L’adaptation des deux volumes du manga Little Forest en deux longs métrages est une invitation à retrouver la beauté et la simplicité d’un village japonais où les rizières et le satoyama permettent de vivre en autarcie au fil des saisons.
Le spectateur suit les gestes de la jolie Ichiko, revenue vivre dans la maison familiale après avoir été citadine durant quelques temps. Il ne s’agit pas d’une simple carte postale esthétique sur la campagne japonaise mais d’une manière de découvrir un écosystème où les humains vivent en harmonie avec une nature domestiquée.
Le titre anglais Little Forest est la traduction de Komori, nom du village où séjourne l’héroïne et qui signifie « petite forêt ». Elle vit en compagnie de ses livres et d’un chat dans une maison isolée entourée par les champs et les bois.
Ichiko ayant grandi dans cet environnement, l’œuvre ne traite pas des difficultés d’adaptation d’une citadine dans un milieu rural comme c’est en partie le cas dans Les Enfants Loups (2012) film d’animation de Mamoru Hosoda.
Inspiré par les œuvres de Hayao Miyazaki, l’auteur du manga (Daisuke Igarashi) vise à nous faire découvrir avec une perspective plus adulte la campagne dans laquelle évoluent les deux fillettes héroïnes de Mon Voisin Totoro.
Recettes pour le corps et l’esprit
Les séquences lentes de Little Forest alternent entre les travaux dans la rizière ou le potager, les balades dans la forêt, les discussions entre amis et la préparation de plat qui rythment les films.
Ces scènes de vie nous permettent de voir son plaisir évident à cuisiner et à manger des plats qui contiennent à la fois des produits de saison qu’elle a récolté et des souvenirs d’enfance.
Elle se remémore son étonnement lorsqu’elle a découvert que la pâte à base de noisettes que sa mère préparait avec les fruits secs ramassés en forêt existait sous un nom similaire dans les rayons des supermarchés dans les grandes villes.
Mais le produit agro-alimentaire n’a pas la même saveur liée au temps et aux étapes passées à sa réalisation. Cette version maternelle du « nu-te-ra » n’est pas la seule invention de la mère d’Ichiko qui avait l’habitude de mêler réalité et fiction, alliage que l’héroïne ne démêle qu’à l’âge adulte.
Si les recettes semblent simples, elles ne sont pas pour autant faciles à réaliser. De la cueillette de plantes ne poussant que dans la forêt environnante à une période donnée, à la création de conserve ou au lent processus de séchage de fruits et de légumes, les étapes préparatoires ne manquent pas dans la finalisation du plat.
Par ailleurs, de simples variations modifient le goût, Ichiko découvrant la technique de sa mère pour obtenir une saveur spécifique après de multiples tentatives ratées. Chaque plat devient donc le point d’orgue d’une série de souvenirs et d’opérations humaines de transformation de la nature.
Omniprésente, celle-ci est filmée de façon à nous faire ressentir à la fois sa diversité et ses variations saisonnières : la moiteur de l’été où le taux d’humidité est tel qu’il est nécessaire d’allumer le poêle à bois afin d’assainir l’intérieur de la maison, les couleurs changeantes des arbres à l’automne, les nouvelles pousses printanières émergeant du manteau blanc de la neige.
Les images de grenouilles, libellules et papillons succèdent à celles des visiteurs animaux des saisons froides. Les plans sur les fleurs font place aux images des kakis et radis séchés accrochés sous le toit de la maison et servant à la préparation de nouveaux plats emplis de souvenirs.
Nature apprivoisée du satoyama
On sait peu de choses sur Ichiko, le récit de Little Forest faisant la part belle aux éléments naturels. Elle est en quelque sorte le support humain sur lequel nous pouvons nous projeter afin de nous immerger dans la vie de la campagne, car les films visent surtout à montrer la richesse du vivant dans cet écosystème d’apparence simple.
Comme les autres villageois, en élevant des canards dans la rizière, Ichiko bénéficient de leur aide indirecte dans la culture du riz. Ils oxygènent l’eau en nageant, mangent les insectes potentiellement nuisibles et leurs déjections enrichissent le sol.
L’eau de la rivière nécessaire à la création de la rizière et les étangs servant de réservoir pour l’irrigation permettent également d’élever des truites qui peuvent vivre dans les parcelles inondées.
La forêt environnante ou satoyama n’est pas un lieu sauvage mais un espace apprivoisé où les humains trouvent à la fois du bois de chauffage et des plantes comestibles qui ne peuvent y pousser que par la création d’un sous-bois entretenu par la coupe régulière d’arbres.
Ichiko s’y rend à de nombreuses reprises afin de récolter les pousses et herbes qui agrémentent ses repas, les fruits qu’elles conservent en les transformant en confiture.
Quant aux feuilles mortes ramassées à l’automne, elles servent de fertilisant pour les cultures. Ces forêts communautaires sont également une réserve naturelle pour toutes sorte d’animaux sauvages.
