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Bill Watterson (Calvin & Hobbes) : portrait de l’artiste en reclus

Bill Watterson a reçu le Grand Prix lors du Festival de la BD d’Angoulême en 2014. Si tout le monde semble connaître sa bande dessinée Calvin & Hobbes, peu de gens savent qui est cet artiste reclus désireux de vivre anonymement dans son Ohio natal. Voici son portrait.

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Avant d’être publié en 1985 dans une petite trentaine de journaux, Bill Watterson a connu cinq années de vaches maigres durant lesquelles il vivait chez ses parents.

Il faisait du lay-out pour des catalogues publicitaires et envoyait des projets de bande dessinée en espérant qu’on ne lui dirait pas de nouveau « non ».

Entre Snoopy et le dessin satirique

Lorsqu’il était enfant, Watterson rêvait d’être astronaute ou dessinateur de BD. À mesure que ses résultats scolaires en sciences baissaient, il s’est persuadé que dessinateur était la bonne voie.

Bercé par les lectures de Snoopy, il toujours essayé d’imiter ses comics favoris. En découvrant plus tard Krazy Kat et Pogo, il a compris que la bande dessinée n’était pas simplement un art futile destiné à faire vendre des journaux.

C’est un médium permettant à l’artiste de faire passer des émotions et des réflexions personnelles.

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Lors d’un salon de bande dessinée en 1989, il déclare d’ailleurs :

Peanuts is about the search for acceptance, security, and love, and how hard those self-affirming things are to find. The strip is also about alienation, about ambition, about heroes, about religion, and about the search for meaning and « happiness » in life. For a comic strip, it digs pretty deep.

Snoopy aborde le besoin de reconnaissance, de protection et d’amour, et il montre comme il est difficile de le combler. La série évoque aussi l’aliénation, l’ambition, l’étoffe des héros, la religion et elle montre la quête du sens et du « bonheur ». Pour une bande dessinée, c’est un sacrément dense.

Néanmoins, il ne fait pas des études en histoire de l’art et termine ses études avec un diplôme de science politique en poche.

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Admirateur des grands caricaturistes dans les quotidiens, Oliphant ou MacNelly, il est assez inquiet lorsqu’il commence son contrat d’essai de six mois au sein du Cincinnati Post.

Il sent bien qu’il n’a pas la culture politique et le mordant nécessaire pour faire carrière et c’est presque avec soulagement qu’il se fait licencier.

Cinq ans de réflexion

À cette époque, la plupart des quotidiens passent par des syndicates. Le terme et la fonction n’existent pas vraiment en France car le nombre de journaux est bien moindre que sur le territoire américain.

En gros ces syndicates agissent comme des agents d’artistes : ils vendent les strips des dessinateurs qu’ils gèrent à un maximum de quotidiens, tirant les prix vers le bas grâce à l’économie d’échelle.

De cette façon, les journaux peuvent avoir des strips peu chers et les syndicate se rattrapent sur le volume vendu.

Habitués à ce système et à payer un prix bas pour des bandes dessinées, les gérants des journaux sont réticents à payer le prix fort pour la création d’une nouvelle série.

Watterson passe alors les années suivantes à monter des projets de BD et à les envoyer à tous les syndicate.

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Parallèlement, il survit grâce à de petits boulots vaguement liés au graphisme. Parmi les séries qu’il propose, il y a notamment Spaceman Spiff, explorateur de l’espace fanfaron, qui deviendra par la suite l’un des alter ego fantaisistes de Calvin.

Parmi les propositions envoyées, l’une retient l’attention de United Features qui lui fait signer un contrat afin de développer deux personnages secondaires issus de In the Doghouse, projet refusé.

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Il s’agit d’un petit garçon et de sa peluche tigre. Bien que réticent à faire de la BD avec un personnage d’enfant, l’ombre de Charles Schulz étant écrasante pour la plupart des artistes, Bill Watterson se met à dessiner un mois de strips et les envoie au syndicate qui lui paie alors un avion pour le voir en entretien.

Il lui propose d’éditer la série s’il ajoute au casting Robotman, un jouet dont il a la licence.

