Analyse de l’évolution des robots géants dans le dessin animé japonais du Astro de Tezuka à Evangelion de Gainax en passant par Gundam, Macross et Patlabor.
L’histoire de la science-fiction manifeste le désir constant de modifier l’homme. Aujourd’hui la science semble permettre une telle évolution et l’on peut désormais espérer accéder à un autre niveau de vie grâce au développement de la génétique, de la cybernétique ou de l’informatique.
On désigne désormais par les termes d’« homme augmenté »1 les multiples possibilités d’amélioration de l’humain par l’artificiel. La culture de masse reflète et innerve ces aspirations à une transformation de l’homme.
Aux Etats-Unis, ce rêve d’un « surhomme » se manifeste à travers la bande dessinée et les dessins animés populaires, qui ont durant longtemps propagé l’image d’un « super-héros » comme Superman, Spiderman, Batman, X-men.
Au Japon, il semble que cette figure surhumaine soit remplacée par celle de « supers robots ». L’importance de ces machines dans les manga et les anime Japonais est liée à un genre et à un contexte socioculturel particulier.
Connu en France par le biais de la diffusion de Goldorak, le robotto anime (dessin animé de robot géant) a longtemps servi d’image d’Epinal pour désigner les productions nippones. Ce genre spécifique à la science-fiction Japonaise cultive un imaginaire des rapports entre l’homme et la machine qui se répand dans les pays où ces séries sont diffusées. Certains auteurs en viennent même à parler de diffusion d’un techno-orientalisme2.
Le terme mecha est une abréviation de l’anglais mechanics, très courante au Japon. Il désigne toutes les machines, robots, mais aussi véhicules, appareils électriques ou mécaniques.
Dans le domaine de l’animation Japonaise où le mecha est omniprésent, il existe un genre à part, le robotto anime. Ce terme désigne en général les dessins animés où un ou des robots géants apparaissent.
Ce genre de la science-fiction Japonaise initialement destiné à un public masculin et adolescent tend se propager à l’ensemble des productions de dessins animés.
Les séries policières (Mobile Police Patlabor), les anime de politique d’anticipation (Appleseed), le cyberpunk (Bubblegum Crisis), l’heroic fantasy (Vision of Escaflowne), le sentaï (Yoroiden Samurai Troopers), les magical girls, genre destiné aux filles (un épisode de Minky Momo, Magic Knight Rayearth).
A cette diversification des genres correspond un élargissement du public ciblé. Les adolescents ayant regardé ces robotto anime dans leur jeunesse sont aujourd’hui des adultes toujours friands des dessins animés de leur jeunesse.
D’ailleurs le marché de la maquette au Japon exploite toujours le filon de cette nostalgie des anciens spectateurs de séries de robots géants.
Il semble que les producteurs souhaitent étendre le marché en conquérant le public féminin par le biais de série comme Vision of Escaflowne, conçue par ses créateurs comme une tentative de mélange du shôjo3 (récit pour fille) et du shônen (récit pour garçons).
Rappelons que la culture de masse au Japon est tributaire de l’industrie du dessin animé et du manga. Fortement liés par le jeu des adaptations d’un support à un autre lorsqu’une série rencontre le succès, ces deux médias alimentent aussi un immense marché de produits dérivés allant des jeux vidéo, des jouets et des maquettes, aux vêtements et aux fournitures scolaires.
Au Pays du Soleil levant, le cinéma d’animation sur celluloïd4 est particulièrement développé. Dans le supplément du magazine nippon Animage, Anime Pocket Data 2000, étaient répertoriées depuis 1963 jusqu’à cette date, 1 451 séries télévisées, 980 films, 1 627 séries destinées au marché de la vidéo5.
En sachant qu’une série comporte en général au moins 26 épisodes, on peut se rendre compte de l’importance de la production nippone. Secteur économique important, le marché intérieur Japonais est suffisamment prolifique pour rentabiliser les productions nationales.
Les anime sont créés avant tout pour toucher un public nippon. Leur exportation n’a jamais été une politique des studios de production. Ce n’est que récemment, suite à l’engouement de l’anime aux Etats-Unis et en Europe, que les studios de production se tournent vers l’exportation.
Il faudrait essayer de retracer les grandes lignes de l’histoire des robotto anime, genre dominant dans la SF japonaise des années 70 à 90, pour analyser les multiples interactions imaginées entre l’humain et l’artifice technologique.
Le robot géant entretient avec son pilote un rapport tout d’abord instrumental pour aboutir dans les séries les plus récentes une relation fusionnelle plus inquiétante. La représentation des robots dans l’anime va de pair avec les progrès techniques et influe sans doute sur l’image de la technologie dans la société.
Le robotto anime donne aussi un reflet déformé de l’évolution historique et sociale du Japon. On analysera de façon diachronique le changement d’un genre, son rapprochement avec les développements technologiques contemporains, et les aspects symboliques de cette association de la machine et de l’homme.
Cette représentation semble d’autant plus intéressante que la relation paraît idéale tant qu’il n’y a pas de menace de fusion. Le robot géant donne l’impression d’être totalement maîtrisé par son pilote. Mais dans les séries récentes, ce schéma traditionnel paraît perverti.
Plus encore, on peut se demander comment ce genre parvient à se renouveler après plus de vingt ans d’existence. C’est pourquoi nous analyserons plus particulièrement le cas de Neon Genesis Evangelion qui représente à la fois un apogée et une fin du robotto anime, jusqu’à la prochaine évolution.
- Les débuts du robotto anime : enfant-robot
- L'homme et le robot
- Revanche symbolique ?
- Permanence du genre "robot géant"
- École réaliste
- Le problème du pilotage : interface manuelle
- Synchronisation
- Interface psychique
- La révolution Evangelion
- Rompre avec le genre
- La SF comme prétexte à l’introspection
- Désengagement social
Les débuts du robotto anime : enfant-robot
On distingue généralement deux grandes catégories de mecha, celle des robots géants pilotés par un être humain et celle des androïdes, c’est-à-dire celle où la part humaine reste préservée dans son intégrité et celle où le mélange entre organique et artificielle semble immuable. La première a pour ancêtre Tetsujin 28 gô et la seconde, Tetsuwan Atom.
Ce dernier est un manga d’Osamu Tezuka créé en 1951 et adapté en anime à partir de 1963. La série met en scène un robot enfant destiné initialement à remplacer le fils décédé de son créateur. Rejeté par celui-ci car il ne peut grandir comme un véritable petit garçon, il devient l’attraction principale d’un cirque. Puis il est recueilli par un autre savant et lutte sans relâche contre des robots malfaisants.
Contrairement aux images inquiétantes de dysfonctionnement meurtrier ou de révolte des robots que l’on trouve dans les romans de SF occidentaux, et notamment chez Asimov, l’androïde de Tezuka est un fervent défenseur de l’humanité.
L’un des premiers héros populaires du dessin animé Japonais d’après-guerre est ainsi un être artificiel combattant au nom de la justice et de la défense de la vie de toutes les espèces vivantes. Le contexte historique joue selon Junji Ito un rôle important dans l’élévation de la machine au rang de héraut de l’humanité :
Osamu Tezuka, author of Mighty Atom, thus depicted the robot not as an enemy but as a mirror reflecting human reasoning and behavior. Tezuka was witness in those times to the arrogance and pomposity of human beings who believed themselves the conquerors of the environment and all forms of life on Earth and the tragedies of world war and genocide that they had perpetrated. In an era when « god » had been given up for dead, who would punish them ? In the beleaguered, bewildering days in the wake of Japan’s defeat in a tragic war, Tezuka felt the pressing need for a voice critical of humankind. That voice was projected in Mighty Atom [nom américain du personnage], in the manga (comic) medium using language and pictures easy for anyone to grasp. Tezuka, therefore, assigned to robots a new role as critics of humanity.6
La machine prend le relais de l’homme qui s’est montré faillible et funeste. Le coeur à énergie atomique du petit robot suggère que ce n’est pas la bombe nucléaire qui est dangereuse mais l’usage qu’en font les humains. Par les aventures de Tetsuwan Atom, Tezuka a participé à la réconciliation d’une nation avec la technologie.
Dans la lignée de l’androïde créé par Tezuka on peut trouver de multiples figures comiques destinées à un public d’enfants, comme Doraemon de la série éponyme du duo Fujio-Fujiko (1970) ou plus récemment Arale dans Docteur Slump de Toriyama (1980). Ces deux séries ont connu un immense succès dont le nombre des volumes de manga et d’épisodes télévisés témoigne.
Dans une veine destinée à un public plus adolescent, on trouve la célèbre Cutie Honey de Gô Nagai adaptée en dessin animé en 1973. Les cyborgs des séries cyberpunk, comme AD Police (1990), Bubblegum crisis(1987-1991), Gunnm (1993), Cyber City Odeo 808 (1990, 1991), et Ghost in the Shell (1995), sont sans doute à classer dans la même catégorie de descendants lointains deTetsuwan Atom, dans le sens où ce sont des robots à forme humaine ou des androïdes qui possèdent des émotions ou qui se révoltent contre la domination de l’être humain.
On remarque que ce genre est bien moins développé et moins populaire au Japon que les anime de robots géants, alors que Bubblegum crisis, par exemple, a été un des grands succès qui a contribué à la diffusion des anime Japonais aux Etats-Unis.
Cette figure de l’androïde et du cyborg ne sera pas analysée ici car il semble plus intéressant de voir l’évolution d’un genre réellement spécifique au Japon qui ne subit que tardivement l’emprise de la science-fiction occidentale.
