Qu’est-ce qui relie Ghost in the Shell, les araignées et les robots modernes ? Le biomimétisme, c’est-à-dire un design technologique inspiré par la nature. Voici comment un créateur de manga a devancé les sociétés de production de robots.
La plupart des séries de science-fiction occidentales font preuve de paresse en optant pour le photo-réalisme et la légère modification d’objet existant.
La seule différence entre les chars de la Seconde Guerre mondiale et ceux du futur semble résider dans la vitesse et la puissance de tir. Mais le design reste globalement inchangé.
A l’inverse, l’univers de Ghost in the Shell fourmille d’invention graphique et de design ingénieux pour les armes et les véhicules du futur.
L’exemple le plus frappant est le Tachikoma, tank intelligent en forme d’araignée.
En un sens, Masamune Shirow a fait du biomimétisme avant que ce soit à la mode.
Biomimétisme et reproduction du vivant
Qu’est-ce que le biomimétisme (biomimicry en anglais) ? Il s’agit de s’inspirer de la forme des animaux et des végétaux pour accomplir une tâche définie. Autrement dit, transposer les compétences des êtres vivants dans le domaine de la technologie.
L’avant du Shinkansen (TGV japonais) est ainsi inspiré par le bec du martin-pêcheur pour limiter la friction, augmenter la vitesse et diminuer le bruit.
L’oiseau est particulièrement efficace pour plonger dans l’eau et ressortir en faisant le moins de remous possible.
L’ingénieur Eiji Nakatsu s’est également inspiré des plumes de hibou, chasseur nocturne très silencieux pour réduire l’impact sonore des Shinkansen de la série 500.
En natation, les tissus technologiques et le design spécifique de combinaison réduisent le frottement et l’absorption de l’eau pour augmenter l’hydrodynamisme du nageur.
Plus de 130 records du monde de natation ont été battus entre 2008 et 2009 grâce à l’utilisation de ce type de maillots de bain de haute technologie.
Mais quel est le rapport avec Ghost in the Shell ? C’est simple, le créateur du manga s’est inspiré des animaux et des insectes pour le design de tous les engins mis en image dans cette série de science-fiction.
Les tanks araignées
Les tanks intelligents de Ghost in the Shell sont inspirés par la forme des araignées sauteuses.
Au lieu d’être un mini camion sur des chenilles mécaniques, ces chars d’assaut individuel sont la combinaison parfaite entre un exosquelette et d’un blindé.
Dans le manga, ils sont nommés Fuchikoma et ils servent à la fois de véhicule de combat et de robots garde du corps servant de support logistique pour les humains et les cyborgs.
Leur camouflage thermoptique est similaire à celui du Major Kusanagi, héroïne de la série.
Comme les araignées, le corps est divisé en deux sections. La partie antérieure est pourvue de huit pattes dont deux plus petites qui servent d’équivalent de mains humaines.
Les pattes les plus longues servent de « jambes ». Elles possèdent des roues rétractables et trois doigts/ongles à la manière des rhinocéros.
La partie postérieure est le réceptacle où se loge le pilote humain/cyborg. Celui-ci est à moitié accroupi ou allongé selon le type de tank.
Chez les araignées, cette partie sert à la production de soie. Certaines espèces s’en servent pour tisser des toiles, mais d’autres l’utilisent en lasso pour attraper les proies à distance ou en parachute pour se déplacer plus loin.
Dans le manga, la soie est remplacée par des câbles servant à se déplacer en hauteur.
Cette caractéristique est notamment mise en valeur dans la série Ghost in the Shell Stand Alone Complex 2nd Gig.
Le tank de l’héroïne, un Tachikoma, retient un hélicoptère avec son « fil de soie » le temps nécessaire pour qu’un sniper se débarrasse de l’agent humain qui le pilote.
En fait, l’idée d’un blindé en forme d’araignée était déjà là dans Appleseed mais le design semblait beaucoup plus massif.
Il fait plutôt penser au tank arachnéen géant apparaissant à la fin du film Ghost in the Shell de Mamoru Oshii.
Tachikoma et esprit de corps
Dans la série Ghost in the Shell Stand Alone Complex (GITS SAC), les chars arthropodes sont nommés Tachikoma (suite à un problème de droits).
Ils sont dotés d’une IA et d’une personnalité juvénile qui se perçoit dans la voie enfantine avec laquelle ils s’expriment.
Comme dans le manga, il y a des allusions comiques à la révolte des robots et aux récits d’Isaac Asimov.
A la fin de chaque épisode, des mini séquences humoristiques mettent en scène les Tachikomas. Certaines parodient les documentaires animaliers.
Plus qu’une simple arme de destruction massive, les Tachikomas sont des IA.
Ils se synchronisent régulièrement et partagent donc leur « souvenirs » afin d’accroître l’apprentissage automatique.
Ces personnages sont incroyablement attachants et leur personnalité candide sert de contrepoint à l’intrigue parfois un peu enchevêtrée.
Au fil des épisodes, les Tachikomas développent une personnalité et en viennent à devenir autonomes et « conscients ».
À la fin de la première saison, ils se sacrifient pour sauver le Major Kusanagi et Batō.
Dans la seconde, ils sauvent le Japon d’une attaque nucléaire en renonçant à leur conscience.
Ainsi le tank araignée fait preuve d’esprit de corps, d’une incroyable loyauté envers leur pilote.
