Promu chevalier des Arts et des Lettres en 2006 en même temps que Frédérick Raynal et Shigeru Miyamoto, Michel Ancel reste connu comme le créateur de Rayman et un artiste très accessible et passionné.
Dans son studio de Montpellier, il avait mis en chantier un nouveau moteur de jeu qu’il souhaitait mettre à disposition des développeurs indépendants.
C’est avec cet outil qu’a été réalisé Rayman Origins, jeu d’aventure et de plates-formes à l’univers chatoyant et humoristique.
Rayman Origins a-t-il toujours été pensé comme un jeu ou ne devait-il être qu’une démonstration technique pour un outil destiné aux Indés ?
Michel Ancel : Nous voulions réaliser un jeu mais effectivement, il devait servir à montrer les possibilités de nos outils. Nous avons ensuite décidé de le sortir sous forme d’épisodes à télécharger, mais ce procédé n’était pas compatible avec le fait que Rayman puisse revenir dans les premiers mondes.
Sur le blog que nous avions commencé à alimenter, les fans ont crié dans tous les sens en expliquant qu’il fallait faire un vrai Rayman avec soixante niveaux et des trucs cachés, etc.
Les gens étaient déçus car ils se disaient qu’ils allaient devoir payer plusieurs fois pour jouer, ils craignaient de ne jamais avoir un jeu fini. Il y avait aussi un côté un peu immatériel qui n’était pas bien perçu.
Du coup, nous avons conçu un vrai gros jeu, ce qui n’enlève rien au fait d’élaborer un moteur pour la communauté des développeurs.
Pourquoi créer un moteur pour la 2D ?
Michel Ancel : Beaucoup d’artistes travaillent en 2D et dont les œuvres sont transformées par la 3D.
Or la 3D n’est pas une finalité en soi : ce n’est qu’une façon de s’immerger dans l’image, mais ce n’est pas une nécessité pour représenter graphiquement quelque chose, et on a souvent intérêt à garder une image telle qu’elle est initialement en 2D.
L’idée était donc de supprimer une étape et de travailler directement avec des artistes qui mettent leurs visuels en jeu en enlevant la partie image de synthèse.
L’autre critère important est que les jeux 2D restent toujours aussi cool à jouer. Le but d’un jeu n’est pas de proposer un monde immersif ni d’avoir le plus grand nombre de polygones affichés : c’est avant tout d’être agréable et marrant à jouer.
La 2D n’enlève rien à ces aspects-là, a fortiori dans les jeux de plate-forme : il est plus facile de se repérer et de viser en 2D. Il y a des éléments de précision. Tout ceci justifie le fait de continuer à créer de bons titres en 2D.
Pensez-vous que les jeux sous forme d’épisodes ne peuvent pas marcher, ou est-ce seulement lié au gameplay de Rayman ?
Michel Ancel : Le peut fonctionner ! Mais comme Rayman est une marque qui existe déjà, il y avait des attentes sur un système de jeu que je n’ai pas eu envie de changer.
Parmi les spécificités de Rayman, il y a le fait que, comme dans un jeu d’aventure à la Zelda, il apprend à utiliser des pouvoirs au fur et à mesure et est ensuite libre de revenir dans les premiers niveaux pour vivre une expérience différente.
La difficulté est croissante, ce qui constitue l’une des originalités de Rayman. Si nous étions partis sur un jeu en épisodes, il aurait sans doute fallu changer la philosophie du titre et la façon dont il est structuré.
Rayman aurait sans doute eu tous ses pouvoirs dès le début. Cela aurait donné quelque chose qui ressemble à des épisodes télévisés que l’on peut regarder indépendamment les uns des autres de manière que les joueurs ne se sentent pas obligés d’acheter tous les autres épisodes pour avoir la suite.
Du coup, nous aurions sans doute dû créer un épisode de Rayman de deux heures que les joueurs auraient pu terminer en ayant le sentiment d’avoir fini sans devoir attendre et acheter une suite. Tout ceci n’est pas simple à mettre en place.