L’homme et le robot
Le manga de Tezuka a profondément influencé l’imaginaire de la SF Japonaise en proposant une figure fondatrice de l’androïde et du cyborg, mais il a aussi contribué indirectement à la fondation du genre des robots géants. Yokoyama Mitsuteru qui invente Tetsujin 28 go (1956), bande dessinée adaptée en série télévisée en 1963, est redevable à Tezuka.
L’anime tiré de ce manga est le premier à mettre en scène un robot géant. Contrairement à la bande dessinée de Tezuka qui mélangeait, en un même corps métallique, les sentiments humains et la puissance technologique, le manga de Mitsuteru décrit les aventures d’un garçon commandant à distance un robot géant grâce à un boîtier de télécommande assez primaire.
Le mecha n’est donc qu’un jouet, certes formidable, dans les mains d’un gamin promu au rang de défenseur de l’humanité. La séparation entre Tetsujin, littéralement « l’homme de fer », et l’homme qui le contrôle est totale.
Cette thématique d’une relation utilitaire entre humains et machines, plus que celle d’une réelle hybridation entre l’homme et le mécanique se développe particulièrement dans les années 70.
Les séries les plus populaires de cette période sont nées de l’imagination débordante de Gô Nagai, premier auteur à créer des robots géants, non plus pilotés de l’extérieur, mais de l’intérieur, renforçant ainsi les relations entre le garçon et sa machine.
D’un point de vue psychologique, le couple robot-pilote manifesterait les sentiments duels de l’adolescent masculin, à la fois enfant encore fragile (l’humain) et empreint d’un désir de toute-puissance (le robot).
La machine octroie au héros une extension parfaite de son corps et une assurance surhumaine qu’il ne possède pas initialement. Cette transformation symbolique de l’homme une fois qu’il est à l’intérieur du mecha est à mettre en parallèle avec celle du super-héros américain, vulnérable dans le civil mais invincible dans son costume.
Le robot géant devient ainsi un double fantasmatique de l’humain. Cette explication de l’engouement provoqué par la figure phallique du robot est notamment reprise par Alessandro Gomarasca7. Elle a pour avantage d’expliquer pourquoi le public masculin est plus sensible à ces anime que la catégorie des jeunes filles.
Le succès des robots de Gô Nagai s’explique également de façon commerciale par l’étendu des produits dérivés liés à ses séries. Il est l’inventeur du concept de mecha géant à transformation et assemblage.
Le robot géant peut prendre des formes nouvelles pour s’adapter à la situation de combat en assemblant ses diverses parties de manières différentes. Il peut aussi être formé de plusieurs autres robots indépendants.
Dans le premier anime de Gô Nagai, Mazinger Z, le héros pilotait un aéroplane qui s’insérait dans la tête du robot géant. Cette idée est ensuite déclinée sous toutes les formes possibles, le mecha géant résultant de l’assemblage de deux à cinq autres engins.
Evidemment plus il y a de robots à assembler, plus les fabricants de jouets peuvent vendre de produits.
Même si désormais le héros manoeuvre le robot géant de l’intérieur, la distinction entre l’humain et la machine reste claire : l’homme commande, la machine obéit. La place de la cabine de pilotage, dans la tête du robot, montre bien la relation de subordination de la machine aux volontés humaines.
La mise en scène du pilotage participe de la même discrimination entre le mecha et le héros, perçus comme deux entités complémentaires mais non miscibles.
Dans les anime des annees 70, les héros poussaient diverses manettes et maints leviers pour faire bouger le mecha. Ils hurlaient leurs manoeuvres et leurs attaques, comme si la puissance de leur voix pouvait influer sur l’efficacité du robot.
Evidemment ces manoeuvres font aujourd’hui sourire par leur caractère très irréel. Il faudrait techniquement trop de commandes pour faire bouger le robot, et la vitesse des manipulations devrait être trop importante pour que cela soit humainement réalisable.
D’ailleurs Goldorak, le plus célèbre des robotto anime en France, est ridiculisé au sujet de son irréalisme sur de nombreux sites internet où les gestes du pilote sont commentés avec humour8.
Toutefois, on remarque que c’est le robot qui est considéré comme le personnage principal de la série. Tout est fait pour le mettre en valeur et il donne son nom aux séries. Mazinger Z puis Great Mazinger, Getter Robot et bien d’autres peuplent ainsi les planches des magazines de prépublication (mangashi) et les écrans de télévision.
D’autres robots géants apparaissent dans le sillage des machines de Gô Nagai : Raideen (1975), Combattler V (1976), Voltes (1977), Daimos (1978), Dugram (1981), Xabungle (1982), Machine Robot chronos (1986), Dangaio (1987), Zeorymer (1988), Gaogaiger (1997), etc.
Revanche symbolique ?
Selon Thierry Groensteen, « la figure du robot tout puissant va, semble-t-il, incarner à la fois le formidable développement technologique du Japon et la revanche symbolique d’un pays maintenu en état de démilitarisation. »9
La maîtrise par des héros Japonais de la puissance atomique de robots géants inverse la réalité de la défaite et de la capitulation, due à l’absence de contrôle de l’arme nucléaire.
On peut également penser que l’aspect terrifiant de ces robots se rapproche des masques de samouraï, destinés à provoquer la terreur chez l’adversaire. Le robot, symbole de technologie occidentale, se confond alors avec des figures purement Japonaises.
Les cornes des machines de Gô Nagai s’expliquent sans doute plus par ce rapprochement que par une proximité avec des figures diaboliques européennes. D’autre part, dans Gasaraki (1998), les robots sont des copies d’un être ayant l’apparence des Ôni, créatures traditionnelles du shintô.
Uchû Senkan Yamato, space-opera ayant remporté un vif succès dans les années 70, témoigne également de l’ambivalence des Japonais face à la période nationaliste d’avant-guerre.
Cet anime met en scène un cuirassé géant, qui porte le nom de Yamato. Ce terme désigne le berceau de la civilisation Japonaise, centrée sur une plaine entre Osaka et Nara.
Ecrit par la suite à l’aide des caractères chinois signifiant « grande harmonie », ce mot incarne tout au long de l’histoire une essence de la spécificité Japonaise.
Mais, Yamato est aussi le nom de plusieurs grands cuirassés, notamment celui qui permit la victoire contre les Russes lors de la bataille de Port Arthur en 1905, et celui qui a été coulé par l’aéronavale américaine en 1945.
Le terme est ainsi ambigu : à la fois symbole d’un Japon d’avant Meiji, et d’un pays militarisé. Il semble donc que la science-fiction Japonaise ait été innervée par un imaginaire de la revanche.
Alessandro Gomarasca10 note que la période de la reconstruction a retenu de l’avant-guerre, extrêmement militarisée, le principe de construction d’un corps nouveau, plus solide et plus puissant, qui apparaissait dans le mot d’ordre de l’ère Meiji : wakon yôsai, « esprit Japonais, science occidentale ».
Même si le pays se développe de façon semblable aux nations occidentales, l’« âme » Japonaise reste préservée. Ce slogan et bien d’autres étaient employés pour faire accepter et favoriser l’industrialisation rapide du Japon au XIXe siècle.
Le couple pilote-robot dans les anime serait une incarnation de cet idéal : l’humain représente l’esprit Japonais dans un corps de métal, symbolique de la science étrangère. L’absence de fusion du robot et de l’humain semble résulter de cette image fantasmatique du corps : la technologie protège et renforce le corps humain sans l’altérer.
On remarque d’ailleurs que le robot géant possède souvent des origines extraterrestres, ou du moins il est issu d’une copie de la technologie non humaine. Ainsi, Goldorak est initialement une machine de guerre volée aux forces de Véga.
Le techno-nationalisme commercial de la période de « croissance économique accélérée », entre les années 60 et 70, se répercute donc de façon symptomatique dans cet imaginaire du robot géant.
Très vite, l’informatique et la technologie ont fait partie de l’univers quotidien des Japonais qui ne les perçoivent pas comme négatif mais comme un environnement presque « naturel », surtout pour les générations qui n’ont pas connu la guerre.
On peut aussi voir dans le manichéisme de ces séries, opposant les héros humains aux envahisseurs extraterrestres, une métaphore de la pression occidentale sur le Japon (gaiatsu), perçue de manière ambivalente comme une source d’anxiété et un catalyseur de changement.
Cette symbolique apparaît non seulement dans les dessins animés des années 70, mais aussi dans ceux qui leur succèdent, comme dans Macross, série connue aux USA comme la première partie de Robotech.
Selon Marie-Antoinette Dimayuga11, le conflit entre les humains et les extraterrestres dans cette série reflète l’antagonisme entre Japonais et Américains lors de la seconde guerre mondiale.
Permanence du genre « robot géant »
La pérennité des robots géants est à la fois liée à la nostalgie d’une génération de spectateurs, ayant découvert les robots de Gô Nagai dans leur jeunesse, et à la vague steam punk12 ou le néo-rétro dont est issu le rétro-robot.
On remarque que, dès les années 80, des séries pionnières sont réactualisées. On trouve ainsi deux nouvelles séries de Tetsujin 28 gô shin en 1980 et Tetsujin 28 FX en 1992 ; un nouvel opus de Getter robot est réalisé en 1991.
L’attrait nostalgique pour ces anciennes séries est particulièrement flagrant dans le cas de Gekiganger. Cette série est en réalité une parodie mélangeant des références à Getter Robot et à Mazinger.
Elle apparaît à l’intérieur de Nadesico, série télévisée créée en 1996, dans laquelle un des personnages est un fan de Gekiganger et impose l’anime aux autres personnages.
Cette série fictive de supers robots a tellement plu qu’elle est devenue une OAV autonome. A cette occasion, les anciens animateurs des séries des avaient été engagés afin de donner un cachet plus ancien à la série.
