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Incipit Haikyu : Mon meilleur ennemi

En quoi le premier chapitre de Haikyū!! joue sur les stéréotypes des mangas de sport et renouvelle le genre du supokon ? Voici comment Haruichi Furudate utilise le thème du meilleur ennemi dans cette série consacrée au volley-ball.

La première page est un condensé efficace qui résume les règles du sport à travers les pensées du héros : en trois passes, il faut renvoyer le ballon dans le camp adverse.

Mais entre les équipes se dresse le « mur immense ». Pour percevoir la « vue du sommet », il faut que le héros soit bien entouré car il ne peut y parvenir seul.

En une planche la quête est ainsi posée : former une équipe pour gagner. L’insistance sur la hauteur est d’autant plus importante que le héros est très petit.

C’est normalement un handicap pour contrer les attaques des adversaires. Mais ce défaut est également ce qui rend le héros « accessible » car, comme tout le monde, il a des difficultés à surmonter.

Pour vraiment apprécier Haikyū!! (ハイキュー!!), il faut néanmoins faire un détour historique sur le supokon.

Haikyū!! (ハイキュー!!)

Le quoi ? Le genre spécifique au Japon du manga de sport désigné par une expression qui mêle “sport comics” ou “Supōtsu Komikkusu” et les termes konjo-kei « motivation, dépassement de soi ». En abrégé supokon.

Supokon kesako

Extrêmement populaires dans les années 1950-60, ces mangas de sports sont des variations sur le récit de formation. Ils mettent l’accent sur le travail acharné et l’intensité des entraînements. La détermination morale des jeunes héros correspond à celle dont doivent faire preuve les citoyens japonais pendant la reconstruction durant l’après-guerre.

Haikyū!! (ハイキュー!!) I can fly

Le héros est souvent dans la même situation d’ignorance que le lecteur au début du manga. Il découvre le sport dans lequel il va exceller au fil des chapitres. Cette position extérieure au monde sportif est souvent renforcée par une marginalité sociale. Le héros d’Ashita no Joe (1968-1973) est un orphelin bagarreur, et modèle typique des nombreux voyous disciplinés par une pratique sportive.

Même si le héros possède des qualités athlétiques exceptionnelles, il doit passer par une série d’entrainements et d’affrontements sportifs avant de devenir un véritable champion. Rite de passage, le tournoi permet au héros de se forger une nouvelle identité.

Haikyū!! (ハイキュー!!) manga

Ces récits reposent sur trois thèmes principaux : le développement d’un talent exceptionnel, un entraînement intensif et un entraîneur peu orthodoxe. L’auteur le plus représentatif est Takamori Asao (1936–1987), créateur de séries comme Kyojin no Hoshi (1966-1971) et Ashita no Jo (1968-1973). 

Le supokon évolue pour s’adapter au public moins enclin à suivre les ordres d’un entraineur sadique. Désormais l’accent est mis sur le travail collectif comme dans Slam Dunk (1990-1996). Si le konjo est conservé, la figure de l’entraineur tortionnaire disparaît au profit d’une célébration de l’émulation entre joueurs.

Frenemies kesako

Dans les supokon les plus anciens, l’émulation passe par la figure du rival que le héros doit absolument vaincre mais qu’il respecte et admire. Ce meilleur ennemi ou en anglais frenemy (friend « ami » + enemy « ennemi ») est généralement très apprécié par les lecteurs eux-mêmes.

Ainsi le personnage de Tōru Rikiishi, rival du héros d’Ashita no Jo a bénéficié d’un office funéraire le 24 mars 1970 dans les bureaux de l’éditeur Kodansha à Tokyo. Plus de 700 personnes se seraient déplacées pour rendre hommage au personnage décédé et un moine bouddhiste a même récité des prières pour le mort.

Dans Olive et Tom (Captain Tsubasa), le premier frenemy d’Olivier Atton (Tsubasa Ozora) est le gardien de but Thomas Price (Genzô Wakabayashi). Puis il est suivi par bien d’autres athlètes à battre dont Mark Landers (Kojirō Hyūga). 

captain tsubasa

Chaque match est l’occasion pour le héros de se perfectionner et les multiples rencontres permettent de confronter les frenemies pour montrer l’évolution de chaque personnage. La rivalité parfois très violente entre les personnages leur permet de dépasser leurs limites et les entraîne sur la voie d’une maîtrise à la fois physique et mentale.

Dans Haikyū!!, l’auteur ne pouvait évidemment pas reprendre tel quel cette ficelle narrative utilisée depuis plus de 40 ans. Dans le premier chapitre, il joue alors avec ces stéréotypes pour nous faire aimer son jeune héros, Shōyō Hinata.

Haikyū!! (ハイキュー!!) illustration couleur

“Petit géant” et “roi du terrain”

Comme le premier chapitre de My Hero Academia, l’incipit de Haikyū!! débute par un flash-back. Hinata se remémore la première fois qu’il a vu un match de volley-ball. C’était à la télévision et il était hypnotisé par la prouesse physique du « Petit géant », joueur qui ne dépassait pas 1m 70. 