Pour ce Rayman, avez-vous refait les images ou avez-vous utilisé d’anciennes sources ?
Michel Ancel : Ce n’est pas tant refaire que créer. Nous ne pouvions pas réutiliser les images du Rayman 2D de 1995. Quant au Rayman en 3D, il avait été directement modélisé en trois dimensions. Il a fallu retravailler tout cela.
Et je me suis dit que, plutôt que de passer commande à d’autres, il valait mieux travailler directement avec des artistes dont c’est le talent.
L’idée était de représenter le personnage avec le style de l’un de nos collaborateurs, Christophe Villez, ancien étudiant aux Gobelins qui a travaillé pour Disney. Il apporte sa touche personnelle à Rayman.
Il y a aussi Floriane Marchix, qui s’est occupée des décors. C’est une bonne chose que l’on puisse reconnaître leur patte graphique. Même si, depuis, beaucoup d’artistes les ont rejoints, ils ont donné une impulsion.
Si nous créons un autre Rayman, j’aimerais bien changer de style et, pourquoi pas, en inventer un en pâte à modeler si nous trouvons un artiste qui excelle dans ce domaine.
Vous teniez donc vraiment à revenir à la 2D pour ce volet ?
Michel Ancel : Les jeux en 2D et les jeux d’arcade ont cette générosité de contenu. Il y a toujours plein de décors, de trucs cachés. Nous avons connu une vague de jeux 3D où ce n’était plus le cas.
Depuis, il y a eu de beaux titres 3D comme Ratchet and Clank ou Mario Galaxy avec un certain foisonnement. Je pense que cette richesse du détail est propre à la 2D et à une certaine façon de jouer.
Le monde créé est totalement délirant mais n’y a-t-il pas trop de détails, d’éléments qui bougent dans tous les sens ? N’est-ce pas au détriment de la lisibilité ?
Michel Ancel : Tout dépend de l’expérience de jeu. Si l’on joue à plusieurs, c’est vrai que ça devient vite assez fouillis car la caméra est obligée de reculer et on voit du coup beaucoup de choses en même temps.
Autrement dit, en multi, cela dépend vraiment du nombre de joueurs. À deux, ça reste assez facile à comprendre ; à quatre, il se passe un peu n’importe quoi et on peut faire les couillons. C’est une approche un peu moins sérieuse.
En revanche, quand on joue seul, la caméra est plus proche, le jeu plus précis et on peut mieux apprécier les détails. Mon conseil est vraiment d’essayer avec plusieurs configurations, en sachant que la plupart des gens vont pratiquer surtout seuls ou à deux.
Le jeu propose un univers assez baroque avec beaucoup de détails. Il faut s’y faire et entrer dedans. Il y a une vraie richesse, mais c’était le même esprit dans le premier Rayman. Il était à l’opposé des jeux 3D vis-à-vis desquels certains se plaignaient que les décors étaient dépouillés et qu’il fallait courir dans un lieu vide.
Nous avons voulu aller à l’encontre de cela et être généreux quant au contenu. Du coup, il faut sans doute apprendre un peu plus et tester pour voir ce qui est interactif, comment ça marche, etc. Il faut prendre le temps de découvrir ce foisonnement.
Actuellement, on a l’impression que seuls les shooters se vendent. Pensez-vous que les platformers ont encore une chance ?
Michel Ancel : C’est jouable et nous ne sommes pas les premiers. Il y a eu Donkey Kong l’an dernier et Mario un an avant. Je pense que les gens ont des envies très différentes. Certains ne jouent qu’aux FPS, mais peut-être voudront-ils se changer les idées avec un platformer !
Je pense tout de même que les joueurs de plate-forme sont des personnes assez particulières qui sont déjà ancrées dans ce style-là. Je trouve sympa que ce public ait au moins une fois par an de nouveaux titres pour pouvoir choisir. C’est un domaine assez riche, bien plus qu’on l’imagine.