L’autre façon de réactualiser les séries de robots à la Gô Nagai a été de suivre l’évolution de la SF mondiale en adoptant le steam punk. Cette nouvelle mouvance de la fin des années 80 se mélange alors avec le genre des robots des années 70 pour créer de curieux hybrides.
Dans des mondes parallèles, souvent semblables au XIXe siècle de Jules Verne, des robots géants auraient été créés selon des technologies non basées sur l’électricité mais, par exemple, sur le moteur à explosion (d’où steam « vapeur » punk).
Le graphisme de ces robots géants reflète le caractère quelque peu désuet de ces univers. Ils donnent l’impression d’être un immense bricolage de plaques de tôle assemblées par de gros boulons apparents. On peut ranger dans cette catégorie des séries comme Giant robot (1992), Kishin Heidan (1993) ou The Big O (1999).
A tale of two Robots de Hiroyuki Kitakubo, sketch de Robot Carnival(ensemble de huit courts-métrages réalisés par les meilleurs animateurs Japonais en 1987), est caractéristique de la mouvance rétro-robot assez proche du steam punk.
Dans le Japon de l’ère Meiji (XIXe), un personnage de savant fou essaie d’envahir l’île avec un robot géant piloté grâce à de multiples câbles et il s’attaque à un village défendu par un immense robot tout en bois. Ce récit loufoque de bastonnade se termine par la destruction des deux engins.
École réaliste
Dans les années 80, le genre du robot géant change radicalement de style graphique et narratif. La révolution est créée par Mobile Suit Gundam13 de Tomino Yoshiyuki en 1979.
La série crée le courant dit « réaliste » (riaruha ou Real-Ha) qui s’oppose à l’école « orthodoxe » (seitôba), terme qui qualifie toutes les séries évoquées ci-dessus.
L’anime n’a pas beaucoup de succès à ses débuts et a dû être écourté pour des problèmes de budget mais elle devient une série culte par le biais des rediffusions et du bouche à oreille, si bien qu’en février 1981, 15 000 fans s’assemblèrent, dans le quartier de Shijuku, pour publier la « déclaration d’un nouveau siècle de l’anime », manifeste de l’engouement pour le genre réaliste créé par Gundam.14.
Un magazine, spécialisé dans le dessin animé, porte d’ailleurs le nom d’un des concepts clés de cette série : Newtype.
Après le succès de Gundam, de multiples suites ont été créées, comme Mobile Suit Zeta Gundam en 1985, Mobile Suit Gundam 0080 en 1989, Gundam F-91 en 1991, etc. La série la plus récente a commencé en 2002, et s’intitule Gundam Seed.
Ces diverses suites s’insèrent dans la chronologie de la série originelle, ou dans des mondes parallèles. Elles contribuent à créer un univers fictif, cohérent et foisonnant.
Parmi les anime de la veine réaliste, on trouve Dunbine (1983), Votoms (1983), L-gaim (1984), Layzner(1985″>1985), Patlabor (1988), et la série des Macross (1982), Macross II (1992), Macross plus (1994), etc.
Pour les néophytes, il est assez difficile de distinguer les critères de différenciation entre robots « orthodoxes » et « réalistes ». D’ailleurs, Alessandro Gomarasca paraît mélanger les deux puisqu’il classe dans la catégorie des robots orthodoxes Macross, alors que la grande majorité des fans Japonais et occidentaux classe cette série dans les robots réalistes.
Cette distinction est d’autant plus brouillée qu’une série comme Gundam reprend certains éléments des séries de robot géant orthodoxes, comme le fait que le mecha soit piloté par le fils du créateur.
Un célèbre jeu vidéo Super-Robot Taisen édité par Banpresto en 1995 pour la Super-Nintendo et la Playstation, ce jeu d’arcade met en scène les super-robots les plus célèbres, et les classe selon leur appartenance à la Real-ha ou au courant traditionnel.
Dans la nouvelle école, le robot géant perd considérablement de son aura magique, et le graphisme des Gundam tend à se rapprocher de celui d’androïde géant en armure. Le caractère plus réaliste de ces mecha, par rapport aux supers robots des années 70, semble confirmé par le fait que l’armée s’est intéressée à ce concept. Selon Girard Dulay15,
Not surprisingly, the battlesuit idea found its way into the hands of weapons developers. The cold-war atmosphere of the 1960s proved conducive exploring the possibility of actually developing battlesuits. These efforts produced at least one prototype, but in the aftermath of the Soviet Union’s dissolution, funding and support suddenly became scarce.
Le design des Valkyries16, avions transformables en robots géants de la série Macross, est inspiré par celui d’avions militaires réels comme les F-14 (surnommés Tomcat). Il en est de même pour les Valkyries apparaissant dans la série Macross plus, inspirées par le chasseur prototype YF-23.
L’avant aplati horizontalement de ces nouveaux modèles correspond à une évolution technologique réelle des avions de chasse : cette forme permet de limiter la détection radar, d’augmenter la portance et la pénétration dans l’air.
Alors que les robots de l’école orthodoxe avaient tendance à ressembler à des assemblages de boîtes de conserve, les robots réalistes se rapprochent des engins militaires réels. En outre, on peut noter que le graphisme des robots orthodoxes évolue vers une plus grande précision dans le détail, suite au succès de Gundam.
Cette conception graphique réaliste du robot géant va de pair avec une réflexion accrue sur l’aspect technique de la machine, si bien que dans Gundam apparaît pour la première fois de l’histoire de l’animation le poste de mecha-designer17.
Celui-ci est le concepteur du robot, ce qui signale la valeur artistique attribuée au dessin de la machine. Nombreux sont les artbooks18 et mooks19regroupant les mecha de Gundam, ou plus récemment d’Evangelion.
Un même mecha designer peut créer des robots « orthodoxes » et des robots « réalistes ». C’est le cas de Yutaka Izubuchi, qui a sorti deux volumes d’oeuvre complète en tant que mecha-designer. Le premier, sous-titré realistic world, comprend les dessins des séries suivantes : Gundam, Votoms, Xagungle, Gasaraki. Le second, sous-titré fantastic world, renferme les dessins d’oeuvre telles que Dunbine, Galient et des super-robots « orthodoxes »20.
Le renforcement du réalisme touche non seulement le graphisme, mais aussi la narration. Les conflits politiques et les jeux de pouvoirs y sont plus dépeints que les performances du robot géant, réduit au rang de simple machine de guerre au même titre que les chasseurs aériens ou les chars d’assaut.
Cette inflexion se perçoit aussi dans l’adoption des points de vue : le spectateur partage les angoisses des personnages des deux camps ennemis, ce qui rend l’intrigue bien moins manichéenne.
Alors que les ennemis à combattre dans l’école orthodoxe sont souvent des extraterrestres menaçant d’asservir l’humanité, la guerre est souvent intestine dans l’école réaliste.
Dans Mobile Suit Gundam, le conflit oppose la Terre à ses colonies, qui réclament l’indépendance. Dans Patlabor, les robots géants sont employés à toutes les tâches difficiles et l’intrigue se base sur les enquêtes d’une brigade spéciale de la police, chargées de résoudre les crimes impliquant l’emploi de robots.
On pourrait presque dire que cette série se rapproche plus du genre policier que de la SF, tant les robots y paraissent instrumentalisés et secondaires à l’intrigue. Le scénario des anime de l’école orthodoxe reposait essentiellement sur la venue de nouveaux ennemis à abattre, tandis que le scénario des anime de la nouvelle école aborde plus en détail les problèmes politiques, psychologiques et relationnels des personnages humains.
Dans Mobile Suit Gundam 0080 – War in the pocket, la fin d’une guerre est narrée à travers le point de vue d’un civil, jeune garçon de onze ans, qui découvre l’horreur du conflit. Ce qui fait la principale différence avec les anime de l’école seitôba, c’est la recherche d’une certaine objectivité, d’une absence d’idéalisation de la guerre ou de banalisation du conflit.
Le scénario des anime de l’école orthodoxe comporte souvent une relation triangulaire entre le héros, une figure paternelle et le robot. Tandis que le protagoniste est en conflit avec la figure paternelle, il entretient une relation de complicité avec le mecha, figure paternelle valorisée ou figure maternelle de substitution. Selon Dave Deitrich21, dans toutes ces séries, le garçon s’attache émotionnellement au robot géant, qu’il considère comme un ami ou un grand-frère.
Il semble que, dans les séries de la nouvelle école, ce schéma relationnel entre les personnages disparaisse au profit de scénarii plus compliqués. Toutefois, le rapport fortement affectif peut se retrouver dans certaines séries, sous forme de clin d’oeil amusant.
La passion de Noa Izumi pour son robot géant, dans Patlabor, est ainsi perçue comme caricaturale par les autres personnages de l’anime. Elle lui donne d’ailleurs le nom de son ancien chien, Alphonse…
Enfin, on pourra noter l’absence de « fin heureuse » comme dénouement canonique dans les anime de la nouvelle école, alors que c’était la conclusion générale des séries des années 70.
La noirceur de l’épilogue de Mobile Suit Zeta Gundam (1986) est, à ce propos, particulièrement éclairante : le héros reste traumatisé par les événements et la mort des trois quarts des personnages lors de la bataille finale. Le scénariste de Gundam a d’ailleurs été surnommé Zen-Koroshi no Tomino (« tuez-les tous Tomino »).
Le problème du pilotage : interface manuelle
Ces deux phases du développement du genre robot géant correspondent aussi à deux stades de réflexion sur la maîtrise du mecha par l’être humain qui le pilote. Dans le genre orthodoxe, l’humain et la machine sont perçus comme deux éléments non miscibles, même si le pilote peut éprouver un certain attachement à sa machine.
