Fruits basket est le shôjo manga qui a tenu en haleine le public pendant près de cinq ans. Cinq anées à attendre fébrilement la parution du nouveau numéro chez son libraire préféré. Cinq ans d’interrogations sur la malédiction des Sôma et sur la relation amoureuse entre Kyo et Tohru. Revenons sur les ingrédients de ce fameux « panier de fruits » créé par Natsumi Takaya.
Au premier coup d’œil, la série ne révolutionne pas le genre du shôjo manga avec son héroïne naïve au sourire si stupide qu’on a envie de la baffer. On y retrouve les traditionnels quiproquos et multiples relations amoureuses enchevêtrées ainsi que la description de la vie quotidienne de lycéens.
D’un point de vue graphique, Natsumi Takaya reste fidèle au canon de beauté shôjo : mentons pointus et yeux exorbitant, corps longilignes et troupe de beaux jeunes hommes.
Alors comment expliquer que Fruits basket soit tiré à plus de 60 000 exemplaires et qu’il parvient à passionner les lecteurs des deux sexes ?
Tout simplement parce que la finesse de la psychologie et la maîtrise du scénario rendent les personnages incroyablement attachants et réalistes malgré les outrances comiques. Les multiples récompenses remportées par le manga et son adaptation animée sont plus que méritées.
Lire le manga ou regarder la série animée de Fruits Basket est aussi bon que de savourer un pot de glace au fond du canapé : réconfortant, froid mais sucré, avec plein de pépites de chocolat ou d’éclat de noix pour varier les plaisirs gustatifs.
Cocktail d’humour et de tragédie
L’intrigue débute avec l’arrivée de Tohru Honda, jeune orpheline, dans la maison de Shigure Sôma. Celui-ci héberge aussi deux autres garçons, Kyo et Yuki, qui sont dans le même lycée qu’elle. En échange d’un toit où vivre, elle s’engage à s’occuper de toutes les tâches ménagères.
Rapidement notre fée du logis se rend compte que ses colocataires ne sont pas tout à fait normaux. Frappés par une malédiction, ils se transforment en animaux du zodiaque chinois lorsqu’ils touchent une personne du sexe opposé. Shigure se métamorphose en chien, Kyo en chat et Yuki en souris.
Pas très pratique lorsqu’on veut débuter une relation amoureuse ! Mais ô combien efficace pour faire travailler les zygomatiques du lecteur/spectateur !
La première visite des amies de Tohru à son nouveau domicile est à mourir de rire. Les gaffes et les transformations se succèdent dans un crescendo désopilant particulièrement réussi.
Dans la série animée, le côté loufoque de l’intrigue est accentué par l’intervention intempestive de personnage comme la tenancière de l’établissement de bain.
La nouvelle vie de l’orpheline est rythmée par ses cours, son travail en tant que femme de ménage après le lycée, et surtout par les rencontres avec les membres de la famille Sôma.
Les 12 sont liés par la malédiction à un personnage que l’on voit peu : Akito. Il est en quelque sorte le dieu de la légende du zodiaque. Il semble prendre un malin plaisir à torturer physiquement et psychiquement les autres membres des 12. Il les empêche de nouer des relations amoureuses ou même amicales avec autrui afin de les garder sous son contrôle.
La naïveté de Tohru lui permet de franchir toutes les barrières sociales et psychiques. Elle est exceptionnelle dans le sens où elle ne juge jamais son interlocuteur. Elle écoute les gens et cherche à faire ressortir le meilleur d’eux-mêmes.
Elle sert de catalyseur pour que les sentiments les plus purs puissent s’exprimer. À son contact Yuki, Kyo et Shigure apprennent à vivre plus paisiblement et à affronter le monde. Les autres signes du zodiaque viennent à elle un à un et change aussi leur façon de vivre de manière plus ou moins imperceptible.
