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Interview de Jiro Taniguchi

Déjà couronné à deux reprises par les critiques français pour Quartier lointain et le Sommet des dieux, Jiro Taniguchi est sans doute le plus franco-belge des Japonais. Et cela va sans aucun doute s’accentuer. Il est de passage en Europe pour la préparation de son prochain album en collaboration avec Jean-David Morvan.

Les deux derniers albums publiés en France, Seton et l’Encyclopédie des animaux de la préhistoire, ont pour point commun de relater des récits animaliers. C’est également par ce type d’intrigue que vous avez commencé votre carrière. Peut-on considérer qu’il s’agit là d’un retour aux sources ?

Jiro Taniguchi : En réalité, j’ai toujours dessiné des histoires d’animaux depuis mes débuts jusqu’à aujourd’hui, même si entre temps d’autres types de récits se sont intercalés. Mais ce que je n’avais jamais fait, c’est une histoire d’animaux préhistoriques.

L’Encyclopédie est en fait un manga écrit au début des années 90 à la suite d’une discussion avec mon éditeur. Je lui avais fait part de mon envie de toujours continuer dans ma veine animalière, mais cette fois-ci dans des temps plus anciens.

Au vu de ces deux albums au style graphique très réaliste, vous avez sans doute dû consacrer beaucoup de temps à la recherche iconographique.

Jiro Taniguchi : Une importante recherche de documents a été nécessaire. Mais le principal problème a été de trouver des renseignements sur la vie quotidienne des animaux préhistoriques, que ce soit en langue japonaise ou en langues étrangères.

Cela a été très compliqué d’avoir des éléments sur les modes de vie de ces animaux. On peut dire que les histoires décrites dans l’Encyclopédie sont à moitié réelles et à moitié issues de mon imaginaire.

En lisant les deux volumes de Seton, publiés en France, on a l’impression que les animaux sont finalement plus sympathiques que le héros. Est-ce que ce sentiment a été volontairement provoqué ?

Jiro Taniguchi : C’est très précisément avec cette intention que j’ai commencé Seton. Je voulais que le public montre plus d’affection pour les animaux que pour l’homme.

Dans ce cas, ne peut-on pas dire que le héros n’est qu’un prétexte à la description de la vie animale ?

Jiro Taniguchi : La particularité de Seton est qu’il a réellement existé. C’est un personnage que je n’ai pas inventé. Il est très connu au Japon, même s’il l’est peut-être moins en Europe. C’est quelqu’un qui a consacré une grande partie de sa vie à protéger les animaux.

Ce qui m’intéressait, c’est de montrer quel a été son processus de réflexion, et ce qui a l’amené à être un tel fervent défenseur des animaux. Et je pense que son contact avec la nature à ses débuts a eu une importance considérable par la suite.

Donc c’était pour moi une nécessité de passer par cette étape-là pour comprendre qui est le personnage de Seton. Maintenant est-ce qu’avoir de l’affection pour les animaux et choisir un humain pour héros est paradoxal, je ne le pense pas car c’est un naturaliste. C’est un personnage qui évoque beaucoup de chose pour moi par la vie qu’il a menée et j’estime qu’il était nécessaire de la dessiner.

D’un point de vue graphique, vous avez un style plus en retenu que la plupart des mangaka. D’où est née cette sobriété ?

Jiro Taniguchi : Mon style a évolué en une trentaine d’années de carrière et s’est développé de manière naturelle. Ceci dit, dès le départ j’avais le sentiment qu’il avait trop d’exagération dans l’expression des sentiments à la fois dans le dessin et dans le découpage des manga.

C’est pourquoi j’ai cherché à développer mon style dans un axe différent. Lorsqu’un personnage est étonné, je n’ai pas envie d’accentuer ce trait-là. Je préfère la simplicité. Pour moi quelques larmes suffisent à exprimer la tristesse. Je n’ai pas envie d’en rajouter afin d’accentuer sa tristesse.

N’avez-vous pas eu des problèmes avec vos éditeurs ?

Jiro Taniguchi : Bien évidemment, j’ai eu des difficultés à faire accepter ce style par mes éditeurs. Mais j’ai fait des rencontres qui font que certains éditeurs ont tout de même accepté de me laisser travailler ainsi.

La principale difficulté était ensuite d’être accepté par les lecteurs, de leur donner envie de lire de telles histoires. Cela a été un travail de longue haleine, mais petit à petit le noyau de mes lecteurs s’est formé et agrandi, même si mon style a des limites en terme de popularité.

Il me semble que vous aviez exprimé le souhait de dessiner au pinceau ? Allez-vous employer cette technique de dessin dans les prochains albums ?

Jiro Taniguchi : La technique du pinceau m’intéresse beaucoup, mais je n’ai pas encore trouvé une histoire qui corresponde à ce style de dessin. À mon avis, il faudrait un récit très traditionnel situé dans le Japon de l’époque d’Édo.

Allez-vous employer une nouvelle technique de dessin dans la bande dessinée que vous allez créer en collaboration avec Morvan ?

Jiro Taniguchi : Non, ce n’est pas une nouvelle technique car je l’utilise de temps en temps sur certains passages dans quelques-uns de mes manga. La nouveauté réside dans le fait de dessiner ainsi, en couleurs, durant les 54 pages de l’album.

Comment se déroule votre collaboration avec Morvan ? Est-ce qu’il vous donne un résumé succinct ou un scénario très complet avec les dialogues déjà rédigés ?

Jiro Taniguchi : Le processus de création s’est étalé sur plusieurs années aux fils des rencontres en France ou à Tokyo. Nous avons parlé des bases de l’intrigue et discuté pour savoir dans quelle direction nous allions travailler.

À partir de là, nous avons expérimenté différentes manières d’écrire. Actuellement, c’est à partir d’un scénario écrit très détaillé où figurent les dialogues et le découpage sommaire des scènes que j’effectue la mise en case et le dessin.

On parle beaucoup du rôle des éditeurs dans le manga. En quoi celui-ci peut-il modifier le récit initial ou intervenir en tant que scénariste ?

Jiro Taniguchi : Il faut savoir qu’au Japon le rôle d’un éditeur est primordial. Il est en charge de plusieurs auteurs dans une cellule éditoriale. Plusieurs cas de figure sont possibles. Soit un éditeur amène un sujet en demandant au mangaka s’il aimerait écrire sur telle ou telle histoire, soit l’artiste propose un thème à son éditeur.

Ensuite, tout dépend de la proximité que l’on entretient avec son éditeur. Mais il est très fréquent que l’histoire soit véritablement écrite et construite à quatre mains. Toutefois, il n’y a pas de revendication de scénariste la part de l’éditeur pour autant.

Il arrive aussi que mon éditeur, à la suite d’une discussion avec un romancier ou une autre personne qui a déjà écrit un scénario, vienne me voir avec un récit tout prêt et me le propose car il pense que cela convient à mon style.

En ce qui concerne l’adaptation de Quartier lointain en film, avez vous apporté beaucoup de modification au scénario proposé ?

Jiro Taniguchi : En fait, les derniers détails se sont réglés il y a seulement trois jours. L’aspect contractuel n’ayant pas jusqu’à présent été réglé, il n’y avait pas de nécessité de droit de regard sur le scénario.

On ne savait pas si le film se ferait ou pas. Maintenant si mon éditeur a bien fait son travail, je suis censé avoir un droit de regard sur le scénario. Comme cela est tout récent, je n’ai pas encore eu le scénario entre les mains.


Article initialement publié dans Animeland en 2006.

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