A la suite de Gundam, dans les années 80, la plupart desanime proposent des variations sur les systèmes de pilotage, qui se veulent techniquement plus crédibles et qui renforcent les relations entre le corps organique et les technologies. Cette veine réaliste manifeste une fascination certaine pour la technique perçue, comme un médium positif.
L’une des premières solutions est celle du pilotage assisté par ordinateur, tel qu’il apparaît dans Gundam ou dans Patlabor. On pourrait rapprocher cette option de pilotage de celle qui est déjà en pratique dans les avions de lignes ou certains métropolitains.
L’ordinateur calcule les mouvements de base, comme la marche et l’opérateur humain peut se concentrer sur d’autres éléments, comme le combat.
Dans Gundam, les pilotes possèdent généralement des qualités les différenciant d’humains normaux. Ils sont des « Newtypes », nouvelle évolution de l’espèce humaine.
Ils se repèrent dans l’espace de façon plus efficace que les terriens ordinaires, et sont plus performants lors des combats spaciaux.
Si le robot géant devient une machine de guerre ordinaire, c’est le pilote qui prend de l’importance et devient un « surhomme ». Cette formule de pilotage assistée par ordinateur reste toutefois perfectible et diverses variations ont été conçues.
Synchronisation
Un second type d’interface mécanique apparaît dans les années 80. Elle permet une synchronisation des mouvements. Le robot géant imite alors exactement tous les gestes de l’opérateur humain sur lequel sont placés des capteurs.
Cette option de pilotage correspond à une extrapolation d’expériences réelles, l’anime ne faisant que mettre en fiction les conséquences du développement technique contemporain22. Le degré de liberté de mouvement du pilote dans le mecha est presque total.
De plus, le gigantisme du robot est justifié, la cabine de pilotage devant être suffisamment vaste pour que l’humain puisse accomplir tous ses gestes. On peut alors considérer ces engins comme d’immenses prothèses de métal, perfectionnant le corps humain, suppléant à sa fragilité et sa vulnérabilité. Le robot géant permet ainsi à l’humain de transcender sa condition.
L’emplacement de la cabine de pilotage manifeste ce changement d’interface. Il n’est plus situé dans la tête du robot géant, mais dans sa cage thoracique.
Les exemples les plus intéressants de pilotage par calque des mouvements du pilote dans les robotto anime sont Gunbuster (1988-1989) et Tenkû no Escaflowne (1996).
Dans le dernier cas, il s’agit d’un robot semi-organique qui se rapproche d’un objet magique. Le héros doit donner à la machine le coeur d’un dragon et verser son sang, pour que le robot s’anime et lui obéisse. L’humain et le mecha fusionnent symboliquement grâce à cet échange.
D’autre part, tous les coups portés contre le robot géant sont ressentis par le pilote qui peut alors mourir des « blessures » de son engin. Il y aurait ainsi une sorte de rétroaction entre le mecha et son pilote.
Le robot ne se contente pas d’imiter les gestes de l’humain ; il lui retransmet les chocs physiques, subis durant les combats. C’est, en quelque sorte, un second corps.
D’ailleurs, dans l’épisode 18 de cette série, le héros déplace à distance cette enveloppe corporelle seconde. Cette synchronisation permet de rétablir l’idée d’une fragilité de l’homme, et de renforcer le lien affectif entre l’humain et la machine.
Le concept du robot comme cuirasse23, accroissant la puissance du pilote, n’est certes pas une invention Japonaise. Il apparaît dans le roman de Robert A. Heinlein, Starship Troopers, publié en 1959.
Dans ce récit de science-fiction, les forces armées terriennes se servent d’armures mécaniques pour lutter contre des envahisseurs extraterrestres. Mais, le traitement particulier de ce concept dans l’animation Japonaise est spécifique et lié au genre du robot géant qu’il contribue à renouveler.
Interface psychique
Une autre forme de pilotage est envisagée dans des séries comme Macross plus (1994) : l’interface psychique. La maîtrise du robot se fait par le biais d’une interprétation des ondes cérébrales. Là encore, la fiction ne fait qu’extrapoler les expériences actuelles sur l’influx nerveux dans l’interface entre le cerveau humain et l’ordinateur.
D’ailleurs, le roman de Craig Thomas Firefox (1977), adapté en film par Clint Eastwood en 1982, proposait déjà une interface se rapprochant de ce type de pilotage. L’humain à l’intérieur du mecha n’a alors plus besoin de bouger pour que la machine agisse. Il lui suffit de penser aux mouvements à accomplir.
Le robot géant devient alors un second corps, dans lequel l’humain joue le rôle d’un cerveau. L’esprit de l’homme investit le corps métallique du robot pour l’animer. On ne peut trouver meilleure incarnation du wakon yôsai décrit précédemment.
Une telle interface psychique apparaissait déjà dans Dunbine (1983), mais le robot était semi-organique. De même, dans Ghost in the shell, cette relation psychique entre le robot géant et le pilote est facilitée par le fait que ce dernier est déjà à moitié mécanique, puisqu’il s’agit d’un cyborg.
L’originalité de Macross plus est de présenter une réelle interface cerveau-machine. Dans le premier épisode de cette série de quatre OAV, un montage alterné rend explicite la symbiose entre l’humain et le mecha : on voit, par exemple, à l’écran, la main du pilote se fermer puis l’aile de la Valkyrie se tordre.
Passée la période assez naïve des années 70, le problème du pilotage non seulement devient un critère de réalisme dans les différents robotto anime, mais, plus encore, il constitue la trame scénaristique de séries telles que Macross plus, créée par Shoji Kawamori, grand nom du mecha-design.
Cette suite de la série Macross se déroule en temps de paix, plusieurs années après la fin du premier anime. Plusieurs équipes testent des systèmes de pilotage, pour remporter le monopole du marché de l’armée.
Isamu Dyson, pilote du prototype YF-19 (à interface manuelle assistée par ordinateur), et Guld Goa Bowmann, pilote du prototype YF-21 (à interface psychique), s’affrontent à la fois dans le domaine de l’excellence au combat mais aussi sur le plan sentimental, puisqu’ils sont amoureux de la même femme.
Tous deux échoueront, et l’armée adopte le Ghost X-9, système dans lequel l’humain est remplacé par une intelligence artificielle (IA).
Mais, dans le dernier épisode, les deux pilotes, rejetés en raison des interférences entre leurs émotions et leur pilotage, doivent affronter le Ghost X-9 contrôlé par une IA ayant pris « conscience » d’elle-même et souhaitant annihiler les êtres humains.
Cette IA, nommée Sharon Apple, est un double hommage à la firme de Cupertino et à l’ordinateur « fou », HAL, de 2001, l’Odyssée, dont elle reprend le graphisme. Le dernier épisode met en scène l’affrontement des trois types d’avions.
Finalement, des trois différentes interfaces, il ne restera que la première, celle qui maintient le plus la distinction entre l’humain et l’artificiel, comme si l’hybridation entre l’homme et la machine était nécessairement funeste.
Le pilotage psychique et IA possédant des sentiments humains seraient tous deux sources de désastre. Mais la faute en incombe toujours aux humains.
Même si elle est envisagée, la fusion entre l’homme et le mecha est rejetée au profit d’une séparation claire entre les deux, comme si l’intégrité physique et psychique du pilote doit être préservée à tout prix.
Le système de pilotage des robots dans Five Star Stories (1989) relève encore d’une catégorie mixte et constitue là encore un des fils principaux de l’intrigue. Les mecha, nommés « Mortar headds » (MH), y sont biomécaniques et ils sont pilotés par deux opérateurs, l’un humain placé dans la cage thoracique, l’autre étant une entité artificielle placée dans la tête du robot géant.
Cet être humanoïde est une sorte de bio-ordinateur, qui remplace l’ordinateur apparaissant dans les séries comme Gundam ou Patlabor. Il entre en phase avec le MH lors des combats, et facilite les manoeuvres de l’opérateur humain. Il sert de médiateur vivant entre l’homme et le robot.
Créé génétiquement en croisant une race extraterrestre et l’humain, cet opérateur non-humain est nommé « fatima » et a souvent l’apparence de jeunes femmes. Elles sont programmées pour obéir aveuglément au pilote du MH, dont elles sont les compagnes jusqu’à leur décès, moment où elles se mettent à la recherche d’un nouveau maître à servir.
Même si Mamoru Nagano, créateur de Five Stars Stories semble innover en concevant cet être modelé génétiquement par l’homme, comme intermédiaire entre le mecha et l’humain, il conserve intacte la distinction entre ces deux éléments. En outre, la fatima ne peut se rebeller contre la volonté de son maître, ce qui l’assimile à un élément utilitaire.
L’évolution du robotto anime durant ces deux décennies est ainsi marquée par un accroissement du réalisme, lié à une attention particulière aux progrès technologique et à une trame narrative plus complexe.
L’interaction entre le pilote et le mecha lors du pilotage s’accroît : l’humain n’est plus seulement relié au robot géant par des capteurs de mouvements, il peut être connecté psychiquement avec la machine.
La fusion de l’homme avec le robot, double fantasmatique, paraît toutefois source d’angoisse et de malheur, comme si l’homme devait rester préservé de ce contact.
La révolution Evangelion
Après les années 1970 où triomphe le robot comme défenseur de l’humanité et « ami » du pilote, et les années 1980 où le genre s’essaie à plus de réalisme, le début des années 1990 offre plusieurs options aux animateurs et aux réalisateurs.
Soit ils pérennisent le genre orthodoxe en produisant une nouvelle série à partir d’un vieil anime, ou en lui donnant une variante steampunk, comme Giant Robot, qui reprend le concept de Tetsujin 28 go.