Haikyū!! (ハイキュー!!) petit

Trois ans et trois mois plus tard, Hinata dépasse à peine les 1m 60 et il parvient enfin à jouer avec une équipe sur un vrai terrain. Grâce à d’autres flashbacks, le lecteur apprend que le parcours a été très difficile.

Non pas que le héros ait dû subir des entrainements avec un entraineur sadique, mais il a dû s’entrainer seul. Il n’y avait pas d’équipe de volley dans son collège…

Haikyū!! (ハイキュー!!) king court

Après avoir longuement insisté, Hinata a réussi à convaincre des amis de faire une équipe pour s’inscrire à un championnat. Malheureusement, le premier match l’oppose à un as du volley-ball aussi patibulaire que génial : Tobio Kageyama, surnommé le « roi du terrain ». 

Arrogant et détesté par ses camarades, il se retrouve face à Hinata devant les toilettes (le héros ayant quelques problèmes intestinaux dû au stress). Les deux personnages que l’on identifie tout de suite comme des frenemies se toisent et Hinata déclare naïvement qu’il peut remporter la finale.

Le match commence après l’affrontement verbal et c’est évidemment une catastrophe. L’équipe formée pour l’occasion par Hinata ne fait pas le poids et celle de Kageyama ne semble même pas intéressée par le match. Au bout d’une trentaine de minute, les débutants sont éliminés. 

Revanche et émulation

En fait, seuls deux joueurs sont impliqués dans le match à 101% : Hinata et Kageyama.

Après une attaque impressionnante mais ratée, Kageyama est enfin impressionné par les aptitudes physiques de Hinata. Mais surtout il lui en veut.

Qu’est-ce que t’as foutu pendant ces trois ans ?

La question n’est pas une marque de mépris mais une vraie question (maladroite) de Kageyama qui reconnaît en Hinata un adversaire à sa taille. Il aurait voulu l’affronter plus tôt pour avoir un challenge. Il reconnait en lui une même passion pour le sport et un même désir de vaincre.

Haikyū!! (ハイキュー!!) where were you

Malgré la défaite, Hinata veut sa revanche sur Kageyama. En pleurs, il promet de l’affronter de nouveau sur le terrain et de le vaincre. Jusque-là tout se déroule comme dans la majorité des supokon. La différence est que le héros est vraiment désarmant de candeur. 

(Personnellement, j’ai pleuré bêtement en regardant la version animée bien que la situation soit attendue dans ce type de manga de sport).

Les planches suivantes le montrent en train de s’entraîner et là encore, le héros est seul, sans équipe de volley-ball où trouver une saine émulation. Heureusement, il passe au lycée et s’inscrit dans l’établissement du « Petit géant » qu’il avait admiré à la télévision. Cette fois-ci, il en est sûr, il va pouvoir s’améliorer et grâce à l’équipe du lycée il va vaincre le « roi du terrain ». 

La chute comique

Dès le premier jour de cours, Hinata s’inscrit au club et court vers le gymnase pour son entraînement. Les pensées de la première page sont de nouveau énumérées et font sens après tous ces événements : 

Une perspective que je ne pourrai jamais atteindre tout seul mais par contre, si je suis entouré…

C’est ainsi que le héros ouvre la porte du gymnase et se retrouve face à Kageyama. Ils sont dans la même équipe… Oups !

Comme vous l’aurez compris, Haruichi Furudate a créé 54 pages pour nous induire en erreur. Oui, il s’agit bien d’un manga de sport avec tous les stéréotypes qu’on aime dans ce genre de récit. Oui, il y a bien un frenemy.

Haikyū!! (ハイキュー!!) manga end

Mais le twist de la dernière double page est que le héros et son rival vont devoir collaborer alors qu’ils se détestent. C’est sur ce retournement de situation que s’achève l’incipit de Haikyū!!

A partir de là, la série est tout bonnement hilarante. Les deux héros sont aussi obstinés l’un que l’autre et leurs éclats rythment la découverte des membres de l’équipe du lycée. 

Plus réaliste que la vieille série animée Jeanne et Serge et bien plus drôle, Haikyū!! parvient à la fois à surprendre les amateurs de supokon et à rendre le volley-ball palpitant quand bien même on ne connait aucune des règles.

Haikyū!! (ハイキュー!!) cover

Le titre Haikyū !! est la prononciation japonaise des idéogrammes 排球 qui désignent le volley-ball, mais qui sont rarement utilisés dans la vie courante. Les gens emploient plutôt l’anglais volley-ball (prononcé à la japonaise).

Initialement publié dans Shônen Jump depuis 2012, Haikyū !! compte plus de 42 volumes en 2020. La version française est disponible chez Kazé.

Haikyū!! (ハイキュー!!) colors

La série a été adaptée pour la télévision en anime par Production I.G. Deux jeux sont disponibles sur la Nintendo 3DS et le héros apparaît aussi dans plusieurs titres mettant en scène les personnages de Shônen Jump.

En dehors des CD avec des pièces radiophoniques, il existe une série de représentations théâtrales, Hyper Projection Engeki: Haikyu!!

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