Je trouverais dommage qu’il n’y ait plus de platformers. C’est un moyen d’expression intéressant pour la richesse des décors, des personnages et des types de gameplay. Il reste beaucoup de choses à faire dans ce domaine et c’est assez motivant !
Est-ce pour cela que Rayman propose différents gameplays rassemblant presque tout ce qui est faisable en scrolling ?
Michel Ancel : C’est un trait commun à la plupart des jeux que je réalise. King Kong est un FPS mais avec des moments où l’on dirige King Kong lui-même.
Dans Beyond Good and Evil, il y avait des phases d’infiltration, d’aventure, d’acrobaties et de combat. J’aime bien que le joueur ne sache pas ce qui l’attend deux niveaux plus loin. Cette suspension dans la surprise est intéressante.
Pensez-vous qu’un univers graphique très marqué puisse encore toucher le public ?
Michel Ancel : Actuellement, on a l’impression que seul le photoréalisme compte. Je pense qu’il y a des gens qui se fichent complètement de la 3D.
Par ailleurs, certains ont aussi arrêté de jouer parce qu’on leur propose toujours un peu la même chose. Je pense en effet qu’il se vend beaucoup de titres photoréalistes et que beaucoup de choses se font dans ce domaine.
Cependant, quand on regarde où sont vraiment les joueurs, on se rend compte qu’ils n’y jouent pas tant que cela. C’est un aspect qui est mis en avant dans les médias spécialisés, mais ça ne représente pas la majorité des joueurs.
Il y a plus de pratiquants de Wii Sports, d’Angry Birds ou de jeux d’échecs ! Les joueurs de FPS réalistes sont loin d’être les plus nombreux. Il me semble qu’il y a vraiment de la place pour des titres moins extrêmes dans la violence et dans le photoréalisme.
Et de toute façon, même dans le domaine du réalisme, il y a des trucs fantastiques à faire et qui n’ont pas encore été réalisés ! Bref, en dehors des FPS réalistes sur lesquels se penche beaucoup de monde, il y a clairement de la place.
Les gens associent souvent graphisme 2D coloré à un univers enfantin ; les enfants, de leur côté, ont tendance à ne vouloir que des choses qui font « adulte ». Ne craignez-vous pas peur de passer à côté d’un public potentiel ?
Michel Ancel : De toute façon, il faut oser des choses ! Quand nous avons sorti Rayman, nous étions les seuls à faire un jeu en 2D. C’était la période où la PlayStation 1 explosait avec des titres 3D du genre Ridge Race, Toshinden, etc.
Les gens de chez Sony nous avaient d’ailleurs gentiment expliqué à l’époque que nous faisions un jeu pour enfants et que cela ne les intéressait pas. Ils voulaient se démarquer du côté enfantin de Nintendo et créer une marque beaucoup plus mature.
Nous avons essuyé un gros revers de la part de Sony. Or, il est apparu après coup que Rayman est l’un des jeux qui se sont le mieux vendus sur PS One en Angleterre.
Je pense que la même chose peut se produire avec Rayman Origins et même si cela ne marche pas, au moins nous aurons fait un beau geste et aurons créé quelque chose que nous aurons aimé faire sans réfléchir uniquement à la dimension économique.
Ensuite, bien que certains adolescents ou enfants soient attirés par des choses plus matures, il reste des plus petits qui heureusement ont encore un imaginaire qui peut les ouvrir à ce genre d’univers baroque.
En play test, nous avons vu des enfants de huit ans s’éclater, se mettre des claques, et même si c’était un peu le chaos à l’écran, ils s’en fichaient et s’amusaient. Nous avons aussi vu des adultes nostalgiques de l’époque du 2D se marrer.
Donc même si nous ne nous adressons qu’à ces gens-là, c’est déjà bien ! Voilà, nous assumons !
Pour ceux qui ne connaissent pas Rayman, la première boucle où il apprend ses différents pouvoirs peut faire penser à un tutoriel géant.