Soit ils essaient de produire un nouvel anime dans la veine réaliste de Gundam. Dernière possibilité, les réalisateurs produisent des séries parodiques ou humoristiques mettant en scène des robots.
Afin de briser ce cadre devenu sclérosé au fil du temps, le studio Gainax24 sort, en octobre 1995, un anime de « robots » révolutionnaire qui s’achève à la fin mars 1996 après 26 épisodes palpitants : Neon Genesis Evangelion.
Réalisée par Hideaki Anno, déjà connu du public pour des séries à succès comme Nadia : The Secret of Blue Water, Evangelion devient rapidement unanime culte, dont les derniers épisodes ont suscité une immense polémique au Japon.
Après un début assez moyen, la série conquiert le monde des fans et le grand public. Il obtient les places de « meilleur dessin animé », « meilleur personnage féminin » et « meilleur générique » à l’Anime Grand Prix de 1996, sondage de popularité annuel organisé par le célèbre magazine nipponAnimage.
En août 1997, le magazine Nikkei Entertainement estimait à plus de 30 billions de yens les profits engendrés par la série et les produits dérivés. Ce n’était qu’un début, les vidéos des films n’étaient pas encore sorties à cette date.
Le numéro d’avril d’Animage titrait d’ailleurs : « Le choc d’Evangelion serait-il le Third Impact du monde de l’animation ? » Les magazines Japonais ont comparé l’engouement pour cet anime à l’enthousiasme suscité par Mobile suit Gundam en son temps.
A la vue des premiers épisodes, on pourrait croire qu’il n’y a rien de bien nouveau dans ce robotto anime, qui mélange les éléments de l’école traditionnelle et du courant réaliste.
Les schémas de l’école orthodoxe y sont parfaitement respectés. Des entités étranges, nommées anges, attaquent délibérément Tokyo-3, la nouvelle capitale Japonaise, et menacent l’humanité. Pour les combattre, des scientifiques ont élaboré l’Evangelion (appelé aussi Eva), « robot » géant généré à partir de données appartenant à ces entités.
Un jeune garçon, Shinji Ikari, est amené à piloter cet engin créé par son père. Presque chaque épisode est rythmé par le combat des Eva et des anges. La trame narrative orthodoxe semble parfaitement respectée.
A cela s’ajoutent des caractéristiques propres au courant réaliste : Shinji paraît aussi tourmenté que le héros de Mobile Suit Gundam, et les séquences de présentation, à connotation scientifique, des robots se veulent extrêmement sérieuses.
De plus, afin de contenter le public masculin, le héros est entouré par une galerie de jeunes femmes bien charmantes : Ritsuko Akagi et Misato Katsuragi, ses supérieures hiérarchiques, Rei Ayamami et Asuka Langley, les deux autres pilotes d’Eva.
Des allusions nombreuses à la Kabbale25et à l’ésotérisme chrétien sont égrenées au fil des épisodes afin d’alimenter la curiosité des fans de robot géant et conférer une aura mystique à la série.
Elle paraît, dès le début, avoir pour cible les habitués de ce genre de la SF Japonaise. Elle s’insère parfaitement dans cet horizon d’attente. Mais c’est pour mieux le décevoir.
Rompre avec le genre
La première différence avec les courants précédents réside dans l’aspect graphique novateur de l’Eva. On remarque aussi que, pour une fois, les fabricants de jouets n’ont pas été consultés pour la création du robot géant.
Thierry Groensteen rappelait, dans L’Univers des mangas, que « c’est pour répondre aux souhaits du fabricant de jouets Bandaï qu’est né ensuite Grandizer/Goldorak (hôte de la télévision Japonaise entre 1974 et 1977), dont la morphologie, notamment les jambes plus épaisses permettant au jouet de marcher, correspond mieux aux impératifs de la fabrication. »26
Contrairement aux autres robots, celui-ci donne l’impression d’être très élancé, effet accentué par l’étonnante étroitesse du bassin et la maigreur des membres, qui le rendent presque décharné.
Ikuto Yamashita, mecha designer de l’Eva, déclare d’ailleurs dans une interview publiée à la fin du premier volume du manga27 qu’il a « rejeté tous les côtés sympathiques ou attirants que l’on pouvait trouver dans les robots créés pour les animés ou la télévision, et leur gigantisme ».
Alors que la puissance des autres robots géants était suggérée par leur aspect massif et imposant, celle de l’Eva semble résider dans sa vélocité, sa rapidité d’exécution.
D’ailleurs, les multiples scènes de combat entre robots et anges sont devenues des morceaux d’anthologie dans le monde de l’animation Japonaise de par leur extrême qualité technique et la fluidité d’une animation exceptionnelle pour une série télévisée.
La rapidité des actions et la violence paroxystique des scènes de combat sont soulignées par le rythme très lent de la narration dans le reste des épisodes. Ce type de mise en scène des robots et de graphisme est repris par de nombreux anime après le succès d’Evangelion.
La seconde nouveauté concernant le robot géant est qu’il n’en est pas un : c’est un clone. Hideaki Anno leurre ainsi son public de passionnés de robotto anime durant les deux tiers de la série. Dans l’épisode 19, Ritsuko explique que les parties mécaniques et métalliques de l’Eva ne sont pas destinées à la renforcer, mais à contenir la force de cette entité vivante, clone du premier ange, Adam. Dès le premier épisode, l’Eva est présentée comme un « humain de synthèse » et, à la fin, de l’épisode deux, une partie de la tête métallique tombe et laisse entrevoir un oeil tout à fait organique.
Mais, comme aucun autre élément concernant le fonctionnement de l’Eva n’est dévoilé, le spectateur peut se replonger tranquillement dans les schémas qu’il connaît déjà et estimer que l’engin est un robot semi-organique, comme dans la vieille série Dunbine.
L’interface de pilotage accrédite cette idée. L’Eva possède un câble électrique, qui semble lui donner la puissance nécessaire pour se mouvoir. Ce serait donc un robot géant.
C’est aussi un organisme vivant, puisque Shinji est relié nerveusement à celui-ci. La cabine de pilotage de forme tubulaire est injectée dans le corps de l’Eva, à l’emplacement de la colonne vertébrale.
A l’intérieur de celle-ci, le pilote est plongé dans une substance limpide nommée LCL (link connect liquid) semblable au liquide céphalo-rachidien qui baigne l’ensemble du système nerveux central. Le pilote est relié mentalement à la machine, et tout ce qu’il pense est effectué par celle-ci.
La synchronisation est complète, lorsque le nerf A10 est connecté. Celui-ci correspond sans doute à l’aire mésencéphalique, impliquée dans le traitement d’informations d’ordre cognitivo-affectif.
Cette fusion psychique est problématique lorsque l’Eva est blessée, car la douleur est également ressentie par le pilote, si les liens nerveux n’ont pas été coupés à temps. La série renforce ainsi le réalisme émotionnel par le biais de cette interface psychique. Le combat n’est pas une affaire sans conséquence pour le pilote protégé dans sa cabine, manoeuvrant son robot surpuissant.
En fait, les Eva sont des clones de la créature géante nommée Adam, premier « ange », découvert au pôle sud. Ces entités ne paraissent « vivantes » que lorsqu’un pilote est placé dans leur corps, et qu’elles se synchronisent avec lui. Dans les épisodes un et quatorze, l’Eva 00 semble refuser d’obéir au pilote, et devient folle furieuse, essayant de tuer Ritsuko.
Dans les deux premiers épisodes, alors qu’elle est laissée pour détruite, l’Eva 01 devient elle aussi berserk28 et tue le premier ange qu’elle affronte.
La créature se manifeste de nouveau dans les épisodes 16 et 19, lors desquels elle semble animée par un instinct primaire, qui la pousse à déchiqueter sauvagement l’adversaire dans un terrifiant bain de sang.
Les spectateurs, comme les personnages, s’interrogent alors sur la menace que constitue une telle arme, qui semble trop souvent hors de tout contrôle. Les « anges » semblent presque inoffensifs face à la puissance destructrice d’une Eva berserk.
Cette faculté de l’Eva à se mouvoir sans le contrôle de son pilote est une première dans l’animation Japonaise. Certes, certains robots avaient des connotations magiques et pouvaient reconnaître leur pilote, ou se défendre en cas d’attaque même quand l’humain qui le dirige est absent.29 Mais, il n’y a jamais eu de cas où le robot s’insurge contre la volonté de l’humain.
Cette rébellion pourrait être inspirée par les récits cyberpunk du début des années 90, comme Bubblegum Crisis (1987-1991), AD Police (1990) ou Cyber City Odeo 808 (1990, 1991), qui sont eux-mêmes influencés par la littérature de science-fiction américaine. Dans ces récits, le stéréotype de l’androïde ou du cyborg, qui se révolte contre la domination humaine, est assez présent.
Mais là encore Hideaki Anno joue avec les attentes du spectateur. L’Eva 01 ne devient berserk que lorsque la vie de son pilote est en danger, et que la destruction de l’ennemi est nécessaire à sa survie. La furie meurtrière du clone sert à protéger l’humain qu’il garde en lui.
Enragée et dangereuse pour les autres, l’Eva se fait maternelle pour son pilote, qui s’y sent à l’aise malgré l’odeur persistante de sang du LCL où il baigne. La cabine de pilotage symbolise un placenta, dans lequel le pilote est un foetus.
En fait, le premier pilote de l’Eva 01 était la mère de Shinji, qui a été assimilée par le clone lors du premier essai de mise en service. La symbiose entre l’humain et le clone était totale, si bien que la pilote s’est dématérialisée, fusionnant avec la créature.
