Depuis Majora’s Mask, la série Zelda est entre les mains d’Eiji Aonuma. Officiellement managing producer du EAD Group 3 (Entertainment Analysis and Development) et producer de la franchise Zelda depuis 2004, il est l’homme qui a permis la création des Zelda en cel-shading et qui a apporté un soin accru au scénario.
À cinquante ans passé et après plus de vingt-cinq ans au sein de Nintendo, Eiji Aonuma (青沼 英二) continue de superviser les nouveaux Zelda. Et il est toujours difficile de savoir si les fans vont les apprécier ou non.
Mais une chose est sûre : il est assez drôle qu’il s’occupe d’une série dont il n’est pas parvenu à finir le premier titre !
Des marionnettes aux pixels
Né en 1963 dans la préfecture de Nagano, Eiji Aonuma fait des études de graphisme à l’école des Beaux-Arts de Tokyo, où il découvre l’art des automates traditionnels japonais : Karakuri Ningyô.
Ces poupées en bois recèlent des mécanismes qui les animent comme si elles étaient vivantes. L’effet de surprise qu’elles produisent lorsqu’elles se mettent en marche et l’émerveillement du public sont un motif de satisfaction pour le jeune étudiant.
Durant cette même période, il découvre The Legend of Zelda sur NES et se lasse très vite du jeu. Il ne se définit pas comme un hardcore gamer attiré par le challenge et la maîtrise des réflexes.
Il meurt plus ou moins systématiquement face aux Octorocks, dont il n’arrive pas à éviter la trajectoire. On ne peut pas dire que Zelda lui ait donné le goût de créer des jeux vidéo. D’ailleurs, il se destine plutôt à la publicité, secteur bien plus à la mode que les jeux à cette époque.
Néanmoins, après ces études, il entre chez Nintendo au moment où sort The Adventure of Linken 1988. Il passe son entretien d’embauche face à Shigeru Miyamoto, qui lui assure qu’il est dans la bonne société s’il veut explorer les mécanismes des automates.
Mais Eiji Aonuma est avant tout embauché pour faire du design sur les jeux de la société. Il s’occupe ainsi de dessiner les sprites de tous les personnages de Mario Open Golf sur NES.
Par ailleurs, il continue à jouer à des jeux d’aventures textuels qui peuvent faire penser à la série des « Livres dont vous êtes le héros », mais en version informatisée.
Au lieu d’aller à telle ou telle page selon la décision prise par le lecteur-joueur, il suffit d’appuyer sur la bonne touche pour voir les conséquences de la décision et poursuivre l’aventure.
Pas de skill, pas de martelage en rythme des touches, juste le plaisir de découvrir la suite de l’histoire et l’impression de participer activement à son développement.
Vous comprenez alors pourquoi Aonuma se contente parfaitement de dessiner des personnages dans une firme où le gameplay prime sur les autres aspects.
La révélation
En 1991, lorsque sort A Link to the Past, Nintendo donne une claque monumentale à tous les designers de jeux sur console. Le titre est une merveille dans le genre action-aventure et procure au joueur le réel sentiment d’explorer le monde et de participer à une aventure.
Aonuma y joue et y découvre un plaisir qu’il n’avait alors jamais ressenti dans le jeu vidéo. Ce volet reste aujourd’hui encore son Zelda favori et c’est en grande partie grâce à lui qu’il conceptualise son premier titre au sein de Nintendo : Marvelous, Mouhitotsu no Takarajima (littéralement : « L’Autre Île au trésor »).
Très inspiré par A Link to the Past, ce jeu d’aventure n’est malheureusement sorti qu’au Japon, en 1996 sur Super Nintendo. Il fait forte impression sur les joueurs de l’époque, qui y voient un héritier innovant.
Est-ce grâce à ce titre que Shigeru Miyamoto a inclus Eiji Aonuma dans l’équipe de développement de Zelda ? Sans doute. Mais il est aussi certain que durant la longue production d’Ocarina of Time, le maître avait besoin de plus de personnes pour travailler sur le premier épisode en 3D de la franchise.
Lorsqu’Aonuma rejoint l’équipe, la préproduction est quasiment achevée et il faut rapidement produire les contenus en jeu.
Par une certaine ironie du sort, lui qui n’avait pas réussi à battre les ennemis de Zelda I se voit confier le design des monstres et des donjons.
