Lors du conflit avec son éditeur, l’auteur de Calvin et Hobbes a dû mettre en avant son travail en tant qu’art et non comme simple mise en image en vue de vendre de la presse ou des produits dérivés. Voici donc quelques aspects de l’art contemporain selon Bill Watterson.
Si l’art moderne débute officiellement à la fin du XIXe siècle avec son effervescence de mouvements artistiques variés (impressionnisme, symbolisme, réalisme…), c’est au début du XXe siècle que l’on commence à écrire longuement sur l’art.
D’ailleurs, les artistes prennent la plume pour justifier leurs expérimentations à coup de manifeste, auto-proclamation et excommunions diverses.
Ready-made, already out of date ?
L’art moderne voulait rompre avec les habitudes et les canons de l’art classique en mettant en scène des sujets inédits, en travaillant d’après nature et non plus en atelier, en proposant d’autres manières de représenter le réel.
En fait, très rapidement, il ne fait que recréer d’autres règles à suivre. Plus encore, la figure du critique artistique et son jargon tendent à prendre la place de l’œuvre, celle-ci devenant une œuvre simplement par le discours dont on l’entoure.
C’est notamment le cas des ready-made de Marcel Duchamp. Ces œuvres sont des objets industriels détournés de leur fonction et dotés d’un nouveau nom.
La plus connue est la Fontaine (1917) qui n’est qu’un urinoir renversé. L’objet est indissociable du discours iconoclaste qui l’habille.
C’est cette dépendance curieuse de l’objet et du verbe que Watterson met en scène de façon humoristique dans plusieurs strips hivernaux.
Calvin apposant son nom dans la neige fraiche et déclarant le paysage alentour comme son œuvre est-il si loin de Duchamp et de son urinoir ?
Chez Calvin comme chez nombre d’artistes, la provocation s’arrête quand il s’agit de vendre. L’iconoclasme moderne se doit d’être rentable…
En trois lignes, le sale gamin passe du dénigrement de l’art classique et figuratif (le bonhomme standard), à l’éloge d’une œuvre plus expressionniste, avant de retourner sa veste.
La série des planches dominicales sur les bonhommes de neige permet à Watterson de placer de manière plaisante des piques contre l’art contemporain.
Quoi de mieux que la neige en effet pour montrer que chaque année apporte son lot de nouveauté qui va finir en flaque d’eau ?
Dans la planche suivante, Calvin se décrit comme le garant de la qualité et de l’originalité face à la médiocrité des autres « artistes ».
Comme on le voit, l’art contemporain selon Bill Watterson se compose avant tout de longs verbiages. Et quand tout est discours, on peut légitimer n’importe quoi !
Dans cette autre planche, vous pouvez admirer le discours hyperbolique de Calvin pour justifier son œuvre incomprise.
Les nus descendants un escalier
L’œuvre moderne dont Watterson se moque le plus est le Nu descendant un escalier n°2 , peinture de Marcel Duchamp présentée en 1912 à New York.
Cette huile sur toile avait provoqué rire et scandale mais elle marque le début de l’art contemporain aux USA. Elle condense en une œuvre l’intérêt de l’artiste pour le cinéma, les chronophotographies et le mannequin en bois que les dessinateurs connaissent bien.
Une autre version existe avec une fois de plus un bonhomme de neige.
Évidemment le décalage entre le désir de marquer durablement les esprits et la neige qui va fondre est assez savoureux même pour ceux qui ne connaîtraient pas l’œuvre de Duchamp dont se moque Watterson.
Cubisme
Parmi les cibles de l’humour de Watterson, il y a aussi le cubisme. Ce mouvement artistique comporte plusieurs phases mais l’auteur de Calvin et Hobbes s’attache surtout aux peintures du début.
Au lieu d’essayer de représenter de manière photo-réaliste les éléments, les peintres comme Braque et Picasso les déforment et les décomposent en de multiples constructions géométriques.
Pour Watterson, pasticher des tableaux cubistes est une manière de changer de la routine quotidienne tout en réexploitant ses connaissances en histoire de l’art.
La multiplicité des points de vue et de la perspective dans les peintures cubistes est prise au sens littéral dans la plupart des planches comme ici.
Dans cette autre planche en couleurs, c’est une autre expression prise littéralement qui entraîne la dérive cubiste.
Dans le recueil de strips des dix ans de Calvin et Hobbes, Watterson explique qu’il s’est beaucoup amusé avec ces planches pastiches mais a eu un peu de mal à faire des perspectives différentes tant il est habitué au photo-réalisme.
Autres pastiches
Watterson ne se contente pas d’imiter des tableaux, il réalise aussi très régulièrement des pastiches de bandes dessinées plus sérieuses pour mettre en scène les fictions que se racontent Calvin et Suzie.
De la même façon, il est très critique envers la télévision, il n’hésite pas à se moquer des comics strips de super héros et de leur violence supposée moins importante car médiatisée par le dessin.
Il a également réalisé des planches où Calvin se dessine, imitant alors le style supposé d’un enfant de six ans.
Enfin, il joue à plusieurs reprises sur les méthodes d’impression et de coloration dans les planches dominicales. C’est le cas de ce strip.
Dans une autre planche, derrière le propos a priori anodin, se cache en réalité une pique à ses éditeurs qui lui reprochent d’être intransigeant concernant la question des droits d’exploitation de produits dérivés, de tout voir en noir ou blanc.
Watterson les a pris au mot et produit une planche où Calvin est dans un monde où tout est noir ou blanc, sauf la dernière case quand il revient dans le monde réel.
Outre la satisfaction personnelle d’avoir répondu de manière élégante à ses opposants, il a pu économiser du temps de colorisation pour cette planche comme il l’explique dans le recueil des dix ans de Calvin et Hobbes.
Pour en savoir plus sur le conflit avec son éditeur, lire : Portrait de Bill Watterson
À relire en anglais : Calvin & Hobbes
À acheter : les Calvin & Hobbes en français