L’Eva 01 amalgame l’homme et sa création génétique en un être qui ne semble conserver de l’humanité que des instincts primitifs le rapprochant de la bête.
Shinji est lui aussi assimilé par l’Eva 01, lors d’un combat où la synchronisation est maximale. Il fusionne donc avec sa mère, concrétisation d’un désir de retour intra-utérin, pour ce personnage qui a peur du contact d’autrui.
Le sous-titre de l’épisode 20, durant lequel on tente de rematérialiser Shinji et de le séparer de l’Eva 01, reflète cette orientation psychanalysante : Weaving a story 2 : oral stage. Le stade oral correspond à la première étape de la libido selon Freud.
En fusionnant avec l’Eva, Shinji régresse à une phase prénatale, et les scientifiques essaient de lui faire parcourir à nouveau les différentes étapes de la chronologie du développement du sujet entre l’état de bébé et d’adolescence.
Alors que dans les anime de robots orthodoxes la machine était un substitut du père, ou une représentation magnifiée du désir de puissance du pilote, dans Neon Genesis Evangelion, le « robot géant » est littéralement une figure maternelle.
La séparation entre l’humain et le mecha, métaphore du wakon yôsai, qui était maintenue jusqu’alors, disparaît au profit d’une fusion entre l’organisme artificiel et le héros.
Ainsi, Hideaki Anno joue avec les multiples références du genre robotto anime dans le but de briser les codes établis, si bien que lors d’une interview du magazine Newtype en juin 1996, le journaliste lui a demandé s’il ne fallait pas voir en la NERV (organisation qui contrôle les Eva s’imposant à la place des Nations Unies), une métaphore du Studio Gainax imposant ses nouveaux « robots » au monde de l’animation Japonaise.
Il a, bien sûr, répondu affirmativement. Synthèse et dépassement des deux courants d’anime de robots existants jusqu’alors, Neon Genesis Evangelion crée une nouvelle étape dans la SF Japonaise.
La SF comme prétexte à l’introspection
L’importance de cette série réside aussi dans la violente polémique qui éclata lors de la diffusion des deux derniers épisodes. A partir de la seconde moitié de l’anime, les combats des Eva se font plus rares.
Plusieurs épisodes peuvent se succéder sans qu’elles apparaissent. La trame SF semble délaissée. Plus encore, les scènes de combat semblent abandonnées, au profit de scènes d’introspection de la part des divers personnages, et plus particulièrement de Shinji.
Dans l’épisode 16, l’Eva 01 se fait absorber dans l’ange sans qu’il y ait de lutte et, après douze heures dans sa cabine de pilotage sans contact avec le monde extérieur, le pilote commence à manquer d’air.
Il paraît sombrer dans le délire, ce qui est matérialisé à l’image par un dialogue entre lui et lui-même enfant, à l’intérieur d’une voiture voyageur. L’image est tantôt floue, tantôt présente une déformation de type fish-eye.
L’autoscopie est suivie d’une remémoration de moments clés de sa vie, comme la vision de l’ombre de son père qui s’éloigne en l’abandonnant. De fausses coupures de presse apparaissent de façon très rapide sur fond noir, comme jetées au hasard.
L’animation traditionnelle sur celluloïd est abandonnée au profit de celle d’une ligne blanche tremblante sur fond noir.
A partir de l’épisode 20, les procédés graphiques, employés dans l’épisode 16, pour mettre en scène les pensées des personnages sont généralisés. Le passé traumatique des divers personnages tend à resurgir lors des combats avec les anges.
Le summum de la déconstruction et de la rupture avec l’animation traditionnelle est atteint lors des épisodes 25 et 26, dans lesquels l’animation sur celluloïds semble minoritaire.
Centré uniquement sur le psychisme des personnages et de Shinji, l’épilogue ressemble à une suite d’expériences graphiques. Des images réelles se mêlent à une animation volontairement maladroite d’esquisses au marqueur.
Ces deux derniers épisodes rompant avec l’illusion référentielle semblent suggérer que, peut-être plus qu’un renouvellement de l’anime de robot géant, Evangelion se veut une apothéose et un achèvement du genre.
La mise en scène et le support graphique sont particulièrement inventifs afin de symboliser ces pensées. Cette recherche d’un type d’animation autre que celle sur celluloïd semble une volonté délibérée du réalisateur. En juin 1996, lors d’une interview au magazine Newtype, Hideaki Anno déclarait :
J’en étais venu à me détester lorsque je m’attardais sur les celluloïds. Mais cela ne signifie pas non plus passer au dessin par ordinateur. Je voulais faire entendre par là que, pour le dessin animé en tant que moyen d’expression, faire du dessin au trait, ça fonctionne. Je voulais dire quelque chose à ces imbéciles heureux qui ont des expressions du style : « puisque c’est pas du cellulo, c’est inachevé » ou « parce que c’est pas du cellulo, c’est fait à la va-vite ». Cela m’a libéré, de détruire coûte que coûte le genre d’idées reçues que je possédais moi-même. Avec le préjugé selon lequel on ne peut pas utiliser autre chose que des cellulos pour représenter des personnages, on en est finalement arrivé au fétichisme…
Les fétichistes dont parle Anno sont les fans d’animation, qui ont vivement critiqué les deux épisodes de fin et qui ont obtenu que le studio Gainax recrée l’épilogue de la série télévisée et propose une fin alternative, sous la forme de trois films30.
Il est certain que la rancoeur, qu’il exprime contre les critiques des fans, montre qu’elles l’ont beaucoup affecté. L’épilogue paraît avoir été réfléchi et non pas improvisé, faute de moyen comme le pensent certains spectateurs.
Evangelion devait être l’électrochoc, qui secoue les fans de leur adoration aberrante pour les celluloïds31. Il semble que l’anime devait aussi essayer de les sortir de leur monde clos. Le plan de complémentarité humaine, évoqué dans le second épisode, prend peu à peu de l’importance et peut s’interpréter comme une tentative de compléter le vide du coeur, à lutter contre le sentiment de solitude qui pousse les fans à ne se regrouper qu’entre eux, en marge de la société.
En fait, les deux personnages principaux sont emblématiques de ces adolescents, qui fuient la réalité du monde dans leur univers de fantaisie. Leur portrait par Anno, placé à la fin du premier volume du manga, est particulièrement significatif :
On y trouve un jeune homme de 14 ans qui redoute les rapports avec les autres. Ses agissements sont absurdes, il a abandonné tout effort pour essayer de se comprendre : il vit dans un monde fermé. S’estimant abandonné par son père, il en déduit qu’il est un être inutile, mais il ne peut pour autant se suicider : ce jeune homme est lâche.
On trouve aussi une jeune femme de 29 ans qui essaye tant que faire se peut d’entretenir des relations frivoles avec les autres. Elle se protège en fuyant les relations affectives.
Tous deux sont terrifiés à l’idée d’être blessé. Tous deux sont dépourvus de ce positivisme, comme on dit, qu’affichent les héros, et je pense qu’ils sont les derniers qualifiés pour ce rôle. Et pourtant je les ai bien choisis comme tels.
Shinji et Misato sont ainsi des antihéros, obligés d’assumer un rôle héroïque. D’après Sadamoto, le character designer, Shinji « est significatif dans la mesure où il incarne l’antithèse des autres héros pilotes de robot géant, avec cheveux longs vifs et dynamiques… »32.
Ce personnage est en fait identique à Nadia, héroïne du précédent anime à succès de Gainax. Le dessinateur voulait, en effet, créer une figure de garçon manqué plus que de héros viril. La féminisation du héros est, en outre, accentuée par le fait que la voix est interprétée par une actrice.
Selon Sadamoto, Shinji incarne l’enfant moderne, par « cette tentative de ne pas s’intéresser aux autres. Il n’est pas indifférent, mais il essaie de l’être en s’enfermant délibérément dans son cocon. »
Dans ce même entretien, à propos des manières d’exprimer la révolte, le dessinateur déclare : « Pour monsieur Anno, la révolte est introvertie et, comme pour les adolescents d’aujourd’hui, ne s’extériorise que très rarement. » Ces propos sont à mettre en parallèle avec ceux d’Hideaki Anno :
« A propos du problème du coeur, je n’en ai pas pris conscience immédiatement, mais une partie du Japon et de l’Amérique peut satisfaire la plupart de ses désirs, non ? Je pense que c’est un problème qui est apparu après avoir trouvé une certaine sérénité. Par exemple, certaines personnes, d’un matérialisme extrême, ne réfléchissent pas du tout au fait de savoir s’ils se font détester des autres ou non. Je pense que l’on doit vivre plus fondamentalement. Dans notre sécurité matérielle actuelle, le problème du coeur devient donc un sujet d’actualité.Ce que le réalisateur nomme « problème du coeur » est mis en scène dans Evangelion à travers la difficulté Shinji à s’adapter à l’environnement extérieur, à se faire confiance et à ne pas avoir peur du regard d’autrui. Totalement introverti au début de la série, il va s’ouvrir peu à peu aux autres, créer des liens. Ce personnage semble une projection du réalisateur, qui a déclaré le 17 juillet 1995 dans le prologue>33 à la série :
Quatre années de fuite pendant lesquelles je me suis contenté de ne pas mourir : c’est en me disant « je ne dois pas fuir » que j’ai commencé cette oeuvre.
Ces paroles « je ne dois pas fuir » sont celles de Shinji, dans le premier épisode. Elles réapparaissent tout au long de la série, notamment dans les moments d’introspection, où son autre moi le questionne sur son attitude de repli, de désengagement.