Il crée ainsi six donjons du début et du milieu de jeu, la majeure partie des ennemis et les différents combats contre les boss de fin de donjon. Si vous avez râlé dans le temple de l’Eau, vous pouvez désormais mettre un visage sur celui qui a en quelque sorte créé votre calvaire.
Récemment, pour la version 3DS d’Ocarina of Time, il a tenu à s’excuser pour la difficulté du donjon et a modifié légèrement le gameplay pour qu’il soit moins pénible.
Comme, à cette époque, les différents rôles ne sont pas encore strictement établis entre les personnes travaillant sur le jeu en raison de la taille relativement réduite des équipes, Eiji Aonuma dessine aussi les story-boards, vu qu’il a une formation en dessin et que, globalement, toutes les personnes sachant dessiner sont réquisitionnées pour donner un coup de main là-dessus.
C’est sans doute par le biais de ces story-boards qu’il parvient à insuffler les bribes d’une histoire dans chaque donjon. Le but n’est plus simplement de finir le donjon au plus vite pour passer au suivant.
En collaboration avec Koizumi, qui tient à la création de personnages secondaires convaincants, Aonuma donne une motivation réelle à la réussite de chaque donjon : secourir une princesse Zora, libérer un Goron…
À la satisfaction d’avoir tué les ennemis et vaincu le boss, s’ajoute donc celle d’avoir rendu service à différents peuples et de participer à la vie d’Hyrule. L’aspect épique d’Ocarina of Time est en partie lié à ces donjons et au parfait dosage entre difficulté et aventure.
Le défi
À la fin d’Ocarina of Time, Miyamoto avait demandé aux équipes de faire un Ura Zelda, version modifiée et plus difficile du jeu pour les fans aguerris.
Connue en Occident sous le nom de Master Quest, cette seconde version reprend le concept qui était déjà dans le premier Zelda. Mais simplement corser les énigmes des donjons n’intéresse pas Eiji Aonuma.
Face à ce qui pourrait passer pour de la fainéantise, Miyamoto décide de mettre au défi le jeune designer : s’il parvient à créer un nouveau Zelda en un temps très limité pour exploiter à nouveau le moteur d’Ocarina of Time, son jeu deviendra un épisode à part entière de la saga.
Comme la création du moteur de jeu avait pris plus de temps que prévu, ce défi, s’il était relevé, permettait d’avoir une suite rapide au premier Zelda à avoir atteint les sept millions d’exemplaires vendus.
Intronisé de ce fait director du second titre de la franchise sur Nintendo 64, Aonuma ne se démonte pas. Avec Koizumi et son équipe, il trouve le moyen de tenir les délais et de proposer une formule innovante : Majora’s Mask se déroule dans un monde parallèle où il faut parvenir à changer le cours des événements en soixante-douze heures pour éviter la destruction de cet univers.
Ce temps limité et le stress qu’il génère donnent au titre une saveur très différente de celle des autres Zelda. Compact et profond, le gameplay bien rodé donne la part belle aux minijeux et à l’exploration.
En 2003, Eiji Aonuma devient producer de Four Swords, titre multijoueur livré avec le remake d’A Link to the Past sur Game Boy Advance. En dehors de son amour pour le scénario, il aime les gameplays permettant aux joueurs d’agir en coopération.
Cette tendance se retrouve ensuite dans tous les titres où Link peut être contrôlé alternativement avec un autre personnage : les sages par le biais de l’Air du Marionnettiste dans The Wind Waker, le Goron dans Phantom Hourglass, Zelda dans Spirit Tracks…
De même qu’il y a une touche Miyamoto dans les premiers Zelda et une forte influence de Koizumi dans les suivants, on peut dire qu’il y a une touche Aonuma dans certains types de gameplay et d’énigmes.
Comme Miyamoto, Eiji Aonuma est un fan de musique. Si le premier joue de la guitare, le second joue des percussions au sein de l’orchestre composé des employés de Nintendo : les Wind Wakers.
Est-ce pour cela que les multiples versions de Link dans le premier Zelda réalisé par Aonuma peuvent jouer d’instruments différents, dont la guitare et la batterie ?
Gardien du temple
À partir de Wind Waker, Aonuma et Miyamoto supervisent en tandem la création des Zelda. Si le premier gère plus directement les équipes chargées de la production, il se réfère toujours au second comme super producer de la série.