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Watterson refuse et propose le duo à d’autres sociétés. Universal Press Syndicate lui offre alors la possibilité de publier la série à condition qu’il renonce à ses droits sur les personnages.

Ne sachant pas s’il aura une meilleure chance plus tard et après tant de refus, Watterson signe le contrat : Calvin & Hobbes naissent ainsi en 1985.

Premières années de rodage

Au début, Bill Watterson ne sait pas trop comment développer ses personnages.

Par exemple, Calvin et sa peluche font partie d’un club de scouts avant que l’auteur ne se rende compte que cela ne fonctionne pas bien et laisse tomber cette idée.

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Les dessins sont un peu mous et les parents manquent de personnalité. Certaines idées sont un peu clichées comme les monstres sous le lit.

Mais Watterson essaie de les traiter de manière plus personnelle. Au fil des strips, le caractère de Calvin s’affirme et il est plus facile de décrire l’univers où évoluent les personnages.

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Calvin est à la fois capable de faire des raisonnements alambiqués avec des mots compliqués inusuels dans la bouche d’un enfant de six ans et de répondre très naïvement.

Les strips fantaisistes où il rêve les yeux ouverts de dinosaures ou d’exploration dans l’espace permettent à Bill Watterson de s’évader lui aussi et de dessiner dans un autre style.

Hobbes est inspiré par l’un des trois chats du couple Watterson. Il a un comportement animal et en même temps sert de conscience à Calvin. Tous deux représentent des aspects de la personnalité du dessinateur.

Mais Calvin est bien plus turbulent qu’il ne l’a jamais été et Hobbes se montre plus raisonnable. Le père de Calvin exerce le même métier que celui de l’artiste et tous deux ont des relations un peu similaires.

Pendant ces années de rodage, Watterson passe ses mois à réaliser un maximum de planches par jour pour les envoyer au syndicate qui en valide certaines et refusent d’autres qu’il faut remplacer par de nouveaux strips. 

Il faut livrer une BD par jour et la planche du dimanche qui est en couleurs doit être réalisée deux mois avant sa parution.

Malgré ce rythme soutenu Bill Watterson est heureux de faire ce qu’il a toujours rêvé de faire.

Le refus des produits dérivés

Après quelques mois de parution, plus de deux cents quotidiens achètent une licence pour Calvin & Hobbes et le journal local de la ville de Watterson aussi. Il peut alors se sentir comme un vrai dessinateur de BD.

Malheureusement, ce bonheur ne dure pas. Très vite, le syndicate qui a les droits d’exploitation des personnages  demande à l’artiste de signer des contrats pour des produits dérivés.

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Des mugs ou des T-shirts à l’effigie de ses héros pourraient lui rapporter beaucoup d’argent.

Mais de même qu’il avait refusé d’inclure Robotman dans sa série, Bill Watterson décline toutes les offres de produits dérivés.

Néanmoins, à mesure que Calvin & Hobbes devient populaire, la pression pour que Watterson signe des contrats de merchandising se fait plus forte.

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L’auteur regrette alors amèrement d’avoir cédé ses droits au syndicate qui peut très bien le remplacer et confier l’élaboration de la série à un autre dessinateur s’il décide de démissionner.

Se sentant pris à la gorge, Watterson est de plus en plus stressé et certains strips reflètent sa lutte pour garder ses droits.

Bien sûr le tout est transformé en une fiction humoristique mais la colère et l’angoisse sont bien là.

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Watterson finit par lâcher un ultimatum : il a trop souffert pour être enfin publié. Il veut récupérer ses droits sur la bande dessinée et si le syndicate refuse, il démissionnerait.

Cela ne lui servirait à rien de dessiner des personnages qui ne lui appartiennent plus et finiront sur un dessous de verre.

Universal cède. Watterson reprend ses droits et poursuit la série.

Nouvelles exigences

La querelle avec son syndicate l’ayant épuisé moralement, Watterson prend des congés en 1992 et en 1994 au grand désespoir des journaux qui doivent publier des strips déjà parus.

Certains dessinateurs le critiquent en estimant qu’il a pris la grosse tête. Mais les syndicates prennent alors conscience qu’il faut sans doute accorder plus de pauses à leurs auteurs pour leur éviter un burn out. 