Dans les deux derniers épisodes, le plan de complémentarité humaine se met en place et l’on assiste au règlement du cas de Shinji. Le combat contre les anges a totalement cessé, et la trame de SF paraît abandonnée au profit d’une intrigue plus centrée sur la psychologie. Interrogé par divers personnages, dont on ne sait pas bien s’ils sont réels ou nés de l’imagination du jeune garçon.
Dans une sorte de séance de psychanalyse, le héros prend conscience de son attitude passive et de son désir maladif d’isolement de toute relation humaine de peur d’être blessé. Lorsqu’il décide d’essayer de sortir de son monde pour connaître les autres, la séance s’achève et il est félicité par tous les personnages de la série.
Il semble que, dans ces deux derniers épisodes, Anno ait voulu infliger une thérapie de choc au spectateur et plus particulièrement aux fans de robot géant afin de les inciter à sortir de leur repli sur un monde virtuel. Evangelion sort du cadre de la SF pour devenir une sorte d’apprentissage de la socialisation.
Cette fin34 abandonnant les schémas propres au genre du robotto anime a été fortement critiquée par les fans qui demandent des réponses aux énigmes développées tout au long de la série, et qui paraissaient se résoudre de manière cohérente. Mais, elle a été appréciée par le reste du public pour le ton nouveau et l’expérimentation graphique qu’elle comporte.
Désengagement social
Il semble que cette série de robot géant est symptomatique des phénomènes de désengagement social au Japon : l’otaku et l’hikikomori. Dans le premier cas, la personne s’investit dans un univers virtuel et refuse d’en sortir.
Le terme Japonais signifie « la maison où l’on vit » ou un « vous » impersonnel. Il vient d’un essayiste, Akio Nakamori qui, durant les années 1980, a identifié le phénomène. On estime que 1 % de la population Japonaise est composée d’otaku. Les interconnexions entre le monde de l’animation et les otaku ont été parfaitement récapitulées dans l’article de Sharon Kinsella35, « Amateur manga subculture and the otaku panic ».
Dans le film documentaire de Beinex36 un psychiatre expliquait que le lien affectif entre la mère et l’enfant empêche l’épanouissement et l’émancipation de l’adolescent, et des otaku en particulier. Le retour à la matrice originelle que constitue la fusion Shinji et de l’Eva 01, symbolise ce désir des otaku de retrouver un rapport inaltéré avec la mère.
Phénomène plus récent, l’hikikomori ressemble à une intensification du problème des otaku. Ce « retrait de la société » a longtemps été un problème perçu comme mineur et négligé, aussi bien par le gouvernement que par les organisations sociales.
Selon le psychiatre Tamaki Saito37, expert dans ce domaine, ce terme désigne des adolescents ou jeunes adultes qui ne souffrent d’aucun trouble neurologique ou psychique et qui se cloîtrent chez eux, en refusant de prendre part aux relations sociales pendant plus de six mois et plus.
Le problème de l’hikikomori, très médiatisé ces dernières années au Japon, devient aussi un objet de curiosité de la part des médias occidentaux.38. On estime à un million le nombre de personnes ainsi transformées en ermites modernes.
Enfermées dans leur chambre chez leurs parents, passant leur journée sur internet, ou devant la télévision et les jeux vidéo, ces personnes se coupent volontairement du reste du monde. Même les rapports familiaux sont réduits au minimum.
D’après Noriyuki Ueda39 la différence que les Japonais établissent entre honne (opinion intime) et tatemae (opinion publique) tend à renforcer les difficultés rencontrées pour résoudre le phénomène de retrait social.
Perçu tout d’abord comme un problème familial et non comme une question de santé publique, l’hikikomori a ainsi pu se développer sans que le désarroi des personnes atteintes ou des proches ait pu être soulagé.
L’écrivain Ryu Murakami40, dans un article de Time Asia, emploie les termes de « génération perdue » et explique ce dérèglement social par l’accomplissement des buts fixés durant l’après-guerre, par la prospérité retrouvée du pays.
The cause of the malfunctioning is more simple. It is the fact that, by the 1970s, we had already achieved the national goal. We had worked hard to restore the country from the ruins of World War II, develop the economy and build a modern technological state. When that great goal was attained, we lost much of the motivating force that had knit the nation so tightly together. Affluent Japanese do not know what kind of lifestyle to take up now. That uncertainty has pulled people further apart and caused a whole raft of social problems. Hikikomori is naturally one of them.
La figure de Shinji fusionnant avec son mecha, figure maternelle, est symbolique de cette jeunesse désoeuvrée et craintive, qui ne veut pas s’impliquer dans les relations sociales.
Certes, son cas n’est pas aussi pathologique que les cas réels, mais son incapacité à lier des rapports amicaux basés sur une confiance mutuelle est emblématique de ces personnes qui ne pouvant supporter la pression sociale n’ont d’autre choix que de se replier sur eux-mêmes.
La postérité d’Evangelion ne réside pas seulement dans les nombreux anime reprenant le concept du mecha, ou dans la reprise des relations maternantes entre Shinji, Misato et Rei comme dans Gasaraki (1998), Duel ! Parallel Trouble Adventures (1999), Rahxephon (2002).
L’oeuvre d’Hideaki Anno ouvre une nouvelle perspective dans le dessin animé Japonais, qui devient le vecteur d’une sorte d’apprentissage social. L’infléchissement de la série, du robotto anime au drame psychologique, manifeste cette volonté de rupture avec un monde virtuel et confortable pour se préparer à vivre dans l’univers réel.
La SF Japonaise reflète ainsi l’histoire socioculturelle d’un pays, qui a subi une industrialisation forcée sous l’ère Meiji, qui a fait de la reconstruction et de la technologie de pointe des enjeux majeurs de l’après-guerre, et qui doit aujourd’hui faire face à un phénomène de désengagement social.
Le robot géant apparaît successivement, comme une incarnation des slogans de l’avant-guerre, une revanche symbolique sur la défaite face à la technologie occidentale, un double magnifié du héros et une matrice protectrice face au monde extérieur.
De plus en plus réaliste, le graphisme et l’interface de pilotage se calquent sur l’évolution des techniques de la robotique, du numérique et de la génétique. Cette évolution est à la fois synthétisée et rejetée dans Neon Genesis Evangelion, qui se sert d’un contexte SF pour mettre en scène des conflits psychologiques et délivrer un message d’apprentissage de la vie sociale.
Le rejet de l’animation sur celluloïds dans les derniers épisodes est significatif de cette tentative de métafiction. oeuvre ambitieuse et controversée, cette série marque une étape importante dans l’évolution du genre du robotto anime, comme dans celui de la réflexion sur le rapport entre l’organique et l’artificiel.
Le robot géant est ainsi le support des fantasmes et des peurs d’une société, face à la progression technologique croissante, dont l’évolution n’est pas accompagnée de débats éthiques sur la place de l’humain que la machine remet en question. La science-fiction devient alors le laboratoire, où toutes les conséquences peuvent être testées.
Article initialement publié dans Belphegor, vol III, n°2, avril 2004
Bibliographie complémentaire
ALLISON, Anne. Permitted and Prohibitted Desires : Mothers, Comics and Censorship in Japan. Hardcover : Boulder, Westview Press, 1996. ISBN 0-8133-1698-7. Paperback : Berkeley, University Of California Press.
BARICORDI, Andrea; De GIOVANNI, Massimiliano; PIETRONI, Andrea; ROSSI, Barbara and TUNESI, Sabrina. Anime: A Guide To Japanese Animation (1958-1988). Translated from the Italian by Adeline D’Opera and presented by Claude J. Pelletier. Montreal, Protoculture, 2000.
BRODERICK, Michael. « Anime’s Apocalypse: Neon Genesis Evangelion as Millennarian Mecha », Issue 7 of Intersections: Gender, History & Culture in the Asian Context, published by the School of Asian Studies, Murdoch University, Perth, Australia
GROENSTEEN, Thierry. L’Univers des Mangas. Une Introduction à la Bande Dessinée Japonaise. Casterman, 1996.
KINSELLA, Sharon. Adult Manga: Culture and Power in Contemporary Japanese Society. Honolulu, University of Hawaii Press, 2000.
LEDOUX, Trish & RANNEY, Doug. The Complete anime Guide. Japanese Animation Film Directory & Resource Guide. Tiger Mountain Press, 1997.
LEDOUX, Trish, Ed. anime Interviews: The First Five Years of Animerica (1992-97). San Francisco, Cadence Books, 1997.
LEVI, Antonia. Samurai From Outer Space. Understanding Japanese Animation. Chicago, Open Court, 1996.
McCARTHY, Helen. Anime! A Beginner’s Guide to Japanese Animation. London, Titan Books, 1993. Hayao Miyazaki: Master of Japanese Animation. Berkeley, Stone Bridge Press, 1999. ISBN 1-880656-41-8.
McCARTHY, Helen & CLEMENTS, Jonathan. The Erotic anime Movie Guide. London, Titan Books, 1998.
POITRAS, Gilles/NAME>. The anime Companion. What’s Japanese in Japanese Animation? Berkeley, Stone Bridge Press, 1999. Anime Essentials: Every Thing A Fan Needs To Know. Berkeley, Stone Bridge Press, 2001.
SCHODT, Frederik L./NAME> Dreamland Japan; Writings On Modern Manga. Berkeley, Stone Bridge Press, 1996. Manga! Manga! The World of Japanese Comics. New York/Tokyo, Kodensha, 1983.