Il explique ainsi lors d’une conférence le mode de fonctionnement particulier de Shigeru Miyamoto, qui a tendance à « renverser la table à thé ».
L’expression fait référence à une scène de manga où un père frappe violemment le fils qui renverse la table basse où est disposé le repas. Il faut alors cuisiner de nouveaux plats pour satisfaire le père en colère.
Concrètement, il arrive fréquemment à Miyamoto de chambouler totalement la production pour modifier des éléments clefs, obligeant ainsi les équipes à revoir plus ou moins intégralement leur copie.
Par exemple, dans Ocarina of Time, il a exigé un Link enfant. Avec le temps, Eiji Aonuma parvient à intégrer les critères de Miyamoto et fait faire les modifications nécessaires pour éviter de voir la table à thé se renverser.
L’attitude du game designer star de Nintendo peut sembler abrupte, mais Miyamoto est loin d’être simplement une force disruptive. Aonuma avoue que celui-ci parvient toujours à mettre le doigt sur des points importants pour améliorer l’expérience de jeu.
Il faut donc que les jeux puissent passer le « test Miyamoto » pour sortir sur le marché. Comme celui-ci a de moins en moins de temps et doit aussi superviser d’autres titres, les membres des premières équipes de Zelda ont dû apprendre à travailler avec beaucoup plus de collaborateurs.
Suivant les préceptes de Miyamoto, Aonuma applique à chaque titre la phrase clef du maître : « Zelda est un jeu qui privilégie la réalité sur le réalisme. »
En termes plus clairs, les équipes ne cherchent pas à faire un monde photoréaliste, mais vraisemblable. C’est pourquoi le cel-shading a été adopté à plusieurs reprises et c’est aussi pour cette raison que Link reste un enfant qui découvre le monde et le sauve.
Malheureusement, le marché du jeu vidéo japonais étant en perte de vitesse, Nintendo doit de plus en plus tenir compte des desiderata des marchés occidentaux, surtout américain.
Les versions adultes de Link dans Twilight Princess et Skyward Sword ont été faites précisément pour plaire à ce public qui n’a visiblement pas l’imagination suffisante pour se projeter dans la peau d’un enfant de douze ans. Jusqu’à présent, Link reste un héros au design très stylisé.
Espérons que le prochain jeu sur Wii remporte un franc succès pour que les équipes d’Aonuma puissent avoir de nouveau la liberté de faire des jeux à l’esthétique originale. Il serait dommage de voir Link faire lui aussi du body building pour devenir le héros occidental de base.
Trouver sa recette
Placé dans une situation peu enviable entre les équipes de production et le maître, devant répondre à la fois aux attentes du marketing américain et respecter l’univers fantaisiste de Miyamoto, Aonuma est sans cesse contraint de trouver sa propre recette.
Grand amateur de cuisine, il utilise d’ailleurs une métaphore culinaire pour parler de la création d’un Zelda :
« Lorsque vous faites un bouillon avec beaucoup d’ingrédients, il y a toujours des impuretés qui flottent et qu’il faut enlever pour avoir un liquide clair ».
Selon Aonuma, il en est de même avec la production d’un jeu vidéo, où l’on met ensemble différentes sensibilités et compétences. À la fin, il faut toujours enlever les scories pour livrer le meilleur titre possible.
Malheureusement, il est difficile d’obéir à des ordres contradictoires, d’autant plus quand une même personne supervise deux titres en parallèle sur deux machines différentes.
Pour maintenir le rythme assez soutenu de sorties des Zelda, Aonuma passe en effet du développement sur DS au développement sur Wii. Twilight Princess a été développé en même temps que Phantom Hourglass et Spirit Tracks, en parallèle avec Skyward Sword.
Tout repose désormais sur ce dernier titre et nous espérons qu’Aonuma est parvenu à trouver une nouvelle recette pour Zelda afin de faire écho au petit garçon émerveillé qui reste au fond de chaque gamer.
NB : Musique !
Comme Shigeru Miyamoto, Eiji Aonuma est un fan de musique. Si le premier joue de la guitare, le second joue des percussions au sein de l’orchestre composé des employés de Nintendo : les Wind Wakers. Est-ce pour cela que les multiples versions de Link dans le premier Zelda réalisé par Aonuma peuvent jouer d’instruments différents, dont la guitare et la batterie ?
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