Le nombre de jours de congé est donc augmenté.

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En outre, Watterson exige de pouvoir dessiner comme il le souhaite les fameuses planches en couleurs du dimanche.

Auparavant, ces strips étaient découpés de façon strictes car chaque journal avait sa mise à en page spécifique et il fallait replacer les cases dans un autre ordre tout en conservant le sens et l’humour de la BD.

Cela demande un surplus de travail aux auteurs et nuit à leur créativité.

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Une fois de plus, Watterson gagne et il peut alors faire les cases de la taille et la forme qu’il souhaite dans ces planches dominicales. Il peut vraiment exprimer l’imagination fertile de son garnement dans cette demi page de journal.

Par la suite, Calvin & Hobbes devient encore plus personnel et les dialogues entre le gamin et sa peluche semblent faire écho au pessimisme de Watterson en ce qui concerne l’écologie ou la culture de masse via la télévision.

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Le dessinateur profite également de son espace de liberté d’expression pour tourner en dérision l’art contemporain à travers une série de bonhommes de neige.

Mais après dix années passées à dessiner, Bill Watterson arrête sa série au moment de sa plus grande gloire.

Le silence est d’or

Délaissant la bande dessinée pour la peinture, Watterson peint pour lui même et ses amis.

En 2012, un portrait de Petey Otterloop, personnage du comic strip Cul de Sac, est vendu aux enchères pour aider la recherche sur la maladie de Parkinson dont est atteint l’auteur Richard Thompson.

Il n’a rapporté que 13 000 dollars alors qu’une planche originale en couleurs du dimanche s’est vendue à 203 150 dollars en 2011.

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Récemment, pour la jaquette du DVD d’un documentaire consacré aux comic strips, Bill Watterson a refait un dessin.

C’est aussi pour lui une façon de célébrer la fin d’une époque avec une presse écrite encore puissante et ses syndicate

Dans une interview de 2014, il se montre très pessimiste en ce qui concerne le dessin de presse, la BD et les nouveaux moyens de diffusion.

Pour lui, le lien entre lecteur et personnage de BD est définitivement perdu, corrompu par le marketing et la culture de masse qui consomme tout comme un paquet de chips.

That would be my guess. I can’t really picture the average person going to the trouble of curating his own little comic section, much less reading a new and unfamiliar strip for months to build up a relationship with it. There’s so much other content available—instantly and all for free—that there’s no reason to stick around if you’re not immediately enthralled.

Ce n’est que mon opinion. Mais je doute que Monsieur Tout-le-monde prenne la peine de sélectionner toutes ses bandes dessinées, et encore moins qu’il lise de nouveaux titres inconnus pour établir une relation avec ceux-ci. Il y a tellement de choses disponibles, à tous instants et totalement gratuitement, qu’il n’y a aucune raison de s’attacher à une série si vous n’êtes pas immédiatement emballé.

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We consume everything like potato chips now.  In this environment, I suspect the cartoonist’s connection with readers is likely to be superficial and fleeting, unless he taps into some fervent special interest niche. And that audience, almost by definition, will be tiny. It’s a very different world from the days when everyone in America knew who Popeye, Dick Tracy or Charlie Brown was.

De nos jours, nous consommons tout comme nous avalons des chips. Dans ce contexte, je doute que le dessinateur puisse établir des relations autres que superficielles et passagères à moins qu’il ne s’adresse à un public de niche très engagé. Et ce type de lectorat, par définition, ne peut être que restreint. Nous vivons dans un monde différent de celui où tout le monde aux États-Unis savait qui était Popeye, Dick Tracy ou Charlie Brown.

En célébrant Bill Watterson, les membres du jury du Festival d’Angoulême se savaient sans doute pas qu’ils rendaient hommage en l’auteur qui actuellement croit le moins en la puissance du média bande dessinée…

Et si vous préférez lire les Calvin & Hobbes en français, ils ont presque tous été traduits et sont disponibles sur Amazon. Mais ils sont aussi chez la Fnac et si vous pouvez soutenir votre libraire local, c’est toujours mieux 😉

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