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Interview de Ron Gilbert à propos de The Cave

J’avais eu la chance de poser quelques questions à Ron Gilbert (Maniac Mansion, Monkey Island) lorsqu’il est venu faire la promotion de The Cave en France. Très pro, très gentil et très humble, il a répondu avec le sourire à toutes les questions de tous les journalistes durant une journée d’autant plus éprouvante qu’il avait la grippe.

Pour quelle raison la grotte parle-t-elle alors que les personnages sont muets ?

Ron Gilbert : Je voulais que les personnages soient un peu mystérieux et je pense que si les protagonistes parlaient tout le temps, ils auraient une personnalité trop marquée. Le fait d’avoir des héros muets fait que le joueur peut plus facilement s’y identifier et qu’il se pose plus de questions à leur sujet. Du coup, le travail des animateurs devient bien plus important puisque c’est à travers leurs gestes que l’on devine ce qu’ils pensent et ce qu’ils sont. Si vous regardez le personnage de la scientifique, elle a ce regard qui sous-entend « Je suis meilleure que vous » et les animateurs ont fait beaucoup plus pour la rendre consistante par ses gestes.

J’ai entendu dire que vous étiez claustrophobe. Alors pourquoi mettre en scène une grotte ?

Ron Gilbert : Je pense que tout le monde est fasciné par les choses qui font peur. Par exemple, je déteste les araignées mais si je tombe sur une vidéo d’araignée, je clique toujours dessus pour la voir. C’est aussi sans doute pour cela que j’ai fait un jeu ayant pour décor une grotte. Ensuite, en ce qui concerne ce lieu d’interview, ça va. (NDRL : l’interview s’est faite dans la cave d’un bar). Je peux m’y faire car je sais qu’il y a une sortie et que je n’aurai pas besoin de ramper dans un couloir sombre pour l’atteindre.

Comment savoir si une idée est bonne ?

Ron Gilbert : L’instinct ? Je ne sais pas. Ce n’est pas quantifiable ou tangible. Je sais seulement que cela est cohérent et va bien avec l’ensemble. C’est comme si les idées se connectaient les unes avec les autres et lorsque ce n’est pas le cas, on  laisse l’idée de côté même si elle est bonne par ailleurs.

Pourquoi ne pas avoir réalisé une version sur smartphone et tablette ?

Ron Gilbert : Je pense que le marché du jeu sur iOS et Android est très particulier et actuellement, les ventes suivent des courbes bizarres. Il y a des jeux qui ne rapportent que quatre dollars et d’autres des millions. Je fais de petits jeux sur iOS durant mon temps libre et je trouve que c’est assez fascinant de créer des jeux pour ce public mais réaliser un vrai jeu d’aventure qui prenne en compte toutes les spécificités de la plateforme mobile, c’est un challenge qui n’a pas encore été vraiment relevé.

Avez-vous mis en place des fonctionnalités spécifiques à la Wii U ?

Ron Gilbert : Nous utilisons la tablette mais il n’y a rien d’exceptionnel. En fait, la plupart des développeurs ne savent pas quoi faire de la tablette et tout le monde fait des essais plus ou moins probants. Il faudra sans doute un an pour voir de bons jeux arriver sur Wii U avec une utilisation intéressante de la tablette.

Vous avez par ailleurs financé un jeu par le biais de Kickstarter. Avez-vous encore besoin d’un éditeur ?

Ron Gilbert : Si nous n’avions pas d’éditeur, je ne serais peut-être pas assis en face de vous pour répondre à vos questions ! L’éditeur joue un rôle important au niveau du marketing, ce que beaucoup de développeurs indé ne comprennent pas bien. Certains pensent qu’il leur suffit de faire un bon jeu pour qu’il se vende. Ce n’est hélas pas la réalité. Il faut faire du marketing, avoir des relations presse. C’est un très gros morceau à gérer et les éditeurs sont justement là pour s’en occuper et ils le font bien.

Vous avez conçu des jeux pour les enfants. Est-ce que cela vous a aidé pour The Cave ?

Ron Gilbert : Créer des jeux pour les enfants est une expérience vraiment enrichissante et ça m’a beaucoup apporté au niveau du game design. Les enfants sont un public intéressant car ils n’ont pas d’a priori. Lorsque je travaillais à Humongus, les graphismes en 3D venaient de sortir. À l’époque, tout ne monde ne jurait que par le nombre de polygones affichés. J’étais fatigué par ce cirque et le jeu est devenu une course technologique au lieu d’être une course à l’invention.

Ce qui est bien avec les enfants, c’est qu’ils n’en avaient strictement rien à faire ! Tout ce qu’ils demandent, ce sont des jeux amusants, des personnages sympathiques, des histoires bien ficelées. Ils se moquent du nombre de polygones affichés ou de la résolution des écrans ! Travailler pour les enfants a vraiment été gratifiant.

Lorsque nous avons commencé dans ce studio, nous avons tenu à ne pas faire de jeux éducatifs. Aucun de nos jeux ne va vous apprendre à lire ou écrire. Ce sont en revanche de parfaites histoires à lire avant d’aller au lit. C’est un plaisir de les voir jouer et résoudre les énigmes. Je pense qu’avoir conçu des jeux pour les enfants a beaucoup influencé mon travail par la suite et m’a permis de vraiment me concentrer sur les choses importantes en jeu. Par exemple, l’inventaire est-il vraiment une chose importante ? Non, je n’en suis pas sûr. Je pense qu’il suffit que les joueurs puissent interagir avec les éléments et cela suffit dans The Cave.

Que feriez-vous si vous n’écriviez pas pour le jeu vidéo ?

Ron Gilbert : Oh, vous savez, je ne sais vraiment rien faire en dehors du jeu vidéo. J’imagine que si je ne peux plus écrire pour le jeu, je deviendrai serveur dans un McDonald ou que sais-je ? J’ai fait cela tout ma vie et je ne peux pas m’imaginer faisant autre chose.

Est-ce qu’écrire des jeux a changé entre vos débuts et aujourd’hui ?

Ron Gilbert : D’une certaine façon, oui, car la technologie a évolué, mais que vous fassiez un Call of Duty ou un jeu de plateformes, il y a toujours les mêmes mécaniques, les mêmes principes d’interaction avec les joueurs. Les joueurs ont également changé et il s’agit de s’adapter à tout cela. On ne peut pas rester dans le passé.

À propos de The Cave, lire mon article ici.

Ron Gilbert a détaillé sur son blog la création de The Cave.

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