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Incipit All you need is Kill : la nouvelle voie du samouraï

« Je découvris que la voie du samouraï, c’est la mort ». Telle est la citation la plus connue des gens qui n’ont jamais lu Hagakure, célèbre traité d’éthique du samouraï. C’est aussi le destin que choisit le héros du manga All you need is Kill. Voici pourquoi son premier chapitre propose une version moderne du guerrier.

Comme dans la plupart des mangas, les premières pages donnent des éléments permettant de poser l’univers. Dans l’incipit de Naruto, il s’agit de la légende du démon à neuf queues. Dans les premières pages de One Piece, il s’agit des dernières paroles du roi des pirates.

Dans All you need is Kill, les trois premières pages posent un univers de SF assez classique avec des soldats en exosquelette. Ces costumes mécaniques étaient déjà largement exploités dans les séries japonaises des années 1980 avant d’être plus mainstream avec le succès de jeux vidéo comme Halo.

Une SF pas si classique

Mais le détail un peu bizarre est la phrase finale de la première page. « Je vais rester avec toi jusqu’à ton dernier souffle ». Qui est cette Rita Vrataski qui se présente à nous ? D’où vient-elle puisqu’elle se pose des questions sur les pratiques du Japon ?

Et bien sûr, pourquoi l’image semble être perçue à travers un moniteur et non une vision « directe » dans la version noir et blanc de ces planches ?

Après cette introduction, nous suivons un jeune soldat, Keiji Kiriya. Il se réveille en ayant fait un cauchemar où il meurt dès son premier combat. Mais il doit vite se reconcentrer sur l’entrainement militaire du jour.

A travers son regard, on fait connaissance avec divers personnages haut en couleur de la base.

Il se remémore aussi que, lorsqu’il était enfant, il regardait la guerre contre les aliens à travers les médias comme s’il s’agit d’une fiction de SF. 

On ne sait pas grand-chose des monstres qui attaquent la terre si ce n’est qu’ils gagnent du terrain chaque jour et que l’humanité semble vouée à disparaître.

Seule une troupe américaine parvient à leur tenir tête. Mais c’est insuffisant pour gagner la guerre.

Qui sont ces aliens ? Pourquoi les nomme-t-on Mimics ? Que veulent-ils ? Aucune réponse n’est donnée. Le récit est focalisé sur le héros qui n’est qu’un soldat de base et un néophyte dans l’art de la guerre.

Lors de sa première bataille, Keiji Kiriya n’est pas très habile et terriblement stressé. Les planches de combat parfaitement exécutées mettent l’accent sur la panique du héros.

Il voit son camarade de chambrée mourir sous ses yeux avant être déchiqueté par une attaque de Mimics.

Il meurt en criant sa douleur. 

Et il se réveille. La journée vient de recommencer.

Boucle temporelle

Ce que l’on soupçonnait dès les douze premières pages se confirme. Keiji est pris dans une boucle temporelle, un ressort narratif très classique.

L’idée a été popularisée pour le public mainstream par le film Un jour sans fin (1993). Dans The Legend of Zelda: Majora’s Mask (2000), il faut sauver le monde en revivant les mêmes trois derniers jours avant l’apocalypse.

Dans le film de Mamoru Hosoda, La Traversée du temps (2006), l’héroïne peut retourner dans le passé pour le changer. Mais elle n’a qu’un nombre limité de saut dans le temps pour revivre la même journée.

Comme on le voit, l’idée a été largement exploitée. Qu’est-ce qui fait l’intérêt de All you need is Kill ? L’attitude du héros. 

Se rendant compte qu’il est déjà mort deux fois de manière pathétique sans vraiment combattre, il prend la fuite.

Il a déjà dû affronter sa peur de la mort. Et il n’est pas parvenu à faire quoi que ce soit. Il mise donc tout sur la désertion.

Après tout, il est dans une zone sûre. Dans sa course, il croise même un sympathique vieillard et son adorable petite-fille.

Le soulagement est de très courte durée. Keiji se réveille de nouveau dans son lit le jour de son premier combat.

Ne pouvant fuir physiquement, il espère qu’en mettant fin à ses jours il pourra sortir de la boucle. Raté.

Adopter la voie du guerrier

Après quatre échecs, Keiji tente d’aborder les choses de manière rationnelle. Il est condamné à souffrir une mort atroce à chaque fois. Il ne peut pas y échapper. Donc il décide de faire face.

Les pages finales font écho sans le vouloir les pages du Hagakure.

Je découvris que la Voie du samouraï, c’est la mort. Si tu es tenu de choisir entre la mort et la vie, choisis sans hésiter la mort. Rien n’est plus simple. Rassemble ton courage et agis. 

Hagakure

Ce traité d’éthique du samouraï a été rédigé au XVIIIe siècle par Jōchō Yamamoto et il est longtemps resté secret. Il est devenu populaire grâce au romancier Yukio Mishima par son essai Le Japon moderne et l’éthique samouraï(1967). Cette version est celle qui permet au public français de lire des extraits du traité.

Le livre reconnaît que l’instinct pousse les humains à fuir la mort. Mais ce n’est pas une manière efficace pour la surmonter. 

Tous, nous préférons vivre. Rien de plus naturel, donc, dans une situation de ce type que de chercher une excuse pour survivre. 

Hagakure

C’est précisément ce que fait le héros de All you need is Kill : il commence par fuir mais décide de combattre sa peur car c’est la seule option qui lui permet de mettre de l’ordre dans sa vie. 

Le héros étant coincé dans une boucle temporelle, il n’a finalement pas vraiment le choix. Dans l’éthique du samouraï, ce qui oblige le guerrier à affronter la mort est la peur du déshonneur.

Mais celui qui choisit de continuer à vivre alors qu’il a failli à sa mission, celui-là encourra le mépris qui va aux lâches et aux misérables.

Hagakure

Dans All you need is Kill, Keiji n’a pas vraiment de témoins capables de le blâmer. Mais il est résolu à combattre car c’est désormais sa seule manière de vivre. 

Chaque boucle devient alors une occasion d’apprendre. Il applique la formule des samouraïs : kiri-oboeru(« abattre l’ennemi et apprendre »).

C’est avec la résolution de combattre sa peur de mourir que s’achève le premier chapitre.

La suite est absolument passionnante, notamment l’histoire de Rita Vrataski dans le second et dernier tome. 


All you need is kill est initialement un roman (light novel) de 2004 écrit par Hiroshi Sakurazaka et illustré par Yoshitoshi Abe.

Ce récit de SF a eu tellement de succès qu’il a été au cinéma sous le titre Edge of Tomorrow (2014) et en graphic novel par Nick Mamatas et Lee Ferguson en 2014.

Le manga écrit par Ryōsuke Takeuchi et illustré par Takeshi Obata a été publié dans l’hebdomadaire Weekly Young Jump en 2014. La version française est publiée par Kazé en 2014.

Évidemment le roman et le manga sont beaucoup plus violents dans leur traitement des combats et des sacrifices à faire pour gagner la guerre. Pas de happy end hollywoodien lorsque l’on suit la voie du guerrier.


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