Pour les hardcore gamers fans de jeux de rôle, M&M ne désigne pas des cacahouètes enrobées de chocolat mais Might & Magic, série au long cours qui a toujours fait figure d’outsiders, dans l’ombre de licences plus connues comme Elder Scrolls ou WarCraft. Erwan Le Breton, directeur créatif de la licence, nous a présenté le nouveau M&M X : Legacy tout en répondant à nos questions et en trucidant des gobelins que l’on ne se lasse pas de voir mourir.
Erwan Le Breton : Contrairement aux vieux jeux remis au goût du jour et adapté aux plateformes modernes et / ou mobiles, M&M X est un titre moderne qui reprend en partie les mécaniques anciennes afin de renouer avec le plaisir oublié mais toujours aussi efficace des donjons crawler.
Mais surtout il évite d’en reprendre les inconvénients et sans être simpliste, le jeu est bien plus simple pour plus d’accessibilité (notamment au niveau des interfaces). Il ne s’agit pas d’un reboot mais bien d’une continuation des jeux ancrés dans l’univers d’Ashan (monde où se déroulent tous les titres depuis le rachat de la licence par Ubisoft). Le sous-titre « legacy » montre bien que le jeu respecte les bases posées dans les titres antérieurs se déroulant dans le monde de Xeen.
Dans M&M X, vous pourrez parcourir le monde et surtout explorer les multiples donjons en vue subjective avec votre petite équipe. Vous aurez quatre combattants à sélectionner parmi les quatre races disponibles.
Il y a trois classes de base par race et chaque personnage peut être personnalisable par le biais de quêtes secondaires. Bref, nous sommes dans le classicisme absolu. D’ailleurs pour les fans, le système de compétences se calque sur celui des M&M 6 et 7 et vous pourrez en choisir parmi une vingtaine.
POURQUOI AVOIR FAIT UN RPG À L’ANCIENNE ?
Erwan Le Breton : Le jeu a l’apparence d’un RPG avec un damier au sol pour progresser, des combats au tour par tour. Nous nous sommes dit que tant qu’à faire rétro il fallait retourner à l’époque des Might & Magic 1 à 5 où ils étaient time base.
Ce n’est qu’à partir du 6 que les jeux sont devenus plus open world à la Elder Scrolls. C’est un choix conscient et assumé pour retrouver le goût de jadis et c’est aussi plus facile d’accès pour n’importe quel joueur. C’est une simplification de la prise en main.
Néanmoins, il est toujours possible de contrôler l’angle de caméra avec la souris. C’est même et utile de temps en temps pour trouver des indices pour les puzzles du jeu. Mais globalement le joueur n’a pas à toucher à l’orientation de la caméra.
Pour le reste, nous avons repris le principe des donjons crawler à l’ancienne avec la succession des séquences porte-monstre-trésor. Il y a quelques voix d’ambiance dont celle du narrateur pour les cut scene en 2D à la fin de chaque chapitre, et quelques PNJ qui ont des choses importantes à vous dire. Pour le reste, ce sont essentiellement des dialogues en textes pour vraiment avoir une expérience old school.
POURQUOI UTILISER UNITY COMME MOTEUR DE JEU ?
Erwan Le Breton : Nous aurions pu développer un moteur maison mais c’était compliqué et long à faire. Nous aurions aussi pu utiliser Unreal à la place de Unity mais il est plus cher à l’acquisition et il demande des assets plus grandes qualités.
Unity a l’avantage d’être facile à comprendre, facile à moder et donc si vous êtes codeur dans l’âme vous pouvez aller au delà de l’éditeur que nous livrons avec le jeu et faire un vrai mod.
Et comme le nombre de personnes formées sur Unity est exponentiel, nous espérons que parmi les fans de M&M il y en aura pour faire des mod gratuits pour l’ensemble de la communauté.
Il y a des projets M&M fans qui existent depuis des années avec des gens qui veulent créer leur version du jeu en collaboratif. Mais ils ont du mal à avancer car créer un jeu même d’une vingtaine d’heures demande beaucoup de temps et d’investissement.
Nous sommes allés à leur rencontre et ils sont ravis de pouvoir se servir de l’outil et de Unity pour finir leur projet.
Cette volonté de rendre le jeu facile à « moder » va de pair avec l’idée du RPG à l’ancienne. En effet, la progression dans le monde en faisant avancer son personnage case par case est plus simple à gérer au niveau du level design et le gameplay est également plus simple à créer et à tester même pour des amateurs.
OÙ SE SITUE M&M X PAR RAPPORT AUX AUTRES TITRES DE LA SÉRIE ?
Erwan Le Breton : Il se déroule dans l’univers d’Ashan, dans la continuité des jeux créés par Ubisoft. Il se passe 10 ans après Heroes 6 et il y a des parallèles entre les deux jeux. En fait, il n’y a aucun lien entre Might & Magic IX et Might & Magic X en terme d’unité de temps ou de lieu !