L’entretien de ce paysage spécifique au Japon demande la coordination des villageois qui se réunissent régulièrement pour décider des travaux nécessaires au maintien d’une parcelle de rizière ou qui se partagent les semences à planter (évitant ainsi de payer le tribu annuel des paysans modernes aux firmes agro-alimentaires).
Si Ichiko assiste à un conseil, elle ne prend néanmoins pas une part active car elle n’est revenue dans la maison familiale que pour fuir la ville et ses difficultés personnelles.
Contrairement à son ami Yuta, revenu vivre à Komori car il souhaite s’investir dans cette petite communauté, l’héroïne hésite à s’investir dans cet environnement traditionnel et familier.
Préservation des connaissances et de la diversité
Selon Yuta, à la campagne vivent des personnes sachant réellement de quoi elles parlent car elles l’ont expérimenté alors qu’en ville les gens déblatèrent sur des tas de sujet mais n’ont aucune expérience pratique. C’est pour retrouver cette forme d’authenticité que le jeune homme est revenu à Komori.
La conversation amicale entre les deux personnages met en relief de manière prosaïque une distinction dans les modes de transmission du savoir entre l’espace citadin où prédomine l’éducation livresque et le milieu rural où la diffusion des connaissance passe par le corps et la répétition des gestes.
Parce qu’il ne se manifeste pas à travers les conventions et codes de l’éducation moderne, le savoir-faire des villageois n’est pas apprécié à sa juste valeur et se perd.
C’est seulement lorsqu’elle a dû vivre en ville qu’Ichiko découvre tous les avantages de la vie rurale.
Elle n’avait pas à acheter ses légumes car elle les produisait ou les récoltait en forêt (de même pour le poisson et la viande). Elle n’avait pas à payer de facture d’énergie élevée car elle se chauffait avec du bois qu’elle avait elle même coupé.
Elle n’avait pas à rémunérer les services de collecte des ordures puisque les déchets organiques servent à la création d’engrais pour les cultures et qu’elle utilisait peu de produits avec emballage.
Comme monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, Ichiko profitait dans son village d’une « économie circulaire », modèle de production et de consommation durable limitant la consommation et le gaspillage des matières premières, de l’eau et des sources d’énergie.
C’est précisément cette forme de vie au rythme des saisons que Little Forest cherche à nous faire partager grâce aux anecdotes attachantes de l’héroïne et sa redécouverte de la campagne.
Pour un public occidental, ce récit du plaisir de la nature retrouvée peut paraître d’autant plus exotique que l’agriculture vivrière a depuis longtemps cédé le pas à l’exploitation industrielle et intensive des sols.
Les paysages de bocage ont été remplacés par des hectares d’espace ouvert où peuvent facilement passer les véhicules agricoles. Si Ichiko arrache les mauvaises herbes de la rizière à la main et scrute tous les jours les feuilles de ses choux à la recherche de chenilles, il semble peu probable que beaucoup d’agriculteurs européens travaillent ainsi.
Mis à part quelques personnes passionnées par l’écologie ou la flore, peu de gens prennent leur voiture pour aller en forêt arpenter le sous-bois en vue de récolter des plantes comestibles (en dehors des châtaignes et des champignons).
Little Forest est aussi potentiellement exotique pour le public japonais, puisque les satoyama disparaissent régulièrement, grignotés par l’avancée des zones urbaines, transformés en golf pour citadins en manque de nature.
Afin de préserver l’une de ces forêts située en plein cœur de Tokyo le réalisateur Hayao Miyazaki avait aidé une association à faire acheter la zone par la ville afin de la préserver des appétits des promoteurs immobiliers.
Par ailleurs, le Satoyama Initiative a été lancé en 2010 par des institutions japonaises pour promouvoir des zones de développement durables similaires au type de paysage traditionnel japonais qui mêle rizière, zones humides et forêt. Désormais se développe même le tourisme vert permettant au citadins de découvrir les satoyama et les rizières traditionnelles.
Au niveau de l’ONU, il existe également des projets vivant à préserver les connaissances liées aux méthodes de cultures traditionnelles. Celles-ci peuvent prendre diverses formes selon les territoires.
Dans les cultures amérindiennes, les « trois sœurs » ou la milpa est un système de culture associant trois plantes complémentaires : le mais sert de tuteur au haricot qui enrichisse le sol en azote tandis que la courge couvre le sol de larges feuilles inhibant la pousse de mauvaises herbes et retenant l’humidité.
Il reste à faire des fictions permettant de toucher le public et lui donner envie de redécouvrir ces paysages et ces méthodes de gestion (car malheureusement personne ne prend la peine de lire les rapports produits par l’ONU sur le développement agricole durable).
Sorti en 2014, Little Forest : Summer, Autumn est un film en deux parties suivi en 2015 par Little Forest : Winter, Spring.
Le manga original en deux volumes de Daisuke Igarashi a été publié entre 2002 et 2005. Il a été traduit en français chez Casterman.