Lorsqu’il était jeune, Kafka Hibino rêvait de nettoyer le monde des Kaiju, monstres géants qui envahissent régulièrement le Japon. Mais il ne s’attendait pas à le faire littéralement… en tant qu’agent de propreté urbaine débarrassant les rues des carcasses éventrées par les troupes d’élites humaines.
Voici comment Kaiju n°8 embarque le lecteur dans une version humoristique des super héros japonais.
2019-2020 est une période charnière pour le manga japonais. Plusieurs séries à succès s’achèvent et les éditeurs comme les lecteurs se demandent ce qui va les remplacer. Parmi elles, on compte :
- L’Attaque des titans / Shingeki no Kyojin (2009-2020, 31 volumes)
- Food Wars! / Shokugeki no Soma (2012-2019, 36 volumes)
- Demon Slayer / Kimetsu no Yaiba (2016-2020, 21 volumes)
- The Promised Neverland (2016-2020, 20 volumes)
- Haikyû !! (2012-2020, 33 volumes)
Parmi les séries qui débutent en 2020, Kaiju n°8 est l’une des plus drôles et intéressantes à suivre. Publié par Shueisha dans le Shonen Jump, le manga se distingue des autres récits par son héros inhabituel.
Un récit de Kaiju ?
Les trois premières pages en couleurs de Kaiju n°8 montrent à la fois la dextérité graphique de l’artiste et posent le cadre du récit de science-fiction.
Dans le récitatif, le Japon est présenté comme le pays des Kaiju tandis qu’en image on voit une sorte de Godzilla.
Il faut préciser que le terme kaiju, désignant des monstres géants, a été popularisé par le film de Ishirō Honda en1954.
Godzilla (ou Gojira en japonais) était initialement conçu comme une version japonaise des films à effets spéciaux où King Kong est remplacé par une créature reptilienne.
Suite au succès de Godzilla, le genre des tokusatsu (films à effets spéciaux) était lancé et il a donné des productions aussi spécifiques à la SF japonaise que le henshin hero (héros qui se transforme), kyodai hero (personnage ou robot devenant géant) et les super sentai, séries télévisées pour enfants comme Ultraman et Bioman.
Depuis lors, les Américains ont repris le concept en série avec Power Rangers et en film avec Pacific Rim (2013).
Les références au genre sont donc évidentes dès les premières planches.
On peut s’attendre à des affrontements épiques contre des monstres géants, des héros en tenue moulante qui se transforment pour aller au combat.
Mais ce serait trop simple.
La dernière page en couleurs met en parallèle une silhouette féminine en tenue de combat et un personnage masculin regardant la scène de loin avec des jumelles.
Cela introduit un premier élément inattendu qui donne envie d’en savoir plus.
D’habitude, le héros de shônen manga est un jeune garçon qui combat les monstres et non un spectateur.
En l’occurrence la double page suivante sert à confirmer le renversement des attentes.
Le personnage masculin observe de loin avec d’autres hommes à moitié endormi pendant que la jeune femme est acclamée par le public pour avoir tué le monstre.
Plus encore, à la page 6, on découvre que le héros est « vieux ».
Kafka Hibino a 32 ans au lieu d’être l’habituel adolescent en cours de formation.
Tandis que la jeune femme est un soldat d’élite, il combat surtout la saleté et les déchets organiques de kaiju.
Ce rôle de looser est accentué par le fait qu’on lui ordonne surtout de nettoyer les intestins du monstre.
Après une journée dans les excréments, il s’endort devant la télévision où un reportage présente le protagoniste féminin de manière élogieuse : Mina Ashiro, 27 ans.
Des cases nous montrent les souvenirs du héros. Kafka et Mina étaient amis et ils s’étaient promis de lutter ensemble contre les kaiju.
Le tout sert à renforcer l’idée que le héros est un raté qui essaie de se consoler en se disant qu’il vit dans un joli appartement.
Le cadrage large nous montrant les cannettes de bière vides et les emballages de nouilles instantanées contredisent ses propos.
Buddy movie ?
Le lendemain et la double page suivante introduisent un nouveau personnage qui semble changer le genre du manga.
Kafka a un nouveau collègue, Reno Ichikawa. Le jeune homme de 18 ans est tout son contraire.
Mince, chevelure claire, déterminé à entrer dans l’armée, Reno est l’archétype du héros persévérant.
Il n’a que mépris pour Kafka qui a abandonné ses rêves.
Le duo de personnage au caractère opposé obligé de travailler ensemble rappelle les buddy movies.
Comme dans L’Arme Fatale, Die Hard ou Bad Boys, on peut s’attendre à ce que les protagonistes apprennent à s’apprécier après des débuts difficiles.
En l’occurrence, après une journée dans les intestins de kaiju, Reno annonce que la limite d’âge a changé et que Kafka peut toujours s’engager dans l’armée.
Mais cette bonne nouvelle n’est que de courte durée.
Un monstre surgit de nulle part et manque de manger Reno. Kafka le sauve in extremis et lui ordonne de fuir car il a plus de chance d’entrer dans l’armée que lui.
Seul face au Kaiju, il s’attend à mourir en revoyant sa courte vie défiler sous ses yeux. Il se remémore avoir mis Mina au défi d’être un meilleur officier que lui.
Cela pourrait être la fin mais non. Reno revient pour défendre Kafka qui se lamente sur le fait d’être un raté.
Au moment, où tout semble perdu l’armée intervient. L’équipe de Mina désintègre le monstre montrant une fois de plus la différence de talent au combat entre les personnages.
Kafka se retrouve alors à l’hôpital à côté de Reno qui l’encourage à repasser les tests pour intégrer l’armée.
Au moment, où le héros semble retrouver la foi et entamer une tirade un peu stéréotypée sur le fait de ne jamais perdre espoir, un dernier renversement de situation se produit.
Un monstre apparaît et s’introduit dans la bouche de Kafka le faisant taire.
Lorsque Reno lui demande ce qui se passe, il découvre un kaiju à la place de son collègue. La scène d’étonnement est hilarante et le chapitre s’achève ainsi sur cet ultime détournement des attentes.
La trame de buddy moviemontre donc comment un duo humain et kaiju doit échapper à l’extermination par l’armée.
Le prénom du héros prend alors tout son sens.
Franz Kafka est un écrivain connu pour sa nouvelle intitulée La Métamorphose (1915) dans laquelle un personnage d’employé un peu raté se transforme un matin en cafard.
Heureusement, Naoya Matsumoto nous propose une version bien plus réjouissante du héros à transformation.
Les chapitres suivants approfondissent le passé de Kafka et le duo comique entre Kafka et Reno fonctionne à merveilles pour rendre le récit de henshin hero plus intéressant.
Pour le moment, il n’y a que peu de chapitres étant donné que le manga a débuté cet été 2020. Mais je trouve l’ensemble vraiment très plaisant à suivre. (Je lis les chapitres hebdomadaires sur l’application Shonen Jump, et non, je ne suis pas sponsorisée).
Naoya Matsumoto avait précédemment publié Pochi et Kuro (2014-2015, 4 tomes) en version française chez Kazé.
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