Néanmoins en jeu, il y a énormément de clins d’œil aux jeux pré-Ubisoft pour les fans de la série. Des quêtes secondaires, des personnages un peu étranges des rencontres avec des PNJ au nom familier.
Ce n’est pas une confirmation officielle que l’univers d’Ashan est connecté aux anciens mondes de M&M mais à chaque fois les éléments peuvent être interprétés de multiples manières. S’agit-il de hasard ou de lien ? On laisse les joueurs faire leur cuisine avec tout cela !
QUELLE EST LA TRAME NARRATIVE ?
Erwan Le Breton : L’histoire se déroule sur plusieurs chapitres que les joueurs sont libres de faire à leur rythme. Un tutoriel explique le contexte puis il faut débloquer des quêtes pour accéder au chapitre suivant.
Il y a énormément de quêtes secondaires, d’endroits secrets à découvrir pour ceux qui se baladent dans le monde sans objectif précis. C’est un mixte entre Open world et Story driven. Obligé de finir la quête principale pour finir le jeu mais on la fait à son rythme.
LES PNJ ONT DES NOMS CURIEUSEMENT FRANÇAIS !
Erwan Le Breton : Le jeu se situe dans une péninsule qui est proche du Saint Empire, le duché du lévrier, qui est la partie française de l’univers. C’est pour cela que les personnages possèdent des noms évoquant un français suranné.
COMMENT AVEZ-VOUS CONVAINCU UBISOFT DE FAIRE UN RPG ?
Erwan Le Breton : Le RPG est un mot qui fait un peu peur car c’est cher à faire et en général ce sont des éditeurs qui font déjà des RPG depuis une dizaine d’années qui continuent à en faire. Ubisoft n’a jamais vraiment distribué de RPG fait par des équipes en interne.
M&M sera en fait le premier RPG d’Ubisoft. Mais lorsque les équipes ont vu que Diablo 3 et Skyrim font presque mieux que Call of Duty, qu’ils sont proches des 10 millions de ventes, alors ils ont commencé à revoir leur a priori sur le RPG. Du coup, les estimations sont différentes pour lancer et rentabiliser un RPG.
COMMENT AVEZ-VOUS CONVAINCU UBISOFT DE FAIRE UN JEU RÉTRO ?
Erwan Le Breton : En fait, on en parle depuis des années et c’est grâce à un concours de circonstances que l’on a réussi à monter le projet. Sur Heroes of M&M 6, nous avions trouvé la bonne personne idéale pour faire un M&M car elle est vraiment fan de cette série, qu’elle possède une véritable expertise sur le sujet, qu’elle a par ailleurs créé des mods.
Et comme cette personne a occupé différents postes dont ceux de level designer et scénariste, et que les projets ont été menés à bien, nous nous sommes dit que nous avions l’élément clef pour créer un nouveau jeu M&M.
Par ailleurs, Limbic nous est apparu comme l’équipe adéquate pour mener la production. Ce studio allemand est arrivé en soutien sur la partie online de Heroes 6, puis il a développé les deux adventure packs qui faisaient revenir deux personnages de l’ancien univers mais intégré à l’univers d’Ashan.
Ils sont de vrais fans de M&M et ont été ravis de faire un volet de la série. Nous leur avions donné des assets et demandé de faire un essai avec Unity pour avoir un prototype de jeu en vision subjective. Et le résultat qu’ils nous ont livré nous a bluffé.
Nous avions en main le « proof of concept » qui nous permettait de faire un bon jeu vite, bien et pas cher. Le rêve de tout éditeur en quelque sorte.
Et comme au même moment il y a eu l’explosion de Kickstarter, GOG qui cartonne, le retour des jeux rétro sur mobile et tablette… Il y a un marché qui se dessine avec ce retour aux jeux old school. Avec M&M X, nous sommes en plein dans la tendance.
Dernière chose ayant pesé en notre faveur lors de la négociation au sein d’Ubisoft : le succès de Grimrock, RPG qui sort presque de nulle part, fait plus de 600 000 ventes et atteint plus de 80 en note sur metacritic.com. Bref, c’est un peu comme tous les astres étaient alignés pour que nous produisions M&M X !
MAIS EST-CE QUE VOUS NE SORTEZ PAS TROP DE JEU M&M D’UN COUP ?
Erwan Le Breton : C’est vrai que cette année nous avons beaucoup de titres. Oui ça fait peur au départ car nous sortons Dual of Champion (jeu de cartes), Clash of Heroes (puzzle game multiplateforme), M&M X (RPG à l’ancienne sur PC), Heroes 6 (stand alone jeu de stratégie tour par tour sur PC), Heroes Online (Free to play web-based) qui s’ajoute à M&M : Heroes Kingdom (jeu online qui existe toujours).
Mais c’est justement mon rôle d’avoir une vision globale de la marque sur plusieurs années et d’adopter des stratégies où l’on accepte d’avoir plusieurs jeux pour différents publics et différentes plateformes.
Disons que M&M est une « marque univers ». Sous un même nom, nous réunissons des titres aux gameplay et aux plateformes très différentes.