Michel Ancel : Je n’aime pas les tutoriels ! Et le jeu n’est pas du tout orienté dans ce sens. Il est rare qu’il s’affiche à l’écran un message du type : « Faites ça pour réussir à faire ça ». Il doit y avoir en tout quatre écrans pour ce genre de choses.
Si on regarde bien, Rayman est un peu un Mario sans ses pouvoirs : il peut sauter, courir, tuer des ennemis en sautant dessus, s’accrocher. Il est totalement autonome et on peut le manier avec plaisir sans rien d’autre.
Nous avons fait en sorte que le joueur n’ait pas envie de nouvelles fonctionnalités dans les niveaux où elles n’apparaissent pas : tant que Rayman ne peut pas faire l’hélicoptère, c’est que le joueur n’a pas fondamentalement besoin de cette capacité.
Finalement, le joueur consciencieux peut très bien finir entièrement la partie sans aucun pouvoir s’il le veut. Nous avons intégré les pouvoirs pour faciliter la progression, mais presque aucun blocage n’y est lié.
Ensuite, certains penseront que nous aurions pu donner tous les pouvoirs dès le début. Mais j’adore Zelda et dans ce titre, j’aime quand j’ai un nouvel objet qui me permet de faire des choses que je ne pouvais pas faire avant. Cela relance le jeu et crée une vraie grosse surprise.
Donc, c’est vrai, c’est plus habituel dans un jeu d’aventure que dans un platformer. Mais je pense que ça marche assez bien sur Rayman et je l’assume complètement. La moitié du titre est conçue ainsi et dans la seconde moitié, le personnage a tous ses pouvoirs et le jeu se relance sur autre chose.
Dans votre présentation, vous avez expliqué que le New Super Mario Bros. avait tendance à punir les joueurs en multi lorsqu’ils n’allaient pas assez vite et que souvent, le plus mauvais devait se mettre en bulle pour ne pas gêner les autres. Rayman est-il vraiment différent sur ce point ?
Michel Ancel : Ce que nous avons essayé de faire dans Rayman, c’est que les choses ne soient pas involontaires, ou du moins qu’elles le soient le moins possible.
Par exemple, s’il se produit des collisions entre les personnages, les gens ont tendance à se pousser, et souvent sans le faire exprès. C’est déjà difficile de sauter sur une plate-forme, alors si en plus un autre joueur est déjà dessus, qu’on le pousse et qu’il tombe sans qu’on le souhaite, cela crée une dimension involontaire.
C’est pour cela que nous avons enlevé les collisions et intégré le bouton de la baffe : si je veux pousser un autre joueur, je le fais sciemment.
C’est par ce genre de détails que nous avons essayé de faire en sorte que la collaboration soit plus agréable. Parmi les autres éléments, il y a l’absence de vies.
Ainsi, les joueurs ne peuvent pas râler en disant qu’Untel a consommé toutes ses vies et fait perdre le groupe. Je ne pense pas que le principe des vies apporte quelque chose à l’expérience de jeu ; cela ne contribue qu’à condamner le joueur qui n’est déjà peut-être pas très bon ! Nous avons donc un peu enlevé tout cela pour créer un jeu sans système de vies.
Du coup, on serait en droit de penser que le jeu peut se finir extrêmement rapidement puisqu’il n’y a pas de vies et qu’il y a cinq ou six checkpoints par niveau, là où par exemple il n’en existe qu’un en milieu de niveau dans Mario.
En réalité, cela ne nuit pas à la durée du jeu, qui est similaire à celle d’un Mario. Notre gros challenge a été d’élaborer un multi dans lequel les joueurs se gênent le moins possible.
Évidemment, le premier joueur embarque avec lui la caméra et cela peut s’avérer gênant pour les autres qui sont à la traîne ; mais là, c’est physiquement impossible de faire autrement !
Au Japon, Mario est une institution qui se transmet de père en fils. Souhaitez-vous faire de même avec Rayman ?