Au lieu de mettre en avant les relations amoureuses, Takaya propose ainsi une description de la vie quotidienne japonaise émaillée de festivités qui sont l’occasion de réunion de famille : jour de l’an, saint valentin et white day, vacances.
Par le biais de son héroïne, elle permet aux 12 comme au lecteur de faire une thérapie de groupe tout en douceur.
L’émotion à fleur de page
Dans le cadre irréel de la légende du zodiaque, l’auteur traite de véritables problèmes psychologiques dans Fruits basket. La malédiction des Sôma s’apparente à une maladie que seule Tohru peut guérir.
Tous les membres de ce clan se sont renfermés sur eux-mêmes par peur des autres : angoisse d’être délaissé par les gens que l’on apprécie, d’être blessé ou d’être bafoué lorsqu’on cherche l’amour.
Les parents d’enfants touchés par la malédiction ont tendance à les surprotéger ou au contraire à les rejeter. Dans les deux cas, la relation est pervertie et il faudra du temps avant que les parents et les enfants guérissent.
Les 12 signes sont ainsi tous plus ou moins traumatisés et les plus joyeux sont en réalité les plus touchés. Mais ces blessures ne sont ni embellies de manière romantique, ni prétexte à une quelconque vengeance. C’est avec pudeur et sensibilité que les problèmes sont posés.
Par exemple, Kisa le tigre est devenue aphone car sa peine était si grande que les mots sont restés enfermés dans son cœur. Par honte d’être faible et de décevoir, elle n’a pas avoué à ses parents qu’elle était persécutée à l’école.
Grâce à la dévotion de Tohru, elle retrouvera la parole. Mais, contrairement à ce que pense initialement Hiro le mouton, Tohru n’a ni super pouvoir ni une intelligence supérieure. Elle est tout simple foncièrement gentille.
Momiji la compare au héros du Plus stupide voyageur du monde(épisode 11). Dans ce conte, un voyageur se fait berner et offre tout ce qu’il possède à des villageois. Comme il est nu, il voyage dans une forêt où là encore il est trompé par les monstres qui y vivent. Il donne ses bras, ses jambes et finit par n’avoir plus que la tête. Il offre ses yeux à un monstre qui lui laisse en cadeau un papier où il y a écrit « stupide ».
Le voyageur reconnaissant pleure avant de mourir heureux. C’était la première fois qu’on lui faisait un cadeau. Comme ce voyageur, Tohru ne se ménage pas et donne sans compter. Peu importe les pertes et les souffrances, elle restera toujours souriante.
Lorsque vous avez des problèmes, on vous dit souvent que le plus important est de s’aimer soi-même car, si on ne s’apprécie pas, les autres ne peuvent pas vous estimer à votre juste valeur.
À cela Yuki réplique qu’il est difficile de se juger positivement car on connaît surtout ses propres défauts. Pour guérir il faut que quelqu’un vienne dire quelles sont ses qualités.
C’est pourquoi la présence de Tohru sert de thérapie à tous les Sôma. Les mots d’encouragements de Tohru aident chacun à être plus fort et à faire des efforts en ce sens tous les jours.
C’est ainsi que Yuki apprend à ne plus être indifférent de peur d’être meurtri. De jour en jour, il prend des responsabilités auprès de ses camarades de classe et accepte de se mettre en avant.
Kyo comprend que la colère contre le rat n’est qu’un dérivatif pour ne pas résoudre le vrai problème. Comme son père, il est tourmenté et rejette son anxiété sur les autres, sans que cela l’aide à se sentir mieux. Grâce à son amour pour Tohru, il parvient à surpasser ses problèmes.
Fruits basket propose non seulement une intrigue divertissante pleine d’humour mais aussi et surtout une leçon de savoir-vivre. Peu importe que son graphisme ne soit pas très esthétique, sa mise en scène et la vie de ses personnages emportent l’adhésion d’un large public de tous les sexes et de tous les âges.