M&M fonctionne un peu comme les Elder Scrolls. Tant que les titres sont sur des plateformes différentes, visent un public différent, avec un gameplay bien clair et que c’est un bon titre, on peut en lancer vingt si l’on veut ; ce n’est pas grave.
En revanche, si quelqu’un commence à lancer un titre fait en vitesse, c’est à mon équipe de mettre le holà et de dire on n’en veut pas.
N’EST-CE PAS AUSSI UNE FAÇON DE FAIRE DU MARKETING SUR PLUSIEURS JEUX EN MÊME TEMPS ?
Erwan Le Breton : Il y a un peu de « cross pollinisation », c’est à dire qu’il y a peu de gens qui découvrent un jeu et qui vont jouer à d’autres titres avec la même licence. Un joueur de Duel of champions aime les cartes à collectionner et le côté compétitif dans un univers de fantasy et seule une petite fraction de ce public sera intéressée par M&M X.
Un joueur de Heroes aime le côté stratégique, le fait de gérer plusieurs villes, d’avoir un empire à développer, de pouvoir jouer avec des ressources, du commerce, des guerres de conquête, etc. Une partie de ces joueurs testeront et apprécieront M&M X. Ce sont vraiment des publics différents, très segmentés.
Finalement les gens qui ont le plus de mal à s’y retrouver sont les journalistes et les personnes en interne avec qui on communique beaucoup pour expliquer que les produits sont différents même s’ils ont le même label M&M !
Prenons l’exemple de Star Wars où l’on a des jeux d’action, des RPG, des versions LEGO, etc. Ça ne gène personne car c’est Star Wars. Tout le monde connaît et du moment que l’on voit un Dark Vador ou une épée laser, tout le monde comprend de quoi il s’agit. Nous espérons qu’un jour il en sera de même avec M&M.
EN DEHORS DE L’UNIVERS QUELS SONT LES INVARIANTS ?
Erwan Le Breton : Bien sûr il y a toujours une composante RPG forte. Heroes c’est stratégie-RPG, Clash c’est puzzle-RPG, Duel of Champions c’est du jeu de cartes et RPG, etc. On ne fera pas de jeu de plateforme M&M car il n’y aurait pas de notion de compétences, de niveau d’expérience qui augmente, etc.
Dans les jeux M&M, il y a toujours une notion de progression qui s’exprime par des level up des personnages, d’artefacts que l’on peut équiper, de customisation, etc. Il y a des choix avec des conséquences réelles.
De même, il y a des choses que l’on considère ne faisant pas partie de l’ADN de la marque comme de faire un M&M façon SoulCalibur ou un LOLce sera également un refus de notre part.
En effet, les M&M sont « story driven » et « play at your own pace », c’est-à-dire que le jeu n’est pas obligé d’être au tour par tour mais que son rythme est relativement tranquille pour que le joueur puisse prendre son temps et ne pas cliquer comme un malade sur son clavier.
Et en ce qui concerne l’aspect story driven, nous le conservons partout car même dans un jeu de stratégie l’histoire est importante.
Bien sûr on va me dire que Civilization n’a pas besoin d’une histoire forte pour être un bon jeu, mais dans le cas de M&M, l’intrigue fait partie de l’essence de la série. Le joueur a envie d’une immersion en jeu et cela ne passe pas seulement par le biais de la musique ou des graphismes.
Enfin il y a une notion de durée de vie : tous nos jeux sont longs. Même Clash of Heroes qui est un puzzle-RPG fait plus de vingt heures !
EST-CE QU’IL N’Y PAS DE RISQUE DE PHAGOCYTAGE AU NIVEAU DE LA COMMUNICATION ?
Erwan Le Breton : Outre le fait que l’on veille à sortir de bons jeux cohérents, nous avons une brand manager qui fait en sorte que tous les jeux soient disponibles à des périodes adéquates pour ne pas se retrouver avec trois sorties le même jour.
Elle fait en sorte que la communication soit échelonnée pour ne pas noyer l’information. Nous voulons éviter ce qui s’est produit sur la série à la fin de 3DO avec les Legends of M&M, Warior of M&M…
Globalement, ce sont des jeux mauvais qui ont endommagé l’image de marque de M&M. Mis à part Dark Messiah, les jeux sortis par Ubisoft sont plutôt bien notés et même dans ce cas précis, les mauvaises critiques viennent des USA où le titre a été mal perçu car ils s’attendaient à un Oblivion alors que le public européen savait que c’était plutôt un Half Life 2 avec des orcs…
Le deuxième add-on de Heroes 5 a lui aussi reçu une note métacritique un peu mitigée de la part des journalistes alors que les fans de la série estiment que c’est grâce à cette extension que Heroes 5 est un bon jeu.
Dans notre équipe, nous tenons à ce que les fans soient contents de la série et que les critiques soient positives. Pas question d’avoir l’image d’un développeur qui tire sur la corde et sort des titres médiocres pour avoir un peu d’argent facile.
Article initialement publié dans IG Magazine. Interview réalisée avec l’aide de Bruno Rocca.