Michel Ancel : Ce n’est pas ce que nous avons cherché à obtenir, même si nous aimerions que cela soit possible. Au Japon et même dans le monde, Mario est devenu iconique car il y a une constance que l’on a peu vue dans d’autres titres. En tout cas, ce n’est clairement pas le cas avec Rayman, bien que nous ayons essayé d’être proches du premier titre.
La licence a entre-temps vu son héros revêtir plusieurs formes avec des personnages en 3D et d’autres types de jeux. De plus, pour créer une référence forte, il faut du temps et Rayman est une marque bien plus jeune que Mario !
Pour cette nouvelle histoire, on retrouve Polokus. Pour quelle raison avez-vous mis en scène ce rêveur qui fait des bulles ?
Michel Ancel : En fait, le monde de Rayman n’existe pas, c’est un monde rêvé par ce personnage. Du coup, c’est un univers dans lequel il n’y a pas de méchants ni de gentils.
C’est seulement que quand le rêveur est perturbé, il fait des cauchemars. C’est une idée essentielle à laquelle je tenais. Je ne voulais pas qu’il y ait un être fondamentalement pervers ou mauvais.
C’est plus un élément philosophique qu’autre chose. L’idée est de faire comprendre que le mal en lui-même n’existe pas : il ne s’agit que d’un mauvais rêve. C’est une façon d’expliquer que le bien et le mal peuvent très bien cohabiter dans une même personne.
Je trouvais intéressant qu’il y ait cette thématique qui, même si elle n’est pas explicitement racontée, transparaît dans tout le jeu. Une même créature présente différents aspects, méchants ou gentils. Le rêveur est donc celui qui unifie le monde de Rayman.
Néanmoins, Rayman tue les ennemis.
Michel Ancel : Oui, mais ce ne sont que des bulles qui explosent. Rayman est comme une pensée positive qui évacuerait le blues du rêveur. C’est comme si ce personnage représentait la bonne humeur.
En tout cas, c’est comme ça que nous l’avons imaginé et c’est pour cela que je voulais que nous le montrions le moins possible terrorisé, car il incarne la bonne humeur.
À chaque fois que nous avons représenté Rayman et ses potes, nous avons donc toujours fait en sorte qu’il soit en train de se marrer, alors que les autres personnages peuvent représenter des éléments plus complexes, voire plus angoissants.
C’est aussi pour cela que les ennemis ne meurent pas mais deviennent des bulles, et que Rayman lui-même est une bulle : il est un rêve comme les autres. Tous les personnages sont ainsi des rêves.
Dans le monde de la musique, tous les éléments forment une mélodie. Les sound designers ont dû s’arracher les cheveux pour créer ces niveaux-là !
Michel Ancel : Certains accords sont faits lorsque l’on produit des sons ; il y a des plates-formes qui chantent, des oiseaux qui chantent au rythme de la musique.
Tout cela est aussi lié au moteur de son car nous avons voulu que le jeu soit musical, et c’est un truc qui peut être poussé plus loin. Le moteur permet d’unifier les actions interactives et la musique pour que tout ce monde ait le même tempo, ce qui permet de réaliser des choses rigolotes.
Le moteur a été créé pour réaliser Rayman, mais pourra-t-il servir à des jeux autres que des platformers ?
Michel Ancel : Oh oui ! Le moteur s’apparente à un Flash, mais plus axé sur les images pour importer des dessins, des photos ou n’importe quoi.
En gros, il permet même de faire un dessin animé puisque l’intro du jeu a été réalisée avec ce moteur. On peut concevoir un point and click, un jeu de stratégie : c’est un moteur qui n’est pas réservé à la création de jeux de plates-formes.
Certes, mais même si Unreal n’est pas réservé à la création de shooters réalistes, c’est un peu toujours ce type de jeu qui est créé avec ce moteur. Du coup, ne peut-on pas s’attendre à une flopée de platformers2D ?