Au début la série ne devait faire que 6 chapitres. Takaya avait aussi une autre version de 12 chapitres, mais elle pensait que la série ne marcherait pas autant. Actuellement, les 23 volumes concluent une partie de sa vie d’auteur.
En France, il faudra attendre la fin de l’année pour savourer le dernier volume. Espérons que sa prochaine série soit tout aussi envoûtante car le vide laissé par la fin de Fruits Basket va être difficile à combler.
English title
Le choix d’un titre anglais pour un manga bien japonais peut surprendre. Cela s’explique par le fait que les lecteurs Japonais les retiennent facilement et qu’il n’y a pas d’ambiguïté au niveau de la prononciation.
De plus, ce titre a une signification que l’on peut retrouver dans le manga : le fruits basket correspond à un jeu où chacun est désigné par un nom de fruit. Tohru en a été écartée car les autres l’ont appelée onigiri (boule de riz).
Les 13 signes du zodiaque
Il y a plusieurs versions de la légende expliquant l’origine des signes du zodiaque asiatique. Dans le récit chinois le plus connu, l’empereur de Jade (chef des dieux) avait convié les animaux à une course. L’ordre d’arrivée déterminerait celui des animaux dans le zodiaque.
Le buffle, qui se savait très lent, s’était mis en chemin très tôt le matin. Il aurait dû être le premier arrivé mais le rat, plus malin, s’était placé sur sa tête. Non seulement, il n’a pas eu à courir, mais en plus il a sauté à terre pour arriver juste avant le buffle.
Le rat a également trompé le chat en lui donnant une fausse date pour la course. Depuis ce jour, rat et chat sont ennemis. Dans le zodiaque vietnamien, le chat est réintégré parmi les 12 : il y remplace le lapin.
Dans Fruits Basket, l’auteure reprend tous les signes du zodiaque et même le personnage de l’empereur de Jade : rat (Yuki), buffle (Hatsuharu), tigre (Kisa), lapin (Momiji), dragon (Hatori), serpent (Ayame), cheval (Rin), chèvre (Hiro), singe (Ritsu), coq (Kureno), chien (Shigure), cochon (Kagura), chat (Kyo), l’empereur de Jade (Akito).
Pour des raisons esthétiques, Takaya a pris quelques libertés dans la représentation des animaux du zodiaque. Ainsi le buffle est devenu une vache blanche tachetée de noire, plus digne de figurer dans un boccage de Normandie qu’au Japon.
Le cochon devient un sanglier, la chèvre un mouton et le dragon se transforme en hippocampe ! D’où une grande interrogation : doit-on le plonger dans l’eau courante ou dans l’eau de mer ?!
Quant au coq, on ne le verra jamais sous sa forme animale car sa malédiction a été levée. On sait juste que Takaya avait pensé à le représenter sous la forme d’un moineau.
Un gars ou une fille ?
Natsumi Takaya adore visiblement les personnages androgynes et les travestis. Est-ce un goût qui lui vient de séries des années 70 comme Les Roses de Versailles / Lady Oscar ?
Elle émaille son manga de situation et de personnages cocasses qui brouillent l’identité de genre. Ainsi Yuki se travestit en fille à l’occasion d’une fête au lycée. Momiji arbore un costume de fille au lieu de l’uniforme scolaire de garçon.
Cela crée bien des problèmes mais il est si mignon dans cet habit que les autres finissent par le laisser faire. Ayame s’habille en femme pour les besoins de sa boutique de costumes. Yuki le surprend notamment dans une robe de mariée. Ritsu est toujours habillée en femme alors que c’est un homme, d’où de multiples gags étant donné que l’épisode se situe dans un établissement de bains.
Enfin, Akito est une femme travestie en homme par sa mère. Dès le début, Takaya avait prévu de faire d’Akito une femme, mais ce n’est qu’au 17e volume que le lecteur apprend la véritable identité de cet énigmatique personnage et les relations qui le lient aux hommes de la famille Sôma.