Dans les autres séries Ghost in the Shell, les chars arthropodes sont dotés d’autres atouts et de noms différents :
- Fuchikoma dans le manga
- Logikoma dans GITS Arise
- Tachikoma dans GITS SAC
- Uchikoma dans GITS SAC 2nd GIG
Mais dans tous les cas le design arachnéen est conservé afin d’en faire des véhicules-robots rapides, maniables et résistants même dans les combats urbains.
Logikoma dans GITS Arise Tachikoma de GITS SAC 2045
Pour le moment, aucune armée ne semble prête à investir dans les blindés araignées à passager unique.
En revanche, certaines sociétés proposent des robots quadrupèdes pour servir de soutien logistique à la manière des Logikoma (mais en moins sympa).
D’autres entreprises comme Festo présentent des modèles de robots araignées qui à défaut de voltiger avec un fil de soie, sont capable de rouler sur eux-mêmes.
Guêpes miniatures et géantes
Outre les araignées, Masamune Shirow voue une passion pour les hyménoptères : abeilles, guêpes et autres insectes volants.
Dans les notes de design qu’il a produite pour sa série Appleseed, on trouve de nombreux exosquelettes ailés. Ces idées sont rassemblées dans le Appleseed Data Book et Appleseed Hypernotes.
Design de tank abeille dans Appleseed Design de tank libellule dans Appleseed Design de tank insecte dans Appleseed
Dans Ghost in the Shell, la même obsession pour les guêpes se retrouve dans un chapitre du volume 1.5. Il s’agit de robots miniatures servant de soutien et permettant d’accéder à des espaces restreint.
L’idée peut sembler farfelu dans les années 1990, mais aujourd’hui des sociétés construisent des robots abeilles afin de polliniser les plantes, tandis que d’autres entreprises proposent des robots papillons en guise de démo techniques.
Cette idée de robots abeille apparaît aussi dans un épisode de Black Mirror.
Après la fin du manga Ghost in the Shell, Masamune Shirow avait imaginé un univers où ces insectes deviennent l’espèce dominante : Neuro Hard.
À lire : Qui est Masamune Shirow ?
Là encore de nombreux croquis et de longues explications nous montrent que l’auteur se passionne pour le monde des insectes.
Malheureusement, les insectes ne semblent pas passionner son lectorat quand bien même il ajoute de jolies femmes dans les images.
Dans GITS SAC, les guêpes apparaissent sous la forme d’hélicoptère dès le second épisode.
L’épisode 4 de GITS SAC 2nd GIG met en scène un combat entre les tanks araignées et des hélicoptères anti-chars dénommés Jigabachi.
Il s’agit d’une référence à un type de guêpe qui ont les araignées pour proies. C’est pourquoi le titre de l’épisode est « ennemi naturel ».
L’hélicoptère Jigabachi a la particularité d’avoir une partie postérieure mobile qui peut se replier comme lorsque l’insecte s’apprête à piquer son ennemi.
Le dard venimeux est remplacé par une mitrailleuse anti-char.
Autres insectes et formes animales
Outre les araignées et les hyménoptères, d’autres insectes font leur apparition dans Ghost in the Shell.
Ainsi, l’épisode 2 de GITS SAC est consacré à un tank intelligent en forme de scorpion qui se retourne contre l’armée.
Tank scorpion dans GITS SAC Tank scorpion dans GITS SAC
S’agit-il d’un piratage terroriste ou d’autre chose ? Je ne vous dirais rien là-dessus, mais le mecha est très impressionnant selon les Tachikoma qui l’escortent.
Dans le manga de Masamune Shirow, les engins aquatiques reprennent les formes des mammifères marins.
Les baleines inspirent les sous-marins et les engins de propulsion rapide.
Dans les adaptations animées, ces engins sont peu présents sauf dans le film GITS Innocence où l’on voit divers navires arborant des « nageoires » et un véhicule sous-marin à propulsion rapide.
Dans le monde réel, le biomimétisme des animaux marins est bien plus courant que l’imitation des insectes pour les véhicules militaires.
Outre les combinaisons de natation et de plongée qui limite la friction à la manière de la peau de requin, des robots en forme de dauphin sont en cours de production.
En fait, les militaires ont pendant longtemps tenté de dresser les mammifères marins pour détecter ou installer des mines sous-marines.
A priori, les armées tentent actuellement de faire des robots dauphin pour ce type de tâches.
Dès la fin des années 1980, la série Ghost in the Shell met ainsi en image de nombreuses idées innovantes qui sont aujourd’hui concrétiser par des sociétés de robotiques.
En dehors de ces nombreux designs biomimétiques, Masamune Shirow tient tout de même à rendre hommage aux maîtres de la science-fiction.
Il fait un clin d’œil au professeur Jameson et son design minimaliste de boîte sur pattes.
Il s’agit du héros d’une série de romans de science-fiction créée par Neil R. Jones (1909 – 1988).
Le premier récit publié en 1931 relate les aventures d’un humain dont le cerveau est transféré dans une machine par des extraterrestres.
Le roman a été traduit en Japonais et les illustrations ont suffisamment impressionné Masamune Shirow pour qu’il en fasse le design d’un PDG de société spécialisée dans la production d’organes pour les transplantations.
Le contraste humoristique entre la boîte contenant le cerveau et le business consistant à faire pousser des organes humains compatibles dans des cochons est frappant.
Comme quoi, le design innovant n’est pas toujours utile pour faire un personnage intéressant. Mais ça aide grandement à rêver le futur.
Et si vous avez lu jusqu’ici et apprécié l’article, soutenez ce blog en m’offrant un café 🙂