Michel Ancel : Ça dépend des gens ! On peut aussi créer de la 3D isométrique ou de la vue de dessus. Tout est possible avec ce moteur. C’est vrai qu’on manipule moins les mesh en trois dimensions et tout ce qui touche à la 3D en général.
En outre, le moteur a prouvé ce dont il est capable sur un platformer, mais rien n’empêche de créer un Plants vs Zombies ou un Angry Birds avec cet outil.
Rayman s’est fait éclipser par les Lapins crétins. Son retour est-il voulu ou est-ce une simple conséquence de la démo technique du moteur ?
Michel Ancel : Non, le retour de Rayman est une chose volontaire, tout comme l’a été la création des Lapins crétins, qui étaient des adversaires un peu emblématiques et originaux.
Ensuite, il n’y a pas que des lapins dans le monde de Rayman, mais tous ses amis, le rêveur et les dieux de cet univers. Il aurait été dommage de ne pas les mettre en valeur. Dans Rayman Origins, nous avons tenu à mettre en avant cet univers très riche.
Il me semble qu’une suite est déjà prévue.
Michel Ancel : Nous aimerions bien mais ce n’est pas encore officiel. Tant que nous avons des idées, nous souhaitons faire une suite, mais il faut maintenant prendre le temps de plancher dessus sérieusement, de faire des essais et de trouver de quoi faire un jeu aussi surprenant que celui-là, ce qui n’est pas facile.
Cela ne fait-il pas bizarre de revenir à Rayman après avoir essayé plein de choses dans d’autres styles ?
Michel Ancel : Non, cela n’a rien de bizarre dans le sens où la plupart des créateurs de jeu, ici comme sans doute chez Nintendo, aiment bien passer d’un projet à un autre. Nous nous concentrons sur le fait que chaque jeu a ses qualités et nous avons tous envie de faire du mieux que nous pouvons.
Je pense que je pourrais parfaitement m’éclater à créer un jeu de tennis. Sur King Kong, nous avons essayé de faire un FPS à notre façon et c’était intéressant.
En passant d’un type de jeu à un autre, ce qui est bien est que l’on change de focus. Ce qui était passionnant avec Rayman, c’était de retrouver les basiques du jeu vidéo avec la 2D.
Dans un jeu en 3D, on s’attarde très vite sur des considérations cinématographiques ou technologiques assez fortes ; du coup, on passe plus de temps sur la physique et des détails techniques qui peuvent parfois être embarrassants à tel point qu’on se demande au bout d’un moment si le résultat peut être aussi fun qu’un jeu en 2D.
On se rend compte alors que les gens cherchent à créer un espace en 2D à l’intérieur d’un jeu en 3D, et ce même dans les FPS, c’est-à-dire des plans où l’on évite que les choses soient les unes derrière les autres, pour que tout soit immédiatement clair.
Le plaisir de la 2D, c’est aussi de revenir à quelque chose de très exigeant en termes de règles de jeu. Tous les défauts dans un jeu en 2D se remarquent immédiatement. C’est une bonne façon de revoir ses fondamentaux sur la création d’un soft.
C’est marrant, car les gens ont tendance à croire que la 3D demande plus de rigueur que la 2D.
Michel Ancel : On cache plein de trucs avec la 3D ! C’est plus exigeant technologiquement, mais pas en termes de règles de jeu.
En 2D, le joueur a une vision globale, il a accès à un plan du jeu et peut donc voir immédiatement qu’un personnage ne marche pas bien.
En 3D, ce personnage peut se trouver loin et derrière quelque chose ; il peut aussi être atténué par un aspect de la mise en scène et le fait que l’on ne voit pas les choses aussi clairement.
Ensuite, il y a une exigence plus grande car tous les défauts se voient tout de suite. S’il y a un bogue de collision, cela saute aux yeux tandis qu’en 3D, les choses peuvent passer devant ou derrière, on ne sait pas trop ; et comme ça a l’air de marcher, ça se voit moins.
Article initialement publié dans IG Magazine 17.