Notes
1 C’était notamment le titre d’une partie de l’exposition « L’Homme transformé » de Joël de Rosney, à la Cité des Sciences à Paris en 2002. http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/defis/homtrans/index.htm
2 Toshiya Ueno, Japanimation and Techno-Orientalism, http://www.t0.or.at/ueno/japan.htm
Freda Freiberg, lors d’une conférence de l’Institut of eastern Asian Studies, University of California, Berkeley, http://ieas.berkeley.edu/events/z2002.05.23.html
3 A côté des publications destinées à un lectorat masculin (shônen manga), qui sont assez largement diffusées en Occident, existe une production prolifique de BD pour filles (shôjo manga). Bien sûr rien n’interdit à un homme de lire des manga pour femmes et inversement. Le succès des séries provient généralement de leur pouvoir fédérateur réunissant un public des deux sexes. Il y a des dessinatrices de shônen manga (Ranma 1/2 de Rumiko Takahashi), des dessinateurs de shôjo (Miyuki de Mitsuru Adachi), et des femmes qui publient dans les deux catégories (c’est le cas du groupe Clamp). En fait, la distinction shôjo/shônen est essentiellement liée à la revue de publication initiale. Par la suite, l’anime étant souvent l’adaptation d’un manga, on a employer ces deux termes pour désigner deux courants de dessin animé. Le shôjo se caractériserait sans doute par une attention plus importante au relations entre personnages.
4 Le celluloïd désigne la feuille transparente en cellophane utilisée depuis 1915 jusqu’à récemment pour faire de l’animation. Ainsi on « recopiait sur une face » le dessin et sur l’autre (donc à l’envers) on peignait le personnage ou l’objet . Ce procédé permettait de juxtaposer jusqu’à 9 couches (décors compris) sur un même plan. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de redessiner tout le visage à chaque fois lorsque seule la bouche bouge, ou bien lorsqu’il y a plusieurs personnages sur le même plan, on peut les animer séparément. Ce procédé permet de gagner du temps et de l’argent. L’ordinateur a succédé à la colorisation manuelle, une étape très fastidieuse, et permet ainsi plus de créativité car le réalisateur n’est plus limité dans le nombre de « couches » à employer.
5 OAV est l’abréviation de Original Animation Video, série d’anime destiné au marché de la vidéo. Les OAV bénéficient en général d’un budget et d’un temps d’élaboration plus important qu’une série télévisée.
6 Junji Ito, « Toward a Humanism Beyond Humanity », in « Robot-ism 1950-2000 – From ASTROBOY to AIBO », Agency for Cultural Affairs Media Arts Festival Special Exhibition (Jam3), http://www.cgarts.or.jp/jam3/eng/comment.html
7 Alessandro Gomarasca, « Robots, exosquelettes, armures : le mecha-corps dans l’animation Japonaise », in Poupées, robots, la culture pop Japonaise, éditions Autrement, collection Mutation, n°214, 2002
8 Voir par exemple le site http://www.autolargue.net/ qui s’interroge sur le fait que le siège du pilote fasse deux demi-tours successifs lors d’une des transformations du robot géant.
9 Thierry Groensteen, L’Univers des mangas, Casterman, Paris, 1991, p. 71-72
10 Alessandro Gomarasca, op. cit.
11 Marie-Antoinette Dimayuga, Nationalism in manga and Anime, June 8, 2000, http://www.corneredangel.com/amwess/japanpaper.htm
12 Steam punk : néologisme formé vers la fin des années 80 sur le modèle de cyberpunk pour désigner une sous-catégorie récente de la SF. La composante cybernétique y est remplacée par la technologie du début du XIXe siècle dans des mondes uchroniques.
13 Pour voir des images de cette série : http://www.gundamofficial.com/of/index.cfm, http://www.gundamofficial.com/www_uc/p_info_mechaidx.cfm, http://images.google.fr/images?hl=fr&lr=&ie=ISO-8859-1&q=gundam+sunrise
14 Voir à ce sujet www.animerica-mag.com/features/gundamlegend.html
15 Girard Dulay, The mecha outpost, http://www.geocities.com/Area51/Chamber/8190/moevol01.html
16 Ce nom est également celui d’un prototype de bombardier supersonique des années 70, le XB70-Valkyrie
17 Un site internet propose une liste de mecha-designer et de leur réalisation : http://www.angelfire.com/realm/ofmechs/designers.html
18 Artbook : livre qui rassemble les multiples éléments de l’univers graphique d’un dessin animé. Il peut comprendre les dessins préparatoires, les model-sheets destinés aux animateurs, les story boards, les layout, les illustrations promotionnelles, des images de la série, etc.
19 Mook : terme Japonais résultant de l’anglais magazine et book. Les mooks sont des livres ayant l’apparence et le graphisme d’un magazine. On peut citer à titre d’exemple de mooks consacrés au mecha-design de robots : Sunrise anime Super data file, Tatsumi publishing co., ltd. 1997 ; Animation International Chronicle, Media Works, 1999 ; View broadly super robot, Media Works, 1999 qui contient la liste des super robots de 1963 à 1996
20 Yutaka Izubuchi, mechanical design works I : realistic world, Movic, 2000 ; Yutaka Izubuchi, mechanical design works II : fantastic world, Movic, 2000
21 « Throughout the series the boy would form an emotional attachment to the giant robot, thinking of it as a friend or big brother », Dave Deitrich, Gundam : The Digest, http://www.laugh-inc.com/glong.html
22 Voir à ce sujet le site de Discovery Channel qui propose d’expliquer les liens entre mecha des anime et inventions réelles : http://www.discovery.com/area/technology/virtualtech/issue3/mighty.html
23 L’idée du robot géant comme simple armure de combat trouve ensuite de nombreuses variantes comme les powered suit de la série d’OAV Bubblegum Crisis, ou les landmates d’Appleseed. Ces robots sont réduits à la taille de leur pilote et forme une sorte d’enveloppe protectrice qui décuple les forces de l’utilisateur. Ces derniers anime ne sont généralement pas considérés comme des robotto anime mais comme un autre genre de la SF Japonaise.
24 Pour voir des images de cette série : http://www.gainax.co.jp/menu-e.html, http://www.evangelion.co.jp/, http://images.google.fr/images?hl=fr&lr=&ie=ISO-8859-1&q=eva+01, http://images.google.fr/images?hl=fr&lr=&ie=ISO-8859-1&q=evangelion
25 Mick Broderick, Anime’s Apocalypse: Neon Genesis Evangelion as Millennarian Mecha, http://wwwsshe.murdoch.edu.au/intersections/issue7/broderick_review.html
26 Thierry Groensteen, op. cit.
27 Yoshi Sadamoto, Neon Genesis Evangelion, Glénat,
28 C’est le terme employé dans la version Japonaise originale.
29 Voir par exemple Five Stars Stories de Manoru Nagano. Les Mortar Headds peuvent se défendre contre l’intrusion d’un pilote non reconnu par lui.
30 Le premier film, Evangelion : Death and Rebirth, sorti en mars 1997, se compose de deux segments: Evangelion : Death, résumé des 24 premiers épisodes de la série, et Evangelion : Rebirth, qui devait être la fin alternative de la série, mais qui ne comporte que les deux premiers tiers de l’épisode 25. Le deuxième film, The End of Evangelion (juillet 1997), comprend les nouveaux épisodes 25 (Air) et 26 (Magokoro o Kimi ni). Enfin un troisième film sorti en janvier 1998, Revival of Evangelion, comporte trois segments Evangelion: Death (True) qui est la « director’s cut » d’Evangelion : Death, suivi des épisodes 25 et 26. La fin alternative est animée de façon traditionnelle avec des celluloïds sans effet ou d’incrustation de photos et d’images réelles. Mais il est significatif qu’Anno n’a pas réalisé personnellement ces films. Il en a laissé la direction à un de ces assistants sur la série télévisée.
31 Certains celluloïds de séries renommées se vendent à des prix exhorbitants sur le marché des fans.
32 Interview placée à la fin volume 2 du manga au édition Glénat.
33 Il est repris à la fin du premier volume du manga.
34 Les films proposant une fin alternative délivrent un message assez similaire à celui de la série : Shinji fusionne avec le premier ange qui était enfermé dans le centre de Tokyo-3 et reçoit le pouvoir de remodeler le monde à son gré. Tous les humains sont assimilés en une seule entité que Shinji peut manipuler selon ses désirs. Il se rend alors compte qu’une telle fusion ne lui procure pas plus de bonheur que lorsqu’il était seul face aux autres personnages et qu’ils n’étaient pas à l’unisson.
35 Sharon Kinsella, « Amateur manga subculture and the otaku panic », Journal of Japanese Studies Summer 1998 http://www.kinsellaresearch.com/nerd.html
36 Otaku, reportage de Jean-Jacques Beineix et Jackie Bastide ; journaliste: Etienne Barral, Cargo Film, France, 1993
37 « The scary `real world’ of reclusive youngsters », Asahi Shimbun, October 5, 2000 http://www.geocities.com/directx_user/hikikomori.html
38 « From Sapporo to Surabaya | Staying In and Tuning », TIMEasia.com, http://www.time.com/time/asia/features/ ontheroad/japan.otaku.html Michael Zeilenziger, « More Japanese are imitating a nation that closes itself off », Detroit Free Press, January 3, 2003, http://www.freep.com/news/nw/djapan3_20030103.htm Phil Rees, Japan: The Missing Million, reportage de la BBC diffusé le dimanche 20 October, 2002 : http://news.bbc.co.uk/1/hi/programmes/correspondent/2334893.stmLawrence Eng, The current status of « otaku » and Japan’s latest youth crisis, http://www.cjas.org/~leng/hikiko.htm
39 Noriyuki Ueda Withdrawn : the collapse of human relationships and the « middle perspective », http : //www.nichibei.org/je/20Mar.html
40 Ryu Murakami, « Japan’s Lost Generation », Time Asia, http://www.time.com/time/asia/magazine/2000/0501/japan.essaymurakami.html