie du divertissement, il est important que les gens retrouvent des aspects familiers pour qu’ils puissent se repérer. Certes, ce n’est pas une excuse pour le manque d’innovation. Mais nous avons tout de même essayé d’améliorer pas mal de chose au niveau des interfaces.
Par exemple, quand j’ai mon loot, je déteste devoir ouvrir mon inventaire et passer des heures à tester les éléments pour savoir si finalement je les porte. Du coup, nous avons fait en sorte que l’on puisse voir le contenu des coffres et sans passer par l’inventaire s’en équiper si on le désire.
C’est une idée simple mais cela n’avait pas été fait. Dans le même ordre d’idée, il est possible de changer d’arme rapidement entre celle qui vous sert au corps-à-corps et celle qui vous sert à faire des dégâts à distance pour ne pas vous retrouver coincé en combat.
Dans les deux cas, nous avons essayé de rendre les choses plus fluides et d’assurer une meilleure expérience de jeu pour que l’utilisation des interfaces soit plus intuitive.
Mais il y a des choses que l’on ne peut pas changer notamment au niveau de certains signaux forts qui disent aux joueurs qu’il est dans un RPG et pas dans un jeu d’action.
Ce sont des éléments d’interface qui sont si familiers aux joueurs que vous avez intérêt à venir avec une idée tellement géniale que les gens vont se dirent « mais comment j’ai pu vivre sans ça ! ».
Sinon, ce n’est pas la peine de changer ces éléments d’interface auxquels les gens sont habitués, même si ces éléments peuvent paraître stupides !
Dans Dead Space, ils ont inclus la barre de vie le long de la colonne vertébrale sur la combinaison du héros. Vous auriez pu essayer de trouver des choses similaires.
Ken Rolston : Nous avons essayé pas mal de choses au niveau des interfaces mais nous avons aussi fait beaucoup de tests sur des joueurs pour nous rendre compte que même si l’idée peut paraître intéressante sur le papier, en pratique, elle ne l’est pas pour le joueur.
Dans le cas de la vie du personnage, il y avait un personnage féminin où l’on avait mis un cœur qui changeait d’aspect selon le niveau de vie. Il était placé sur la poitrine. Et cela paraissait une bonne idée.
Mais en jeu, vous passiez alors la plupart de votre temps à regarder la poitrine de votre personnage féminin… Donc si vous trouvez que nous n’avons pas été assez bons au niveau des interfaces, n’hésitez pas à nous le dire !
Et si vous avez une bonne idée, nous sommes prêts à l’intégrer en jeu ! Mais dans tous les cas, nous ferons des tests pour savoir si c’est vraiment une bonne idée.
Après avoir fait tant de RPG, comment faites-vous garder votre enthousiasme ?
Ken Rolston : Je pense que je suis sans doute un peu psychotique ce qui expliquerait mon enthousiasme débordant. J’ai déjà fait beaucoup de RPG et que j’ai donc accumulé beaucoup d’expérience.
Cela signifie que j’ai fait beaucoup de mauvais choix que je ne ferais plus. Cela rend donc les choses en quelque sorte plus simple.
Ensuite, je suis sans doute maladivement excité par ce que je fais mais cela a un certain avantage surtout lorsque vous travaillez sur un jeu en production depuis 36 mois !
Vous devez avoir quelqu’un de motivé pour faire passer l’énergie au reste de l’équipe et leur redire la chose simple qui est qu’ils travaillent sur un projet vraiment sympa.
De même, mon rôle est d’expliquer aux journalistes et aux personnes travaillant dans le studio et chez l’éditeur que nous faisons un jeu intéressant.
Bien sûr avec le temps, il y a de plus en plus de monde à convaincre. Et le problème est que l’on n’a pas toujours le temps de s’y consacrer.
Mais heureusement, je pense que je suis bon pour la communication ! Et quand vous savez que vous êtes bon dans un domaine, vous ne pouvez que continuer à le faire.